SÉNÉGAL : « La restriction de l’espace civique demeure la plus grande préoccupation de la société civile »

MalickNdomeCIVICUS échange avec Malick Ndome, conseiller sénior en politique et membre du conseil d’administration au Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (CONGAD), sur les récentes élections au Sénégal.

La CONGAD a été fondée en 1982 par des organisations de la société civile (OSC) travaillant au Sénégal pour coordonner les relations avec l’État et d’autres partenaires. La CONGAD offre des formations pour les OSC, les autorités locales et les médias. Il plaide également en faveur d’une société civile plus forte, capable d’influencer les politiques publiques.

Quelle est l’importance de la victoire du candidat de l’opposition Bassirou Diomaye Faye lors de la récente élection présidentielle ?

La victoire de M. Faye au premier tour était difficile à prévoir. Cependant, il est important de reconnaître l’impact de sa sortie de prison, ainsi que celle d’Ousmane Sonko, leader de son parti, les Patriotes du Sénégal (PASTEF), à peine dix jours avant l’élection.

M. Sonko avait été empêché de se présenter à la suite d’une condamnation controversée pour corruption de la jeunesse et diffamation en 2023. M. Faye a été désigné comme candidat à sa place, mais il a également été envoyé en prison pour avoir critiqué la décision du tribunal dans l’affaire Sonko. Leur libération a notablement galvanisé le soutien des sympathisants et des militants de PASTEF, et plus généralement des jeunes, qui ont apprécié leur message de changement et leur aura anti-corruption. En revanche, il semble que la coalition gouvernementale ait suscité un manque d’enthousiasme notable.

De plus, il est à noter qu’il y a eu beaucoup de spéculations et de rumeurs sur le manque de soutien du Président Macky Sall au candidat de sa propre mouvance présidentielle, ce qui a sans doute influencé le paysage électoral.

Compte tenu de ces circonstances, la nette victoire d’un candidat de l’opposition revêt des implications profondes pour la force de la démocratie sénégalaise. Tout d’abord, elle signifie un engagement renforcé en faveur de l’État de droit, garantissant à chaque citoyen sénégalais une chance équitable d’accéder à la plus haute fonction. De plus, cela démontre la résilience des institutions électorales sénégalaises face aux défis. En outre, malgré les inquiétudes persistantes concernant la participation électorale, les citoyens sénégalais ont fait preuve d’un niveau de confiance louable dans leurs processus électoraux, soulignant ainsi leur engagement envers les principes démocratiques. La participation électorale a été de 61%.

Cela offre l’opportunité d’une révision complète de la loi électorale et du code électoral, en mettant l’accent sur la correction des principales lacunes identifiées par les acteurs politiques et la société civile. Il est impératif de revoir le rôle et l’efficacité d’institutions telles que la Commission électorale nationale autonome dans la surveillance des élections, en veillant à ce qu’elles possèdent les ressources et les capacités nécessaires pour remplir leur mandat de manière impartiale et efficace.

En résumé, bien que la victoire de Faye ait pu être inattendue, elle marque un moment crucial dans le parcours démocratique du Sénégal, mettant en évidence à la fois les forces et les domaines à améliorer au sein de son système politique.

L’espace civique a-t-il été restreint avant les élections ? Quels défis cela a-t-il posé et à quoi peut-on s’attendre pour l’avenir ?

D’importantes restrictions ont été observées en février, lorsque l’annonce par M. Sall du report des élections a donné lieu à des manifestations violentes et à des décès. La réaction positive du Conseil constitutionnel en faveur de la tenue des élections a contribué à apaiser les tensions, ce qui a conduit à la levée de la mesure de suspension de TikTok et la restriction de Facebook ayant impacté les industries numériques et les petits travailleurs du secteur informel.

La restriction de l’espace civique a été vivement critiquée par divers acteurs. Avec le nouveau gouvernement, on s’attend à voir lever les restrictions de l’espace civique, mais je ne peux rien préjuger sur ce point. Il s’agit toujours d’une demande forte des acteurs de la société civile et des acteurs politiques.

Comment la société civile a-t-elle contribué à une élection libre et équitable ?

L’action de la société civile a été analysée et perçue différemment selon que l’on soit de l’opposition ou de la mouvance présidentielle. Il y a eu beaucoup d’initiatives citoyennes pour assurer le respect du calendrier électoral et la tenue d’élections libres et transparentes.

Les initiatives de la société civile incluent la mise en place de plateformes digitales pour faciliter la communication et la mobilisation citoyenne. Des groupes se sont formés afin de faire entendre les préoccupations des citoyens et d’influencer les décisions politiques. Ils ont organisé des forums et se sont organisés pour sensibiliser et mobiliser la population en faveur du respect du calendrier électoral et de la transparence des élections

De plus, la société civile a organisé des rencontres avec les candidats à l’élection présidentielle pour leur poser des questions et entendre leurs propositions. Elle a contribué à informer le public en publiant des articles de presse et en partageant des informations pertinentes sur les enjeux électoraux.

En outre, la société civile a interagi avec des acteurs de secteurs sensibles tels que les leaders religieux pour promouvoir un climat de paix et de stabilité pendant la période électorale. Enfin, elle a facilité l’accueil et la coordination des structures locales, régionales et sous-régionales chargées de superviser le déroulement des élections, assurant ainsi une surveillance efficace et transparente du processus électoral.

Quelles sont les attentes de la société civile avec le nouveau gouvernement ?

La société civile a plusieurs attentes et préconise diverses mesures politiques pour protéger l’espace civique et les droits humains et promouvoir la bonne gouvernance.

Selon les informations dont je dispose, il n’y a pas encore eu de demandes formelles émanant de la société civile. Cependant, il est clair que la restriction de l’espace civique demeure la plus grande préoccupation de la société civile.

Parmi les mesures politiques préconisées, on trouve notamment le vote du code de la presse pour mieux encadrer la profession de journalisme, et la publication des décrets d’application, ainsi que la révision de l’article 80 de la Constitution concernant les offenses au chef de l’État. De plus, la société civile appelle à l’adoption d’une loi pour la protection des lanceurs d’alerte et des défenseurs des droits humains, ainsi qu’à la publication des rapports de la Cour des Comptes et à la poursuite judiciaire des contrevenants.

Également, la société civile demande un changement institutionnel dans la gouvernance du Conseil supérieur de la Magistrature, ainsi que la mise en place d’un Parquet financier avec des responsabilités étendues.

Enfin, la lutte contre la corruption et pour une meilleure gouvernance est une préoccupation majeure de la société civile, qui souhaite que le nouveau gouvernement prenne des mesures efficaces dans ce sens.


L’espace civique au Sénégal est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.

Entrez en contact avec la CONGAD via son site web.

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