FRANCE : « L’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution est une véritable victoire féministe »

FlorianeVoltCIVICUS échange avec Floriane Volt, Directrice des Affaires Publiques et Juridiques de la Fondation des Femmes, sur les récentes modifications apportées à la Constitution française pour y inclure le droit à l'avortement.

La Fondation des Femmes est une organisation de référence en France pour la liberté et les droits des femmes et contre les violences sexistes.

D’où vient l’initiative d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française ?

Le droit des femmes à disposer de leur corps constitue la condition essentielle de la liberté des femmes et d’une égalité entre les femmes et les hommes. L’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution était donc à la fois une nécessité et une consécration des droits des femmes et de l’égalité.

Il est bien du rôle de la Constitution – texte fondateur de notre société, protégeant les droits fondamentaux des citoyennes et citoyens – de venir sécuriser le droit à disposer de son corps. C’est une garantie supplémentaire pour toutes les femmes. Sa remise en cause s’avèrera également plus complexe puisqu’elle relève d’une réforme constitutionnelle, un processus plus complexe qu’une simple suppression dans un texte de loi.

Cela faisait longtemps que les associations féministes demandaient d’inscrire l’IVG dans la Constitution. C’était notamment parmi les propositions programmatiques portées par la Fondation des Femmes et le secteur associatif féministe lors de l’élection présidentielle de 2022. Déjà en 2017, une sénatrice Laurence Cohen avait porté une proposition de loi pour constitutionnaliser ce droit.

La décision de la Cour suprême des Etats-Unis en juin 2022 de revenir sur la protection de l’IVG a agi comme une déflagration sur la scène politique française et de nombreuses voix se sont élevées pour demander cette constitutionnalisation.

Il a fallu deux ans de travail de mobilisation d’associations comme la Fondation des Femmes, le Planning Familial et le collectif Avortement Europe, appuyées par des parlementaires engagés, pour y parvenir. Cette véritable victoire féministe a été obtenue grâce à l’union solide des féministes.

C’est aussi la victoire de toutes les Françaises et Français qui étaient massivement en faveur de cette réforme et qui ont été quasiment 110.000 à se mobilier en trois semaines pour demander au Sénat de l’approuver, dans le cadre d’un appel de la Fondation des Femmes sur Change.org.

Comment l’opinion publique a-t-elle réagi à cette demande ?

Plus de 86% des Français.es étaient favorables à l’entrée du droit à l’avortement dans la Constitution.

Il n’y avait qu’à voir les milliers de personnes qui se sont réunies dans l’après-midi du 4 mars pour célébrer l’entrée de l’IVG dans la Constitution sur le parvis des Libertés et des Droits de l’homme au Trocadéro, un lieu hautement symbolique choisi par la Fondation des Femmes pour diffuser le vote, à la hauteur de la gravité historique du moment.

Ce fort soutien de l’opinion publique, associé au combat sans relâche des associations féministes, est venu à bout des résistances de la droite sénatoriale, qui plaidait l’absence de réelle menace sur l’avortement en France.

Au-delà de la France, c’est une victoire et un signal très fort pour toutes les femmes et féministes du monde entier qui se battent pour l’accès à ce droit. Il y a de grandes chances que cette initiative soit reprise par d’autres États membres de l’Union européenne (UE). C’est en tout cas un des objectifs de toute cette mobilisation, qu’elle serve d’exemple.

Une Initiative Citoyenne Européenne a été soumise à la Commission européenne pour que l’UE  finance l’avortement pour toute personne en Europe qui n’y a pas accès.

Quelles stratégies recommanderiez-vous aux activistes des droits génésiques dans d’autres pays d’Europe et au-delà ?

Ce qui a fonctionné en France, c’est une union solide des associations qui luttent pour les droits des femmes et de la société civile soutenue par des relais politiques – notamment des sénatrices et députées qui ont su porter ce projet commun dans les institutions.

Cette union a été le fruit d’un long travail de coordination et de création de liens entre les associations féministes pour se mettre toutes d’accord sur un projet commun.

Par ailleurs, il nous a semblé indispensable de pouvoir nous appuyer sur des données et des études fiables et pertinentes au sujet du droit à l’avortement. Par exemple, pour construire le plaidoyer nous avons pu nous appuyer sur un sondage montrant que cette révision constitutionnelle était soutenue par la majorité des Français.es, que la Fondation des Femmes et le Planning Familial avaient fait réaliser dès février 2021.

Plusieurs rapports sur l’organisation et la menace que représentent les mouvements anti-choix ont également démontré l’utilité de la constitutionnalisation du droit à l’avortement. Parmi eux, un rapport du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs sur les financements massifs des mouvements anti-choix en Europe et un rapport de la Fondation et de l’Institut pour le dialogue stratégique (ISD) sur la menace que représente la présence des mouvements anti-avortement sur les réseaux sociaux.

Quels sont les prochains enjeux de l’agenda des droits des femmes en France ?

Dans le sillage de #MeToo, les organisations féministes qui alertent depuis des décennies sur l’ampleur et la gravité des violences sexistes et sexuelles, ont enfin trouvé un réel écho. La société prend graduellement conscience de ce phénomène massif.

Or, les chiffres de la justice disent toujours l’insupportable impunité des auteurs de violences sexuelles : alors que 94.000 femmes majeures sont victimes de viols ou tentatives de viols chaque année en France, moins d’un agresseur sur trois fait l’objet de poursuites. Nombre de #MeToo restent à faire pour résoudre le paradoxe d’une société convaincue d’avoir pris conscience de l’ampleur des violences sexuelles, mais qui n’en tire aucune conséquence pour ceux qui en sont les responsables.

Nous faisons face à un manque d’action politique. À la Fondation des Femmes, nous militons depuis toujours pour une réponse politique à la hauteur de l’enjeu, qui passerait notamment par une hausse du budget alloué. Face aux sollicitations de victimes toujours plus nombreuses, nous avons revu son chiffre à la hausse. Dans un rapport publié en septembre 2023, nous estimons désormais les besoins entre 2,3 et 3,2 milliards d’euros par an.

Or, la tendance est toujours à la rigueur budgétaire. Le Ministre d’Économie annonçait début mars 2024 faire l’économie de 7 millions d’euros dans le cadre de la mission égalité femmes-hommes du budget 2024. Cette coupe budgétaire représente une diminution de 10% du budget de 77 millions d’euros, voté en décembre, alors qu’il y a urgence à donner davantage de moyens aux associations qui assurent la prise en charge des femmes victimes de violences.


L’espace civique en France est classé « rétréci » par le CIVICUS Monitor.

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BURKINA FASO : « La société civile prodémocratie est pratiquement paralysée par l’intensité et la férocité de la répression »

OusmaneMiphalLankoandeCIVICUS échange avec Ousmane Miphal Lankoandé, Secrétaire exécutif et Coordonnateur du programme de gouvernance et mobilisation citoyenne au Balai Citoyen, sur les droits humains et l’espace civique au Burkina Faso.

Fondé en 2013, le Balai Citoyen est une organisation de la société civile (OSC) qui mobilise l’action citoyenne pour promouvoir la démocratie, l’intégrité de la gouvernance, la justice et l’état de droit au Burkina Faso.

Comment les droits humains et les libertés civiques se sont-ils détériorés sous la junte militaire du Burkina Faso ?

Depuis l’arrivée des militaires en janvier 2022, il y a eu une dégradation manifeste des droits humains et des libertés civiques, un phénomène qui s’est accentué à la suite du second coup d’État survenu en septembre 2022. Toute voix dissidente, divergeant de la ligne officielle du régime militaire, est systématiquement réprimée.

Pour ce faire, le régime a progressivement mis en place des mesures insidieuses. Initialement, il a suspendu les activités des partis politiques, même après le rétablissement de la Constitution après une suspension temporaire. De plus, certains médias internationaux sont proscrits de diffusion, tandis que certains médias nationaux ont subi des suspensions. Des journalistes et activistes sont soumis à des intimidations et menaces, certains ayant été enlevés. Le sort de certains, notamment deux militants du Balai citoyen, reste inconnu à ce jour.

SÉNÉGAL : « La restriction de l’espace civique demeure la plus grande préoccupation de la société civile »

MalickNdomeCIVICUS échange avec Malick Ndome, conseiller sénior en politique et membre du conseil d’administration au Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (CONGAD), sur les récentes élections au Sénégal.

La CONGAD a été fondée en 1982 par des organisations de la société civile (OSC) travaillant au Sénégal pour coordonner les relations avec l’État et d’autres partenaires. La CONGAD offre des formations pour les OSC, les autorités locales et les médias. Il plaide également en faveur d’une société civile plus forte, capable d’influencer les politiques publiques.

Quelle est l’importance de la victoire du candidat de l’opposition Bassirou Diomaye Faye lors de la récente élection présidentielle ?

La victoire de M. Faye au premier tour était difficile à prévoir. Cependant, il est important de reconnaître l’impact de sa sortie de prison, ainsi que celle d’Ousmane Sonko, leader de son parti, les Patriotes du Sénégal (PASTEF), à peine dix jours avant l’élection.

M. Sonko avait été empêché de se présenter à la suite d’une condamnation controversée pour corruption de la jeunesse et diffamation en 2023. M. Faye a été désigné comme candidat à sa place, mais il a également été envoyé en prison pour avoir critiqué la décision du tribunal dans l’affaire Sonko. Leur libération a notablement galvanisé le soutien des sympathisants et des militants de PASTEF, et plus généralement des jeunes, qui ont apprécié leur message de changement et leur aura anti-corruption. En revanche, il semble que la coalition gouvernementale ait suscité un manque d’enthousiasme notable.

SÉNÉGAL : « Après avoir été un exemple de démocratie en Afrique, on tend de plus en plus vers l’autoritarisme »

Abdou Aziz CisséCIVICUS échange avec Abdou Aziz Cissé, chargé de plaidoyer d’AfricTivistes, au sujet de la décision du Président Macky Sall de reporter l’élection présidentielle prévue le 25 février et de ses implications pour la démocratie au Sénégal.

AfricTivistes est une organisation de la société civile (OSC) panafricaine qui promeut et défend les valeurs démocratiques, les droits humains et la bonne gouvernance à travers la civic tech. Elle vise à autonomiser les citoyens africains afin qu’ils deviennent des acteurs actifs dans la construction de leurs sociétés et puissent demander des comptes à leurs gouvernements.

Pourquoi le Président Sall a-t-il reporté l’élection présidentielle du 25 février ?

Cette nouvelle crise au Sénégal est partie d’une allocution solennelle du président Sall le 3 février dernier, la veille du jour prévu pour le lancement de la campagne pour l’élection du 25 février, au cours de laquelle son successeur devait être élu. Il a abrogé le décret convoquant le corps électoral qui avait fixé l’élection présidentielle le 25 février.

Il a invoqué trois raisons : une supposée crise institutionnelle entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel concernant une présumée affaire de corruption de juges, la nécessité de mettre en place une commission parlementaire pour enquêter sur des suspicions d’irrégularités dans le processus de vérification des parrainages en vue de l’élection, et la révélation de la binationalité d’un des candidats retenus par le Conseil constitutionnel.

Il est à noter que Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade et candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) ne figurait pas sur la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle annoncée le 20 janvier. Pour contester cette décision du Conseil Constitutionnel, les députés du PDS ont demandé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour éclairer sur le processus de vérification des candidatures. Ils ont également accusé de corruption deux magistrats du Conseil constitutionnel. La mise en place de cette commission a été approuvée au parlement le 31 janvier.

Le 5 février, une proposition de loi visant à reporter l’élection présidentielle au 15 décembre a été adopté après l’évacuation des députés de l’opposition par des gendarmes à l’intérieur de l’hémicycle. Pour rappel, le 3 juillet 2023, après avoir renoncé à un troisième mandat, M. Sall avait promis de remettre le pouvoir le 2 avril à la suite d’élections libres, inclusives et transparentes.

Pourquoi cette décision a-t-elle été qualifiée de « coup d’État constitutionnel » ?

Cet acte du président a été décrit comme un coup d’État constitutionnel parce que le président ne peut pas interrompre un processus électoral déjà enclenché. En effet, le report d’une élection est une prérogative exclusive du Conseil constitutionnel.

La décision du président viole également d’autres articles de la Constitution, notamment l’article 27, qui prévoit un mandat présidentiel de cinq ans et une limitation à deux mandats consécutifs donc ne peut de lui-même proroger son mandat. Il y’a également l’article 103, qui dispose que « la forme républicaine de l’Etat, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision ».

Je tiens à souligner que conformément à l’article 52 de la Constitution, le président peut interrompre le processus seulement « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate… ». Hors toutes les institutions de la république marchent de manière régulière. L’établissement d’une commission d’enquête parlementaire et le vote d’une proposition de loi en sont les preuves patentes.

En prenant cette décision illégale, M. Sall est devenu le premier président de l’histoire du Sénégal à ne pas organiser une élection présidentielle à date échue depuis 1963.

Quelle a été la réaction de la société civile ?

La réaction de la société civile a été spontanée. Plusieurs OSC dont AfricTivistes ont condamné cet acte antidémocratique soit par des communiqués ou des déclarations médiatiques. Les autres forces vives de la nation, comme les syndicats de tous les secteurs, ont aussi marqué leur désaccord.

Sur les réseaux sociaux, les citoyens ont aussi fait montre de leur indignation, internationalisant du coup leur colère face à la décision.

Le 4 février, 19 candidats ont tenu un point de presse pour réaffirmer leur volonté de faire campagne ensemble, rejoints par des membres de la société civile.

Une autre manifestation a été déclarée pour le 5 février, le jour du vote parlementaire, mais n’a pas pu se tenir car toutes les artères stratégiques menant à l’Assemblée nationale ont été quadrillées. Depuis juin 2023, les autorités administratives interdisent systématiquement les manifestations, même pacifiques.

La plateforme « Aar Sunu Election » (« Protégeons notre élection ») a rassemblé plus de 100 OSC rejetant le report de l’élection. Les pressions ont payé car le 15 février au soir, le Conseil constitutionnel a invalidé le décret présidentiel du 3 février et la loi votée par l’Assemblée nationale le 5 février.

Comment le gouvernement a-t-il réagi ?

Le gouvernement a commencé par réprimer les manifestations du 4 février, au lendemain de l’annonce du président et le jour où la campagne électorale était censée commencer. La censure a également été imposée ce jour-là, lorsque l’internet via les données mobiles a été coupé, selon le ministre de tutelle, pour arrêter « la diffusion de messages haineux et subversifs ». Les mêmes raisons ont été invoquées pour justifier les actes de censure au cyberespace en juin, juillet et août 2023. Les données mobiles ont été rétablies le 7 février, puis à nouveau restreintes le 13 février avec des plages horaires.

Les coupures d’Internet et autres formes de restrictions en ligne constituent des violations à la constitution et à plusieurs conventions internationales ratifiées par le Sénégal. Ce sont des violations de la liberté d’expression, de l’accès à l’information et des libertés économiques. Selon les syndicats des opérateurs télécoms sénégalais, la censure a causé des pertes s’élevant à 3 milliards de francs CFA (environ 4.9 millions de dollars).

En ce sens, AfricTivistes et deux journalistes sénégalais portent plainte contre l’Etat du Sénégal devant la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’organisation régionale, pour mettre fin aux coupures intempestives des données mobiles d’internet.

De plus, la suspension de la licence de la télévision Walfadjri, l’objet d’un acharnement de la part des autorités, a survenu en pleine couverture des protestations consécutives à l’annonce de l’annulation de l’élection. Leur signal a été rétabli le 11 février.

Le 9 février, un rassemblement pacifique appelé par les forces vives du Sénégal sur la Place de la Nation à Dakar a été dispersé dès le départ par la police. Les gens se sont mobilisés dans tout le pays, notamment à Saint-Louis, dans le nord. Les manifestants pacifiques ont été violemment réprimés avec un usage disproportionné de la force, faisant trois morts, plusieurs blessés, dont certains ne participaient pas à la manifestation, et plus de 200 arrestations

La presse a aussi été empêchée de couvrir les manifestations afin de fournir une information juste et vraie aux citoyens. Au même titre que les manifestants classiques, des journalistes, la plupart des femmes ont été gazés, arrêtés et brutalisés. Au moins 25 journalistes ont été attaqués, détenus ou aspergés de gaz lacrymogène lors des manifestations selon le Comité de Protection des Journalistes. La journaliste Absa Anne, du site d’informations générales Seneweb, a été traînée dans un véhicule de police et battue jusqu’à perdre connaissance, devenant le symbole de cette répression aveugle sur la presse ce jour-là.

La marche silencieuse déclarée par la plateforme « Protégeons notre élection » a été interdite le 13 février par l’autorité administrative. Toutefois celle du 17 février a été autorisée et a vu une participation massive des Sénégalais pour communier et jouir de leur liberté constitutionnelle longtemps confisquée. Cette communion nationale est la preuve que lorsqu’elles sont autorisées par l’autorité administrative, les manifestations se passent paisiblement.

Comment voyez-vous l’avenir de la démocratie au Sénégal ?

Après avoir été un exemple de démocratie et de stabilité politique en Afrique, avec des alternances démocratiques et pacifiques en 2000 et 2012, le Sénégal tend de plus en plus vers l’autoritarisme, symbolisé par la confiscation des droits et libertés fondamentaux.

Même si la libération depuis le 15 février de plus de 600 détenus politiques arrêtés pour des délits d’opinion ou appartenance à l’opposition participe de la décrispation du climat politique, la crise que vit le pays actuellement ne présage pas d’un avenir radieux pour la démocratie sénégalaise.

Mais je suis optimiste, car même si la classe politique est engagée dans une lutte acharnée pour le pouvoir, la société civile est forte et jouit d’une force de contestation considérable dans tous les secteurs de la vie sociale du pays. Sans oublier la nouvelle force de contestation qui a vu le jour avec l’avènement des technologies civiques. Les réseaux sociaux amplifient les voix citoyennes et leur donnent une dimension internationale, d’où les tentatives des autorités de faire taire les voix qui s’expriment à travers l’outil numérique.

Le Sénégal a aussi une justice et une administration qui ont toujours joué leur rôle de contre-pouvoir. Il faut aussi prendre en compte la non-linéarité de tout système démocratique. Comme tous les systèmes démocratiques, celui du Sénégal est à parfaire. Il a connu des avancées notables bien que des soubresauts comme ceux que nous vivons actuellement. Et il faut prendre en considération que c’est à partir des crises que les opportunités émergent.

Que devrait faire la communauté internationale pour contribuer à la résolution de cette crise ?

La résolution d’une crise politique interne est souvent complexe, La communauté internationale peut jouer un rôle important pour soutenir un processus démocratique transparent et équitable en envoyant des missions d’observation électorale.

Outre le soutien à la société civile, les partenaires internationaux peuvent aussi exercer une pression diplomatique, comme l’ont fait Antony Blinken, secrétaire d’État des États-Unis, Joseph Borell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui a demandé des enquêtes indépendantes pour faire la lumière sur les manifestants tues. Toutes ces bonnes volontés peuvent aussi contribuer à encourager un dialogue inclusif. Cela pourrait favoriser la recherche de solutions consensuelles.

La communauté internationale doit aussi condamner toute violence politique et rappeler l’importance du respect des droits humains fondamentaux comme la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté de manifestation.

Comment voyez-vous la situation de la démocratie en Afrique de l’Ouest, et comment AfricTivistes travaille-t-elle pour aider les activistes dans les pays touchés par des coups d’État ?

La démocratie a reculé dans la région au cours des trois dernières années. De 2020 à 2022, l’Afrique de l’Ouest a vécu cinq coups d’État dans un double contexte de terrorisme dans le Sahel et sur un fond de discours anti-impérialiste. La société civile joue un rôle crucial dans le façonnement de la démocratie, mais l’espace civique est étouffé dans les pays où les militaires ont pris le pouvoir.

Toutefois, chaque pays a ses propres dynamiques historiques et politiques. Les tendances démocratiques varient considérablement en fonction de facteurs historiques, culturels et socio-économiques. Les pays qui ont réussi à mettre en œuvre des réformes institutionnelles pour lutter contre la corruption ont généralement vu la qualité de leur démocratie s’améliorer, comme le montre le Cap-Vert, champion de la bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest.

Plusieurs pays ont maintenu une stabilité politique relative, comme le Sénégal avant les derniers développements. Le dernier pays à avoir organisé une élection présidentielle c’est la Côte d’Ivoire, après des incidents post électorales et la violation de la constitution ivoirienne, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels.

Forte d’une large communauté qui nous permet d’internationaliser nos plaidoyers, AfricTivistes apporte du soutien moral aux militants prodémocratie en publiant des communiqués pour rappeler l’illégalité de leur arrestation et leur censure.

Nous leur apportons aussi un soutien technique afin qu’ils puissent contourner les censures auxquelles ils font face dans leur pays. À ce jour, nous avons soutenu sept activistes pro démocratie et journalistes en danger.


L’espace civique au Sénégal est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.

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RDC : « La société civile est ciblée par certains politiciens qui trouvent en elle un obstacle à leur pouvoir »

JonathanMagomaCIVICUS échange sur la récente élection présidentielle en République Démocratique du Congo (RDC) avec le journaliste et activiste des droits humains Jonathan Magoma.

Jonathan Magoma est le Directeur des Programmes Pays et Directeur Exécutif ad intérim de Partenariat pour la Protection Intégrée (PPI), une organisation de la société civile qui œuvre pour la paix et la protection des défenseurs des droits humains en RDC et dans la région.

Dans quelle mesure les récentes élections en RDC ont-elles été libres et équitables ?

L’élection présidentielle du 20 décembre 2023 a été organisée pour montrer à la face du monde que le pouvoir en place l’organisait dans le délai constitutionnel, mais a été émaillée de fraudes et d’irrégularités.

Le processus électoral n’a pas été libre et moins encore équitable. Dans plusieurs circonscriptions, les groupes rebelles ont imposé leurs choix. Dans la province de l’Ituri, au Nord-Est du pays, le groupe armé Chini ya Tuna a contraint la population de voter pour un candidat de leur communauté. Les milices ont même ravi deux machines à voter pour procéder, eux-mêmes, au vote.

Vers le centre du pays, dans la province du Sankuru, le frère d’un dignitaire congolais a mis en place une milice pour perturber les élections et molester les agents de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), tout simplement parce qu’il n’a pas été aligné comme candidat député national quand son parti n’est pas parvenu à atteindre le seuil exigé. Ses hommes armés ont emporté des kits électoraux en toute quiétude, sous les regards impuissants des observateurs.

Par ailleurs, des candidats ont distribué des présents dans des centres de vote pour influencer le vote en leur faveur. Certains, et/ou leurs représentants, ont été attrapés en train de distribuer de l’argent aux électeurs le jour de vote, ce qui est illégal. Certains ont été interpelés par les éléments de l’ordre dans quelques centres, tandis que d’autres n’ont pas été inquiétés.

Dans la circonscription de Kabare, au Sud-Kivu, par exemple, des matériels électoraux, pour être remis au centre de vote, ont été transportés dans les véhicules d’un parti politique membre du présidium de l’Union Sacrée pour la Nation (USN), la coalition qui a porté la candidature du président Félix Tshisekedi. Voyant cela, les observateurs et les électeurs dans ce centre ont crié à la tricherie.

Sur quoi se fondent les allégations de fraude formulées par l’opposition ?

Les allégations de fraude formulées par l’opposition congolaise sont légitimes. Elles se fondent sur le fait que plusieurs politiciens proches du pouvoir ont eu dans leurs domiciles des kits électoraux complets pour y effectuer des votes de manière frauduleuse. Des machines à voter ont été découvertes dans des maisons de particuliers avec des bulletins de vote déjà signés et complétés. C’est ainsi que dans la plupart de centres de vote, il y a eu carence en machines à voter, conduisant la population dans certaines circonscriptions au soulèvement.

Le 31 décembre, la CENI avait rendu publics les résultats provisoires de l’élection présidentielle, proclamant ainsi Tshisekedi, candidat à sa propre succession, comme vainqueur. Mais cinq jours après cette publication, soit le 5 janvier, la CENI a procédé à l’invalidation des suffrages de 82 candidats députés ayant postulé aux législatives nationales, provinciales et à l’élection municipale du 20 décembre. Ces députés ont été invalidés après nombreuses accusations de détention illégale des machines à voter, fraudes, destruction du matériel électoral, bourrage des urnes et incitation à commettre des actes de violence contre les agents de la CENI. Parmi les invalidés figurent trois ministres en fonction, quatre gouverneurs de province, six sénateurs et un membre du bureau de l’Assemblée nationale. La quasi-totalité des personnes sur la liste étaient membres de l’USN.

La centrale électorale avait, à la même occasion, annoncé l’annulation des résultats des élections dans les circonscriptions de Masimanimba dans la province du Kwilu et de Yakoma dans la province du Nord-Ubangi pour « fraudes massives et exagérées ». Malheureusement, la décision a laissé intacte l’élection présidentielle hautement contestée. Mais comment ces irrégularités ont pu se produire seulement à d’autres niveaux des scrutins et non à l’élection présidentielle tenue le même jour et avec les mêmes bulletins de vote ?

Cette question a suscité du débat au sein de la société civile et, dans l’opposition politique, elle a suscité plusieurs manifestations pour contester ce « simulacre » d’élection et en exiger l’annulation. En vain : le 20 janvier, Tshisekedi a été investi Président de la RDC par « sa » Cour Constitutionnelle.

Comment la société civile, et PPI en particulier, a-t-elle tenté de rendre les élections libres, équitables et pacifiques ?

En période préélectorale, nous avons entamé des campagnes de sensibilisation pour promouvoir des élections apaisées. Nous avons tenu des actions de plaidoyer avec des parties prenantes aux élections, les amenant à adhérer aux valeurs démocratiques garantissant les élections équitables, libres, transparentes, inclusives et à la nécessité de garantir l’espace civique, avant, pendant et après les élections. Nous avons également formé des acteurs de la société civile et des journalistes sur l’observation électorale et la couverture médiatique des élections.

En outre, nous avons observé le déroulement des scrutins et contribué au rapport de la société civile qui en a résulté. Ce rapport n’a toutefois pas été pris en compte par les entités compétentes.

J’ai personnellement fait l’observation dans un village situé à environ 35 km au Nord de la ville de Bukavu, où les « observateurs en gilet » sont plus ou moins respectés et la plupart des agents de la CENI me connaissaient. Mais sans motif, il m’a été interdit de passer plus de 15 minutes dans un bureau de vote. Dans des centres environnants, les gens se sont plaints du manque d’accès aux bureaux de vote. Certains observateurs se sont également plaints. Dans mon bureau de vote, la machine à voter devait ouvrir à 6 heures du matin mais n’a été mise en marche qu’après midi, aux mécontentements des électeurs et électrices.

Enfin, nous continuons à suivre de près la situation et assistons les défenseurs des droits humains, les journalistes et d’autres personnes menacés ou poursuivis pour avoir joué un rôle important ou pour avoir dénoncé des irrégularités lors des élections. PPI assiste actuellement deux journalistes et un activiste de la société civile poursuivis en justice par le parquet général de la province du Sud-Kivu pour avoir dénoncé les fraudes électorales perpétrés par un politicien proche du pouvoir. Les activistes sous menaces bénéficient de l’assistance juridique et judiciaire de PPI, de l’accompagnement psychosocial et des conseils sur la sécurité physique et numérique. Le cas échéant, la prise en charge médicale ou l’assistance financière, voire la délocalisation, est offerte à l’activiste en danger.

Il sied de rappeler que nous sommes toujours en période électorale car les élections des sénateurs et des gouverneurs n’ont pas encore eu lieu. Initialement prévues en février, elles ont été reportées par la CENI et auront lieu fin mars et début avril. Pendant ce temps, les acteurs de la société civile continueront à être la cible de certains politiciens qui trouvent en eux un obstacle à leur pouvoir.

Quelles étaient les revendications des manifestants le jour des élections, et comment le gouvernement a-t-il répondu ?

Le 20 décembre, certains habitants de Beni et de Goma n’ont pas supporté l’attente. Arrivés tôt le matin aux bureaux de vote, ils n’ont pas retrouvé leurs noms sur les listes affichées à l’extérieur. De plus, certains bureaux de vote n’étaient pas ouverts. Dans certains centres, seuls deux bureaux de vote sur dix étaient ouverts, ou un sur huit. Des rumeurs ont circulé sur la possession illégale de machines à voter par certains candidats. Tout cela a donné lieu à des manifestations spontanées, notamment à Beni, où un centre a été vandalisé.

Dans plusieurs circonscriptions, le vote s’est poursuivi au-delà du délai prévu. Le gouvernement a reconnu des « difficultés logistiques » mais a loué la CENI pour l’organisation « réussie » des élections. Evidemment la CENI n’était pas prête à gérer la logistique des élections. Il a ensuite été annoncé que les électeurs pourraient voter le lendemain, et le vote a repris dans presque tous les centres du pays. Dans la province du Bas Uélé, il a duré trois jours, du 20 au 22 décembre.

Quelles sont vos attentes pour la période post-électorale ?

Je reste pessimiste car je suis convaincu que les élections n’ont pas été transparentes, libres, crédibles et indépendantes. En outre, moins de la moitié des électeurs potentiels se sont rendus aux urnes. C’est un message fort pour un président censé avoir été élu avec plus de 73% de ceux qui sont dits avoir voté.

Dans un tel contexte, la légitimité du pouvoir en place sera toujours remise en cause. D’ailleurs, l’ancien président de la CENI, Corneille Nanga, a initié en décembre un mouvement politico-militaire allié au mouvement terroriste M23, soutenu par le gouvernement du Rwanda et qui fait la guerre dans l’Est du pays.

En période post-électorale, il se passerait plutôt de violations graves des droits humains comme ça a été documenté au cours du premier quinquennat de Tshisekedi qui avait, pourtant, promis faire du respect des droits humains et de la démocratie son cheval de bataille.

Alors que la coalition au pouvoir s’est arrogée la majorité absolue des parlementaires, il est fort possible que pour son intérêt, cette majorité se mette à changer des lois, voire certains articles verrouillés de la constitution. Cela créerait le chaos et torpillerait la démocratie chèrement acquise.

Que faudrait-il faire pour renforcer la démocratie en RDC ?

Actuellement, l’espace civique est réprimé ou presque fermé en RDC. Les discours politiques se contredisent avec les actes sur terrain. Des opposants sont poursuivis et d’autres emprisonnés pour leurs opinions. Des manifestations sont réprimées de manière sanglante. Des journalistes tel que Stanis Bujakera, Blaise Mabala, Philémon Mutula et Rubenga Shasha et de nombreux activistes sont persécutés et jetés en prison pour avoir fait leur travail. Nous sommes intimidés et parfois menacés et même assassinés.

Pour espérer renforcer la démocratie en RDC, il va falloir appeler le gouvernement devant ses responsabilités et engagements internes et externes pris. Le quatrième cycle de l’Examen Périodique Universel au Conseil des droits de l’homme des Nations unies est une grande opportunité au cours de laquelle les dirigeants congolais doivent renouveler leur engagement en faveur de la démocratie et du respect des droits fondamentaux.

La société civile mondiale et la communauté des défenseurs des droits humains devront rester aux côtés des activistes congolais dans la quête de démocratie. Cela se passera par des actions conjointes de plaidoyer et de lobby ainsi que celles de renforcement des capacités et d’échanges d’expérience.


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BURUNDI : « L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement »

CarinaTertsakianCIVICUS s’entretient avec Carina Tertsakian, co-fondatrice de l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB), à propos de la répression au Burundi de la société civile et des défenseurs des droits humains, ainsi que des droits des personnes LGBTQI+.

L’IDHB était une initiative indépendante qui, depuis la mi-2019 jusqu’en décembre 2023, travaillait en coopération avec un éventail de personnes à l’intérieur comme à l’extérieur du Burundi pour documenter la situation des droits humains et plaider en faveur des droits humains.

 

La situation des droits humains au Burundi s’est-elle améliorée ?

Le bilan global du Burundi en matière de droits humains n’a guère évolué depuis l’entrée en fonction du président Évariste Ndayishimiye en 2020. À l’époque, les gens avaient de grands espoirs parce que le nouveau président avait un passé moins sanglant que son prédécesseur. Mais la protection des droits civils et politiques n’a pas progressé. Les autorités ont continué d’arrêter, de poursuivre, de maltraiter et parfois de torturer des personnes pour des raisons politiques. Parmi les personnes arrêtées figurent des activistes, des journalistes et des membres de l’opposition.

Alors même que les formes les plus graves de violations des droits, telles que les assassinats politiques et les disparitions forcées, ont diminué, des défenseurs des droits humains et des journalistes se font arrêter arbitrairement seulement en raison de leur participation à des activités de défense des droits humains ou de leur affiliation à des organisations de la société civile (OSC) indépendantes. Ils sont généralement accusés de porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou à l’intégrité territoriale, entre autres accusations sans fondement.

Quelles sont les conditions de vie des personnes LGBTQI+ au Burundi ?

En août 2023, 24 personnes ont été arrêtées pour leur présumée implication dans des organisations d’aide aux personnes LGBTQI+. Certaines ont été acquittées ou mises en liberté, tandis que d’autres ont été condamnées. Un des activistes acquittés est décédé avant d’être libéré. L’affaire est en cours et attire l’attention sur le problème sous-jacent plus large de la criminalisation de l’homosexualité au Burundi.

Il est pratiquement impossible de s’identifier ouvertement en tant qu’activiste LGBTQI+ au Burundi. Si certaines organisations mènent des activités de soutien aux personnes LGBTQI+, elles évitent de s’identifier explicitement comme des organisations LGBTQI+. Les 24 personnes arrêtées, par exemple, avaient participé à une formation sur la sensibilisation et la prévention du VIH/sida.

Dans son récent discours de fin d’année, le président Ndayishimiye a vilipendé les personnes LGBTQI+, qualifiant l’homosexualité de péché et encourageant la lapidation publique de ceux qui sont perçus comme des « homosexuels ». Cette horrible déclaration a alimenté la rhétorique de la haine en ligne mais, au moins, elle a été vivement critiquée par une OSC burundaise et plusieurs éminents activistes en exil – ce qui est extrêmement difficile à faire à l’intérieur du Burundi.

Dans quelle mesure les organisations de défense des droits humains peuvent-elles effectuer leur travail au Burundi ?

En 2015, une importante crise politique et des droits humains a éclaté au Burundi, marquée par une violente répression de la société civile, en particulier des détracteurs et des personnes soupçonnées de s’opposer au gouvernement. En conséquence, des dirigeants de grandes organisations de défense des droits humains ont fui le pays et demeurent en exil. Certains ont été inculpés et condamnés par contumace, notamment à l’emprisonnement à perpétuité.

L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement au Burundi. Depuis 2015, les activistes qui s’attaquent à des questions politiquement sensibles font l’objet de menaces directes et ne peuvent pas travailler librement dans le pays. Même ceux qui étaient auparavant affiliés à des organisations de défense des droits humains qui n’opèrent plus au Burundi continuent de faire l’objet d’arrestations.

Les activistes qui défendent les droits économiques et sociaux subissent comparativement moins de pressions. Certaines OSC travaillant sur les questions de lutte contre la corruption et de bonne gouvernance ont été plus ou moins autorisées à fonctionner, bien que le gouvernement ait parfois entravé leurs activités, par exemple en perturbant ou en interdisant les conférences de presse.

Les activistes burundais ont-ils trouvé la sécurité dans l’exil ?

Les activistes en exil basés en Europe ou au Canada sont relativement en sécurité, tandis que ceux qui se trouvent au Rwanda peuvent subir des pressions supplémentaires. En 2015, alors que de nombreux journalistes et défenseurs des droits humains ont fui, le gouvernement burundais a interdit ou suspendu leurs organisations et fermé plusieurs stations de radio indépendantes. Certains journalistes en exil ont créé des stations de radio à l’étranger, principalement au Rwanda.

Le gouvernement burundais a profité de l’amélioration récente des relations avec le Rwanda pour faire pression sur le pays hôte afin qu’il fasse taire ces journalistes ou qu’il les renvoie. Le gouvernement rwandais a lancé un ultimatum à certains de ces journalistes, leur imposant de se taire ou de partir, ce qui a contraint certains d’entre eux à cesser leurs activités au Rwanda et à se réinstaller ailleurs. Certains de ces journalistes, comme d’autres défenseurs des droits humains plus largement, étaient entre ceux qui ont été jugés et condamnés par contumace.

Quelles sont vos principales demandes au gouvernement burundais ?

La société civile burundaise demande au gouvernement de lever les restrictions sur l’espace civique, afin de permettre aux défenseurs des droits humains, aux journalistes et aux autres voix indépendantes de s’exprimer librement sans harcèlement. Nous soutenons ces demandes.

Tout d’abord, le gouvernement doit libérer Floriane Irangabiye, une journaliste condamnée à 10 ans de prison en mai 2023. Cinq autres défenseurs des droits humains avaient été inculpés et jugés avant cela, en avril. Ils avaient été ciblés par le gouvernement en raison de leur association avec une organisation internationale non approuvée par le régime, et accusés de recevoir illégalement des fonds. Bien qu’ils aient été mis en liberté au bout de deux mois grâce à la pression internationale, certains d’entre eux ont reçu des condamnations de peine avec sursis. On appelle donc à ce que toutes les poursuites à leur encontre soient abandonnées. 

La sécurité des activistes exilés doit également être assurée avant qu’ils ne puissent rentrer, ce qui nécessite la levée de leur peine. Tant que les défenseurs des droits humains continueront à faire l’objet de condamnations par contumace, il y aura des obstacles importants à toute forme d’activisme en faveur des droits humains au Burundi. Nous demandons également au gouvernement de révoquer les interdictions et les suspensions imposées aux OSC depuis 2015.

Bien que le gouvernement prétende que le Burundi est une démocratie, ce n’est certainement pas le cas. S’il l’était, les critiques seraient permises et les activités des défenseurs des droits humains ne seraient pas criminalisées.

Quel soutien les activistes burundais des droits humains reçoivent-ils de la part de leurs alliés internationaux, et de quoi ont-ils encore besoin ?

Lorsque les pays de l’Union européenne, les États-Unis et d’autres gouvernements font part de leurs préoccupations concernant les violations flagrantes des droits humains au Burundi, notamment par l’intermédiaire de leurs ambassades dans le pays, cela fait vraiment la différence. Bien qu’il faille parfois des années pour obtenir la libération d’un défenseur des droits humains, l’intensification de la pression internationale s’est avérée efficace.

Il reste trop peu de groupes indépendants de défense des droits humains au Burundi, et il est difficile d’apporter un soutien international à des entités pratiquement inexistantes. Ceux qui sont encore actifs sont pour la plupart des activistes individuels, qui peuvent difficilement être soutenus par les donateurs. Une exception notable est le journal indépendant Iwacu, qui poursuit son travail malgré les contraintes qui lui sont imposées. Nous encourageons les donateurs à maintenir leur soutien à ce média, qui représente l’une des dernières voix indépendantes au Burundi.

Les organisations de défense des droits humains opérant depuis l’exil ont besoin d’un soutien continu et pourraient développer leur travail si elles disposaient d’un financement plus durable. Il est difficile de travailler depuis l’étranger. Après plusieurs années d’exil, les activistes commencent à se sentir déconnectés et démotivés car ils ne voient pas les choses changer.


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ALGÉRIE : « L’Etat doit respecter les libertés de ceux qui réclament la vérité et la justice sur les disparitions forcées »

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CIVICUS échange sur la répression de la société civile en Algérie avec Nassera Dutour, militante franco-algérienne des droits humains, présidente du Collectif des Familles de Disparu.e.s en Algérie (CFDA) et de la Fédération Euro-Méditerranéenne contre les Disparitions Forcées.

Le CFDA a été fondé à Paris en mai 1998, sous l’impulsion de mères algériennes vivant en France dont des proches avaient disparu en Algérie. Il défend le droit à la vérité et à la justice des familles de disparu.e.s et s’emploie depuis sa création à sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale à l’ampleur des violations des droits humains en Algérie.

 

Quelle est la raison de l’augmentation récente de la répression en Algérie ?

En février 2019, la population en Algérie s’est mobilisée de manière spontanée et pacifique pour exiger un changement démocratique. Elle est descendue dans les rues d’Alger et d’autres villes pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, président en exercice, à un cinquième mandat. Même après sa démission, le mouvement de contestation, appelé « Hirak », n’a pas perdu de son élan, élargissant ses revendications pour la refonte profonde du régime, en quête d’un gouvernement civil ainsi que d’une « Algérie libre et démocratique ».

Bien que la pandémie de Covid-19 ait mis un frein aux manifestations à partir de mars 2020, la mobilisation a repris en février 2021 avant de connaître un déclin définitif, en partie dû aux pressions concertées des autorités pour réprimer le mouvement. Le harcèlement et l’intimidation des militants des droits humains, en particulier de celles et ceux qui osent critiquer les discours et politiques du gouvernement, sont incessants. Les forces de sécurité les surveillent et les menacent, créant ainsi un climat de peur qui devient progressivement fatal à l’action pour la défense des droits humains. Dans certains cas extrêmes, des militants sont même confronté.e.s à des violences physiques, compromettant leur sécurité et leur capacité à poursuivre leur travail essentiel.

Les tribunaux algériens se sont appuyés sur de nombreuses dispositions du Code pénal afin de bâillonner les voix critiques aussi bien en ligne qu’hors ligne. Des journalistes tels que Mustapha Bendjama, Khaled Drareni, Ihsane El-Kadi et Rabah Karèche ont été ciblés et condamnés à des peines de prison lourdes pour avoir dénoncé la corruption et les abus. Les autorités ont également arbitrairement restreint, voire bloquer l’accès à des sites d’information indépendants, minant davantage l’accès à une information plurielle.

Entre autres tactiques, les autorités ont souvent invoqué l’atteinte à l’« intérêt national » pour restreindre la liberté d’action des défenseurs des droits humains. C’est ainsi que le président de l’association SOS Bab El Oued, Nacer Meghnine, a été condamné en 2021 pour des publications trouvées au siège de son association dénonçant la répression, les arrestations arbitraires et la torture. Les juges avaient en effet considéré que ces écrits ternissaient l’image de l’Algérie à l’international, et qu’en épinglant l’Algérie pour n’avoir pas appliqué la Convention des Nations Unies contre la torture, il incitait à l’ingérence étrangère. Nacer Meghnine a, par ailleurs, été condamné pour incitation directe à attroupement non armé, pour des tracts affichant des portraits de détenus d’opinion. L’un des outils les plus redoutables employés par les autorités pour réprimer la dissidence est la législation contre le terrorisme avec une définition du terrorisme élargie.

Les organisations de la société civile indépendantes peuvent-elles toujours opérer en Algérie ?

Le CFDA demeure une association clandestine malgré les nombreuses relances réalisées pour la légaliser auprès du ministère de l’Intérieur et de la préfecture. Il n’y a jamais eu de justification de la part de l’Etat expliquant ce refus d’autoriser l’enregistrement.

De 2001 à 2013 le CFDA a dû déménager chaque année ses bureaux en Algérie, en raison de l’intimidation exercée sur les propriétaires par les autorités algériennes. En France, il y a eu deux intrusions particulièrement violentes dans les bureaux, qui ont été complètement saccagés. L’Etat algérien exerce une très forte pression psychologique chez les membres de l’organisation tant en Algérie qu’en France.

En 2023, des policiers sont venus dans les bureaux d’Alger en menaçant les membres de l’association. Il n’y a pas eu de suites alors que l’avocate de l’association a cherché à déterminer l’existence d’un dossier d’enquête sur le CFDA ou sur le propriétaire des lieux.

Lors de l’organisation d’une conférence qui devait se dérouler à Alger, les autorités sont venues à l’hôtel en nous « suggérant » de ne pas tenir la conférence. Les équipes du CFDA de ses partenaires ont essayé pendant des heures de tenir tête aux autorités policières et de gendarmerie, mais ils nous ont obligé à quitter les lieux. Ce séminaire international qui devait se tenir sur deux jours sous l’intitulé « vérité, justice et conciliation » a été tout simplement interdit.

Le téléphone ainsi qu’internet ont été régulièrement coupés sans aucune explication et le site internet ainsi que les réseaux sociaux se sont fait piratés à deux reprises. La radio du CFDA crée en 2016 a été immédiatement censuré dans la mesure où il n’était plus accessible en Algérie. Six ans plus tard, le site a été piraté et le CFDA a été dans l’obligation de créer un autre site sous une autre enseigne.

Les membres du CFDA ont subi un harcèlement psychologique allant jusqu’aux menaces de mort à répétition. En 2002, les autorités françaises m’ont prévenu que l’Algérie avait donné l’ordre de me tuer.

En outre, le recours aux financements étrangers est drastiquement limité alors qu’il est quasiment impossible d’avoir accès à des financements de la part de l’Etat, dont seules les organisations « affiliées » à l’Etat algérien bénéficient.

Depuis le Hirak, la dissolution des associations s’est intensifiée de manière exponentielle. En effet, une association peut être suspendue « en cas d’ingérence dans les affaires internes du pays ou d’atteinte à la souveraineté nationale ». Le Rassemblement Actions Jeunesse ainsi que la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme ont été dissoutes.

Les manifestations organisées en Algérie pour défendre les droits humains sont souvent réprimées par la police, avec des nombreuses arrestations et détentions arbitraires, de cas de disparitions forcées de court et longue durée, et de cas de torture.

En raison de cette répression, plusieurs défenseurs et défenseures des droits humains, avocates et journalistes ont dû quitter l’Algérie vers la France ou d’autres pays Européens. Mais la diaspora continue de faire front uni en menant des actions communes telles que des manifestations à Paris tous les dimanches, des missions de plaidoyer auprès des institutions nationales, européennes et internationales, la documentation et la rédaction de rapports à l’attention des organes décisionnels, d’investigation et judiciaires, la publication d’articles de presse et de communiqués officiels, des conférences et tables-rondes et des campagnes de plaidoyer sur les réseaux sociaux.

Comment travaille le CFDA pour protéger et promouvoir les droits humains en Algérie ?

Le CFDA mené des actions de plaidoyer auprès des instances internationales et invite des militants des droits humains et des membres de la société civile en Algérie à participer.

Le CFDA informe immédiatement le grand public, dès qu’il a connaissance d’une violation des droits humains en Algérie. Cependant, on ne s’arrête pas à des dénonciations : on interpelle les États par des écrits ainsi que les instances internationales par des appels urgent adressées aux différentes procédures spéciales des Nations Unies et auprès des commissaires de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Le CFDA a produit plusieurs rapports sur les droits humains en Algérie, sur la non-indépendance de la justice, sur le droit des femmes, sur les détentions arbitraires et les disparitions forcées.

En 2014, on a inauguré le Centre pour la Préservation de la Mémoire et l’Etude des Droits de l’Homme à Oran. Il s’agit d’un espace de documentation, de rencontre et de réflexion sur des thématiques liées aux droits humains ouvert à tout public. Il dispose d’un vaste panel de publications concernant les disparitions forcées et la justice transitionnelle.

Le CFDA forme et informe. En effet, on informe par nos réseaux sociaux et notre site internet, mais aussi par notre radio en ligne, « La radio des sans voix ». Depuis 2016, la radio aborde, dans des podcasts et interviews réguliers, des sujets liés aux droits humains. Elle fait partie intégrante de notre travail de mémoire, parce qu’elle offre un espace d’expression aux personnes qui ont été mises sous silence. Depuis 2019, la radio suit et commente également le Hirak et les dérives autoritaires du régime algérien.

Le CFDA forme les militants des droits humains sur les mécanismes internationaux et africains de protection des droits humains, sur la communication interne et externe ainsi que sur la gestion des conflits. Il s’investit énormément sur l’indépendance de la justice car il estime que l’Etat de droit et la démocratie ne peuvent exister sans indépendance de la justice et que sans Etat de droit, la vérité sur les disparitions forcées en Algérie ne sera jamais établie.

Quelles sont vos demandes au gouvernement algérien ?

En ce qui concerne la recherche de la vérité, nous exigeons une enquête exhaustive et impartiale sur tous les cas de disparitions afin que la victime, si elle est vivante, soit placée sous la protection de la loi, et si elle ne l’est pas, que sa dépouille soit restituée à sa famille. Toutes les personnes concernées par la disparition doivent avoir accès aux résultats finaux de l’enquête.

Les autorités doivent utiliser tous les moyens techniques et légaux pour localiser les charniers et tombes anonymes, identifier les corps, clarifier les circonstances dans lesquelles ils ont été enterrés et restituer les dépouilles aux familles. Elles doivent mettre en place une base de données ADN à des fins d’identification.

Pour mettre fin à l’impunité, les autorités doivent mener des enquêtes immédiates et impartiales sur chaque cas présumé de disparition dont le commanditaire, auteur ou complice aurait la qualité d’agent de l’Etat. Toute plainte pénale contre un inconnu ou un agent public doit être déclarée recevable et faire l’objet d’une enquête immédiate. L’État doit également prendre des mesures urgentes pour garantir l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

En outre, des réparations appropriées et adéquates doivent être accordées aux victimes, incluant une indemnisation financière appropriée, une réhabilitation morale et psychologique, et un travail de mémoire le plus exhaustif et visible possible.

Pour s’assurer que les crimes du passé ne se répètent pas, l’État doit respecter, protéger, garantir et promouvoir les libertés d’opinion, d’expression, d’association et de réunion pacifique de ceux qui réclament la vérité et la justice. Il doit protéger toutes les victimes et leurs familles contre les atteintes potentielles à leur intégrité physique et morale qu’elles pourraient subir en raison de leurs revendications.

Quel soutien la société civile algérienne reçoit-elle de ses alliés internationaux, et de quel autre soutien international auriez-vous besoin ?

Les organisations non-gouvernementales internationales telles que Amnesty International et la Fédération Internationale pour les Droits Humains sont constamment en alerte quant à la répression du gouvernement algérien.

De plus, les organisations ainsi que le CFDA et d’autres organisations algériennes ont mené et participé à des missions de plaidoyer auprès des instances internationales et notamment européennes concernant la libération des détenus d’opinions. Nous avons obtenu trois résolutions du Parlement européen concernant les violations des droits humains en Algérie.

Malgré ces actions, à nos connaissances et à notre grand désespoir, aucun Etat ne s’est prononcé ou dénoncé la répression en Algérie.

Dans ce contexte, il est nécessaire de renforcer la solidarité internationale pour montrer un front uni pour créer rapport de force qui amènerait les États à demander à l’Algérie de respecter ses obligations internationales et de ce fait, respecter le droit de toutes les libertés collectives et individuelles et l’instauration d’un Etat de droit en Algérie en commençant par l’indépendance de la justice. 

Quant aux disparitions forcées, il est nécessaire de sensibiliser l’opinion internationale sur le fait que cette pratique peut arriver sous n’importe quel gouvernement répressif, et concerne de fait toutes les sociétés – d’autant plus dans un monde globalisé où les traumas intergénérationnels et les pratiques sont particulièrement mobiles. Apparue dans les dictatures d’Amérique latine dans les années 70 et 80, cette pratique est désormais utilisée sur tous les continents par des régimes autoritaires de tous bords politiques. Pourtant, les décideur.euses et différentes parties prenantes se sont montrées désengagées. Nous devons absolument mobiliser un large public et s’organiser à l’internationale pour combattre et prévenir ce crime. 


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NIGER : ‘On cherche à couper le cordon ombilical avec l’ancienne puissance coloniale’

ClementKocouGbedeyCIVICUS échange sur la situation au Niger depuis le coup d’État militaire de juillet avec Clément Kocou Gbedey, Coordonnateur National au Niger du Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (West Africa Network for Peacebuilding, WANEP).

Le WANEP est une organisation régionale fondée en 1998 en réponse aux guerres civiles qui ont ravagé l’Afrique de l’Ouest dans les années 1990. Avec plus de 700 organisations membres, il comprend des réseaux nationaux dans chaque État membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Avec une approche collaborative de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix, il travaille avec la société civile, les gouvernements, les organismes intergouvernementaux et d’autres partenaires pour établir des plates-formes de dialogue, de partage d’expérience et d’apprentissage. En 2002, elle a conclu un partenariat avec la CEDEAO pour mettre en œuvre un système régional d’alerte précoce et de réaction rapide en cas de crise.

Quels ont été les principaux développements depuis le coup d’État militaire au Niger ?

Le coup d’État du 26 juillet 2023 a entraîné des conséquences économiques, politiques et sécuritaires. À la suite du coup, la CEDEAO a imposé plusieurs sanctions économiques au Niger. Les sanctions comprennent la suspension de toutes les transactions financières et commerciales entre les États membres de la CEDEAO et le Niger, le gel des avoirs des militaires responsables du coup d’État, une interdiction de voyage pour les officiers militaires impliqués, la fermeture des frontières terrestres et aériennes avec le Niger et l’établissement d’une zone d’exclusion pour tous les vols commerciaux à destination ou en provenance du Niger. Les sanctions ont fragilisé l’économie du pays, entraînant une hausse des prix des denrées de première nécessité.

Plusieurs développements importants ont eu lieu sur le front politique. Le 27 septembre, l’ambassadeur de France a quitté le Niger, ce qui a été célébré comme une victoire patriotique. La junte a également suspendu les médias français France 24 et RFI et a demandé le départ des 1 500 soldats déployés dans les trois bases françaises au Niger. La coordinatrice résidente du système des Nations unies est également partie.

Depuis lors, la junte a nommé Ali Mahamane Lamine Zeine comme Premier ministre et a annoncé une période de transition de trois ans avant que les civils ne prennent le relais. Deux nouveaux organes ont été mis en place pour accompagner le processus de transition : la Cour d’État et de la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale.

La junte a également lancé officiellement le Fonds de Solidarité pour la Sauvegarde de la Patrie, chargé de mobiliser des ressources pour renforcer les capacités des forces de sécurité engagées dans la lutte contre le terrorisme et l’insécurité en leur fournissant des armes et des moyens logistiques, notamment du matériel de transport. Il est également chargé du retour volontaire, de la relocalisation et de la réintégration locale des personnes déplacées de force par l’insécurité.

Fin novembre, le Niger et le Burkina Faso se sont retirés ensemble du G5 du Sahel, un cadre institutionnel de coordination de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité en Afrique de l’Ouest, fondé en 2014 et composé du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger. Cette décision a été prise à la suite d’un examen du fonctionnement de l’organisation et de sa force conjointe anti-jihadiste, qui n’a jamais réussi à s’implanter efficacement sur le terrain.

Au lieu du G5, le Niger a formé une alliance avec le Burkina Faso et le Mali pour aider à contrer toute menace de rébellion armée ou d’agression extérieure, soulignant que « toute attaque contre la souveraineté et l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties ».

En novembre également, la junte a révisé les lois nigériennes sur l’immigration et abrogé une loi qui criminalisait le trafic de migrants dans le pays. Cette décision a été rejetée par l’Union européenne (UE), qui craignait qu’elle n’augmente les flux migratoires vers l’Europe.

Quel a été l’impact de la fin des accords de sécurité avec l’UE ?

Sur le plan géopolitique, le Niger s’est éloigné de ses partenaires traditionnels, notamment la France, qui était son principal allié dans une lutte soi-disant contre le terrorisme au Sahel.

Le Niger cherche à couper le cordon ombilical avec l’ancienne puissance coloniale. Aux premières heures du coup d’État, la CEDEAO et la France ont voulu mobiliser des forces militaires des pays voisins pour venir attaquer le Niger.

Le jour même où il dénonçait l’accord de sécurité et de défense commune du Niger avec l’UE, le gouvernement signait donc un accord de renforcement de la coopération militaire avec la Russie.

Cherchant à diversifier ses sources de revenus et à affirmer sa souveraineté, le Niger s’est rapproché de la Russie, en concluant des accords pour renforcer la coopération militaire, et de la Chine, qui lui offre des investissements dans les secteurs de l’infrastructure et de l’exploitation minière.

Existe-t-il un dialogue entre la junte et l’opposition pour mettre en place les conditions d’un rétablissement des libertés et une transition démocratique ?

Pour le moment, il n’y a pas d’indicateurs clairs de dialogue diplomatique entre la junte militaire et le président déchu Mohamed Bazoum ou ses partisans. La junte a demandé une période de transition de trois ans avant que les civils ne reprennent le pouvoir. Il a été promis qu’un dialogue inclusif serait bientôt organisé avec toutes les forces vives de la nation pour définir les termes d’une transition démocratique.

Mais je ne trouve pas de preuves que la préservation des libertés civiques soit une source d’inquiétude au Niger. La liberté d’expression est essentielle pour une société démocratique, mais si les « fake news » sont utilisées pour déstabiliser la gouvernance politique, on peut s’attendre à ce que des restrictions soient imposées.

Les obstacles qui pourraient compromettre le processus de transition démocratique seront nombreux. Les défis à relever comprennent la corruption, l’insécurité, la polarisation politique, la violation des droits humains, la fermeture des frontières, la paralysie du commerce, la hausse des prix des denrées alimentaires et des niveaux de pauvreté très élevés.

La confiance des citoyens envers les institutions démocratiques peut être sujette à des variations, influencées par des facteurs tels que la stabilité politique, la transparence des processus électoraux et la capacité des institutions à répondre aux besoins de la population.

Quelles sont les implications de la situation au Niger pour la région ?

Le Niger est un pays stratégique pour la sécurité et le développement de la région du Sahel, qui est confrontée à des groupes armés violents et à des crises humanitaires. Le Niger accueille environ 450 000 personnes réfugiées et déplacées, principalement venues du Burkina Faso, du Mali et du Nigeria.

Lorsqu’ils ont renversé le président Bazoum et mis en place une junte, les militaires ont justifié leur action en invoquant la dégradation de la situation sécuritaire, économique et sociale, ainsi que par les accusations de corruption portées contre le gouvernement de M. Bazoum.

La communauté internationale a condamné fermement le coup et a appelé au rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel. L’Union africaine, l’Union européenne et les États-Unis, la France et d’autres pays ont suspendu leurs relations diplomatiques avec le Niger et ont imposé des sanctions économiques au régime militaire. Ils ont également menacé d’une intervention militaire si les militaires ne libéraient pas les prisonniers politiques et respectaient les droits humains.

La population nigérienne n’est pas favorable à une intervention militaire internationale. Cependant, cette même population a exprimé des préoccupations concernant la sécurité et la stabilité du pays. Pour contribuer à la stabilisation de la situation, la CEDEAO devrait lever les sanctions injustement imposées au Niger.

Les pays voisins du Niger ont exprimé leur soutien aux efforts diplomatiques visant à résoudre la crise par des moyens pacifiques et ils ont appelé au dialogue entre toutes les parties prenantes pour préserver la stabilité. Ils ont également craint que le coup d’État ne favorise l’influence étrangère dans la région, notamment celle de la Chine, l’Iran et la Russie. 


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Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.


 

BELGIQUE : « Des petits groupes extrémistes réagissent à toute avancée des droits des femmes »

CelineDanhierCIVICUS s’entretient avec Céline Danhier, directrice de O’YES, au sujet de la récente réaction conservatrice à la mise en œuvre d’un programme d’éducation aux relations affectives et sexuelles dans les écoles publiques de la région wallonne en Belgique. La désinformation se répand, affirmant que l’objectif du programme est d’hypersexualiser les enfants, et des incendies criminels ont été allumés dans des écoles en conséquence.

O’YES a été créé pour se concentrer sur le VIH/sida. Depuis 2011, il a élargi son champ d’action à la promotion de la santé en travaillant sur la santé sexuelle des jeunes de 15 à 30 ans, dans une démarche d’éducation par les pairs.

Qu’est-ce que l’EVRAS et pourquoi est-elle devenue controversée ?

L’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (en abrégé EVRAS) est un processus éducatif dont l’objectif est d’accroître les aptitudes des jeunes à faire des choix éclairés favorisant l’épanouissement de leur vie relationnelle, affective et sexuelle et le respect de soi et des autres. Il s’agit d’accompagner chaque jeune vers l’âge adulte selon une approche globale dans laquelle la sexualité est entendue au sens large et inclut notamment les dimensions relationnelle, affective, sociale, culturelle, philosophique et éthique.

La dimension relationnelle englobe les relations sociales, familiales, amicales, amoureuses, personnelles et autres. La dimension affective comprend ce qui a trait aux sentiments, aux émotions et à l’estime de soi, tandis que la dimension sexuelle comprend la sexualité dans ses aspects biologiques, psychologiques, affectives, juridiques et éthiques.

Les démarches de l’EVRAS se fondent sur des valeurs de respect, d’égalité, d’accueil des différences et d’ouverture à l’autre. Elles visent à apporter une information fiable, impartiale et complète afin d’aider les jeunes à développer un esprit critique, à assurer la protection de leurs droits, à considérer l’impact de leurs choix sur leur bien-être et celui des autres et à prendre des décisions tout au long de leur vie.

Comme lors de toutes avancées significatives pour les droits des femmes comme la pilule et l’interruption volontaire de grossesse, l’EVRAS a fait l’objet de controverses attisées par de petits groupes extrémistes.

L’entrée en vigueur d’un cadre de référence concret et un accord politique interministériel a relancé une controverse autour des questions d’EVRAS, animations qui sont pourtant en place depuis déjà plus de 40 ans en Belgique.

Ces activités sont obligatoires depuis 2012, mais par le biais d’un décret qui n’avait pas d’objectifs, de procédures ou de contrôles clairs pour s’assurer que les écoles se conformaient à cette obligation - par exemple, une affiche dans les toilettes pouvait suffire pour qu’une école soit répertoriée comme ayant mené des activités d’EVRAS. En conséquence, les jeunes n’y avaient pas accès de manière égalitaire. Le nouvel accord permettra à chaque jeune de 6e primaire (11-12 ans) et de 4e secondaire (15-16 ans) d’avoir accès à un minimum d’informations pendant sa scolarité, à raison de deux heures chaque année.

Qui s’y opposent, et comment O’YES est-il intervenu dans le débat ?

Comme l’explique un article récent publié par la Radio-télévision belge de la Communauté française, la campagne de désinformation contre l’EVRAS est menée par un réseau composé de complotistes anti-covid, de personnalités adeptes de théories pédocriminelles, d’associations de défense d’enfants et d’associations ultra conservatrices ou d’extrême droite. On doit préciser que ce ne sont pas que des groupes religieux qui sont derrière les mauvaises informations circulant à propos de l’EVRAS

Les médias mainstream sont bien informés et traitent, pour la plupart, l’information de manière objective. Mais un problème grave réside dans les réseaux sociaux et les algorithmes qui enferment les personnes qui regardent ce type de contenus et les persuadent du bien fondé de leur argumentaire. Les réseaux influencent énormément les personnes indécises.

Mobiliser Facebook par rapport aux propos haineux, pourrait être une piste à creuser. C’est d’ailleurs par ces différents biais que nous avons lancé une campagne d’information sur l’EVRAS : ce qu’elle est, ses objectifs, ses enjeux en matière de santé publique, de lutte contre les violences, de renforcement de l’estime de soi.

Considérez-vous cela comme faisant partie d’une réaction conservatrice continue face aux progrès en matière de droits sexuels et reproductifs ?

Il y a en effet une réaction conservatrice et idéologique face aux progrès en matière de droits sexuels et reproductifs. Nous pouvons d’ailleurs constater que lorsqu’il y a une avancée majeure sur une thématique de la vie relationnelle, affective et sexuelle, des mouvements conservateurs s’y opposent. Cela a d’ailleurs été le cas lors de l’ouverture des premiers centres de planning familial dans les années 60.

Les groupes anti-EVRAS diffusent des informations erronées pour faire peur à la population et plus spécifiquement aux parents. Ils se servent de la panique morale pour diviser l’opinion publique et semer le doute auprès d’une partie de la population qui ne serait pas au courant des avancées. La même dynamique a été observée autour du Covid et de la vaccination.

La tendance est initialement vécue comme régionale mais nous avons pu vite constater qu’elle était si pas mondiale, en tout cas internationale au niveau européen. Nous aimerions donc travailler cela au niveau européen mais actuellement c’est à un niveau national que nous travaillons afin de transmettre les informations pertinentes, cohérentes et précises aux personnes se posant des questions quant à l’EVRAS.

Comment O’YES s’efforce-t-il de promouvoir les droits sexuels et génésiques des jeunes ?

O’YES est une association sans but lucratif créée en 2009 par et pour les jeunes. Elle est active dans le domaine de la prévention et de la promotion de la santé. Elle a pour mission de former et sensibiliser les jeunes à la santé sexuelle via l’éducation par les pairs afin de changer les mentalités et d’améliorer les comportements sur le long terme.

O’YES est active toute l’année sur les milieux de vie des jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est-à-dire la communauté française de Belgique, avec la mise en place d’un parcours de jeux interactifs et éducatifs, des ateliers et des formations.

Dans une perspective d’amélioration de la santé sexuelle des jeunes, O’YES base son projet sur plusieurs méthodes, à la croisée des chemins entre les secteurs de la jeunesse, de la santé, de l’éducation, de la promotion de la santé et de la prévention.

Être une organisation de jeunesse implique de s’adresser à un public majoritairement composé de personnes de moins de 30 ans et de contribuer au développement, par les jeunes, de leurs responsabilités et de leurs aptitudes personnelles. Ainsi O’YES accompagne les jeunes à devenir des citoyen.nes responsables, actifs, critiques et solidaires.

Le champ d’action de l’association est celui de la santé sexuelle des jeunes, en particulier les 18-30 ans. La santé sexuelle est définie par l’Organisation mondiale de la Santé comme “un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité. Elle requiert une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence.”

L’éducation par les pairs représente un moyen de prévention très efficace qui a déjà fait ses preuves à l’étranger et dans de nombreux domaines, surtout celui de la santé sexuelle. Cette démarche permet d’aborder les thématiques de la santé sexuelle de manière fun et dans une ambiance décomplexée tout en obtenant des effets positifs, concrets et durables. Les jeunes sont ainsi en capacité de sensibiliser leurs pairs, de faire de la prévention et de créer des outils pédagogiques et des campagnes innovantes. Il s’agit de la prévention pour les jeunes par les jeunes, sans tabou ni complexe.


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GABON : « Sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte »

PepecyOgouliguendeCIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Pepecy Ogouliguende, experte en droits humains, gouvernance, genre et médiation de paix et fondatrice et présidente de Malachie.

Malachie est une organisation de la société civile gabonaise qui lutte contre la pauvreté et promeut le développement durable et l’égalité des sexes. Elle est active dans plusieurs domaines, notamment la protection de la biodiversité, l’aide en cas de catastrophes naturelles, le soutien médical, notamment auprès des personnes vivantes avec le VIH/SIDA, et l’éducation aux droits humains, particulièrement auprès des couches sociales les plus vulnérables.

Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?

Le 30 août 2023 aux environs de 3h du matin la Commission Gabonaise Électorale a annoncé les résultats de l’élection présidentielle qui donnaient le président, Ali Bongo, gagnant. Quelques minutes plus tard, les militaires annonçaient avoir pris le pouvoir. Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un coup d’État, mais d’une prise de pouvoir par les militaires. Cela trouve sa justification dans le fait que cela s’est déroulé sans effusion de sang.

Cette élection était entachée d’irrégularités et l’annonce de ses résultats allaient conduire à des contestations bien que légitimes mais qui se seraient soldées par des violences. Je tiens donc ici à saluer l’acte de bravoure des forces de défense et de sécurité.

Les militaires ont ensuite dissous l’ensemble des institutions du gouvernement et ont mis en place un Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI).

Votre organisation a-t-elle pu observer les élections ?

Non, mon organisation n’a pas pu observer les élections pour la simple raison qu’aucun observateurs internationaux et nationaux n’étaient admis. Cette élection s’est déroulée dans une opacité totale. Comme tous les Gabonais, j’ai effectivement constaté que les déclarations ne correspondaient pas aux résultats des urnes.

La prise du pouvoir par les forces de défense et de sécurité dans cette circonstance particulière de défiance des populations envers les autorités et de suspicion profonde quant à la vérité des urnes s’apparente plutôt à un sursaut patriotique.

Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?

Nos forces de défense et de sécurité ont au même titre que la population, constaté de nombreuses irrégularités et plusieurs dysfonctionnements de l’appareil étatique ces dernières années. Ils ont donc décidé de mettre fin à ce régime qui ne correspondait plus aux aspirations des Gabonais.

Les militaires ont profité des élections du 26 août dernier pour mettre fin au système en place en prenant leurs responsabilités pour sauver la nation et l’État de droit. Aussi, le but de cette prise de pouvoir est de « redonner aux gabonais leur dignité ». Comme l’a dit le porte-parole du CTRI, « c’est enfin notre essor vers la félicité ».

Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?

La communauté internationale a simplement appliqué les textes sans au préalable analyser le contexte. Le contexte du Gabon est bien particulier.

La célébration dans les rues des principales villes du pays montre à quel point le régime en place n’était plus désiré, mais seulement toléré. Ces scènes de liesse populaire observées qui contrastent avec la condamnation de la communauté internationale devraient interpeller celle-ci, l’inviter à revoir son approche davantage tournée vers la sauvegarde à tout prix de la stabilité souvent au détriment d’un réel progrès social, du développement ou encore de la croissance économique... bref, du bien-être du plus grand nombre.

Tous les membres de la communauté internationale qui se sont exprimés ont condamné le « coup d’État » et assuré qu’ils suivaient avec intérêt l’évolution de la situation au Gabon tout en rappelant leur attachement au respect des institutions. Les réactions des organisations internationales ont été très fortes : les Nations unies ont condamné et l’Union Africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ont suspendu le Gabon car ce « coup d’État » a été directement assimilé à ceux qui ont précédemment eu lieu dans la région. Les États-Unis se sont quelques peu démarqués en affirmant qu’ils travailleraient avec leurs partenaires et les populations pour soutenir le processus démocratique en cours. C’est en cela que nous attendons le reste de la communauté internationale pour nous aider à œuvrer à la construction d’institutions fortes.

Nous saluons les États qui ont bien compris la nécessité de ce changement. Nous condamnons les sanctions de l’UA et celles de la CEEAC. La communauté internationale devrait accompagner les États dans le respect des lois et constitutions et veiller au respect de la démocratie et des droits humains.

Pensez-vous que ce coup d’État s’inscrit dans une tendance régionale ?

Il faut avant tout rappeler que pour le cas du Gabon, il s’agit d’une prise de pouvoir des militaires et non d’un coup d’État au sens strict du terme. Il est effectivement le résultat d’une mauvaise gouvernance, de la non prise en compte des besoins des populations notamment les besoins sociaux mais aussi d’une soif de changement. Elle peut avoir une connotation régionale en ce sens que la plupart des populations africaines vivent les mêmes difficultés - chômage des jeunes, pauvreté, manque d’accès aux soins de santé - et aspirent à de grands changements. Lorsque la population ne se sent pas prise en compte dans les politiques mises en place elle est frustrée.

Nous n’excluons pas la possibilité que cela ait un impact chez nos voisins. Il n’est pas trop tard pour que les régimes en place en Afrique centrale saisissent cette occasion pour repenser la manière de servir le peuple.

Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?

Au Gabon, le fonctionnement des organisations et associations est régie par la loi 35/62 qui garantit la liberté d’association. Cela dit, sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte. Elle ne participait que partiellement à gestion de la chose publique.

Certains leaders notamment syndicaux pouvaient être victimes d’arrestations ou d’intimidations si le régime estimait qu’ils faisaient trop de zèle. Plusieurs leaders dans la société civile gabonaise se levaient pour dénoncer des arrestations arbitraires liées aux opinions et positionnements.

Au même titre que les Gabonais, la société civile s’est réjouie du changement. La société civile dans son ensemble s’est engagée à prendre activement part aux actions et reformes menées par les autorités au cours de la transition qui iront dans le sens du respect des droits humains, l’équité et la justice sociale, la préservation de la paix ainsi que la promotion de la bonne gouvernance.

Le CTRI vient d’autoriser la libération de quelques figures de la lutte syndicale au Gabon et de prisonniers d’opinion. Aux vues des premières décisions prises par le CTRI, le meilleur est à venir. Je peux, sans risques de me tromper, dire que le Gabon de demain sera meilleur. Aujourd’hui on perçoit une lueur d’espoir.


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Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.

GABON : « L’espace civique et les conditions des droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime »

GeorgesMpagaCIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Georges Mpaga, président exécutif national du Réseau des organisations libres de la société civile du Gabon (ROLBG).

Au cours des dix dernières années, le ROLBG s’est concentré sur les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires, la torture et les détentions arbitraires. Il plaide en faveur de l’espace civique au Gabon e l’Afrique centrale et mène des campagnes sur les conditions de détention inhumaines.

Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?

Les élections du 26 août ont été indubitablement frauduleuses, comme l’étaient les précédentes. Le régime du dictateur prédateur Ali Bongo avait interdit les missions d’observation internationales et domestiques ainsi que la présence de la presse internationale. Le ROLBG a été la seule organisation à mettre en œuvre une observation citoyenne à travers le système de tabulation parallèle des votes. Par la volonté despotique de Bongo, l’élection s’est tenue dans des conditions totalement irrégulières, en violation flagrante des normes et standards internationaux en la matière. Les scrutins s’étaient déroulés à huis clos, dans une opacité qui a généré une fraude électorale à grande échelle et des résultats tronqués.

Le 30 août 2023, l’intervention salutaire des forces de défense et de sécurité a mis un terme à cette forfaiture. Pour moi en tant qu’acteur de la société civile, ce qui vient de se passer au Gabon n’est nullement un coup d’Etat, c’est tout simplement une intervention militaire menée par des patriotes au sein de l’armée, sous le leadership du Général Brice Clotaire Oligui Nguema, qui a mis fin à une imposture de 56 ans, un système prédateur et un cycle infernal d’élections truquées souvent jalonnées de violations massives des droits humains. C’est notre lecture de la situation et c’est l’avis général de la population gabonaise qui vient d’être libérée d’une dictature et d’une oligarchie criminelle.

Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?

L’intervention militaire du 30 août se justifie comme une réponse à la volonté du clan Bongo et son Parti démocratique gabonais de se maintenir au pouvoir de gré ou de force à travers des élections frauduleuses et la répression policière orchestrée par des forces de défense et de sécurité instrumentalisées et aux ordres de l’ancien président.

Les forces armées gabonaises sont intervenu pour éviter un bain de sang et remplacer le régime incarné par Bongo : un régime inamovible qui s’est montré impitoyable envers le peuple gabonais, entaché de relations clientélistes, d’affaires louches, de corruption prédatrice et de violations généralisées des droits humains et des libertés fondamentales, le tout sanctionné par des élections frauduleuses.

En résumé, le coup au Gabon ne s’inscrit pas dans une tendance régionale, mais est le résultat d’un processus purement interne résultant des 56 ans de dictature et son corollaire de violations des droits humains et de destruction du tissu économique et social du pays. Les évènements en cours au Gabon ont évidemment des répercussions dans la région d’Afrique centrale, foyer des plus grandes dictatures d’Afrique.

Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?

La société civile a favorablement accueilli l’intervention militaire qui a sonné le glas de plus d’un demi-siècle de forfaiture et de prédation au sommet de l’Etat. Sans cette intervention, nous aurons assisté à une tragédie sans précédent.

L’armée gabonaise, sous la houlette du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), la junte militaire au pouvoir, a permis au pays d’échapper à un drame aux conséquences incalculables. Vu sous cet angle, les militaires sont des héros à célébrer. Dès sa prise de pouvoir, le Général Oligui s’est employé à fédérer un pays qui était profondément divisé et traumatisé par si longtemps de gestion calamiteuse par la famille Bongo et les intérêts mafieux qui les entouraient.

L’attitude de la communauté internationale est inacceptable pour la société civile, les défenseurs des droits humains et la population gabonaise, qui ont longtemps payé un lourd tribut. Quand en 2016 Bongo a planifié et exécuté un coup d’état électoral suivi d’atrocités contre les populations civiles qui s’étaient opposées à la mascarade électorale, la communauté internationale s’était tue laissant les populations civiles gabonaises face à leur bourreau. Au regard de ce qui précède, nous rejetons catégoriquement les déclarations de la communauté internationale, singulièrement la Communauté Économique des États de l’Afrique centrale et l’Union Africaine, deux institutions qui encouragent les tripatouillages de constitutions et les présidences à vie en Afrique centrale.

Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?

L’espace civique et les conditions d’exercice des libertés démocratiques et les droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime. Les droits de d’association, de réunion pacifique d’expression étaient bafoués. De nombreux militants de la société civile et défenseurs des droits humains dont moi-même, ont séjourné en prison ou furent privés de leurs droits fondamentaux.

Maintenant, avec l’arrivée du régime de transition, nous notons un changement fondamental, une approche globalement favorable à la société civile. Les nouvelles autorités travaillent désormais de concert avec toutes les forces vives de la nation y compris la société civile qui a été reçue le 1er septembre par le Général Oligui et ses pairs du CTRI, et votre humble serviteur était le facilitateur de cette rencontre. Le président de transition, qui a prêté serment le 4 septembre, s’est engagé à travailler pour restaurer les institutions de l’Etat et les droits humains et démocratiques et respecter les engagements nationaux et internationaux du Gabon. Le signal fort a été donné le 5 septembre par la libération progressive des prisonniers d’opinion dont le leader de la plus grande confédération syndicale de la fonction publique gabonaise, Jean Remi Yama, après 18 mois de détention arbitraire.


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Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.


 

NIGER : « La menace ne résout pas les problèmes ; la réponse internationale doit mettre en avant le dialogue et la négociation »

ClementKocouGbedeyCIVICUS échange sur le récent coup d’État militaire au Niger avec Clément Kocou Gbedey, Coordonnateur National au Niger du Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (West Africa Network for Peacebuilding, WANEP).

Le WANEP est une organisation régionale fondée en 1998 en réponse aux guerres civiles qui ont ravagé l’Afrique de l’Ouest dans les années 1990. Avec plus de 700 organisations membres, il comprend des réseaux nationaux dans chaque État membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Avec une approche collaborative de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix, il travaille avec la société civile, les gouvernements, les organismes intergouvernementaux et d’autres partenaires pour établir des plates-formes de dialogue, de partage d’expérience et d’apprentissage. En 2002, elle a conclu un partenariat avec la CEDEAO pour mettre en œuvre un système régional d’alerte précoce et de réaction rapide en cas de crise.

Quelles sont les causes du récent coup d’État militaire, et quel est la position de l’opinion publique ?

Les causes du coup d’État font suite à la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale, et ainsi que la corruption et la mal gouvernance. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale du Niger, Niamey, lors d’une manifestation pacifique soutenant le coup d’État et critiquant d’autres pays d’Afrique de l’Ouest pour avoir imposé des sanctions financières et commerciales au Niger.

Pourquoi ? Parce que les Nigériens aujourd’hui ont l’impression que les pays occidentaux, surtout la France, sont en train d’exploiter toutes les richesses du pays, telles que l’uranium, le pétrole et l’or. Et le Niger est encore mal classé en termes de développement humain. Les autorités déchues auraient contracté avec la France pour exploiter des ressources minières et énergétiques qui constituent un combustible vital pour l’énergie nucléaire. Et les bénéfices de ce contrat se partagent au niveau du plus haut sommet, sans que le peuple ait droit à quoi que ce soit.

Quelles restrictions ont été imposées à l’espace civique à la suite du coup d’État, et comment la société civile a-t-elle réagi ?

Le coup d’État a entraîné des nouvelles restrictions de l’espace civique, notamment la suspension des activités des partis politiques et la censure des médias internationaux RFI et France 24, ainsi que la fermeture de l’espace aérien. Ces mesures visent à empêcher toute contestation du pouvoir militaire et à se prémunir contre une éventuelle intervention extérieure.

Le coup d’État a eu un impact important sur la société civile nigérienne. Certains acteurs de la société civile ont exprimé leur soutien au général Abdourahamane Tchiani, qui a arrêté le président Mohamed Bazoum, et ses hommes, qu’ils considèrent comme des sauveurs face à la menace terroriste et à la mauvaise gouvernance du président Bazoum. Mais d’autres ont dénoncé le coup d’État comme une atteinte à la démocratie et à l’État de droit, et ont réclamé le retour du président élu.

Combien de temps la junte compte-t-elle rester au pouvoir ?

La junte s’est fixé plusieurs objectifs à long terme et, bien qu’elle n’ait pour l’instant donné aucune indication sur la durée de son maintien au pouvoir, elle ne semble pas envisager de le quitter à brève échéance. Leurs objectifs déclarés sont de corriger les incohérences et les inefficacités dans la gestion de la sécurité du gouvernement déchu, de revoir l’approche sécuritaire du pays et de le protéger contre le terrorisme, de renouer les relations avec les pays voisins, et plus particulièrement avec le Burkina Faso et le Mali, d’améliorer la situation de l’éducation et de la santé et de lutter contre les détournements de fonds publics. Dans tout cela, ils disent mettre les intérêts du Niger en avant.

Le plus grand défi auquel le régime militaire est confronté est celui des sanctions très sévères imposées par la CEDEAO, qui visent à isoler le Niger sur le plan économique, politique et diplomatique.

Quels ont été les résultats de la présence militaire étrangère au Niger jusqu’à présent ?

La présence française au Niger a eu pour but de lutter contre le terrorisme, de former et d’équiper les forces de sécurité nigériennes et de promouvoir la stabilité dans la région. La France intervient au Niger dans le cadre de l’opération Barkhane, qui vise à soutenir les pays du Sahel face aux groupes armés djihadistes.

Mais depuis un moment la présence française est controversée par certains acteurs de la société civile, qui la jugent inefficace, néocoloniale et contraire aux intérêts nationaux. Depuis lors, un sentiment anti politique française a évolué.

Pour l’instant il n’y a pas de présence russe au Niger, mais depuis le coup d’État un sentiment pro-russe est en train de gagner l’esprit de la population. Le public pense que la CEDEAO et les institutions internationales sont restées insensibles au cri des populations civiles, et préfèrent se diriger vers une autre puissance qui pourrait peut-être les aider.

Pensez-vous que la communauté internationale a réagi de manière adéquate au coup d’État ?

La communauté internationale a condamné le coup d’État, mais le président déchu veut plus : il a exhorté les États-Unis et « l’ensemble de la communauté internationale » à aider à « rétablir l’ordre constitutionnel ».

Mais comment ? Les sanctions n’ont fait qu’aggraver la situation. La CEDEAO, qui se dit être la CEDEAO des peuples, a été vite en besogne dans la prise des sanctions contre le Niger. Les sanctions devraient aller en crescendo, mais cela n’a pas été le cas et la situation est devenue insoutenable. Avec les frontières fermées, les sanctions entraînent des conséquences graves pour la population nigérienne, qui souffre déjà de la pauvreté, de l’insécurité alimentaire et de la crise sanitaire. Les coupures d’électricité, le manque de carburant, la hausse des prix des produits de première nécessité et la paralysie des activités commerciales sont autant de difficultés qui affectent le quotidien des Nigériens.

Une intervention de la CEDEAO compliquerait encore plus la situation au Niger et dans les autres pays voisins, voire un embrasement dans la sous-région. Nous pensons que ce qui est nécessaire dans la réponse internationale serait de continuer toujours à mettre en avant le dialogue et la négociation, car la menace ne résout pas les problèmes.

Quel soutien international la société civile nigérienne reçoit-elle et de quel soutien aurait-elle besoin ?

Actuellement on ne reçoit aucun soutien, puisque tout est verrouillé par les sanctions injustement imposées au Niger. En revanche, la société civile nigérienne aurait donc besoin d’un soutien supplémentaire pour assurer sa protection, sa pérennité et son indépendance face aux menaces et aux pressions qu’elle subit à la suite des sanctions de la CEDEAO et des institutions internationales. Elle aurait également besoin d’un soutien pour renforcer son dialogue avec les autorités publiques, les acteurs internationaux et les autres OSC, afin de construire une vision commune et concertée du développement du Niger.


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SÉNÉGAL : « La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de 2024 »

SadikhNiass IbaSarrCIVICUS échange sur la dégradation de l’espace civique à l’approche des élections sénégalaises de l'année prochaine avec Sadikh Niass, Secrétaire Général de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO), et Iba Sarr, Directeur des Programmes de la RADDHO.

La RADDHO est une organisation de la société civile (OSC) nationale basée à Dakar, Sénégal. Elle travaille pour la protection et la promotion des droits humains au niveau national, régional et international par le biais de la recherche, de l’analyse et du plaidoyer afin de fournir des alertes d’urgence et de prévenir les conflits.

Quelles sont les conditions pour la société civile au Sénégal ?

La société civile sénégalaise reste très active mais est confrontée à plusieurs difficultés liées à la restriction de l’espace civique. Elle subit beaucoup d’attaques verbales de la part de certaines lobbies proches du pouvoir qui les considèrent comme des opposants ou faisant la promotion de « contre valeurs » comme l’homosexualité. Elle est aussi confrontée aux restrictions de libertés de manifestations. La société civile travaille dans des conditions difficiles avec peu de moyens financiers et matériels. En effet les organisations de défense des droits humains ne reçoivent aucun soutien financier de l’Etat.

La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de février 2024. Depuis mars 2021, l’opposition la plus radicale et le gouvernement ont tous opté pour la confrontation. Le gouvernement tente d’affaiblir l’opposition en la réduisant au minimum. Il s’attaque particulièrement à l’opposition la plus dynamique, la coalition Yewi Askan Wi (« Libérer le peuple »), dont le principal leader, Ousmane Sonko, est aujourd’hui en détention.

Toutes les manifestations de l’opposition sont systématiquement interdites. Les manifestations spontanées sont violemment réprimées et se soldent par des arrestations. Le judiciaire est instrumentalisé pour empêcher la candidature du principal opposant au régime, Sonko, et les principaux dirigeants de son parti sont arrêtés.

Nous avons également assisté ces dernières années à une recrudescence des menaces verbales, physiques et judiciaires envers les journalistes, ce qui constitue un vrai recul du droit à l’information.

Quels seront les enjeux de l’élection présidentielle de 2024 ?

Avec la découverte du pétrole et du gaz, le Sénégal devient une destination attrayante pour les investisseurs. La gestion transparente de ces ressources reste un défi dans un contexte marqué par la recrudescence des actes terroristes. Les populations confrontées à la pauvreté voient en cette découverte un moyen d’améliorer leur niveau de vie. Avec la percée de l’opposition lors des élections locales et législatives de 2022 on sent que l’électorat exprime de plus en plus fortement son désir de transparence, de justice et d’amélioration des conditions socio-économiques.

Le 3 juillet 2023 le président sortant a déclaré qu’il ne participera pas aux prochaines élections. Cette déclaration pourrait constituer une lueur d’espoir d’une élection libre et transparente. Mais le fait que l’État soit tenté d’empêcher certains ténors de l’opposition d’y prendre part constitue un grand risque de voir le pays sombrer dans des turbulences.

La société civile reste alerte et veille à ce que l’élection de 2024 soit une élection inclusive, libre et transparente. A cet effet elle a beaucoup multiplié des actions en faveur du dialogue entre les acteurs politiques. Également les OSC s’activent à travers plusieurs plateformes pour accompagner les autorités dans l’organisation des élections apaisées par la supervision du processus avant, pendant et après le scrutin.

Qu’est-ce qui a déclenché les récentes manifestations ? Quelles sont les revendications des manifestants et comment le gouvernement a-t-il réagi ?

Les récentes manifestations ont été déclenchées par la condamnation de Sonko à deux ans de prison le 1er juin 2023. Ce jour-là, un tribunal s’est prononcé sur l’affaire dite « Sweet Beauty », dans laquelle une jeune femme employée dans un salon de massage accusait Sonko de l’avoir violée et d’avoir proféré des menaces de mort à son encontre. Sonko a été acquitté des menaces de mort, mais les accusations de viol ont été requalifiées en accusations de « corruption de la jeunesse ».

Est venu se greffer à cette condamnation l’arrestation de Sonko le 31 juillet 2023 et la dissolution de son parti politique, le PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).

Les manifestations sont animées par le sentiment que leur leader fait l’objet de persécutions et que les affaires pour lesquelles il a été condamné ne servent qu’à l’empêcher de participer aux prochaines élections. La principale revendication des manifestant est la libération de leur leader et des personnes illégalement détenus.

Face aux manifestations le gouvernement a opté pour la répression. En effet les autorités considèrent qu’elles font face à des actes de défiance de l’Etat et ont appelé les forces de sécurité à faire usage de la force.

La répression s’est soldée par la mort de plus de 30 personnes et de plus 600 blessés depuis mars 2021, quand les premières repressions ont commencé. En plus de ces pertes en vies humaines et de blessés on dénombre aujourd’hui plus de 700 personnes arrêtées et croupissent dans les prisons du Sénégal. Nous avons aussi noté l’arrestation de journalistes mais aussi de coupure de signal de chaines de télévisions et de restriction de certaines d’internet.

Comment la société civile sénégalaise, y compris la RADDHO, travaille-t-elle à la défense des droits humains ?

La RADDHO travaille au niveau national en aidant les victimes de violations de droits humains, et mène des activités de sensibilisation, d’éducation aux droits humains et de renforcement de capacités.

La RADDHO collabore avec les mécanismes régionaux et internationaux, notamment la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le Comité Africain des Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. A cet effet elle mène plusieurs activités de vulgarisations des Instruments juridiques de protection et de promotion des droits humains. En tant que membre observateur de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, elle participe régulièrement aux forums de la société civile lors des sessions de celle-ci. Également la RADDHO coordonne la coalition des OSC pour le suivi et la mise en œuvre des recommandations de l’Examen Périodique Universel des Nations unies pour le Sénégal.

Quel soutien international la société civile sénégalaise reçoit-elle et de quel soutien supplémentaire aurait-elle besoin ?

Dans le cadre de leurs missions, les OSC sénégalaise reçoivent des appuis de la part d’institutions internationales telles que l’Union Européenne, les agences de coopération bilatérale des États-Unis et de la Suède, USAID et SIDA, et des organisations et fondations tels qu’Oxfam NOVIB des Pays Bays, le NED des États-Unis, la NID de l’Inde et la Fondation Ford, entre autres. Cependant, du fait que le Sénégal a longtemps été considéré comme un pays stable, l’appui reste insuffisant.

Compte tenu des restrictions de l’espace civique constatées depuis quelques années et de la crise politique, la société civile a besoin d’être soutenue pour mieux assister les victimes de violations de droits humains, pour contribuer à l’avènement d’une véritable culture des droits humains, et pour travailler à l’élargissement de l’espace civique et le renforcement de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance.


L’espace civique au Sénégal est classé « entravé » par le CIVICUS Monitor.

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RDC : « Défendre l’environnement, c’est devenir la cible des politiciens et des hommes d’affaires »

GuillaumeKalonjiCIVICUS échange sur les espoirs et les rôles de la société civile lors du prochain sommet climatique COP28 avec Guillaume Kalonji, jeune activiste climatique et fondateur de Rise Up Movement DRC.

Rise Up Movement DRC est un mouvement citoyen fondé et dirigé par des jeunes en République démocratique du Congo (RDC), visant à aider les communautés à lutter contre le changement climatique et à s’adapter à ses effets. Le mouvement amplifie les voix et les expériences des jeunes activistes du Sud global, fournit une éducation climatique dans les écoles et les communautés et promeut l’utilisation durable des terres ainsi que le développement et l’utilisation des énergies renouvelables.

Pourquoi êtes-vous devenu un activiste climatique ?

J’ai obtenu un diplôme en biologie générale et j’ai suivi une formation d’enseignant. J’ai vite compris que je ne pourrais pas exercer mes compétences en biologie sur une planète morte, ni enseigner quoi que ce soit à des personnes affamées.

La RDC est un pays en proie à la guerre, surtout dans la région orientale. Elle connaît également une grave crise économique et alimentaire. Les gens ont faim et passent une grande partie de leur temps à chercher de quoi manger. Ils n’ont donc pas le temps de penser au climat, même s’ils sont gravement touchés par les effets du changement climatique causé par les pays du Nord. Une grande partie de leurs souffrances est liée au climat.

J’ai donc décidé de commencer ce processus d’organisation et de mobilisation contre le changement climatique. Je me suis rendu compte que je devais être prêt à agir à tous les niveaux, tant dans ma communauté locale comme dans les forums internationaux. C’est pour cette raison que j’ai appris l’anglais - ma langue maternelle est le français - en moins d’un an, étant donné que les sommets de la COP sur le climat et les autres grandes conférences internationales sur le climat se tiennent en anglais.

Sur quelles questions environnementales travaillez-vous ?

En réalisant que tant de gens ne sont pas conscients des causes profondes des problèmes auxquels ils sont confrontés, j’ai commencé à me concentrer sur l’éducation relative au changement climatique. Je me rends dans des écoles et des universités pour sensibiliser les jeunes, dans l’espoir qu’ils se joindront à moi d’une manière ou d’une autre pour demander à ceux qui ont provoqué le changement climatique de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, de cesser de nuire au climat et de payer des réparations pour les dommages qu’ils ont déjà causés.

La RDC est une victime directe du dérèglement des saisons et du cycle des pluies qui caractérise le changement climatique. Cela est à l’origine de la baisse de la production agricole, source majeure de l’insécurité alimentaire qui touche aujourd’hui plus de 25 millions de Congolais.

En outre, j’accueille le projet Vash Green School, qui installe des fourneaux de cuisine propres dans les écoles afin de réduire la déforestation causée par l’utilisation excessive du bois comme source d’énergie et d’améliorer les conditions de cuisson dans les écoles.

Avez-vous fait l’objet de restrictions ou de représailles en raison de votre travail ?

En RDC, et plus généralement dans la plupart des pays d’Afrique, défendre l’environnement, c’est devenir la cible de certains politiciens et hommes d’affaires, car nous remettons en cause leurs intérêts. Derrière chaque hectare de forêt abattu illégalement par des entreprises chinoises ou européennes se cache un politicien congolais. Lorsque j’ai commencé à militer, j’ai reçu des messages menaçants m’avertissant de ne pas chercher des ennuis en me mêlant des politiciens. Des amis et des membres de ma famille élargie ont exercé une forte pression sur moi lorsque j’ai commencé à protester contre l’exploitation pétrolière dans la forêt tropicale congolaise. Mais je ne peux pas arrêter de défendre l’environnement, car je pense que si je reste silencieux face à un crime, je deviendrais complice.

Comment vous situez-vous par rapport au mouvement climatique mondial ?

Cela n’a pas été facile, mais ça s’est fait assez rapidement. Quand j’ai compris qu’il existait une possibilité réelle d’exprimer sa révolte contre le changement climatique et la destruction de la nature, j’ai voulu faire entendre ma voix. Le problème, c’est que lorsque je m’exprimais en français, ma voix n’allait pas loin, elle restait à proximité, ne faisant que créer de l’insécurité pour moi et pour les autres.

Mais grâce à Twitter, j’ai découvert l’équipe du mouvement ougandais Rise up, dirigée par Vanessa Nakate, qui est devenue mon amie. Elle est très active en Afrique et dans le monde entier. Afin de les rejoindre et de défendre les intérêts du peuple congolais, j’ai décidé d’apprendre l’anglais - et grâce aux bonnes motivations, j’ai pu le faire très rapidement. J’ai téléchargé les discours de Vanessa et je les ai écoutés tous les jours, ce qui m’a permis d’en apprendre davantage sur le changement climatique en même temps que j’apprenais l’anglais. Plus je tweetais en anglais, plus j’avais de followers et de nouveaux contacts. Aujourd’hui, j’ai plus de 3.000 followers et des contacts sur tous les continents. Je suis en train de réussir à devenir la voix des Africains francophones qui demandent de l’aide pour s’adapter aux effets du changement climatique.

Quelles sont les questions prioritaires que vous souhaitez voir abordées lors de la COP28 ?

La COP28 doit être l’occasion de prendre une décision claire sur les combustibles fossiles dans le monde entier, car c’est la principale cause du changement climatique que nous connaissons. Dans mon pays, la forêt tropicale est en danger imminent. Elle va être sacrifiée au profit de l’exploitation pétrolière, en choisissant d’ignorer que cette forêt stocke un niveau de CO2 équivalent à plus de 10 ans d’émissions mondiales.

L’abandon progressif des combustibles fossiles doit s’accompagner de dispositions prévoyant une transition équitable, de sorte que les coûts ne retombent pas sur ceux qui ont le moins contribué au problème dans lequel nous nous trouvons.

La COP28 devrait également revenir sur la question des pertes et dommages, en décidant de faire payer ceux qui ont le plus pollué, aujourd’hui et non dans le futur, afin que les pays victimes puissent survivre.

Une autre grande question qui devrait être abordée est celle de la migration. Les personnes qui réagissent aux catastrophes climatiques en empruntant la voie de la migration doivent retrouver leur droit à la vie, qu’elles n’ont pas actuellement dans les faits. Les pays du Nord ont transformé la Méditerranée et le désert tunisien en cimetières où ils enterrent les migrants par milliers.

Parce que ces questions doivent être traitées de toute urgence, il est essentiel d’impliquer la société civile dans la COP28. La société civile est composée de membres des communautés oubliées, les vraies victimes du changement climatique. Une COP à laquelle seuls les présidents et les ministres sont invités ne fonctionnera pas, car ceux-ci pourront faire face à la hausse des températures en allumant leurs climatiseurs et en important de la nourriture en cas de pénurie locale, tandis que les gens ordinaires meurent de faim parce que leurs terres ne reçoivent pas de pluie. Seules les victimes peuvent présenter la réalité du changement climatique et expliquer comment cela se manifeste réellement dans leurs communautés.


L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.

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INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : « Il doit y avoir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des droits »

NadiaBenaissaCIVICUS parle avec Nadia Benaissa, conseillère en politique juridique chez Bits of Freedom, sur les risques que l’intelligence artificielle (IA) fait peser sur les droits humains et sur le rôle que joue la société civile dans l’élaboration d’un cadre juridique pour la gouvernance de l’IA.

Fondée en 2000, Bits of Freedom est une organisation de la société civile (OSC) néerlandaise qui vise à protéger les droits à la vie privée et à la liberté de communication en influençant la législation et la politique en matière de technologies, en donnant des conseils politiques, en sensibilisant et en entreprenant des actions en justice. Bits of Freedom a également participé aux négociations de la loi de l’Union européenne sur l’IA.

Quels risques l’IA fait-elle peser sur les droits humains ?

L’IA présente des risques importants car elle peut exacerber des inégalités sociales préexistantes et profondément ancrées. Les droits à l’égalité, à la liberté religieuse, à la liberté d’expression et à la présomption d’innocence figurent parmi les droits touchés.

Aux Pays-Bas, nous avons recensé plusieurs cas de systèmes algorithmiques violant les droits humains. L’un de ces cas est le scandale des allocations familiales, dans lequel les parents recevant des allocations pour la garde de leurs enfants ont été injustement ciblés et profilés. Le profilage a surtout touché les personnes racisées, les personnes à faible revenu et les musulmans, que l’administration fiscale a faussement accusés de fraude. Cette situation a entraîné la suspension des allocations pour certains parents et prestataires de soins, ainsi que des enquêtes hostiles sur leurs cas, ce qui a eu de graves répercussions financières.

Un autre exemple est le programme de prévention de la criminalité ‘Top400' mis en œuvre dans la municipalité d’Amsterdam, qui profile des mineurs et des jeunes afin d’identifier les 400 personnes les plus susceptibles de commettre des délits. Cette pratique affecte de manière disproportionnée les enfants des classes populaires et les enfants non-blancs, car le système se concentre géographiquement sur les quartiers à faibles revenus et les quartiers de migrants.

Dans ces cas, le manque d’éthique dans l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle a entraîné une immense détresse pour les personnes concernées. Le manque de transparence dans la manière dont les décisions automatisées ont été prises n’a fait qu’accroître les difficultés dans la quête de justice et de redevabilité. De nombreuses victimes ont eu du mal à prouver les préjugés et les erreurs du système.

Existe-t-il des tentatives en cours pour réglementer l’IA ?

Un processus est en cours au niveau européen. En 2021, la Commission européenne (CE) a proposé un cadre législatif, la loi sur l’IA de l’Union européenne (UE), pour répondre aux défis éthiques et juridiques associés aux technologies de l’IA. L’objectif principal de la loi sur l’IA de l’UE est de créer un ensemble complet de règles régissant le développement, le déploiement et l’utilisation de l’IA dans les États membres de l’UE. Elle cherche à maintenir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des valeurs et des droits fondamentaux.

Il s’agit d’une occasion unique pour l’Europe de se distinguer en donnant la priorité à la protection des droits humains dans la gouvernance de l’IA. Cependant, la loi n’a pas encore été approuvée. Une version a été adoptée par le Parlement européen en juin, mais il reste encore un débat final - un « trilogue » - à mener entre la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen. La Commission européenne s’efforce d’achever le processus d’ici la fin de l’année afin qu’il puisse être soumis à un vote avant les élections européennes de 2024.

Ce trilogue a des défis considérables à relever pour parvenir à une loi sur l’IA complète et efficace. Les questions controversées abondent, y compris les définitions de l’IA et les catégories à haut risque, ainsi que les mécanismes de mise en œuvre et d’application.

Qu’est-ce que la société civile, y compris Bits of Freedom, apporte à la table des négociations ?

Alors que les négociations sur la loi se poursuivent, une coalition de 150 OSC, dont Bits of Freedom, demande instamment à la CE, au Conseil et au Parlement d’accorder la priorité aux personnes et à leurs droits fondamentaux.

Aux côtés d’autres groupes de la société civile, nous avons activement collaboré à la rédaction d’amendements et participé à de nombreuses discussions avec des membres des parlements européen et néerlandais, des décideurs politiques et diverses parties prenantes. Nous avons fermement insisté sur des interdictions concrètes et solides, telles que celles concernant l’identification biométrique et la police prédictive. En outre, nous avons souligné l’importance de la transparence, de la redevabilité et d’un mécanisme de réparation efficace dans le contexte de l’utilisation des systèmes d’IA.

Nous avons obtenu des résultats significatifs en matière de plaidoyer, notamment l’interdiction de l’identification biométrique en temps réel et a posteriori, une meilleure formulation des interdictions, des évaluations obligatoires de l’impact sur les droits fondamentaux, la reconnaissance de droits supplémentaires en matière de transparence, de redevabilité et de réparation, et la création d’une base de données obligatoire sur l’IA.

Mais nous reconnaissons qu’il y a encore du travail à faire. Nous continuerons à faire pression pour obtenir la meilleure protection possible des droits humains et à nous concentrer sur les demandes formulées dans notre déclaration au trilogue de l’UE. Celles-ci tendent vers l’établissement d’un cadre de redevabilité, de transparence, d’accessibilité et de réparation pour les personnes touchées par ces enjeux, et à la fixation des limites à la surveillance préjudiciable et discriminatoire exercée par les autorités nationales chargées de la sécurité, de l’application de la loi et de l’immigration. Elles s’opposent ainsi au lobbying des grandes entreprises technologiques en supprimant les lacunes qui sapent la réglementation.

Le chemin vers une réglementation complète et efficace de l’IA est en cours, et nous restons déterminés à poursuivre nos efforts pour faire en sorte que le cadre législatif final englobe nos demandes essentielles. Ensemble, nous visons à créer un environnement réglementaire en matière d’IA qui donne la priorité aux droits humains et protège les personnes.


Contactez Bits of Freedom sur son site web ou sa page Facebook, et suivez @bitsoffreedom sur Twitter.

TRAITÉ DES NATIONS UNIES SUR LA CYBERCRIMINALITÉ : « La société civile vérifie la véracité des arguments avancés par les États »

IanTennantCIVICUS s’entretient avec Ian Tennant sur l’importance de la sauvegarde des droits humains dans le processus en cours d’élaboration d’un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité.

Ian est le président de l’Alliance des ONG pour la prévention du crime et la justice pénale, un vaste réseau d’organisations de la société civile (OSC) qui fait progresser les questions de prévention du crime et de justice pénale en s’engageant dans les programmes et processus pertinents de l’ONU. Il dirige la représentation multilatérale de Vienne et le Fonds de résilience de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, une OSC mondiale dont le siège se trouve à Genève et qui se consacre à la recherche, à l’analyse et à l’engagement sur toutes les formes de criminalité organisée et de marchés illicites. Les deux organisations participent en tant qu’observateurs aux négociations du traité des Nations Unies sur la cybercriminalité.

Pourquoi un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité est-il nécessaire ?

Il n’y a pas de consensus sur la nécessité d’un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité. Depuis que la question a été soulevée officiellement pour la première fois lors du Congrès des Nations Unies sur la criminalité en 2010, les organes de l’ONU qui prennent par consensus des décisions liées à la cybercriminalité, notamment la Commission des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale (CCPCJ), n’ont pas pu s’accorder sur la nécessité de ce traité. En 2019, cette question a fait l’objet d’un vote à l’Assemblée générale de l’ONU. La résolution lançant le processus vers un traité a été adoptée avec un soutien minoritaire, en raison d’un grand nombre d’abstentions. Néanmoins, le processus progresse maintenant et des États membres de tous bords participent au débat.

La polarisation des positions sur la nécessité du traité s’est traduite par une polarisation des points de vue sur l’étendue du traité : les pays favorables au traité demandent l’inclusion d’un large éventail de crimes cybernétiques, tandis que les pays opposés au traité demandent un traité étroitement ciblé sur les crimes cyberdépendants.

Comment faire pour que le traité ne soit pas utilisé par des régimes répressifs pour réprimer la dissidence ?

L’équilibre entre les mesures efficaces contre la cybercriminalité et les garanties en matière de droits humains est la question fondamentale qui doit être résolue dans le cadre du processus de négociation de ce traité et, pour l’instant, on ne sait pas très bien comment on y parviendra. Le moyen le plus efficace de s’assurer que le traité ne soit pas utilisé pour réprimer la dissidence et d’autres activités légitimes est de veiller à ce qu’il porte sur un ensemble clair de crimes cyberdépendants avec des garanties adéquates et claires en matière de droits humains présentes dans l’ensemble du traité.

En l’absence d’un traité sur les droits numériques, ce traité doit fournir ces garanties et sauvegardes. Sinon, il existe un risque réel qu’en établissant un vaste régime de coopération sans garanties adéquates, le traité soit utilisé par certains États comme un outil d’oppression et de suppression de l’activisme, du journalisme et d’autres activités de la société civile. Or, celles-ci sont essentielles dans toute stratégie efficace de réponse et de prévention de la criminalité.

Dans quelle mesure la société civile peut-elle contribuer au processus de négociation ?

Les négociations du traité ont été ouvertes aux OSC pour qu’elles puissent contribuer au processus par le biais d’une approche qui ne permet pas aux États d’opposer leur veto à des OSC individuelles. Les OSC ont la possibilité d’apporter leur contribution à chaque point de l’ordre du jour, ainsi qu’aux réunions intersessions lors desquelles elles peuvent présenter et mener des discussions avec les États membres. Ce processus est, d’une certaine manière, un modèle que d’autres négociations de l’ONU pourraient suivre comme meilleure pratique.

Les OSC, ainsi que le secteur privé, apportent des perspectives essentielles sur les impacts potentiels des propositions faites dans le cadre des négociations du traité, sur les questions pratiques, sur la protection des données et sur les droits humains. Fondamentalement, les OSC vérifient les faits et fournissent des preuves pour étayer ou contester les arguments avancés par les États membres lorsque des propositions sont faites et que des compromis potentiels sont discutés.

Quels sont les progrès réalisés jusqu’à présent et quels ont été les principaux obstacles aux négociations ?

Officiellement, le comité ad hoc n’a plus que deux réunions à tenir avant l’adoption du traité : une réunion aura lieu en août et l’autre au début de 2024. Le Comité a déjà tenu cinq réunions, au cours desquelles l’ensemble des questions et des projets de dispositions à inclure dans le traité ont été discutés. La prochaine étape consistera en l’élaboration d’un projet de traité par le président, qui sera ensuite débattu et négocié lors des deux prochaines réunions.

Le principal obstacle a été l’existence de différences assez fondamentales dans les visions du traité, qui vont d’un traité large permettant l’incrimination et la coopération pour une gamme variée d’infractions à un traité étroit axé sur les crimes cyberdépendants. À cause de ces différences d’objectifs, le Comité a jusqu’à présent manqué d’une vision commune. Dans les mois à venir, c’est à cette vision que les négociations devront parvenir.

Quelles sont les chances que la version finale du traité respecte les normes internationales en matière de droits humains tout en remplissant son objectif ?

Cela dépend des négociateurs de toutes les parties et de la distance qu’ils sont prêts à parcourir pour parvenir à un accord : c’est cela qui déterminera si le traité a un impact significatif sur la cybercriminalité tout en restant fidèle aux normes internationales en matière de droits humains et à l’éthique générale des Nations Unies en matière de droits humains. Ce serait le résultat optimal, mais compte tenu de l’atmosphère et des défis politiques actuels, il sera difficile à atteindre.

Il est possible que le traité soit adopté sans garanties adéquates et que, par conséquent, seul un petit nombre de pays le ratifie. Cela non seulement diminuerait son utilité, mais également ferait porter les risques en matière de droits sur les seuls pays signataires. Il est également possible que le traité contienne des normes très élevées en matière de droits humains, mais que, là encore, peu de pays le ratifient, ce qui limiterait son utilité pour la coopération mais neutraliserait les risques qu’il présente pour les droits humains.


Contactez l’Alliance des ONG pour la prévention du crime et la justice pénale sur son site web et suivez @GI_TOC et @IanTennant9 sur Twitter.

TRAITÉ DES NATIONS UNIES SUR LA CYBERCRIMINALITÉ : « Il ne s’agit pas de protéger les États, mais les personnes »

StephaneDuguinCIVICUS s’entretient avec Stéphane Duguin au sujet de la militarisation de la technologie et des progrès réalisés en vue d’un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité.

Stéphane est un expert de l’utilisation des technologies perturbatrices, ce qui inclut les cyberattaques, les campagnes de désinformation et le terrorisme en ligne. Il est aussi le directeur général de l’Institut CyberPeace, une organisation de la société civile (OSC) fondée en 2019 pour aider les OSC humanitaires et les communautés vulnérables à limiter les dommages causés par les cyberattaques et à promouvoir un comportement responsable dans le cyberespace. Elle mène des activités de recherche et de plaidoyer et fournit une expertise juridique et politique dans le cadre de négociations diplomatiques, notamment au sein du Comité ad hoc des Nations Unies chargé d’élaborer la Convention sur la cybercriminalité.

Pourquoi un nouveau traité des Nations Unies sur la cybercriminalité est-il nécessaire ?

Plusieurs instruments juridiques portant sur la cybercriminalité existent déjà. Notamment, la Convention de Budapest sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe de 2001 est le premier traité international visant à lutter contre la cybercriminalité et à harmoniser les législations pour renforcer la coopération dans le domaine de la cybersécurité. En avril 2023, il a été ratifié par 68 États dans le monde. Cette convention a été suivie par des outils régionaux tels que la Convention de l‘Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel de 2014, entre autres.

Mais le problème de ces instruments réside dans leur application. La Convention de Budapest n’a même pas été ratifiée par la plupart des États, alors qu’elle est ouverte à tous. Et même lorsqu’ils ont été signés et ratifiés, ces instruments ne sont pas mis en œuvre. Cela signifie que les données ne sont pas accessibles au-delà des frontières, que la coopération internationale est compliquée à mettre en place et que les demandes d’extradition ne sont pas suivies d’effet.

Il est urgent de remodeler la coopération transfrontalière pour prévenir et contrer les crimes, surtout d’un point de vue pratique. Les États qui ont plus d’expérience dans la lutte contre la cybercriminalité pourraient aider ceux qui ont moins de ressources en leur fournissant une assistance technique et en les aidant à renforcer leurs capacités.

C’est cela qui rend si importantes les négociations actuelles de l’ONU tendant à une convention mondiale sur la cybercriminalité. En 2019, l’Assemblée générale des Nations Unies a créé le Comité spécial chargé d’élaborer une « Convention internationale globale sur la lutte contre l’utilisation des technologies d’information et de communication à des fins criminelles », en d’autres termes une Convention sur la cybercriminalité. Cela s’est fait dans un objectif de coordination des efforts entre des États membres, des OSC, dont l’Institut CyberPeace, des établissements universitaires et d’autres parties prenantes. Il s’agira du premier cadre international juridiquement contraignant pour le cyberespace.

Les objectifs du nouveau traité sont de réduire la probabilité d’attaques et, lorsqu’elles se produisent, de limiter les dommages et de veiller à ce que les victimes aient accès à la justice et à des réparations. Il ne s’agit pas de protéger les États, mais les personnes.

Quelles ont été les premières étapes de la négociation du traité ?

La première étape a consisté à faire le point sur ce qui existait déjà et, surtout, sur ce qui manquait dans les instruments existants afin de comprendre ce qu’il restait à faire. Il était également important de mesurer l’efficacité des outils existants et de déterminer s’ils ne fonctionnaient pas en raison de leur conception ou parce qu’ils n’étaient pas correctement mis en œuvre. De plus, il était primordial de mesurer les dommages humains causés par la cybercriminalité afin de définir une base du problème que nous essayons d’aborder avec le nouveau traité.

Il faudrait aussi un accord entre tous les États parties pour qu’ils cessent de se livrer eux-mêmes à la cybercriminalité. Curieusement, cela n’a pas été intégré dans les discussions. Il est pour le moins étrange d’être assis à la table des discussions sur les définitions des crimes cybernétiques et cyberdépendants avec des États qui mènent ou facilitent des cyberattaques. Les logiciels espions et la surveillance ciblée, par exemple, sont principalement financés et déployés par les États, qui financent également le secteur privé en achetant ces technologies avec l’argent des contribuables.

Quels sont les principaux défis ?

Le principal défi a été la définition du champ d’application du nouveau traité, c’est-à-dire de la liste des infractions à incriminer. Les infractions commises à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC) appartiennent généralement à deux catégories distinctes : les infractions cyberdépendantes et les infractions facilitées par la technologie. Les États s’accordent globalement sur le fait que le traité devrait inclure les infractions cyberdépendantes, c’est-à-dire les infractions qui ne peuvent être commises qu’à l’aide d’ordinateurs et de TIC, telles que l’accès illégal à des systèmes informatiques, les attaques par déni de service et la création et diffusion de logiciels malveillants. Si ces infractions ne faisaient pas partie du traité, il n’y aurait pas de traité à proprement parler.

L’inclusion des crimes facilités par la technologie est toutefois plus controversée. Il s’agit d’infractions commises en ligne, mais qui pourraient être commises sans les TIC, comme la fraude bancaire et le vol de données. Il n’existe pas de définition internationalement reconnue des crimes facilités par la technologie. Certains États considèrent les infractions liées au contenu en ligne, telles que la désinformation ou l’incitation à l’extrémisme et au terrorisme, comme des crimes cybernétiques. Ces infractions sont fondées sur la parole et leur incrimination peut conduire à la criminalisation de discours ou de l’expression en ligne, ce qui aurait des conséquences négatives sur les droits humains et les libertés fondamentales.

De nombreux États susceptibles d’être futurs signataires du traité utilisent ce type de langage pour faire taire les dissidents. Toutefois, il y a un soutien général pour l’inclusion d’un nombre limité d’exceptions concernant les crimes facilités par la technologie, tels que l’exploitation sexuelle des enfants et les abus sexuels en ligne, ainsi que la fraude informatique.

Il est impossible de parvenir à une délimitation large des crimes cybernétiques si elle n’est pas accompagnée de garanties très strictes en matière de droits humains. En l’absence de garanties, le traité ne devrait porter que sur un nombre limité de crimes. Mais il n’y a pas d’accord sur les garanties et leur mise en place, en particulier en ce qui concerne la protection des données personnelles.

Or tant pour les victimes comme pour les auteurs de crimes, il n’y a aucune différence entre les crimes cybernétiques et les crimes cyberdépendants. Une victime de l’un est victime des deux. De nombreux groupes criminels – tout comme des acteurs étatiques - utilisent les mêmes outils, infrastructures et processus pour mener les deux types d’attaques.

Même s’il est nécessaire d’inclure davantage de crimes cybernétiques, la manière dont cela est fait n’est pas la bonne, car il n’y a pas de garde-fous ou de définitions claires. La plupart des États qui font pression en ce sens ont abondamment démontré qu’ils ne respectent ni ne protègent les droits humains, et certains - dont la Chine, l’Égypte, l’Inde, l’Iran, la Russie et la Syrie - ont même proposé de supprimer toute référence aux obligations internationales en matière de droits humains.

Un autre défi est l’absence d’accord sur la manière dont les mécanismes de coopération internationale devraient assurer le suivi pour garantir la mise en œuvre pratique du traité. Les modalités de coopération entre les États et les types d’activités qu’ils mèneront ensemble pour lutter contre ces crimes restent floues.

Pour éviter que les régimes répressifs n’abusent du traité, nous devrions nous concentrer à la fois sur la portée des infractions passibles d’être poursuivies et sur les conditions de la coopération internationale. Par exemple, les dispositions relatives à l’extradition devraient inclure le principe de la double incrimination, ce qui signifie qu’un acte ne peut donner lieu à extradition que s’il constitue un crime à la fois dans le pays qui fait la demande et dans celui qui la reçoit. Ce principe est essentiel pour empêcher les États autoritaires d’utiliser l’extradition pour poursuivre les dissidents et commettre d’autres violations des droits humains.

Qu’apporte la société civile aux négociations ?

L’élaboration du traité devrait être un effort collectif visant à prévenir et à réduire le nombre de cyberattaques. En tant qu’organes indépendants, les OSC y contribuent en fournissant des informations sur les incidences sur les droits humains et les menaces potentielles, et en plaidant en faveur de garanties pour les droits fondamentaux.

Par exemple, l’Institut CyberPeace analyse depuis deux ans les cyberattaques perturbatrices contre les établissements de santé dans le cadre de la COVID-19. Nous avons découvert au moins 500 cyberattaques ayant entraîné le vol des données de plus de 20 millions de patients. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

L’Institut CyberPeace soumet également au Comité des recommandations dont l’approche est centrée sur les victimes. Elles comprennent des mesures préventives, la redevabilité des auteurs sur la base de preuves, l’accès à la justice et à la réparation pour les victimes, et tendent à prévenir la revictimisation.

Nous plaidons également en faveur d’une approche intrinsèquement fondée sur les droits humains, qui garantirait le plein respect des droits humains et des libertés fondamentales par le biais de protections et de garanties solides. Le langage de la Convention devrait faire référence à des cadres spécifiques de droits humains tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est important que la lutte contre la cybercriminalité n’oppose pas la sécurité nationale aux droits humains.

Ce cadre est d’autant plus important que les gouvernements exploitent depuis longtemps les mesures de lutte contre la cybercriminalité pour étendre le contrôle de l’État, élargir les pouvoirs de surveillance, restreindre ou criminaliser les libertés d’expression et de réunion et cibler les défenseurs des droits humains, les journalistes et l’opposition politique au nom de la sécurité nationale ou de la lutte contre le terrorisme.

Pour résumer, l’objectif de la société civile est de démontrer l’impact humain des cybercrimes et de s’assurer que les États en tiennent compte lors de la négociation du régime et des réglementations - qui doivent être créés pour protéger les citoyens. Nous faisons entendre la voix des victimes, les plus vulnérables, dont la cybersécurité quotidienne n’est pas correctement protégée par le cadre international actuel. En ce qui concerne l’Institut CyberPeace, nous plaidons pour l’inclusion d’un champ limité de cybercrimes avec des définitions claires et étroites afin d’empêcher la criminalisation de comportements qui constituent l’exercice des libertés fondamentales et des droits humains.

Où en sommes-nous dans le processus de négociation du traité ?

Un document de négociation consolidé a servi de base à la deuxième lecture effectuée lors des quatrième et cinquième sessions tenues en janvier et avril 2023. La prochaine étape consistera à publier un avant-projet à la fin du mois de juin, qui sera négocié lors de la sixième session qui se tiendra à New York entre août et septembre 2023.

Le processus aboutit normalement à une consolidation par les États, ce qui va être difficile car il y a beaucoup de divergences et un délai serré : le traité devrait être soumis au vote lors de la 78ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2024.

Il y a un bloc d’États qui souhaitent un traité au champ d’application le plus large possible, et un autre bloc qui penche pour une convention au champ d’application très limité et aux garanties solides. Mais même au sein de ce bloc, des désaccords subsistent en ce qui concerne la protection des données, l’approche en termes de sécurité, et des questions éthiques portant sur des technologies spécifiques telles que l’intelligence artificielle.

Quelles sont les chances que la version finale du traité respecte les normes internationales en matière de droits humains tout en remplissant son objectif ?

Compte tenu de la manière dont le processus s’est déroulé jusqu’à présent, je ne suis pas très optimiste, en particulier sur la question du respect des normes en matière de droits humains. Il manque encore les définitions cruciales des garanties en matière de droits humains. Nous ne devons pas oublier que les négociations se déroulent dans un contexte de confrontation géopolitique tendue. L’Institut CyberPeace a retracé les attaques déployées depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Nous avons témoigné de plus de 1 500 campagnes d’attaques avec près de 100 acteurs impliqués, dont de nombreux États, et des impacts sur plus de 45 pays. Cette réalité géopolitique complique encore les négociations.

Le texte qui est actuellement sur la table ne permet pas d’améliorer la vie des victimes dans le cyberespace. C’est pour cette raison que l’Institut CyberPeace reste engagé dans le processus de rédaction, afin d’informer et de sensibiliser les discussions en vue d’un résultat plus positif.


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RÉSOLUTION DE L’ONU SUR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE : « La crise climatique est une crise des droits humains »

HaileyCampbellCIVICUS échange avec Hailey Campbell au sujet de la récente résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) sur l’environnement, qui permet à la Cour internationale de justice (CIJ) d’émettre un avis consultatif sur les obligations des États en matière de lutte contre le changement climatique.

Hailey est une activiste climatique et codirectrice exécutive de Care About Climate, une organisation de la société civile (OSC) travaillant dans l’éducation climatique et l’autonomisation pour la justice climatique, ainsi qu’un réseau international de jeunes leaders du mouvement pour le climat qui cherchent à partager des solutions sur la scène internationale

Comment est née l’initiative visant à porter les questions climatiques devant la CIJ ?

Cette initiative historique a été lancée en 2019 par les Étudiants du Pacifique luttant contre le changement climatique (PISFCC), une organisation de jeunes créée par des étudiants de huit pays insulaires du Pacifique. La PISFCC a commencé par convaincre le Forum des îles du Pacifique, principale organisation politique et économique de la région, de porter la question du changement climatique et des droits humains devant la CIJ. Les OSC du Pacifique ont soutenu cette campagne et ont créé l’Alliance pour un avis consultatif sur la justice climatique (ACJAO) afin d’inclure d’autres acteurs non étatiques. En 2021, l’État du Vanuatu, un petit État insulaire très vulnérable aux catastrophes climatiques, a lancé les négociations et la rédaction de la résolution, qui a ensuite été soutenue par plus de 130 pays et plus de 220 OSC, et finalement adoptée par consensus par l’AGNU le 29 mars 2023.

Cette résolution vous paraît-elle une victoire de la société civile ?

Cette résolution est une victoire monumentale ! C’est le début d’une vague de changements dans la façon d’envisager la crise climatique et un rappel que le changement climatique ne respecte pas les frontières géopolitiques. Les OSC environnementales, les jeunes leaders, les nations insulaires qui ont lancé l’appel à la résolution et le PISFCC nous rappellent que nous sommes tou.te.s des personnes avant d’être des activistes, des dirigeants de l’industrie des combustibles fossiles ou des politiciens. En tant qu’êtres humains, nous partageons tous cette magnifique planète, d’où il faut se soucier les uns des autres. Si certains dirigeants ne le reconnaissent pas, ils doivent être tenus redevables.

La résolution demandant un avis consultatif de la CIJ est également une célébration de l’innovation et de la persévérance des îles. Depuis des milliers d’années, les Insulaires s’appuient sur leurs connaissances traditionnelles et leur esprit de collaboration pour s’adapter à l’environnement. Le fait de porter le plus grand défi au monde devant la plus haute juridiction met en évidence leur force et leur expérience. En tant que jeune personne vivant sur une île du Pacifique, je suis reconnaissante du leadership d’autres jeunes insulaires et leurs alliés, qui ouvrent la voie à un avenir durable pour les générations futures.

Comment la CIJ peut-elle contribuer à la lutte contre le changement climatique ?

La CIJ est la plus haute juridiction du monde. Elle établit des précédents par le biais d’avis consultatifs et de normes sur la manière dont les États doivent coopérer au niveau mondial. À ce titre, elle joue un rôle primordial dans le maintien de la paix entre les nations.

L’avis consultatif de la CIJ incarne la réalité selon laquelle nous ne pouvons pas résoudre la crise climatique en poursuivant les pratiques mêmes qui nous y ont conduits. La portée de la résolution va au-delà de l’Accord de Paris, faisant référence à l’importance d’un climat sûr en tant que droit humain essentiel pour le bien-être. En décrivant les potentielles conséquences juridiques pour les nations qui causent des dommages importants aux communautés vulnérables et aux générations futures, elle pourrait enfin assurer une plus grande redevabilité face à la crise climatique. Si les nations sont davantage tenues redevables et poussées à agir, la porte sera ouverte pour garantir l’élimination totale des émissions de combustibles fossiles et le renforcement des capacités d’adaptation.

Comment vous êtes-vous personnellement engagée dans la promotion de cette résolution et d’une action climatique plus large ?

J’ai entendu parler pour la première fois de la campagne du PISFCC en 2019, lorsque je me suis impliquée dans le mouvement pour le climat à la suite du sommet sur le changement climatique COP25. En tant qu’étudiante en développement durable vouée à travailler dans le domaine du climat, j’étais inspirée par la façon dont un petit groupe d’étudiants a dépassé les frontières insulaires pour fermement demander un avis consultatif de la CIJ. J’ai commencé à suivre leur parcours et à soutenir leurs appels à l’action de diverses manières, notamment en partageant leur contenu sur les réseaux sociaux ou en évoquant des arguments pertinents dans mes conversations avec les dirigeants lors des COP suivantes.

Inspirée par leur leadership insulaire, j’ai accepté un stage au sein du Local 2030 Islands Network, le premier réseau mondial entre pairs dirigé par des îles et consacré à la promotion des objectifs de développement durable. J’ai appris, grâce aux dirigeants insulaires, davantage sur la durabilité des îles et les impacts du changement climatique. Leurs exemples de solutions innovantes et leur esprit optimiste m’ont ébloui. J’étais motivée et je voulais utiliser mon éducation pour aider les Insulaires à faire entendre leur voix. J’ai donc choisi, dans le cadre de mon master, de me concentrer sur l’élaboration d’un plan de travail portant sur la manière dont les Insulaires peuvent collaborer avec leurs communautés pour développer, suivre et mettre en œuvre des solutions durables au changement climatique.

Ce parcours d’activisme étudiant m’a aidé à devenir une leader environnementale intersectorielle, à travailler sur l’adaptation au climat dans les îles et, en tant que groupes vulnérables, à nous appuyer sur des coalitions comme Care About Climate pour défendre notre droit à un avenir sans danger climatique. De fait, cela m’a inspiré à travailler avec des jeunes afin de garantir la toute première inclusion de jeunes en tant que parties prenantes dans une décision de la conférence des Nations Unies sur le climat lors de la COP27.

Que peuvent faire les alliés internationaux pour soutenir cette lutte ?

Tous les alliés internationaux doivent continuer à se battre ! Cette résolution historique n’est que la première étape. Avant que la CIJ ne puisse rendre son avis, les États et certaines organisations internationales, comme le Programme des Nations Unies pour l’environnement, seront invités à présenter des arguments écrits et oraux. Il est important que chacun continue à contacter les représentants nationaux et les organisations internationales sélectionnées pour soumettre des témoignages et émettre des avis. D’ailleurs, le PISFCC vient de lancer un manuel extraordinaire pour aider les décideurs politiques, les jeunes et les OSC environnementales à comprendre leur rôle, que je recommande vivement de consulter. Mon exemple préféré de ce manuel est celui de l’importance de partager avec vos représentants nationaux votre témoignage personnel sur les raisons pour lesquelles vous croyez en la nécessité d’un avis consultatif de la CIJ sur les droits climatiques, et sur l’impact qu’il pourrait avoir sur votre avenir. J’espère que tout le monde se sentira capable de me rejoindre au sein de l’Alliance pour se tenir au courant de comment avoir un impact.


 

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TRAITÉ SUR LE PLASTIQUE DES NATIONS UNIES : « La santé humaine et l’environnement doivent primer »

VitoBuonsanteCIVICUS parle des progrès réalisés en vue d’un traité des Nations Unies sur les pollutions plastiques avec Vito Buonsante, avocat spécialisé en droit de l’environnement et conseiller technique et politique au Réseau international pour l’élimination des polluants (IPEN).

L’IPEN est un réseau mondial d’organisations de la société civile (OSC) qui cherche à améliorer les politiques en matière de produits chimiques et à sensibiliser le public afin d’éviter que les substances dangereuses ne soient produites, utilisées ou éliminées de manière préjudiciable à la santé humaine et à l’environnement.

La plupart des gens ne savent pas qu’un traité des Nations Unies sur la pollution plastique est en cours d’élaboration. Quand et comment le processus a-t-il commencé ?

En mars 2022, l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (ANUE), organe décisionnel le plus élevé au monde en matière d’environnement, a approuvé un large mandat pour entamer des discussions sur un traité international visant à répondre aux menaces croissantes des pollutions plastiques. Le champ d’application du traité sur le plastique est censé inclure tous les impacts des plastiques tout au long de leur cycle de vie, y compris les effets des produits chimiques toxiques contenus dans les plastiques sur la santé humaine et l’environnement. Il devrait contribuer à faire progresser le monde vers un avenir sans produits toxiques.

Selon l’analyse de l’IPEN, basée sur le mandat de l’UNEA, l’accord final doit aborder de quatre manières différentes les impacts sur la santé des plastiques et de leurs contenus chimiques. Premièrement, il doit évoquer les produits chimiques toxiques contenus dans les plastiques : leur emploi, leur émission et leurs effets nocifs tout au long de leur cycle de vie, allant de la production à la consommation et jusqu’à la gestion des déchets. Deuxièmement, comme le mandat souligne l’importance de promouvoir une conception durable, le traité doit veiller à ce que les produits chimiques dangereux soient éliminés de la production du plastique et que les plastiques contenant des produits chimiques dangereux ne soient pas recyclés.

Troisièmement, la résolution de l’AENU souligne l’importance de prévenir les menaces que les plastiques toxiques font peser sur la santé humaine et l’environnement. Dans ce cadre, elle appelle à une coordination avec la convention de Bâle de 1989 sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, la convention de Rotterdam de 1998 concernant l’importation de produits chimiques dangereux, la convention de Stockholm de 2001 sur les polluants organiques persistants et l’Approche stratégique de la gestion internationale des produits chimiques, un cadre politique mondial adopté en 2006. Le traité doit donc s’attaquer aux effets sur la santé et l’environnement de l’exposition aux produits chimiques dangereux et aux émissions toxiques tout au long du cycle de vie des plastiques.

Quatrièmement, la résolution de l’UNEA reconnaît les microplastiques comme faisant partie de la pollution plastique. Cela signifie que le traité doit également aborder les risques chimiques pour la santé et l’environnement liés aux microplastiques, y compris leur potentiel en tant que vecteurs de contamination chimique.

Quels sont les progrès réalisés lors de la première session de négociations ?

La première session du Comité intergouvernemental de négociation chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur les pollutions plastiques, y compris dans le milieu marin, s’est tenue à Punta del Este, en Uruguay, du 28 novembre au 2 décembre 2022.

Lors de cette première réunion, les États ont eu l’occasion d’exprimer leurs intentions concernant le traité qu’ils envisagent. D’un côté, un grand groupe d’États, travaillant sous l’égide de la High Ambition Coalition pour mettre fin à la pollution plastique, ont exprimé leur désir d’un traité qui change la façon dont les plastiques sont fabriqués et qui s’attaque aux causes profondes de la pollution plastique. De l’autre côté, un groupe d’États se bat pour un traité qui ne change rien au statu quo. Il est inquiétant de constater que ces pays comprennent le Japon, l’Arabie Saoudite et les États-Unis, qui souhaitent tous voir un traité axé uniquement sur la gestion des déchets plutôt que sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques, et construit sur la base d’engagements nationaux volontairement acceptés plutôt que sur des obligations contraignantes à tous les niveaux.

La deuxième session aura lieu fin mai et début juin à Paris, en France. Les négociations du traité devraient être achevées d’ici à la fin de l’année 2024, délai à priori respectable. Des mesures globales peuvent être adoptées. Le monde scientifique a déjà été très clair : il serait illusoire, après 40 ans d’échec à recycler même une petite partie des déchets plastiques, de penser que la solution à la crise de la pollutions plastique réside dans le recyclage des quantités croissantes de plastique produites. Il est trop tôt pour savoir la direction que prendront les discussions, mais il devrait être possible de se mettre d’accord sur un certain nombre de normes mondiales, même au risque que certains États ne ratifient pas immédiatement le traité.

À quoi ressemblerait un traité ambitieux ?

La mesure la plus importante pour que le traité soit efficace est la réduction de la production totale de plastique. Si la production ne ralentit pas, la quantité de plastique doublera au cours des 20 prochaines années et deviendra vraiment incontrôlable.

Une deuxième mesure clé concerne la conception des plastiques. Il est nécessaire de supprimer tous les additifs chimiques toxiques, tels que les bisphénols, les PFAS et les retardateurs de flamme, ainsi que tous les polymères toxiques tels que le PVC et le polystyrène. On sait que ces produits chimiques ont des effets nocifs sur la santé, perturbant notamment les fonctions hormonales, la fertilité et les fonctions cérébrales des enfants. La création de cycles de matériaux plus sûrs repose donc sur l’élimination de ces substances des plastiques. Il est également très important d’améliorer la transparence en ce qui concerne les ingrédients des plastiques ainsi que les quantités et les types de plastiques produits. Sans une image claire de ce qui est produit et où, il sera difficile de lutter contre la pollution plastique.

L’ambition doit également s’étendre à la mise en œuvre du traité, pour laquelle les pays développés doivent s’engager à créer un fonds. Quelle que soit la rigueur des dispositions du traité, sans un investissement considérable dans sa mise en œuvre l’impact ne pourra qu’être limité. Des engagements ont récemment été adoptés en faveur de fonds pour le climat et la biodiversité, mais aucun fonds n’a encore été créé pour lutter contre la pollution plastique et les effets liés aux produits chimiques et aux déchets.

Qu’apportent les OSC environnementales à la table des négociations ?

Les OSC disposent d’un large éventail de compétences et d’expériences qui sont très utiles aux négociateurs de traités. L’IPEN, par exemple, plaide depuis plus de vingt ans pour la reconnaissance de l’impact des produits chimiques toxiques contenus dans les plastiques, en montrant clairement, par le biais de nombreux rapports scientifiques et de tests sur les plastiques et les produits en plastique, comment ces derniers exposent les communautés et les populations vulnérables à des produits chimiques toxiques.

Nous sommes convaincus que la nécessité de résoudre cette crise planétaire prévaudra. La communauté internationale semble échouer dans la lutte contre le changement climatique. Elle ne peut pas aussi échouer dans la lutte contre les plastiques. Le traité sur les plastiques pourrait démontrer que la coopération internationale est le meilleur moyen de résoudre les problèmes mondiaux et que la santé humaine et l’environnement peuvent et doivent passer avant les intérêts nationaux et commerciaux.


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CONVENTION FISCALE DE L’ONU : « Le pouvoir populaire est notre arme principale pour lutter contre les inégalités »

JennyRicksCIVICUS échange sur le travail de la société civile pour lutter contre les inégalités en adoptant une approche ascendante, et discute des perspectives d’une convention fiscale des Nations Unies avec Jenny Ricks, coordinatrice mondiale de l’Alliance contre les inégalités.

L’Alliance contre les inégalités est une coalition mondiale en plein essor qui rassemble un large éventail de mouvements sociaux, d’organisations de base et communautaires, d’organisations de la société civile, de syndicats, d’artistes, et d’activistes individuels qui s’organisent et se mobilisent du bas vers le haut. Leur objectif est de trouver et promouvoir des solutions aux causes structurelles des inégalités afin de rééquilibrer le pouvoir et la richesse dans nos sociétés.

Existe-t-il un consensus mondial sur le fait que l’inégalité est un problème qu’il faut adresser ?

Depuis quelques années, il semble avoir un consensus sur le fait que l’inégalité a atteint de nouveaux extrêmes et qu’elle est préjudiciable à tous les membres de la société ainsi qu’à l’environnement. À l’heure actuelle, ce ne sont pas seulement les personnes les plus touchées par les inégalités qui s’y opposent, affirmant que c’est grotesque et que cela doit changer, mais même des organisations comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale l’envisagent comme un problème. Le pape dit que c’est un problème. Les gouvernements se sont engagés à réduire les inégalités dans le cadre de l’un des objectifs de développement durable.

En apparence, il existe un large consensus : tout le monde semble penser que la concentration du pouvoir et des richesses au sommet des sociétés est allée trop loin, que le fossé est trop profond et qu’il affecte la vie quotidienne et les moyens de subsistance des gens au point où c’est une question de vie ou de mort. Et ce n’est pas tout : les inégalités érodent aussi les démocraties. Lorsque les oligarques contrôlent les médias, achètent des votes, répriment les défenseurs des droits de l’homme et l’espace civique et saccagent l’environnement, tout le monde est concerné.

Mais sous ce consensus superficiel, je pense qu’il existe encore un profond désaccord sur ce que signifie réellement la lutte contre les inégalités. À l’Alliance contre les inégalités, nous travaillons pour démanteler les systèmes d’oppression à l’origine des inégalités, notamment le néolibéralisme, le patriarcat, le racisme et l’héritage colonial. Ce sont les racines structurelles profondes des inégalités qui expliquent pourquoi des milliards de personnes ont lutté pour survivre à une pandémie mondiale tandis que les plus riches du monde continuaient à s’amuser. C’est pour cela que notre plan d’action se centre sur la transformation de la nature de nos économies et de nos sociétés, et nous ne nous contentons pas d’apporter des modifications mineures au statu quo pour éviter les émeutes.

Comment s’attaquer à l’inégalité structurelle ?

Depuis le début de la formation de l’Alliance contre les inégalités, nous savions que le problème ne résidait pas dans le manque de solutions politiques. Nous connaissons déjà les solutions politiques pour lutter contre les inégalités : cela comprend notamment des mesures de lutte contre le changement climatique, des politiques fiscales redistributives, des politiques visant à garantir un travail décent.

Le problème était que la concentration écrasante de pouvoir et de richesse au sommet ne s’accompagnait pas d’une force compensatrice en bas de l’échelle. Les plus riches et les plus puissants sont organisés et bien financés. Ils poursuivent leurs intérêts et leur avidité de manière agressive et avec succès. Or, nous avons le pouvoir du peuple. Mais dans la société civile et au-delà, les groupes étaient très fragmentés, très cloisonnés, concentrés sur leurs agendas individuels et absorbés par les questions les plus cruciales pour leurs partie-prenantes. Il n’y avait pas assez de liens entre les luttes.

Le fait de s’organiser autour des inégalités permet de comprendre à quel point les luttes différentes sont interconnectées : sous les luttes quotidiennes, il y a des racines communes, et donc aussi des solutions communes à promouvoir. C’est là, ainsi que dans la transformation des discours sur l’inégalité, que nous avons trouvé notre mission. Nous devons changer ce que nous considérons comme nécessaire et possible dans nos sociétés et renforcer le pouvoir des visions alternatives pour lesquelles nous nous battons. Lorsque nous sommes limités par ce qui est perçu comme naturel ou normal selon le courant dominant, telle que l’idée fausse que les milliardaires sont des génies qui travaillent dur et méritent donc une richesse illimitée, cela limite nos énergies et nos capacités d’organisation pour un changement structurel.

Les personnes à la base connaissent bien leurs problèmes et leurs solutions. Les inégalités ne sont pas un problème à résoudre pour les économistes et les technocrates : il s’agit avant tout d’un combat qui doit être mené par les gens. Surtout, les voix des personnes qui subissent le pire des inégalités doivent être entendues. Ces personnes sont les véritables experts de cette lutte. Le pouvoir populaire est donc la plus grande arme que nous puissions utiliser dans ce combat. Les gouvernements et les institutions internationales veulent ramener ces débats dans les arènes techniques des organes de décision et des salles de conférence, en les enveloppant d’un langage technique qui les rend intentionnellement inaccessibles à la plupart des gens. Les inégalités, comme de nombreuses autres questions qui requièrent des changements structurels, sont vues dans les cercles économiques comme des éléments à mesurer, à rapporter et à discuter. 

Mais l’inégalité est une tragédie humaine, pas une question technique. C’est une question de pouvoir. Et les solutions doivent venir des personnes dont la vie est la plus affectée par ces inégalités. Nous devons modifier l’équilibre des pouvoirs, dans nos sociétés et sur la scène mondiale, au lieu de discuter à huis clos sur la formulation d’un document technique. Cela passe par une organisation à grande échelle : le pouvoir du peuple est notre arme principale pour lutter contre les inégalités.

Pourquoi le régime fiscal est-il important dans la lutte contre les inégalités ?

La lutte contre les inégalités passe par une redistribution du pouvoir et des richesses, et les impôts constituent un outil majeur de redistribution.

Au cours des dix ou vingt dernières années, la société civile a fourni des efforts considérables pour remettre en question le fait que les personnes les plus riches et les plus grandes entreprises du monde ne paient pas leur juste part d’impôts. Le modèle économique est exploiteur, injuste et non durable, basé sur l’extraction de ressources, principalement du Sud, sur des pratiques de travail abusives, sur des travailleurs sous-payés et sur des dommages environnementaux considérables.

Lorsqu’il s’agit de budgets nationaux ou locaux, les gouvernements augmentent souvent les impôts indirects tels que la taxe sur la valeur ajoutée. Or celui-ci est le type d’impôt le plus régressif car au lieu de taxer davantage les riches ou les multinationales, il s’applique à tous les biens achetés, y compris les produits de première nécessité. Une industrie mondiale avec des systèmes d’évitement et d’évasion fiscale à grande échelle a été mise en place.

La redistribution actuelle se base sur l’extraction aux dépens des plus pauvres et la distribution aux personnes les plus riches du monde – milliardaires, actionnaires d’entreprises, etc. C’est ce que nous nous efforçons d’inverser, tant au niveau local comme au niveau mondial.

Comment une convention fiscale des Nations Unies pourrait-elle être utile ?

Le niveau actuel de concentration des richesses est tellement grotesque qu’il nécessite des solutions et des actions à tous les niveaux. Nous devons nous battre sur le front local, là où se trouvent les difficultés, tout en faisant pression pour un changement systémique dans des espaces tels que les Nations Unies. La discussion sur les règles fiscales mondiales semble assez éloignée des luttes quotidiennes pour lesquelles la plupart des gens, au sein de notre alliance et au-delà, font campagne. Mais les décisions prises à ce sujet ont des répercussions sur ces luttes.

Jusqu’à présent, les règles fiscales ont été fixées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une organisation intergouvernementale comptant 38 États membres : un club de pays riches. Comment les décisions sur les règles fiscales mondiales qui concernent tout le monde pourraient-elles être prises ailleurs qu’à l’ONU, qui, malgré tous ses défauts et toutes ses lacunes, est le seul organisme multilatéral où tous les États ont un siège ?

Néanmoins, comme nous l’avons vu avec les négociations sur le climat, il y a une énorme lutte de pouvoir qui doit être menée à l’ONU. Il faudra encore mener un énorme combat pour obtenir le type de règles fiscales mondiales que nous souhaitons. Mais si les règles fiscales mondiales sont élaborées au sein de l’OCDE, la majorité du monde n’a aucune chance. Ce n’est pas en demandant aux pays riches de mieux se comporter que l’on obtiendra le type de transformation que nous souhaitons.

En novembre 2022, une première étape positive a été franchie lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution appelant à une coopération fiscale internationale plus inclusive et plus efficace et exhortant les États membres à entamer des négociations sur une convention fiscale mondiale. La résolution fait écho à un appel lancé par le Groupe des 77 (G77), le plus grand bloc de pays en développement au sein des Nations Unies, ainsi que par le Groupe africain. Elle donne aux Nations Unies le mandat de contrôler, d’évaluer et de déterminer les règles fiscales mondiales et de soutenir la création d’un organisme fiscal mondial.

Une convention fiscale mondiale mettrait les États du Sud sur un pied d’égalité avec les États du Nord, de sorte que la proposition s’est heurtée à des résistances. Les dynamiques de pouvoir mondiales étaient clairement en jeu. Il fallait s’attendre à de telles réactions : en effet, ce processus sera à long terme et à durée indéterminée. Rien ne garantit qu’il aboutira au cadre mondial solide dont nous avons besoin. Mais c’est un combat qui vaut la peine d’être mené, et les Nations Unies sont l’enceinte idéale pour cela, tout simplement parce qu’il n’existe pas d’autre espace pour mener ces négociations. Où d’autre le G77 ou le Groupe africain pourraient-ils renégocier les règles fiscales mondiales ?

Comment faites-vous campagne à la lumière de la résolution ?

Nous ne faisons pas directement campagne pour la convention fiscale des Nations Unies, mais nous essayons d’amener les gens à s’intéresser à cet agenda différemment. Nous avons beaucoup fait campagne sur la taxation des riches et l’abolition des milliardaires, ce qui est une manière plus attrayante de présenter le problème et de mobiliser les gens. Nous ne pouvons pas imaginer à ce stade que des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour soutenir la convention fiscale des Nations Unies. Au lieu de cela, nous nous sommes organisés autour de la nécessité de taxer les riches, au niveau national et mondial, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises.

Cet appel a une grande résonance populaire parce qu’il est plus facile de le relier aux luttes principales individuelles telles que la recherche d’emploi, les dépenses en matière de santé, l’efficacité des services publics, le revenu de base, ou encore à la lutte contre les mesures d’austérité, les hausses d’impôts régressives ou les réductions de subventions. Grâce à notre organisation ces dernières années, cet appel a en effet été intégré à des campagnes d’un nombre croissant de mouvements à travers le monde. Cela a permis à de nombreux mouvements de base du Sud global de s’engager dans l’agenda fiscal, ce qui a le potentiel d’attirer l’attention des gens sur l’agenda plus large de justice fiscale. On ne peut pas commencer par l’organisation d’une réunion communautaire sur la Convention fiscale des Nations Unies : il faut partir des inégalités quotidiennes auxquelles les gens sont confrontés.


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ENTREPRISES ET DROITS HUMAINS : « Ce traité ne doit pas être négocié à huis clos »

IvetteGonzalezCIVICUS échange sur le rôle de la société civile dans le processus d’élaboration d’un traité international sur les entreprises et les droits humains avec Ivette Gonzalez, directrice de la liaison stratégique, du plaidoyer et des relations publiques du Projet sur l'organisation, le développement, l’éducation et la recherche (PODER).

PODER est une organisation de la société civile (OSC) régionale basée au Mexique qui se consacre à la promotion de la transparence et de la responsabilité des entreprises en Amérique latine du point de vue des droits humains, ainsi qu’au renforcement des acteurs de la société civile affectés par les pratiques commerciales afin qu’ils puissent agir en tant que garants de la redevabilité à long terme.

Pourquoi un traité sur les entreprises et les droits humains est-il si important ?

Nous vivons dans un monde pratiquement régi par le capital. Depuis que ce modèle économique hégémonique, capitaliste et patriarcal s’est imposé, il est clair que c’est celui qui possède le capital qui décide.

Lorsque les entreprises influencent directement les décisions des pouvoirs de l’État, qu’il s’agisse des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire, ou d’autres acteurs tels que les organisations internationales ou les institutions bancaires qui devraient fonctionner pour le bien public, en les mettant au contraire au service du bénéfice privé et exclusif de quelques personnes et en priorisant la génération et l’accumulation de richesses par-dessus les droits humains, il se produit un phénomène que nous appelons la « mainmise des entreprises ». Ce phénomène est observé sur tous les continents et se traduit par l’affaiblissement de l’État et de ses institutions. La force de l’État doit être restaurée et le traité sur les entreprises et les droits humains pourrait y contribuer.

L’instrument international juridiquement contraignant vise à réglementer, dans le cadre du droit international des droits humains, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales. Il cherche ainsi à mettre un frein aux violations de multiples droits humains par les entreprises, tels que les droits à la santé, à la liberté, à la vie privée ou à l’accès à l’information, ainsi qu’à l’impunité avec laquelle elles opèrent et qui leur permet de détruire l’environnement, des territoires, des familles et des communautés entières.

Toutes les entreprises doivent opérer avec une diligence raisonnable en matière de droits humains afin d’identifier, de prévenir, de traiter et de remédier aux abus et aux violations, et ce dans toutes les phases du cycle continu de gestion. Cela inclut aussi l'étape de conception du projet, l’investissement, les opérations, les fusions, les chaînes de valeur et d’approvisionnement, les relations avec les clients et les fournisseurs, et toute autre activité qui pourrait générer des impacts négatifs sur les droits, y compris des territoires. Le traité permet aux États, qui sont les premiers responsables de la protection des droits humains, de mettre les entreprises face à leurs responsabilités et de les surveiller.

Un tel traité international constituerait également un développement unique dans la mesure où il concernerait les activités extraterritoriales des entreprises, par exemple, les activités des entreprises dont le siège social peut se trouver dans un pays du Nord mais qui peuvent avoir des opérations dans le Sud. À l’heure actuelle, dans de nombreux cas et juridictions, les entreprises ne font que s’autoréguler et ne sont pas redevables de leurs abus et violations des droits humains, ni de la destruction de la vie et de la planète. Certains États progressent en matière de réglementations et de politiques, mais il existe encore des lacunes au niveau international. Nous voulons que ce traité comble l’énorme lacune du droit international qui permet aux crimes des entreprises de rester impunis.

 

Quels progrès ont été réalisés dans la négociation du traité ?

Lors de la huitième session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises commerciales dans le domaine des droits humains, qui s’est tenue du 24 au 28 octobre 2022, des développements intéressants ont eu lieu. Bien qu’il n’existe pas de calendrier et de date limite stricts pour la production de la version finale du traité, l’un des experts convoqués par le groupe de travail intergouvernemental pour l’élaboration de l’instrument a proposé 2025 comme année de conclusion des négociations. C’est le délai qui devrait être respecté si les États ont la volonté politique de parvenir à un consensus. Pour l’instant, certains États qui étaient réticents à participer dans le passé se montrent un peu plus intéressés.

Pour l’instant, le projet comporte 24 articles, dont les 13 premiers ont été discutés lors de la dernière session. Les discussions ont porté sur des questions centrales telles que la définition des droits des victimes et leur protection et la définition de l’objet et du champ d’application du traité, à savoir s’il doit inclure uniquement les sociétés transnationales ou également d’autres entreprises. L’État mexicain, par exemple, soutient que cet instrument devrait couvrir toutes les activités qui ont un caractère transnational. Des discussions ont également eu lieu sur la prévention des dommages et l’accès aux réparations, ainsi que sur la responsabilité juridique, la juridiction qui traitera la plainte, les délais de prescription et la coopération judiciaire internationale, entre autres questions.

Certains États ont apporté des contributions pour améliorer le contenu en cours de négociation. En revanche, d’autres États cherchent à minimiser la portée du traité sous certains aspects, par exemple en ce qui concerne la protection des peuples et des communautés autochtones, les garanties environnementales et les droits des femmes et des enfants, entre autres.

Certains États soutiennent les nouvelles propositions du président rapporteur, l’ambassadeur équatorien, mais une grande partie de la société civile considère que, pour la plupart, elles portent atteinte à ce qui a été réalisé au cours des sept années jusqu’en 2021, et affaiblissent le traité. Elles renforcent l’asymétrie de pouvoir entre les États du Nord et du Sud, ainsi qu’entre les entreprises et les individus et communautés titulaires de droits. Le troisième projet révisé est celui que nous reconnaissons comme légitime et sur lequel nous pensons que les négociations doivent se poursuivre.

Quelle est la contribution de la société civile ?

Des dizaines d’OSC font pression pour que le traité soit efficace. Il s’agit notamment de PODER, ainsi que du Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels (Réseau-DESC), qui relie plus de 280 OSC, mouvements sociaux et activistes de 75 pays, et de nombreuses autres alliances, mouvements et articulations tels que l’Alliance pour le traité, Féministes pour un traité contraignant et la Campagne mondiale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des sociétés transnationales et mettre fin à leur impunité.

Bien sûr, il existe une diversité d’opinions dans la société civile sur un certain nombre de questions, mais nous sommes d’accord sur la nécessité de réglementer l’activité des entreprises dans une perspective de droits humains. Nous avons identifié les éléments que ce traité devrait contenir et les conditions de sa mise en œuvre. En outre, nous cherchons à donner un caractère d’urgence à ce processus, qui avance trop lentement, alors que les violations des droits humains et les attaques contre les défenseurs des droits humains ne s’arrêtent pas, mais augmentent chaque année.

La société civile a plaidé auprès des décideurs pour qu’ils ouvrent des espaces de discussion avec la société civile. PODER, ainsi que Réseau-DESC, en particulier, ont insisté sur la participation constructive et proactive des États du Sud dans le processus, et plus particulièrement de l’Amérique latine. Nous travaillons également pour intégrer une perspective de genre et intersectionnelle à la fois dans le processus ainsi que dans le texte ; un exemple a été la proposition d’utiliser la politique étrangère féministe du Mexique.

La société civile part de la conviction qu’il n’est pas possible d’élaborer un traité légitime sans placer la participation des détenteurs de droits - personnes et communautés rurales concernées, peuples autochtones, syndicats indépendants, personnes LGBTQI+ et personnes en situation vulnérable, entre autres - au centre de l’ensemble du processus.

Quelles sont les chances que la version finale du traité réponde aux attentes de la société civile et tienne ses promesses ?

Nous espérons que le traité contribuera à mettre fin à l’impunité des entreprises et que les États assumeront leur obligation de protéger les droits humains face à l’activité des entreprises. Il permettra de prévenir les abus et les violations, de redresser les griefs et de veiller à ce que ces situations ne se reproduisent pas.

Bien qu’il existe des processus établis pour l’élaboration des traités internationaux, il s’agit d’un traité inhabituel qui doit être traité comme tel, et des changements doivent être apportés à la fois au processus et au contenu si nécessaire pour qu’il soit vraiment efficace.

Pour répondre pleinement aux attentes de la société civile, il faudrait un changement de paradigme fondé sur le principe selon lequel les entreprises ont une fonction sociale et que leurs activités ne doivent pas dépasser certaines limites pour une vie digne et un environnement propre, sain et durable. Nous savons que nous ne pourrons pas réaliser toutes nos aspirations avec un traité, ni avec des plans d’action nationaux, des règlements et des normes, même si ceux-ci sont correctement mis en œuvre. Mais toutes ces étapes sont importantes pour tenter de rééquilibrer les relations de pouvoir en limitant le pouvoir que le système économique mondial a donné aux sociétés commerciales.

Il est peu probable que le traité réponde à toutes nos attentes, mais en tant qu'OSC nous avons beaucoup d'exigences et nous demeurerons exigeantes jusqu’au bout. Nous continuerons à apporter des propositions d’experts et de communautés et groupes affectés qui luttent pour la justice et la réparation des préjudices qu’ils subissent de première main, en ouvrant des espaces pour que leurs voix soient entendues et restent au cœur des négociations à tout moment, et en incluant les défenseurs des droits humains et de l’environnement dans les consultations sur le texte.

Ce traité ne doit pas être négocié à huis clos ou exclusivement avec le secteur privé, car cela reviendrait à répéter le même cycle d’opacité et de privilèges qui nous a menés jusqu’ici, et ne ferait que contribuer à maintenir un statu quo insoutenable.

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NATIONS UNIES : « Les questions en suspens dans la négociation du traité sont principalement des discussions politiques »

Fernanda HopenhaymCIVICUS échange avec Fernanda Hopenhaym, présidente du groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme, au sujet du processus d’élaboration d’un traité international contraignant sur les entreprises et les droits humains.

Pourquoi un traité contraignant sur les entreprises et les droits humains est-il si important ?

Le processus d’élaboration de ce traité découle de la conviction qu’un instrument juridiquement contraignant est nécessaire pour codifier les obligations des entreprises et, surtout, pour faciliter l’accès à la justice des victimes de leurs abus. L’objectif est d’intégrer les protections des droits humains dans le contexte de l’activité commerciale.

Un traité international permettrait de transcender les limites juridictionnelles des États. En effet, le capital transnational opère par-delà les frontières. Un très grand nombre d’entreprises dans la plupart des secteurs gèrent des chaînes d’approvisionnement mondiales. Lorsque des abus se produisent quelque part dans ces chaînes, il est très difficile pour les victimes d’accéder à la justice, car nous ne disposons pas de mécanismes de justice qui transcendent les frontières. Les opérations des entreprises sont transnationales, mais la justice ne l’est pas.

Bien entendu, des mesures doivent être prises au niveau national: les États doivent renforcer leur réglementation, améliorer leurs lois et élaborer des politiques publiques et des plans d’action pour garantir une protection efficace des droits humains. Les entreprises doivent également s’engager à améliorer leurs pratiques. Le traité en cours de négociation ferait partie d’un ensemble de mesures qui sont complémentaires, et non mutuellement exclusives.

Le processus d'élaboration du traité a débuté en juin 2014, lorsque le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a créé un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé de négocier et de convenir d’un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales au regard du droit international des droits humains.

 

Quel rôle joue le groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme ?

Le Groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme est une procédure spéciale de l’ONU établie par une résolution du Conseil des droits de l’homme en 2011, avec pour mandat de promouvoir, diffuser et mettre en œuvre les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, de partager et promouvoir les bonnes pratiques et les enseignements tirés de la mise en œuvre de ces Principes directeurs, et d’évaluer et faire des recommandations à ce sujet. Son mandat a été successivement renouvelé en 2014, 2017 et 2020. Il est composé de cinq experts indépendants, pour la plupart des universitaires et avec une représentation géographique équilibrée. Je suis membre du groupe de travail depuis 2021. Les quatre autres membres actuels sont originaires d’Australie, du Nigeria, de Pologne et de Thaïlande. Trois des cinq d’entre nous sommes des femmes.

Bien que nous n’ayons aucun pouvoir de décision sur le traité, le groupe de travail joue un rôle important. Nous participons à presque toutes les sessions de négociation par le biais de tables rondes et de discussions, et nous fournissons des avis techniques. Nous avons commenté les articles et encouragé la participation proactive d’États de différentes régions du monde.

L’une des prémisses des Principes directeurs est de développer des mesures qui puissent être combinées et conjuguées entre elles pour répondre aux problèmes qui existent en matière de protection des droits de humains dans le contexte de l’activité des entreprises. Un instrument juridiquement contraignant est justement une telle mesure.

Le groupe de travail s'est très clairement positionné en faveur du processus de négociation du traité.

Quels progrès ont été réalisés dans le cadre de la négociation du traité ?

Lors de l’entretien que nous avons eu en 2018, le processus durait depuis quatre ans. À cette époque, la quatrième session de négociations sur le "projet zéro" était sur le point de commencer à Genève, et je ne faisais pas encore partie du groupe de travail. Quatre autres années se sont écoulées, et lors de la huitième session en octobre 2022, le troisième projet, qui avait émergé avant les négociations de 2021, a été discuté.

La pandémie a affecté les processus de négociation, en partie parce que les contacts en face à face ont été perdus pendant une longue période. Les représentants et délégués à Genève, par exemple, n’ont pas pu se retrouver en personne pendant plus d’un an, de sorte que les possibilités d’échanges se sont vues fortement limitées. A son tour, la pandémie a affecté la participation de la société civile et d’autres secteurs à ces discussions. Les processus ont été ralentis et donc prolongés.

Actuellement, le troisième projet est toujours en cours de discussion, et l’Équateur, qui préside le groupe de travail intergouvernemental, a apparemment déclaré qu'aucun nouveau projet ne serait mis sur la table, mais que des changements, des modifications et des addenda continueraient d’être apportés à ce troisième projet. Tous ces ajustements finiront par aboutir à un projet final.

Le projet actuel a parcouru un long chemin sur des questions telles que la mention des groupes vulnérables, des femmes, des enfants et des peuples autochtones. Son champ d’application, qui était une question très difficile dans les négociations, a également été clarifié. En général, la société civile tend à se concentrer sur les sociétés transnationales, mais le projet actuel propose que toutes les sociétés soient concernées par le traité. Notre Groupe de travail partage cette position. Un certain nombre de problèmes ont été démêlés, mais il reste encore beaucoup de choses à résoudre.

 

Quelles sont les questions non résolues ?

Il existe de nombreuses discussions qui sont plus politiques que techniques. Certains États et le secteur privé ont déclaré que le texte était trop prescriptif et rigide. La société civile a déclaré qu’elle souhaitait davantage de clarifications et de spécificités sur certaines questions, telles que la définition des tribunaux où les affaires relevant du traité seraient entendues et la prise en compte du point de vue des victimes, la charge de la preuve restant une question controversée. Sur ce point, le Groupe de travail a été très clair : les États ont l’obligation de faciliter l’accès à la justice et de supprimer les barrières et les obstacles à l’accès à la justice pour les victimes.

Si l’Union européenne (UE) et les États-Unis participent à ce processus, ils manquent de conviction sur l’orientation du texte. L’UE est très active, mais je constate des positions divergentes entre ses États membres. De nombreux pays, tels que la France, y sont favorables, mais l’UE dans son ensemble émet des réserves.

L’une des grandes victoires du processus initial a été que la Chine ne l’a pas bloqué, mais s’est abstenue. Il en a été de même pour l’Inde. Cela s’explique en partie par le fait que le traité était censé porter sur les sociétés transnationales. La Chine n’a pas apprécié l’extension du champ d’application du traité à toutes les entreprises, et s’est montrée plutôt fermée ces derniers temps.

Les États africains ont très peu participé aux deux derniers cycles de négociations. Nous pensons que l’Afrique du Sud, qui était codirigeante avec l’Équateur lors de la négociation de la résolution qui a déclenché le processus, est également mécontente de l’élargissement du traité au-delà des sociétés transnationales. L’Équateur a même récemment appelé à la formation d’un groupe d’ « amis de la présidence », dans lequel l’Afrique est la seule région à ne pas avoir de membres participants.

L’Amérique latine participe de manière assez proactive, bien que la région ait connu de nombreux changements politiques, y compris en Équateur même, qui sont susceptibles d’influencer les positions de négociation.

En somme, il y a des discussions techniques sur les articles, mais la plupart des questions en suspens sont principalement des discussions politiques. Pour cette raison, je pense que le processus prendra encore plusieurs années.

Pensez-vous que la version finale du traité répondra aux attentes de la société civile ?

Mon espoir est que nous ne nous retrouvions pas avec un traité qui énonce de bonnes intentions sans fixer de règles claires. Comme dans toutes les négociations de cette nature, certaines des questions que la société civile réclame seront probablement laissées en suspens. Il y a beaucoup de choses à prendre en compte : les perspectives des États, les attentes des entreprises et du secteur privé en général, et les demandes de la société civile et de tous les détenteurs de droits.

Je m’attendrais à un texte assez bon et reflétant d’une certaine manière le caractère du processus, qui s'est accompagné d'une société civile et de mouvements sociaux très forts. De mon point de vue, le processus a été soutenu non seulement par l’engagement des États à négocier, mais aussi par l’impulsion de la société civile et le dialogue entre tous les acteurs.

Mes attentes sont modérées. Avec une certaine prudence quant à la portée des articles, je pense que le traité contiendra des éléments qui satisferont la société civile, notamment les victimes.

Quel travail faudra-t-il faire une fois le traité adopté ?

Pour commencer, je pense qu’il y a un long chemin à parcourir avant que ce traité ne soit adopté. Cela peut prendre encore plusieurs années: il y a encore beaucoup de travail à faire dans les négociations et en termes de contenu du texte.

Une fois le traité adopté, il faudra faire pression pour qu’il soit ratifié. Rappelons que les traités internationaux n’entrent en vigueur que lorsqu’un certain nombre d’États les ratifient, et que seuls les États qui les ratifient sont liés par eux. C’est là que je vois un énorme défi. Espérons qu’une fois que nous serons parvenus à un texte complet et de qualité, le processus de ratification ne sera plus aussi lent et fastidieux.

Pour cela, nous aurons besoin d’une société civile forte qui puisse pousser les États à ratifier le traité afin qu’il entre en vigueur et devienne contraignant pour les pays signataires. Là encore, je m’attends à ce que ce processus soit long et ardu, car la question de la protection des droits humains dans le contexte des entreprises est épineuse, les intérêts en jeu étant nombreux. Ce qui nous attend sera un grand défi pour tous les acteurs concernés.

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HAÏTI : « La société civile doit s’impliquer car les acteurs politiques ne peuvent pas trouver de solution à nos problèmes »

Monique ClescaCIVICUS échange avec Monique Clesca, journaliste, défenseuse de la démocratie et membre de la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise (CRSC), à propos de la crise actuelle en Haïti et des appels à l’intervention étrangère.

La CRSC, également connue sous le nom de Groupe Montana, est un groupe d’organisations et de leaders civiques, religieux et politiques qui se sont réunis au début de l’année 2021. Le groupe a promu l’Accord de Montana à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. Cet accord mettait en place un gouvernement provisoire de deux ans pour succéder à Ariel Henry, le Premier ministre par intérim. De plus, il prévoyait l’organisation d’élections dès que possible, ainsi qu’une feuille de route pour réduire l’insécurité, faire face à la crise humanitaire et répondre aux demandes de justice sociale. Le Bureau de suivi de l’Accord de Montana continue d’assurer le suivi de cette feuille de route.

Quelles sont les causes de la crise actuelle en Haïti ?

Les gens semblent associer la crise à l’assassinat du président Moïse, mais elle a commencé bien avant en raison de plusieurs problèmes sous-jacents. Il s'agit certes d'une crise politique, mais plus profondément on fait face à une crise sociale. Depuis de nombreuses décennies, la majorité de la population haïtienne subit les effets de profondes inégalités. Les écarts sont énormes en termes de santé et d’éducation, d’où la nécessité de justice sociale. Le problème va bien au-delà des questions politiques, constitutionnelles et humanitaires les plus visibles.

Au cours de la dernière décennie, différents gouvernements ont tenté de saper les institutions de l’État afin de faire prévaloir un système corrompu : il n’y a pas eu d’élections transparentes ni d’alternance, avec trois gouvernements successifs du même parti politique. L’ancien président Michel Martelly a reporté à deux reprises les élections présidentielles, gouvernant par décret pendant plus d’un an. En 2016, des allégations de fraude ont été soulevées contre Moïse, son successeur, qui a dissous le Parlement pendant son mandat sans jamais organiser des élections. Il a aussi révoqué plusieurs juges de la Cour suprême et a politisé la police.

Il a également proposé un référendum constitutionnel, qui a été reporté à plusieurs reprises et qui est clairement inconstitutionnel. La Constitution de 1987 énonce les modalités du droit d'amendement, donc en tentant de la réécrire, Moïse a choisi la voie anticonstitutionnelle.

Lorsque Moïse a été tué, Haïti faisait déjà face à la faiblesse des institutions, à la corruption massive, et à l’absence d’élections et de renouvellement de la classe politique qu’il avait accentué. À la suite de son assassinat la situation s’est encore aggravée, car à l'absence du Président s'ajoutait le manque d’opérationnalité de l'organe judiciaire et législatif. Nous avons connu, et continuons de connaître, une véritable crise constitutionnelle.

Ariel Henry, l’actuel Premier ministre par intérim, n’a clairement aucun mandat. Moïse l’a nommé Premier ministre successeur deux jours avant son décès, sans même laisser une lettre de nomination signée.

Qu’a proposé le Groupe Montana pour sortir de cette crise ?

En début 2021 le Groupe Montana s’est fondé sur l'idée que la société civile devait s’impliquer car les acteurs politiques ne pouvaient pas trouver de solution aux problèmes d’Haïti. Un forum de la société civile a donc formé une commission qui a travaillé pendant six mois pour créer un dialogue et tenter de dégager un consensus en s’adressant à tous les acteurs politiques, ainsi qu’aux organisations de la société civile. Grâce à toutes ces contributions, nous avons abouti à un projet d’accord qui a été finalisé et signé par près d’un millier d’organisations et de citoyens : l’Accord de Montana.

Nous avons élaboré un plan composé de deux parties : d'une part un plan de gouvernance et d'autre part une feuille de route pour la justice sociale et l’aide humanitaire, qui a été signée dans le cadre de l’accord. Pour obtenir un consensus avec une participation plus large, nous avons proposé la création d’un organe de contrôle qui jouerait le rôle du pouvoir législatif et d’un pouvoir judiciaire intérimaire pendant la transition. Une fois qu’Haïti aura organisé des élections transparentes, il y aura un organe législatif dûment élu et le gouvernement pourra passer par le processus constitutionnel pour nommer le plus haute juridiction, la Cour suprême. Tel est le modèle de gouvernance que nous avons envisagé pour la transition, dans une tentative de rapprochement à l’esprit de la Constitution haïtienne.

Au début de l’année, nous avions rencontré plusieurs fois Henry afin d’entamer des négociations avec lui et ses alliés. À un moment donné, il nous a dit qu’il n’avait pas l’autorité pour négocier. Il a donc fermé la porte aux négociations.

Quels sont les défis à relever pour organiser des élections dans le contexte actuel ?

Le principal défi est l’insécurité généralisée. Les gangs terrorisent la population. Les enlèvements ainsi que les assassinats sont monnaie courante. Les gens ne peuvent pas sortir de chez eux : ils ne peuvent pas aller à la banque, dans les magasins, ni même à l’hôpital. Les enfants ne peuvent pas aller à l’école : la rentrée était prévue pour septembre, puis a été reportée jusqu’à octobre, et maintenant le gouvernement n'annonce même pas quand elle aura lieu. En outre, il y a une situation humanitaire désastreuse en Haïti, qui s’est d'autant plus aggravée avec le blocage du Terminal Varreux, le principal terminal pétrolier de Port-au-Prince. Cet événement a eu un impact sur l’alimentation en électricité et la distribution d’eau, et donc sur l’accès de la population aux biens et services de base. Au milieu d’une épidémie de choléra, les établissements de santé ont été contraints de réduire leurs services ou bien de fermer leurs portes complètement.

Il y a aussi une polarisation politique et une méfiance généralisée. Les gens se méfient non seulement des politiciens, mais aussi les uns des autres.

En raison de la pression politique et de l’activité des gangs, les mobilisations citoyennes ont été inconstantes. Or depuis fin août, des manifestations massives ont été organisées pour demander la démission d’Ariel Henry. Les gens ont également manifesté contre la hausse des prix du carburant, les pénuries et la corruption. Ils ont aussi clairement rejeté toute intervention militaire étrangère.

Quelle est votre position concernant l’appel du Premier ministre à une intervention étrangère ?

Henry n’a aucune légitimité pour demander une intervention militaire. La communauté internationale peut aider, mais ne peut pas prendre la décision d’intervenir ou pas. Nous devons d’abord avoir une transition politique de deux ans avec un gouvernement crédible. Nous avons des idées, mais à ce stade nous avons besoin de voir cette transition.


L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.

Contactez la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise via sa page Facebook, et suivez @moniclesca sur Twitter.

BURKINA FASO : ‘Pour une grande partie de la société civile, la sécurité est une préoccupation plus urgente que la démocratie’

Kopep DabugatCIVICUS échange sur le coup d’État militaire récent au Burkina Faso avec Kop’ep Dabugat, coordinateur du Réseau de Solidarité pour la Démocratie en Afrique de l’Ouest (WADEMOS).

WADEMOS est une coalition d’organisations de la société civile (OSC) d’Afrique de l’Ouest qui mobilise la société civile afin de défendre la démocratie et de promouvoir des normes démocratiques dans la région.

Qu’est-ce qui a conduit aucoup d’État récent au Burkina Faso, et que faut-il faire pour que la démocratie soit restaurée ?

Le capitaine Ibrahim Traoré, actuel chef de la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso, a invoqué la dégradation continue de la situation sécuritaire pour justifier la prise de pouvoir par les militaires, tout comme l'avait fait son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Or il semblerait que les attaques de groupes armés ont fortement augmenté dans les mois qui ont suivi le premier coup d’État mené par Damiba, en janvier 2022. Les analystes affirment que le Burkina Faso constitue le nouvel épicentre du conflit au Sahel. Depuis 2015, les violences perpétrées par des insurgés djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont entraîné la mort de milliers de personnes et déplacé deux millions d’autres.

Le coup d’État a également révélé la présence d’un schisme au sein de la junte dirigée par Damiba. Le nouveau coup a été orchestré en partie par les mêmes officiers militaires qui avaient participé au coup d’État pour porter Damiba à la tête de l’État. Désormais, ces officiers affirment que Damiba n’a pas cherché à réorganiser l’armée pour mieux faire face aux menaces sécuritaires comme ils s’y attendaient. Au lieu de cela, il est resté fidèle à la structure militaire qui a conduit à la chute du gouvernement du président Roch Marc Christian Kaboré, et a commencé à révéler des ambitions politiques.

La question de la sécurité reste le premier défi à relever pour faire du Burkina Faso un État démocratique. La fonction principale d’un Etat, et plus encore d’un Etat démocratique, est de garantir la sécurité de ses citoyens. Une armée burkinabè unie sera nécessaire pour atteindre cet objectif.

Il reste aussi à mener à bien l’actuel programme de transition accepté par la nouvelle junte, qui vise à mettre en place un régime civil d’ici juillet 2024.

Au-delà de la transition, la nécessité de construire un État et des institutions politiques solides doit être soulignée. Il convient de s’attaquer sérieusement aux problèmes de corruption et de marginalisation économique. La nécessité de renforcer les institutions n’est pas propre au Burkina Faso : elle est essentielle pour toute la région, et en particulier pour les pays qui ont récemment été soumis à un régime militaire, notamment la Guinée et le Mali.

Quelle a été la réaction de la société civile face à ce dernier coup d’État militaire ?

À l’image de la désunion qui caractérise la société civile au Burkina Faso, la réaction de la société civile au coup d’État a été mitigée. Mais une partie notable de la société civile a semblé accueillir favorablement le dernier coup d’État parce qu’elle considérait la junte dirigée par Damiba non seulement comme autoritaire mais aussi comme s'alignant avec les politiciens du régime du président au pouvoir de 1987 à 2014, Blaise Compaoré. Ils craignaient ainsi que ces politiciens reprennent le pouvoir et ferment toutes les portes à la justice pour les victimes du régime Compaoré, ce qui constituait bien entendu un scénario plausible.

Par conséquent, ce dernier coup d'État n'est en aucun cas perçu unanimement par la société civile comme constituant un pas en arrière pour l’agenda de la transition démocratique. De plus, pour une grande partie de la société civile, la sécurité semble être une préoccupation plus urgente et prioritaire que la démocratie, de sorte que l’élément qui a prévalu est l’incapacité apparente de la junte dirigée par Damiba à faire face à la situation sécuritaire.

L’effort des groupes traditionnels et religieux qui ont négocié un accord à sept conditions entre les factions militaires de Damiba et de Traoré, mettant fin à la violence et prévenant le carnage, mérite toutefois d’être salué. Cet effort semble avoir créé une base pour l'engagement constructif entre la junte dirigée par Traoré et la société civile, qui s'est poursuivi avec la participation notable de la société civile à la Conférence nationale du 14 octobre 2022. Celle-ci a approuvé une nouvelle Charte de transition pour le Burkina Faso et a officiellement nommé Traoré comme président de transition.

Quelle est la situation des OSC de défense des droits humains ?

Les OSC burkinabè actives dans le domaine des droits humains et civils sont de plus en plus préoccupées par les représailles contre les politiciens et les civils perçus comme étant pro-français, ainsi que par la recrudescence marquée des groupes pro-russes qui demandent que la France et tous ses intérêts soient chassés du pays.

De plus, les OSC de défense des droits humains et des droits civils s'inquiètent de la stigmatisation et des représailles contre la communité peule, ce qui vient s'ajouter aux préoccupations concernant l’insurrection djihadiste qui sévit dans le pays. Cette stigmatisation découle du fait que de nombreux groupes terroristes recrutent des combattants burkinabés d’origine peule. Des arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires de Peuls en raison de présomptions sur leur complicité dans des actes de violence terroriste ont été signalées. En dehors de ceux-là, aucun autre cas notable de violation des droits humains menaçant les civils n’a été identifié. Par conséquent, même si on n'est qu'au début du mandat de Traoré, on peut du moins déjà affirmer qu'il ne s'agit pas d'une situation d’augmentation des violations systématiques des droits humains.

Comment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a-t-elle réagi au coup d’État militaire ?

Conformément à son Protocole additionnel de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, la réponse initiale de la CEDEAO a été de condamner fermement et sans réserve le coup d’État, le trouvant inopportun à un moment où des progrès avaient été réalisés par la junte dirigée par Damiba pour préparer le terrain aux élections et à la démocratie. La CEDEAO a également demandé à la junte de garantir les droits humains et d’assurer la stabilité.

Malgré les sanctions en cours contre le pays, à la suite de sa rencontre avec M. Traoré, Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger et médiateur envoyé au Burkina Faso par la CEDEAO, s’est déclaré satisfait et a déclaré que la CEDEAO resterait aux côtés du peuple burkinabé. La CEDEAO, comme elle a tendance à le faire, travaillera en étroite collaboration avec la junte militaire pour rétablir l’ordre démocratique. Le calendrier est maintenu et l’échéance reste juillet 2024.

Comment les autres institutions internationales ont-elles réagi, et que devraient-elles faire pour soutenir la société civile au Burkina Faso ?

Les autres institutions internationales ont réagi de la même manière que la CEDEAO. L’Union africaine a condamné le coup d’Etat, le considérant un pas en arrière suite aux progrès déjà réalisés vers la restauration de la démocratie. Le coup d’Etat a également été condamné par les Nations Unies et le Parlement européen.

Si la communauté internationale veut aider les OSC au Burkina Faso, elle doit avant tout soutenir les efforts de la junte pour éradiquer l’insurrection djihadiste qui continue de sévir dans le pays. Elle doit également aider les autorités à faire face non seulement à la crise actuelle des réfugiés, accentuée par les défis liés au changement climatique, mais aussi justement à la crise climatique qui contribue à la propagation de la violence terroriste.

La communauté internationale doit également continuer à faire pression sur la junte pour qu’elle tienne son engagement et qu'elle adhère aux accords conclus par l’ancienne junte avec la CEDEAO, afin de mettre fin à la répression des personnes en raison de leur appartenance politique et ethnique et de libérer toute personne emprisonnée pour des motifs politiques.


 L’espace civique au Burkina Faso est classé « obstrué » par le CIVICUS Monitor.

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Les banques publiques de développement ne peuvent pas traîner leurs pieds lorsqu'il s'agit de construire un avenir durable

Une coalition d'organisations de la société civile demande aux banques publiques de développement (BPD) de prendre des mesures radicales et innovantes pour lutter contre les violations des droits humains et la destruction de l'environnement. Aucun projet financé par les BPD ne devrait se faire au détriment des groupes vulnérables, de l'environnement et des libertés collectives, mais devrait au contraire incarner la voix des communautés, les valeurs démocratiques et la justice environnementale.

Ces demandes, qui font partie d'une déclaration collective signée par plus de 50 organisations de la société civile, interviennent au moment où plus de 450 BPD se réunissent à Abidjan, en Côte d'Ivoire, à partir du 19 octobre, pour un troisième sommet international intitulé "Finance en commun".

La pandémie de COVID-19 et l'urgence climatique, associées aux violations des droits humains et aux risques croissants pour les militants dans le monde entier, mettent encore plus en évidence la nécessité de changer les pratiques actuelles. Alors que les banques publiques de développement traînent les pieds pour s'attaquer aux inégalités croisées et structurelles, les organisations de la société civile prennent des mesures visant à créer des moyens de subsistance dignes en intégrant au développement des mesures positives concrètes en faveur de la justice climatique, sociale, de genre et raciale.

Les BPD ne peuvent pas être réticents à agir. Ils doivent atteindre la cible lorsqu'il s'agit de soutenir la transformation des économies et des systèmes financiers vers la durabilité et de répondre aux besoins les plus pressants des citoyens du monde entier - des systèmes alimentaires au soutien accru à une transition juste vers des sources d'énergie véritablement durables. Les BPD doivent reconnaître que les services publics sont le fondement de sociétés justes et équitables, plutôt que d'encourager leur privatisation et d'entretenir les récits d'austérité.

Neuf personnes sur dix vivent dans des pays où les libertés civiques sont sévèrement restreintes, et avec un militant de l'environnement tué tous les deux jours en moyenne au cours de la dernière décennie, les banques de développement ont l'obligation de reconnaître et d'intégrer les droits humains dans leurs plans et actions, en suivant un devoir de "ne pas nuire".

Les communautés ne peuvent pas être laissées sur le carreau. Il faut leur donner l'espace nécessaire pour jouer le rôle légitime de forces motrices dans les réponses aux défis mondiaux d'aujourd'hui, sans quoi les BPD reculeront plutôt qu'elles n'avanceront - et cela signifie plus de dégradation environnementale, moins de participation démocratique, et pour parler franchement une crise encore plus grande que celle à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. Et personne n'a besoin de cela.

Les recommandations de la déclaration collective de la société civile sont le fruit d'un processus d'engagement et d'échange qui a duré trois ans et auquel ont participé des réseaux de la société civile dans le but de façonner les politiques et les projets du BPD. Vous trouverez ci-dessous certains de leurs mots et messages.

Alors que l'appel à la responsabilité se fait de plus en plus pressant, les sommets "Finance en commun" sont l'occasion pour les BPD de faire preuve de leadership moral et de contribuer à remédier à l'absence de collaboration à long terme avec la société civile, les communautés et les groupes autochtones, qui menace de réduire les récits et les pratiques de développement.

Citations

Oluseyi Oyebisi, directeur exécutif du Réseau nigérian des ONG (NNNGO), le réseau national nigérian de 3 700 ONG, a déclaré : "Les pays du Sahara et du Sahel sont confrontés à la plus grave crise sécuritaire de leur histoire, liée au changement climatique, à la justice sociale et aux inégalités dans la région. Marquée par de fortes vulnérabilités économiques (manque d'opportunités, en particulier pour les jeunes), sociales (limitation de l'accès équitable aux services sociaux de base) et climatiques, la région présente des indicateurs de développement humain parmi les plus bas au monde - même avant la pandémie de covidés. L'accès aux populations affectées est limité dans certaines localités en raison de trois facteurs principaux : la situation sécuritaire, le mauvais état des infrastructures et les conditions géographiques difficiles. Les BPD doivent donner la priorité aux organisations de la société civile et aux initiatives communautaires qui soutiennent les programmes étatiques de décentralisation, de réformes du secteur de la sécurité et de réconciliation. Cela permettra de réduire la vulnérabilité des populations et de prévenir l'extrémisme violent."

Mavalow Christelle Kalhoule, présidente du Forus et présidente de Spong, le réseau des ONG du Burkina Faso a déclaré : "Les projets de développement façonnent notre monde ; de la façon dont nous naviguons dans nos villes à la façon dont les paysages ruraux sont transformés. En fin de compte, ils ont un impact sur la façon dont nous interagissons les uns avec les autres, avec les plantes et les animaux, avec les autres pays et avec la nourriture dans nos assiettes. Les décisions prises par les banques publiques de développement sont donc existentielles. Cette responsabilité s'accompagne d'une responsabilité encore plus grande d'inclure les communautés directement concernées par les projets de développement, celles dont l'air, l'eau et la vie quotidienne sont affectés pour les générations à venir. Pour ce faire, les banques publiques de développement doivent renforcer leurs efforts à long terme pour créer un dialogue avec les organisations de la société civile, les mouvements sociaux et les communautés indigènes afin de fortifier les principes démocratiques de leur travail. Nous les encourageons à écouter, à demander et à coopérer de manière innovante afin que le développement reste fidèle à sa définition originale de progrès et de changement positif ; un processus collectif, participatif et équitable et un mot qui n'a pas de sens pour quelques-uns, mais pour tous."

Tity Agbahey, coordinateur régional pour l'Afrique de la Coalition for Human Rights in Development, a déclaré : "De nombreux membres de la société civile ont exprimé leurs inquiétudes quant à la Finance en commun, considérée comme un espace géré par les élites, qui ne parvient pas à être véritablement inclusif. C'est un espace où l'approche traditionnelle descendante du développement, au lieu d'être remise en question, est encore renforcée. Une fois de plus, les dirigeants des banques publiques de développement réunis à ce sommet prendront des décisions sur des questions clés sans écouter les personnes les plus touchées par leurs projets et les véritables experts en développement : les communautés locales, les défenseurs des droits humains, les peuples indigènes, les groupes féministes, la société civile. Ils parleront de "durabilité", tout en ignorant les protestations contre les politiques d'austérité et l'augmentation de la dette. Ils parleront de "droits humains", tout en ignorant ceux qui dénoncent les violations des droits humains dans le cadre de leurs projets. Ils parleront de "transition verte et juste", tout en continuant à soutenir des projets qui contribuent au changement climatique."

Comlan Julien AGBESSI, coordinateur régional du Réseau des plateformes nationales d'ONG d'Afrique de l'Ouest (REPAOC), une coalition régionale de 15 plateformes nationales de la société civile a déclaré : "Quelle que soit la perception que les pouvoirs publics des différents pays ont d'elles, les organisations non gouvernementales (ONG) contribuent à couvrir les aspects et les espaces non atteints ou insuffisamment atteints par les programmes nationaux de développement. Malgré l'impact indéniable de leurs actions sur les conditions de vie des populations, les ONG restent les parents pauvres des financements des bailleurs de fonds, hormis l'appui de certaines organisations philanthropiques ou caritatives. Dans un tel contexte de raréfaction des opportunités de financement, aggravé par la crise sanitaire due au COVID-19 et la crise économique qui s'en est suivie, le Pooled Finance, qui constitue en fait un changement de paradigme, apparaît comme une bouée de sauvetage pour les OSC. C'est pourquoi le REPAOC se félicite des engagements pris par les Banques Publiques de Développement et les Banques Multilatérales de Développement de soutenir directement les projets et programmes des OSC de la même manière qu'elles le font habituellement avec les gouvernements et le secteur privé. Grâce aux accords de partenariat que nous appelons de nos vœux entre les OSC et les banques, ces dernières peuvent être assurées que les actions qui seront envisagées au profit des communautés rurales et urbaines leur parviendront certainement avec les garanties de responsabilité qu'offrent leurs nouveaux partenaires OSC".

Frank Vanaerschot, directeur de Counter Balance, a déclaré :

"En tant que l'un des organisateurs du sommet "Finance en commun" de cette année, la BEI se vantera des milliards qu'elle investit dans le développement. En réalité, la banque va promouvoir les intérêts commerciaux de l'UE et encourager l'utilisation de l'argent public pour le développement dans les pays du Sud afin de garantir les profits des investisseurs privés. La réduction des inégalités passera au mieux au second plan. La BEI co-organise également le sommet malgré les violations systématiques des droits humains dans les projets qu'elle finance du Népal au Kenya. Au lieu de cela, la BEI et d'autres banques publiques devraient s'efforcer de donner du pouvoir aux communautés locales en investissant dans les services publics nécessaires au respect des droits humains, tels que les soins de santé et l'éducation détenus et gérés par l'État - et non pas en plaçant les profits des entreprises au-dessus de tout."

Stephanie Amoako, Senior Policy Associate chez Accountability Counsel a déclaré : "Les BPD doivent être responsables devant les communautés impactées par leurs projets. Tous les BPD doivent disposer d'un mécanisme de responsabilité efficace pour répondre aux préoccupations liées aux projets et devraient s'engager à prévenir et à remédier entièrement à tout préjudice causé aux communautés".

Jyotsna Mohan Singh, coordinatrice régionale de l'Asia Development Alliance, a déclaré : "Les BPD doivent avoir un noyau normatif ; ils doivent commencer par le cadre des droits. Cela signifie que toutes les garanties doivent être fondées sur les différents cadres de droits qui existent déjà. Il existe des instruments de droits pour les populations autochtones, les personnes âgées, les femmes, les jeunes et les personnes handicapées. Ils font partie intégrante d'un grand nombre de conventions mondiales et régionales. Leur approche doit être ancrée dans ces droits, elle reposera alors sur une base très solide.

Les gouvernements asiatiques doivent soutenir, mettre en œuvre et appliquer des lois et réglementations environnementales strictes pour tous les projets des BPD. La première étape consiste à diffuser des informations publiques et à mener des évaluations d'impact environnemental ouvertes et efficaces pour tous ces projets, ainsi que des évaluations environnementales stratégiques pour les infrastructures et les projets transfrontaliers."

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Liste des signataires.

CAMEROUN : « Le mécontentement de la communauté anglophone doit être abordé à travers des discussions sérieuses avec toutes les parties »

DibussiTandeCIVICUS échange avec l’écrivain et activiste numérique camerounais Dibussi Tande au sujet de la crise actuelle dans les régions anglophones du Cameroun. Le conflit a commencé en 2016 dû à une série de griefs juridiques et éducatifs exprimés par la population anglophone du pays, minoritaire au niveau national mais majoritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.

Dibussi est l’auteur de Scribbles from the Den. Essays on Politics and Collective Memory in Cameroon. Il tient également un blog où il partage des nouvelles et des analyses de la situation au Cameroun. 

Quelles ont été les conséquences humanitaires de l’escalade du conflit au Cameroun ?

Le principal problème humanitaire concerne le déplacement de centaines de milliers de personnes fuyant le conflit. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), en août 2021 on comptait 712 800 personnes déplacées internes (PDI), à savoir déplacées à l’intérieur du pays. Bien que depuis certaines soient retournées, il reste encore plus d’un demi-million de PDI à travers le Cameroun.

Aujourd’hui, les besoins prioritaires des personnes déplacées et des rapatriés sont le logement ainsi que l’accès aux soins de santé, à l’alimentation, à l’eau et à l’éducation. Cependant, l’aide n’a pas été facilement accessible, ce qui explique pourquoi ce conflit a été classé à plusieurs reprises comme l’une des crises de déplacement les plus négligées depuis 2019.

N’oublions pas que l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés compte 82 000 réfugiés camerounais supplémentaires enregistrés au Nigeria. De plus, il y a des millions de personnes piégées dans des zones de conflit et prises entre deux feux, ce qui pourrait conduire vers une crise humanitaire catastrophique.

Que faut-il faire pour désescalader le conflit ?

C’est très simple. Tout d’abord, les parties impliquées dans le conflit doivent être prêtes à oublier l’option militaire, qui n’a jusqu’à présent rien résolu, et à rechercher plutôt une solution pacifique. Il ne peut y avoir de véritable désescalade tant qu’elles n’auront pas donné un sens aux demandes aujourd’hui ridiculisées tendant à un « dialogue national inclusif ». Or celles-ci, sont devenues banales et constituent désormais une excuse pour l’inaction. Cela dit, je pense que la responsabilité incombe en premier lieu au gouvernement camerounais, qui dispose des ressources nécessaires pour au moins entamer un véritable dialogue.

Deuxièmement, la communauté internationale doit revoir son approche au conflit. Jusqu’à présent, toutes les tentatives de médiation internationale, telles que le processus de facilitation suisse dans le cadre duquel le gouvernement suisse a organisé des pourparlers, ont stagné pendant des années ou ont tout simplement échoué. La communauté internationale doit intensifier la pression sur toutes les parties, y compris en menaçant tant avec des sanctions individuelles comme collectives si l’obstination persiste. Sans cette double approche, il n’y aura pas de désescalade à portée du regard.

A quels types de défis la société civile s’affronte-t-elle dans le cadre du plaidoyer pour la paix ?

La société civile est confrontée à de nombreux défis. Tout d’abord, les organisations de la société civile (OSC) ont un accès limité aux zones de conflit. Elles doivent également faire face à une situation délicate entre le gouvernement et les groupes ambazoniens qui luttent pour l’indépendance de l’Ambazonie, un État autoproclamé dans les régions anglophones, dans laquelle chacun des deux camps les accuse régulièrement de soutenir l’autre. Ainsi, même quand la société civile accède aux zones de conflit, elle opère avec des ressources (financières et autres) très limitées.

Cela dit, l’hostilité du gouvernement constitue le principal obstacle à leurs activités. Les OSC locales se plaignent régulièrement d’intimidation et de harcèlement de la part des autorités camerounaises lorsqu’elles tentent de travailler dans les zones de conflit. En 2020, par exemple, le ministre de l’Administration Territoriale a accusé les OSC locales de coopérer avec les OSC internationales pour alimenter le terrorisme au Cameroun. Il a affirmé que ces « ONG téléguidées » avaient reçu 5 milliards de francs CFA (environ 7,4 millions de dollars) pour minimiser les atrocités commises par les groupes séparatistes tout en publiant des informations fabriquées sur l’armée camerounaise.

Les groupes humanitaires internationaux tels que Médecins sans frontières (MSF) ont également subi la colère du gouvernement. En 2020, le Cameroun a suspendu MSF de ses activités dans la région du Nord-Ouest après l’avoir accusé d’entretenir des relations de complicité avec les séparatistes. En mars 2022, MSF a suspendu ses activités dans la région du Sud-Ouest suite à l’arrestation de quatre de ses employés pour avoir prétendument collaboré avec des séparatistes. MSF s’est plaint de la confusion du gouvernement entre l’aide humanitaire neutre, indépendante et impartiale, et la collusion avec les groupes séparatistes.

Quelles étaient les attentes des Camerounais anglophones pour le 1er octobre, proclamé « Jour de l’indépendance » dans les régions anglophones ?

Les Camerounais anglophones avaient différentes attentes en fonction de leur idéologie politique. Pour les indépendantistes, l’objectif est tout simplement l’indépendance de l’ancien territoire sous mandat britannique, le Southern Cameroons. De leur point de vue toute négociation avec le gouvernement doit donc porter sur les modalités pour mettre fin à l’union et non sur la question de savoir si l’union doit continuer.

Mais d’autres segments de la population croient toujours en une république camerounaise bilingue, bien que sous d’autres accords et agencements politiques. Les fédéralistes pensent que les attentes des anglophones seront satisfaites si le pays revient au système fédéral qui existait entre 1961 et 1972. Ce système offrait à l’ancien Southern Cameroons britannique des protections constitutionnelles au sein d’une république fédérale, notamment le droit d’avoir son propre gouvernement, un corps législatif élu, un système judiciaire indépendant, un système de gouvernement local dynamique et le contrôle étatique du système éducatif.

Le gouvernement camerounais n’a accédé ni aux demandes radicales des indépendantistes ni aux demandes comparativement modérées des fédéralistes. Au lieu de cela, il va de l’avant avec une politique de « décentralisation » qui, en accordant un pouvoir symbolique aux régions, finit par ne même pas aborder le soi-disant « problème anglophone ».

Que devrait faire le gouvernement camerounais pour assurer la reconnaissance des droits des Camerounais anglophones ?

Dans un premier temps, le gouvernement devrait abandonner ses politiques palliatives et largement cosmétiques pour résoudre le conflit, car celles-ci ne font qu’ajouter au ressentiment dans la région. Tel est le cas, par exemple, du « statut spécial » accordé aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qui était censé reconnaître leur « particularité linguistique et leur patrimoine historique ». Cependant, cette approche hautement critiquée n’accorde pas le pouvoir d’influencer ou de déterminer les politiques dans des domaines clés tels que l’éducation, la justice et le gouvernement local, où cette « particularité » a le plus besoin d’être protégée.

Les origines historiques et constitutionnelles du mécontentement des communautés anglophones au sein de la république bilingue du Cameroun sont bien documentées. Ce mécontentement doit être abordé par le biais d’une approche holistique qui inclut des discussions sérieuses avec toutes les parties, allant des fédéralistes aux indépendantistes. Le dialogue est un voyage, pas une destination. Il est maintenant temps de commencer ce voyage, même s’il est tortueux, frustrant et difficile, et malgré la méfiance, le ressentiment et l’animosité qui sont profondément ancrés entre les parties.

Comment la communauté internationale peut-elle soutenir la société civile camerounaise et aider à trouver une solution ?

La société civile camerounaise a besoin, entre autres, de ressources financières et matérielles pour fournir adéquatement l’assistance humanitaire aux personnes déplacées ainsi qu’aux personnes vivant dans les zones de conflit. C’est dans ce cadre que la communauté internationale peut participer. Cependant, l’aide internationale est une arme à double tranchant étant donné que le gouvernement camerounais est suspicieux et hostile envers les OSC locales qui ont des partenaires internationaux, et en particulier celles qui critiquent la façon dont le gouvernement a géré le conflit jusqu’à présent. La société civile a également besoin de ressources pour documenter de manière précise et adéquate ce qui se passe sur le terrain, y compris les crimes de guerre et les violations des lois internationales relatives aux droits humains.

Les OSC devront trouver un moyen de convaincre tant le gouvernement comme les groupes ambazoniens, qui se méfient également de leurs activités, qu’elles sont des intermédiaires honnêtes. Si elles parviennent à prouver qu’elles ne sont pas des acteurs partiaux, cela leur permettrait de jouer un rôle central dans la recherche d’une solution au conflit. À ce stade cela représente toutefois une tâche herculéenne, voire impossible. Pour l’instant, la société civile demeurera sur la corde raide entre le gouvernement et les indépendantistes, tout en faisant des promesses qu’elle ne peut pas tenir aux personnes touchées par le conflit.

En ce qui concerne la recherche internationale d’une solution, il y a eu beaucoup plus de tergiversations, tant de la part de l’Union Africaine comme de l’ONU, que de véritables actions. Jusqu’à présent, la communauté internationale a adopté une attitude essentiellement réactive face au conflit. Des déclarations de détresse suivies d’appels creux à un dialogue inclusif ont été publiées après chaque atrocité. Cela s’ensuit par du silence jusqu’à la prochaine tragédie. Les parties sont donc peu incitées au dialogue, surtout lorsque chacune d’entre elles croit, à tort ou à raison, qu’elle prend le dessus sur le plan militaire.

L’espace civique au Cameroun est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.

Prenez contact avec Dibussi Tande sur son site web ou sa page Facebook, et suivez @dibussi sur Twitter.

CAMEROUN : « La communauté internationale n’a pas contribué au traitement des causes profondes de la crise anglophone »

 moniqCIVICUS échange avec la chercheuse et écrivaine féministe camerounaise Monique Kwachou au sujet de la crise actuelle dans les régions anglophones du Cameroun. Le conflit a émergé en 2016 à travers une série de griefs juridiques et éducatifs exprimés par la population anglophone du pays, minoritaire au niveau national mais majoritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.

Monique est la fondatrice de Better Breed Cameroon, une organisation de la société civile (OSC) travaillant sur le développement et l'émancipation des jeunes, et coordinatrice nationale de la section camerounaise du Forum des éducatrices africaines.

Quelles ont été les conséquences humanitaires de l’escalade du conflit dans les régions anglophones du Cameroun ?

La crise dans les régions anglophones du Cameroun a entraîné le déplacement interne de près de 800 000 personnes anglophones, selon le suivi des organisations humanitaires. De nombreuses personnes émigrent également vers d’autres pays en quête de sécurité. Malheureusement, les civils ont été instrumentalisés et utilisés comme une arme. En conséquence la seule manière pour eux de se protéger est de fuir vers des régions plus sûres, à l'intérieur comme en dehors du pays.

De même, de nombreuses personnes sont de plus en plus désespérées et n’investissent plus dans les régions anglophones comme elles le faisaient auparavant. Pour vous donner une idée claire de l’insécurité qui règne actuellement dans les régions anglophones, avant de sortir de chez moi, je dois évaluer les risques et décider si ce que je dois faire en vaut la peine.

Les exécutions illégales et les enlèvements sont désormais monnaie courante et quelque peu normalisés : ils ne nous choquent pas autant qu’autrefois, et il existe une lassitude générale liée au traumatisme qui peut engendrer une apathie dangereuse.

Actuellement, certaines personnes essaient de faire circuler un hashtag à propos d’un enlèvement récent de membres du clergé et de fidèles catholiques dans la région du Nord-Ouest. Les ravisseurs exigent une rançon de 30 millions de francs CFA (environ 45 000 dollars), mais l’Église hésite d’accepter ces demandes, craignant que si les kidnappeurs sont payés une fois, d’autres personnes seront enlevées dans le futur. Pourtant, la plupart des commentaires sur les réseaux sociaux à propos de cette nouvelle soutiennent le paiement de la rançon puisqu’il n’y a rien d’autre à faire. C'est la récurrence de telles histoires qui provoque cette apathie.

Étant donné que les forces de sécurité ont une réputation de violence et qu’elles ont contribué au développement de la crise en brûlant des villages entiers, les gens ne leur font pas confiance non plus.

En tant qu’enseignante, je pense que l’un des impacts les plus tristes de cette crise est au niveau de l’éducation. Pour l’instant, je pense que personne ne bénéficie d’une éducation de qualité. De nombreuses personnes ont émigré vers d’autres régions, notamment vers Douala, la plus grande ville du Cameroun, et Yaoundé, la capitale. En conséquence, les écoles y sont surpeuplées. Le ratio élèves- enseignants a augmenté et la qualité de l’enseignement a baissé. Dans les régions en crise, chaque grève et chaque couvre-feu met en suspens l’avenir des élèves et affecte potentiellement leur bien-être psychologique.

Que faudra-t-il faire pour désescalader la situation ?

Je pense que le gouvernement sait déjà ce qu’il faut faire pour que la situation s’apaise. Edith Kahbang Walla, du parti de l’opposition Parti du Peuple Camerounais, a présenté un processus de désescalade et de transition politique pacifique, étape par étape. Mais le problème est que le parti au pouvoir ne veut pas de transition. Or, vu qu'il semblerait qu'ils prévoient de rester perpétuellement au pouvoir, ils feraient mieux d’apporter des changements qui conviennent à toutes les régions du Cameroun.

Des mesures extrêmes ont été adoptées pour attirer l’attention sur les problèmes rencontrés par les Camerounais anglophones. Les régions anglophones maintiennent les journées de « ville morte » tous les lundis, arrêtant les activités pendant un jour pour protester contre les autorités. Ces jours-là, les écoles ne fonctionnent pas et les entreprises restent fermées. L’objectif initial était de montrer du soutien aux enseignants et aux avocats en grève, mais cette pratique commence à avoir un impact négatif sur la vie des habitants des régions anglophones.

Si le gouvernement envisageait une meilleure stratégie pour négocier avec les sécessionnistes, la situation pourrait être traitée efficacement. Malheureusement, le gouvernement a rendu la négociation impossible depuis le début de la crise en arrêtant les manifestants. Avec qui le gouvernement va-t-il alors dialoguer ? Ils soutiennent qu’ils ne négocieront pas avec les terroristes, tout en oubliant que c'est eux qui ont créé le monstre. Ils doivent reconnaître les causes profondes du problème, sinon ils ne pourront pas le résoudre.

À quels défis la société civile doit-elle faire face en plaidant pour la paix ?

La société civile est doublement victime du conflit en cours. Étant donné que les OSC se concentrent en ce moment sur l'action humanitaire, leurs activités axées sur le développement ont été grandement affectées par la crise et laissées de côté.

D’une part, le gouvernement est en train de saper l’activisme des populations anglophones par le biais d'arrestations et de restrictions de la liberté d’expression, tant sur Internet comme hors Internet. Il est dangereux de dénoncer le gouvernement et l'action des militaires dans les régions anglophones. Par exemple, la journaliste Mimi Mefo a été arrêtée pour avoir fait un reportage sur l’activité militaire et a dû quitter le Cameroun parce que sa vie était menacée.

D’autre part, les militants pacifistes qui préconisent le retour des enfants à l’école sont attaqués par des groupes sécessionnistes qui pensent que ces demandes seront instrumentalisées par le gouvernement. Des hôpitaux ont été attaqués à la fois par les militaires et par les groupes armés sécessionnistes parce qu’ils ont aidé l’un ou l’autre.

Outre le défi du danger auquel les membres des OSC sont confrontés dans le cadre de leur travail, un autre défi est celui de l'articulation de messages pour la paix et la résolution de la crise sans être identifié comme pro-gouvernemental ou pro-sécessionniste. Cela s'accentue par le fait que les médias tentent de dépeindre le conflit comme si c'était tout noir ou blanc. Cela n’a pas été une tâche facile. Les ressources limitées rendent également difficile le travail tendant à la consolidation de la paix.

Comment la communauté internationale peut-elle soutenir la société civile camerounaise ?

Pendant la crise, les organisations humanitaires ont commencé à se rendre visibles dans les régions anglophones. Cependant, l’aide des organisations humanitaires ne répond qu'aux symptômes du problème, et non à sa cause profonde : ce n'est pas une façon de résoudre la crise. Je n’ai pas vu la communauté internationale aider le Cameroun à s’attaquer aux causes profondes du conflit. Ce serait constructif, par exemple, d’aider à tracer la vente d'armes aux deux camps. Nos principaux partenaires internationaux pourraient également utiliser leur influence pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il s’oriente vers un véritable dialogue inclusif et garantisse l’adoption de solutions efficaces à la crise.


 L’espace civique au Cameroun est classé comme « réprimé » par le CIVICUS Monitor.

Contactez Monique Kwachou sur son site internet et suivez @montrelz sur Twitter.

NATIONS UNIES : « L’adoption d’un Traité sur la haute mer solide serait véritablement historique »

EllieHooperCIVICUS échange avec Ellie Hooper de Greenpeace Aotearoa sur le rôle de la société civile dans les négociations en cours en vue de l’élaboration d’un Traité des Nations Unies sur la haute mer. Greenpeace est un réseau mondial d'activisme environnemental comprenant 26 organisations nationales et régionales indépendantes dans plus de 55 pays sur tous les continents, ainsi qu’un organe de coordination, Greenpeace International, basé à Amsterdam, aux Pays-Bas. A travers des manifestations pacifiques et des communiqués créatifs, le réseau dénonce les problèmes environnementaux autour du monde et promeut des solutions permettant de créer un avenir vert et pacifique. 

NATIONS UNIES : « Les négociations du Traité sur la haute mer sont des discussions à huis clos excluant la société civile »

JohnPaulJoseCIVICUS échange avec John Paul Jose sur le rôle de la société civile dans les négociations en cours en vue d’un Traité sur la haute mer de l’Organisation des Nations Unies (ONU). John est un militant de l’environnement et du climat provenant d’Inde. Il est actuellement l’un des jeunes ambassadeurs de la High Seas Alliance (HSA) et membre du Conseil Consultatif sur les Politiques de la Jeunesse de l'Alliance pour un Océan Durable. La HSA est un partenariat entre plus de 40 organisations de la société civile (OSC), ainsi que l’Union internationale pour la conservation de la nature. Elle vise à construire une voix commune forte et des groupes d’intérêt pour la conservation des océans.

Quelle est l’importance du traité proposé ?

Les océans recouvrent 71% de la surface de la Terre, dont 64 % en haute mer. L’océan régule le climat mondial et entretient la vie sur la planète. Il absorbe une grande partie des émissions historiques et cumulatives de carbone : le phytoplancton, les forêts marines et les baleines, en particulier, jouent un rôle important dans le piégeage du carbone dans l’océan. Pourtant, l’océan a été systématiquement ignoré dans les efforts déployés pour lutter contre la crise climatique et la perte de biodiversité, qui se sont concentrés presque exclusivement sur la terre.

La haute mer étant un bien commun mondial, elle est en grande partie régie par l’Organisation maritime internationale, une agence des Nations Unies créée en 1948 chargée de réglementer la navigation, ainsi que par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 et son organe intergouvernemental autonome créé en 1994, l’Autorité internationale des fonds marins.

Or la haute mer est confrontée à des menaces sans précédent, qui n’étaient pas prévues lorsque ces accords ont été conclus, tels que l’accumulation de plastiques, de déchets chimiques et industriels, l’acidification, l’exploitation minière en eaux profondes, le chalutage de fond et, enfin et surtout, les effets globaux du changement climatique. La hausse des températures et la surexploitation des habitats et des espèces marins augmentent le risque d’effondrement des écosystèmes océaniques.

C’est pour cette raison qu’il est urgent d’élaborer un traité mondial sur la biodiversité au-delà des juridictions nationales - un traité sur la haute mer. Ce traité constituerait la base juridique pour la conservation des écosystèmes marins et la protection contre l’extinction d’innombrables espèces encore inconnues. Seul 1% de la haute mer est actuellement protégé, et le traité vise à arriver au 30 % d’ici 2030.

Ce serait l’équivalent de l’accord de Paris pour les océans. Grâce à la conservation marine et à l’utilisation durable des ressources marines, il permettrait de préserver le cycle du carbone. Il contribuerait également, en créant des zones marines protégées, à la restauration des habitats marins et à la reconstitution des ressources marines dont dépendent de nombreuses communautés dans le monde pour leur subsistance. Il contribuerait en outre à la résilience climatique mondiale. Une fois qu’il sera entré en vigueur, de nombreuses pratiques nuisibles à l’océan cesseront d’exister dans les zones protégées.

Pourquoi le processus d’élaboration du traité est-il si long ?

Les négociations ont débuté il y a quinze ans, mais il n’y a pas eu assez de coopération dans de nombreux aspects du traité. Les divergences devraient être résolues entre les sessions afin d’en arriver à un traité qui inclut tous les aspects sur lesquels des accords ont été conclus, tout en laissant de la place pour de futurs amendements au fur et à mesure que les différences sur les éléments les plus contestés soient résolues. De plus, les conférences intergouvernementales devraient être plus fréquentes.

L’un des éléments en cours de discussion est la répartition équitable entre les États des ressources génétiques marines, qui sont essentielles pour les industries pharmaceutiques, cosmétiques, agricoles et autres. L’importance excessive accordée actuellement au partage des avantages est une illusion, car nous n’en savons pas assez sur ces avantages, une grande partie de l’océan étant encore inexplorée. Mais il est incontestable que dix pays représentent le 71 % de la pêche mondiale et ils sont à l’origine du 98 % des brevets déposés sur les ressources génétiques marines en haute mer. La réticence de ces quelques pays de partager les bénéfices, les technologies et les connaissances marines, ainsi que les inquiétudes évidentes que cela suscite chez les pays moins puissants, permettent d’expliquer l’impasse actuelle.

Il a aussi été difficile de s’accorder sur les critères pour évaluer l’incidence sur l’environnement, ainsi que l’implémentation des zones marines protégées. Les intérêts des industries minières en eaux profondes et de la pêche industrielle sont en jeu ici.

Toutefois le processus d’élaboration du traité a connu beaucoup de succès en ce qui concerne la convocation de discussions et de négociations. À l’heure actuelle, plus de 100 États se sont engagés à soutenir le traité dans sa forme actuelle et certains, comme le Costa Rica, montrent l’exemple en faisant avancer les choses au niveau régional, ouvrant ainsi de nouvelles voies pour la conservation des océans.

Il est probable que le traité soit finalisé lors de la prochaine session. Des efforts supplémentaires pour financer les délégations des pays du Sud afin qu’elles puissent faire entendre leur voix et apporter plus d’équilibre dans les négociations sont primordiaux dans ce cadre.

Comment la société civile en général, et la HSA en particulier, ont-elles plaidé pour l’élaboration et l’adoption d’un traité ?

Depuis sa création, le HSA a plaidé pour la protection d’au moins 50 % de l’océan, en impliquant les dirigeants, les experts et la société civile. Nous nous attachons désormais à maintenir la dynamique des conférences intergouvernementales, car il s’agit d’une occasion unique d’élaborer un traité juridiquement contraignant pour protéger la planète en modifiant la façon dont nous gouvernons la haute mer. Ce processus a favorisé la prise de conscience de l’importance de la haute mer, faisant en sorte que des gouvernements qui auparavant n’en étaient pas conscients soutiennent désormais un traité robuste.

Cela dit, il convient de noter que seuls les États sont considérés comme des parties au traité, de sorte que les voix non étatiques n’ont aucune place dans les négociations. Les négociations de traités sont en grande partie des discussions à huis clos qui excluent la société civile et les experts. Beaucoup d’entre nous ne peuvent même pas assister aux négociations en direct et les documents ne sont mis à disposition qu’une fois les discussions clôturées.

Il existe également de nettes inégalités entre les États participants. De nombreux États aux ressources limitées envoient de très petites délégations et n’ont pas l’expertise nécessaire pour participer de manière productive aux discussions. Si la société civile était en mesure d’apporter son expertise au processus, cela ferait une différence pour toutes les parties concernées.

Que peuvent faire les OSC et les militants de l’environnement pour garantir l’adoption du traité ?

Il y a des limites claires à ce que nous pouvons faire pour accélérer l’adoption du traité. Nous pensons qu’il est crucial d’avoir un traité le plus rapidement possible, et qu’il vaut mieux avoir un traité incomplet que de ne pas en avoir. Les États devraient donc avancer sur toutes les questions pour lesquelles des accords ont été conclus et concevoir un processus d’amendement pour intégrer d’autres questions et préoccupations des parties prenantes dans l’avenir.

Les OSC et les activistes peuvent contribuer au processus en apportant des perspectives diverses à la table. Les négociations actuelles étant des discussions fermées entre États dans lesquelles la société civile, les scientifiques et le secteur privé n’ont pas de siège, nous ne pouvons le faire qu’en plaidant auprès des États réceptifs qui ont un siège à la table.

Nous pouvons également faire campagne pour exercer de plus en plus de pression « bottom-up », en intégrant les préoccupations auxquelles le traité tente de répondre dans les discussions du mouvement mondial pour le climat et en faisant participer le grand public. Des ressources telles que le Treaty Tracker de la HSA donnent accès à des informations utiles concernant le traité et les négociations. Ces informations devraient être diffusées dans le monde entier afin de permettre aux gens d’exiger que le traité soit finalisé et que leurs demandes soient prises en compte par leurs propres gouvernements dans le processus d’élaboration de politiques environnementales.

Un traité fournirait une base juridique pour agir, mais même sans traité, les États, les communautés et les entreprises peuvent agir pour protéger la haute mer. De nombreux pays disposent déjà de zones marines protégées au sein de leurs juridictions nationales, et d’autres peuvent être créées avec la participation du public. La société civile doit s’engager dans ces processus, mais ne doit pas être limitée par les frontières nationales. Il est temps pour nous de transcender les frontières et de défendre également les biens communs mondiaux.


 

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NATIONS UNIES : ‘La réglementation environnementale devrait désormais être guidée par une approche fondée sur les droits humains’

Victoria LichetCIVICUS échange avec Victoria Lichet, directrice exécutive de la Coalition du Pacte Mondial, au sujet de la résolution récemment adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) reconnaissant le droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain. La Coalition du Pacte mondial rassemble des organisations de la société civile (OSC), des militants, des artistes, des juristes et des scientifiques qui plaident pour l’adoption du « Pacte mondial pour l’environnement », un projet de traité international visant à consacrer une nouvelle génération de droits et de devoirs fondamentaux liés à la protection de l’environnement et en particulier le droit à un environnement sain.

Quelles sont les implications et la pertinence de la récente résolution de l’AGNU concernant le droit de vivre dans un environnement propre, sain et durable ?

L’adoption d’une résolution sur le droit à un environnement propre, sain et durable par l’AGNU, organe législatif de l’ONU comprenant tous les États membres de l’ONU, est une victoire historique pour la protection de l’environnement. La reconnaissance du droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain universel fait de la protection de l’environnement un aspect essentiel de la protection des droits humains. Intégrant les normes des droits humains dans les questions environnementales, il s’agit d’un pas important vers une approche fondée sur les droits humains dans les litiges environnementaux. l

À la consécration du droit à un environnement sain comme droit universel s'ajoute clairement, dans le préambule de la résolution, le lien entre un environnement sain et les droits humains. L’AGNU reconnaît que « les atteintes à l’environnement ont des effets négatifs, directs et indirects, sur l’exercice effectif de tous les droits humains ».

Bien que les résolutions de l’AGNU ne soient pas juridiquement contraignantes, cette résolution constitue un message politiquement et symboliquement puissant. De plus, la résolution contribuera à la réélaboration et le renforcement de normes, de lois, et de politiques environnementales internationales. À ce titre, elle améliorera nécessairement l’efficacité globale du droit environnemental, privilégiant de nouvelles actions en faveur de l’environnement et du climat. Cela prouve également que le multilatéralisme continue à avoir un rôle à jouer au sein du droit international environnemental.

Quel rôle a joué la société civile dans le processus conduisant à cette résolution ?

Cette résolution a été adoptée des mois de mobilisation des OSC et des organisations de peuples autochtones (OPA), dont la Coalition du Pacte Mondial. La coalition des OSC et des OPA ont pu atteindre les gouvernements par le biais de courriels et de lettres, afin de mieux les informer sur l’importance du droit à un environnement sain. Ceci a été possible surtout grâce au leadership inspirant du rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains et l’environnement, David R. Boyd, et de son prédécesseur, John Knox. Des campagnes sur les médias sociaux ont également été menées dans ce cadre pour informer le public sur le processus.

Le groupe de pays menant cette initiative, composé du Costa Rica, des Maldives, du Maroc, de la Slovénie et de la Suisse, a été très communicatif concernant les étapes importantes de la résolution. Nous sommes très reconnaissants de leur leadership.

Le texte final de la résolution reflète-t-il pleinement les contributions de la société civile ?

Le texte final de la résolution reflète en grande partie les attentes de la société civile. Cela dit, grâce à la négociation, certains États ont pu supprimer quelques paragraphes. Par exemple, le premier projet liait le droit à un environnement sain au droit à la vie et au droit au meilleur état de santé physique et mentale possible. Mais des paragraphes supplémentaires rajoutés dans le projet final incluent « les entreprises et autres parties prenantes concernées » dans l’appel à adoption de politiques visant à renforcer la coopération internationale pour garantir un environnement sain.

Dans l’ensemble, l’objectif principal de la société civile était de consacrer le droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain universel. Cela s’est manifestement reflété dans le texte final, d'où on le considère une victoire historique pour la société civile.

Quelles mesures doivent être adoptées par les États pour rendre effectif le droit reconnu dans la résolution ?

La reconnaissance doit être associée à de fortes et ambitieuses politiques publiques nationales et régionales. Ces politiques doivent mettre en œuvre des mécanismes visant à renforcer les protections environnementales, la protection de la santé, et la jouissance des autres droits humains. Désormais, les États doivent adopter une approche fondée sur les droits humains dans la réglementation environnementale, ainsi que de meilleures politiques en matière d’énergies renouvelables et d’économie circulaire.

Comme l’a affirmé le rapporteur spécial David Boyd, la reconnaissance internationale du droit à un environnement sain devrait encourager les gouvernements à revoir et renforcer leurs lois et politiques environnementales, ainsi qu’améliorer leur mise en œuvre et leur application.

Que doit faire la société civile maintenant ?

La société civile doit maintenant plaider pour des instruments plus forts et plus ambitieux pour protéger l’environnement, notre droit à un environnement sain et les autres droits environnementaux. Maintenant que le droit à un environnement sain a été reconnu au niveau international, nous devons introduire des droits et des devoirs supplémentaires qui nous permettront d’aller encore plus loin dans la protection de l’environnement.

La résolution de l’AGNU pourrait servir de base à un instrument international plus complet concernant le droit à un environnement sain et d’autres droits environnementaux. Nous disposons déjà de modèles ambitieux qui pourraient être utilisés dans ces futures négociations, notamment le Pacte mondial pour l’environnement et le projet de pacte élaboré par l’Union internationale pour conservation de la nature, le plus grand réseau environnemental mondial.

Le passage du « droit mou » au « droit dur » - dans ce cas, de la résolution non contraignante de l’AGNU à une convention sur le droit à un environnement sain - est très courant en droit international. Par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui fait partie de la résolution de l’AGNU sur la "Charte internationale des droits de l’homme" et qui n’est donc pas juridiquement contraignante, a donné lieu à deux traités adoptés en 1966 : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a fallu 18 ans pour intégrer la Déclaration dans deux textes juridiquement contraignants.

Nous espérons qu’il ne faudra pas 18 ans pour parvenir à une convention sur les droits environnementaux, car cela nous amènerait à 2040. Nous ne disposons pas de ce genre de temps. Il est temps d’adopter une telle convention, un « troisième pacte » reconnaissant une troisième génération de droits humains. Après les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux, il est temps de consacrer nos droits environnementaux.

Alors que nous sommes confrontés à une triple crise planétaire et que des personnes meurent déjà à cause d’environnements toxiques et notamment de la pollution atmosphérique, un texte international contraignant sur l’environnement est d’une importance primordiale.


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Présentation des nouveaux président et vice-présidente du conseil d'administration de CIVICUS

Nous avons le plaisir d'annoncer que le conseil d'administration de CIVICUS a élu Dylan Mathews comme président du conseil et Sonia Kwami comme vice-présidente. Cette décision a été prise lors de la première réunion de la nouvelle cohorte du conseil d'administration de CIVICUS, qui a entamé son mandat le 1er juillet 2022.

Dylan Mathews est le directeur général de Peace Direct, une ONG internationale basée au Royaume-Uni qui vise à transférer le pouvoir et les ressources aux organisations de la société civile dirigées localement et travaillant dans certains des pays les plus touchés par les conflits dans le monde. Dylan travaille depuis vingt ans dans les secteurs du développement international, de l'aide humanitaire et de la consolidation de la paix. Il est passionné par la lutte contre les déséquilibres de pouvoir et les problèmes systémiques qui empêchent la société civile locale de jouer un rôle plus actif dans leurs contextes. Bien que né au Royaume-Uni, Dylan est d'origine sri-lankaise, a grandi en Zambie, a vécu dans les Caraïbes et au Soudan et a soutenu des organisations de la société civile dans plus de 20 pays.

"Je suis honoré et reconnaissant d'assumer le rôle de président du conseil d'administration", a déclaré Dylan Mathews. "CIVICUS est pour moi l'organisation de la société civile la plus dynamique et la plus vitale au monde, et je ne peux penser à aucune autre organisation dans le monde qui ait fait plus pour soutenir la société civile à un moment où les libertés sont menacées dans tant de pays. J'ai hâte de travailler avec mes collègues du conseil d'administration pour faire avancer la mission de CIVICUS et sa nouvelle stratégie ambitieuse.

Sonia Kwami est une militante et une spécialiste du développement qui est passionnée par le travail avec divers groupes de personnes pour devenir des agents du changement et des catalyseurs de la justice. Au cours des deux dernières décennies, elle a géré avec succès des programmes de développement, des actions de plaidoyer et des campagnes (en ligne et hors ligne), et a soutenu les efforts de la société civile dans plus de 60 pays, notamment dans le Sud.

"Ce fut un privilège et un honneur de siéger au conseil d'administration de CIVICUS au cours des deux dernières années", a déclaré Sonia Kwami. "Au cours de cette période, j'ai eu l'occasion de faire partie d'un conseil d'administration diversifié, où nous avons contribué à façonner des conversations critiques sur la portée et l'impact du Conseil, tout en travaillant ensemble avec le personnel, les membres et les partenaires de CIVICUS pour identifier les priorités que nous avons adoptées dans le cadre du plan stratégique CIVICUS 2022-27. Je me réjouis de travailler ensemble pour soutenir la société civile dans le monde entier dans mon nouveau rôle de vice-présidente du conseil d'administration."

Sonia est originaire du Ghana et est actuellement directrice des campagnes pour l'Afrique de ONE, un mouvement mondial qui fait campagne pour mettre fin à l'extrême pauvreté et aux maladies évitables d'ici 2030, afin que tous, partout, puissent mener une vie digne et pleine d'opportunités. Dans le cadre de ce travail, elle est responsable de l'élaboration, de la gestion et de la mise en œuvre des campagnes de ONE en Afrique, ce qui implique également de travailler en étroite collaboration avec divers groupes de personnes pour exiger la justice, l'égalité et la redevabilité des gouvernements et des détenteurs d'obligations.

Dans leurs rôles de président et de vice-présidente du conseil d'administration, Dylan Mathews et Sonia Kwami travailleront en étroite collaboration avec Patricia Lerner, qui reste la trésorière du conseil d'administration de CIVICUS.

Pour plus d'informations :

CANADA : « Le pape n’a pas présenté d’excuses claires aux peuples autochtones au nom de l’Église catholique »

Virginie LadischCIVICUS échange avec Virginie Ladisch du International Center for Transitional Justice (ICTJ : le Centre international pour la justice transitionnelle) au sujet des récentes excuses du pape François aux peuples autochtones canadiens et de l’empreinte laissée par la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

L’ICTJ est une organisation de la société civile (OSC) qui travaille en partenariat avec des victimes et survivants afin d’obtenir la reconnaissance et la réparation des violations massives de droits humains, d’obliger les responsables à rendre des comptes, de réformer et de construire des institutions démocratiques et de prévenir que la violence et la répression ne resurviennent.

 

Quelles violations des droits humains commises à l’encontre des peuples autochtones la Commission de vérité et réconciliation a-t-elle révélées ?

Le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada décrit très clairement les violations des droits humains et le génocide culturel résultant du système des « pensionnats indiens », qui a fait l’objet des récentes excuses du pape François.

Les pensionnats indiens et les abus qui y ont été commis sont parmi de nombreuses autres violations des droits humains subies par les populations autochtones au Canada, notamment les violations sexuelles et sexistes à l’encontre des femmes et des filles autochtones, la dépossession des terres, la violation du droit à l’eau potable, les taux d’incarcération disproportionnés, le recours excessif à la force contre les manifestants pour les droits fonciers, les pratiques discriminatoires et le manque d’accès aux services de base, y compris les soins de santé.

Quelle est l’importance des excuses du pape ?

Les excuses du pape constituent une première étape importante dans le processus de reconnaissance et de réparation des torts du passé. Dans ses excuses, le pape a reconnu l’intention assimilationniste du système des pensionnats et les dommages causés en marginalisant systématiquement les populations autochtones, en dénigrant et en supprimant leurs langues et leurs cultures, en arrachant les jeunes enfants de leur foyer, en affectant de manière indélébile leur relation avec leurs parents et leurs grands-parents et en les soumettant à des violences physiques, verbales, psychologiques et spirituelles.

Les derniers pensionnats ayant fermé dans les années 1990, il était important qu’il reconnaisse le préjudice intergénérationnel causé, qui persiste encore aujourd’hui. Cependant, plusieurs survivants ont été déçus de constater que le pape a omis les abus sexuels, très répandus dans les pensionnats indiens, dont les effets demeurent nuisibles pour les survivants et leurs familles.

Bien que le pape ait souligné la nature systématique des préjudices commis à l’encontre des populations autochtones du Canada, ses excuses ont tu le rôle de l’Église catholique dans le système visant à « tuer l’Indien dans l’enfant ». Il a déclaré : « Je suis affligé. Je demande pardon, en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré, même à travers l’indifférence, aux projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée promus par les gouvernements de l’époque, qui ont abouti au système des pensionnats ».

Les paroles du Pape reflètent des excuses personnelles et des excuses au nom des catholiques individuels, mais pas d’excuses claires au nom de l’Église catholique en tant qu’institution. Certes, il est possible d’interpréter ces excuses personnelles comme des excuses au nom de l’Église en tant que le pape est lui-même représentant de l’Église catholique. Cependant, les violations de l’Église catholique à l’encontre des peuples autochtones ont représenté des atteintes systémiques et se sont ancré profondément, d’où il est nécessaire de reconnaître clairement que le système était en faute et qu’il y a eu un effort institutionnel concerté pour assimiler de force les enfants autochtones. Il ne s’agissait pas de l’œuvre de quelques individus malavisés.

Il faut un effort concerté pour démêler les idées colonialistes sous-jacentes du système des pensionnats. qui demeurent à l’origine du racisme persistant aujourd’hui.

Quels devraient être les prochains pas pour l’Église catholique et le gouvernement canadien ?

L’ICTJ reconnaît que les excuses constituent un élément important du processus de justice transitionnelle en raison de leur valeur morale et symbolique significative. Mais pour qu’elles soient significatives, elles doivent être suivies d’actions réelles et de réparations matérielles. Le pape a reconnu cela dans ses excuses et a noté qu’« une enquête sérieuse sur les faits » et des efforts « pour aider les survivants des pensionnats à guérir des traumatismes qu’ils ont subis » seraient essentiels pour éviter que de telles situations ne se reproduisent. En fin de compte, l’importance des excuses du pape dépendra de la manière dont il conduira l’Église catholique à traduire ces paroles en actes.

En ce qui concerne les prochaines étapes, l’Église catholique et le gouvernement du Canada devraient suivre les 94 appels à laction de la Commission de vérité et réconciliation, qui traitent des préjudices durables causés par les pensionnats et appellent tous les secteurs de la société à investir dans des moyens nouveaux et respectueux d’avancer ensemble. Lorsque des informations supplémentaires sont nécessaires, par exemple au sujet des enfants disparus et des tombes non marquées, l’Église catholique devrait ouvrir ses archives et entreprendre une enquête rigoureuse.

Comment l’ICTJ travaille-t-il pour faire avancer les droits des peuples autochtones ?

L’ICTJ travaille aux côtés des victimes et des survivants dans leur quête de justice et veille à ce qu’ils aient leur mot à dire dans les politiques qui les concernent. Nous sensibilisons les gens à leurs droits et soutenons les efforts déployés pour que les auteurs de ces crimes soient tenus responsables, pour découvrir la vérité sur les violations qu’eux-mêmes et leurs communautés ont subies et pour obtenir reconnaissance et réparation.

Nous collaborons également avec des groupes de la société civile, notamment des groupes de femmes, de jeunes et de minorités, qui ont intérêt à construire une société plus juste, plus pacifique et plus démocratique. Ensemble, nous faisons avancer les réformes institutionnelles et les garanties nécessaires pour éviter que ces violations ne se reproduisent.

Au cours des trois dernières décennies, les processus de justice transitionnelle ont représenté un moyen de remédier aux injustices historiques de longue date commises à l’encontre des peuples autochtones dans le monde entier. Les processus et institutions spécifiques associés à la justice transitionnelle, tels que les commissions de vérité, les organes spéciaux de poursuites, la commémoration et les réparations, peuvent ainsi catalyser des changements politiques, sociaux, institutionnels et culturels qui contribuent à la reconnaissance et à la concrétisation des droits des peuples autochtones, tel que souligné dans un rapport que nous avons publié en 2012.

L’ICTJ a œuvré pour faire progresser les droits des peuples autochtones dans différents pays, notamment en Australie, au Canada, en Colombie, au Guatemala, au Pérou et aux États-Unis. Au Canada, il a accompagné la Commission de vérité et réconciliation depuis avant sa création en 2008 jusqu’à la fin de son mandat en 2015.

Reconnaissant l’importance d’impliquer les jeunes dans ce processus de vérité et de réconciliation au Canada, l’ICTJ sest associé à la Commission pour mener des activités d’engagement des jeunes. Les initiatives comprenaient une série de rassemblements pour les jeunes au cours desquelles les participants ont développé les compétences techniques et de communication nécessaires pour mieux engager avec leurs pairs sur les questions autochtones, ainsi qu’un projet vidéo dirigé par des jeunes. Celui-ci concernait l’histoire des pensionnats et la connaissance, ou le manque de connaissance, des jeunes de cette histoire, ainsi que la situation contemporaine des peuples autochtones au Canada.

Comme l’a dit un lycéen d’Edmonton qui a participé à l’un des événements de l’ICTJ, « Nous sommes la prochaine génération. Dans dix ans, nous serons les adultes - les avocats, les premiers ministres. Nous devons nous informer lorsque nous sommes jeunes, et quand nous serons plus âgés, nous pourrons faire en sorte que cela ne se produise plus ».

L’espace civique au Canada est classé « ouvert » par le CIVICUS Monitor. 
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RDC : « La mission de maintien de la paix des Nations Unies a échoué »

CIVICUS échange avec les activistes sociaux Espoir Ngalukiye et Sankara Bin Kartumwa à propos des manifestations en cours contre la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

Espoir et Sankara sont membres de LUCHA (Lutte Pour Le Changement), une organisation de la société civile (OSC) qui défend la dignité humaine et la justice sociale en RDC, et qui a joué un rôle dans les manifestations pacifiques contre la MONUSCO.

LUCHA Lutte Pour Le Changement

Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations anti-MONUSCO ?

La région de l’est de la RDC est confrontée à des problèmes de sécurité depuis plus de trois décennies. Les gens réclament le départ de la MONUSCO car sa stratégie de maintien de la paix a échoué.

La MONUSCO a été déployée pour restaurer la paix en RDC. A ce titre elle devait protéger les civils, faciliter des processus électoraux sûrs, et lutter contre les groupes rebelles. Mais elle est présente dans le pays depuis près de 20 ans et tout le contraire s’est produit : le nombre de groupes armés a augmenté, les gens continuent de vivre dans des conditions dangereuses et, malgré sa présence, des vies innocentes sont encore perdues.

La mission de maintien de la paix avait pour mission d’empêcher tout cela, mais elle a manqué de diligence et s’est avéré inutile. À l’heure actuelle, les niveaux de violence extrêmement élevés poussent de nombreuses personnes à migrer en quête de sécurité. Ce seul fait suffit à prouver que la mission de maintien de la paix a échoué.

De nombreuses personnes dans les communautés locales n’ont pas de bonnes relations avec la MONUSCO parce qu’elles pensent que la mission n’a pas assumé son rôle de protection. Le manque de confiance des civils, à son tour, rend difficile l’exécution du mandat de la MONUSCO. Mais si elle était efficace, les gens ne l’opposeraient pas par le biais de manifestations.

Comment les autorités ont-elles répondu aux demandes des manifestants ?

La réponse immédiate a été la violence, tant de la part de la MONUSCO comme des autorités congolaises. Nous avons vu des personnes blessées et tuées simplement parce qu’elles faisaient partie des manifestations. Les gens sont en colère parce que les problèmes de sécurité durent depuis des années, et la MONUSCO aurait dû s’en douter : ce n’était qu’une question de temps avant que les gens ne commencent à exprimer leur colère envers la mission. La MONUSCO aurait dû trouver des moyens de gérer la situation sans que des personnes perdent la vie. 

Quant aux autorités congolaises, elles ont procédé à des arrestations illégales. La plupart des personnes sont détenues dans de terribles conditions. Nous nous soucions de ce qu’elles obtiennent toutes justice. Nous ne voulons pas qu’elles soient torturées pour s’être battues pour leurs droits.

Le secrétaire général des Nations unies a condamné les violences et a demandé au gouvernement congolais de mener une enquête. Mais les demandes de départ de la MONUSCO n’ont pas été adressées, et les manifestants affirment qu’ils ne cesseront pas de manifester jusqu’au départ de la MONUSCO.

Malheureusement, les autorités congolaises n’ont pas non plus répondu à nos préoccupations. Étant donné qu’elles sont élues et payées pour nous protéger, c’est à elles que nous nous adresserons prochainement. Si elles ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités elles seront tenues redevables. Elles doivent joindre leur voix à la nôtre et demander à la MONUSCO de partir.

Que fait la société civile en général, et la LUCHA en particulier, pour contribuer à l’amélioration de la situation ?

La LUCHA est une OSC qui plaide pour le changement de manière non violente. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de plaider pour le changement sans recourir à la violence. Nos membres ont participé à des manifestations contre la MONUSCO, que nous estimons légitimes et constitutionnelles, et nous exigeons donc également la non-violence et le respect de la loi de la part du gouvernement. Notre pays a une histoire violente, et nous voudrions changer cette trajectoire.

Nous sommes une organisation dirigée par des jeunes qui ont connu la guerre et les conflits et qui veulent voir naitre une société meilleure, ainsi qu’un meilleur avenir pour tous. Nous luttons pour les Congolais et leur accès aux besoins fondamentaux, à commencer par leur droit à un environnement sûr. Nous avons des membres sur le terrain, dans les zones où se déroulent les manifestations, et leur rôle est de surveiller la situation et d’informer sur les événements qui se déroulent.

LUCHA utilise ses réseaux sociaux pour informer les gens en RDC et à l’étranger sur la situation et son impact sur tant de vies innocentes. Nous espérons que cela créera une prise de conscience et poussera les autorités à répondre à nos demandes.

Nos observateurs sur le terrain veillent également à ce que les manifestants ne recourent pas à la violence, mais cela s’est avéré difficile car la plupart des gens sont fatigués et, à ce stade, ils sont prêts à faire tout ce qu’il faut pour obtenir le départ de la MONUSCO, même si cela implique l’usage de la violence.

Que devrait faire la communauté internationale ?

La communauté internationale a été hypocrite et a toujours donné la priorité à leurs propres besoins. Il est regrettable que les événements récents se produisent dans une région de notre pays riche en minerais. De nombreuses personnes puissantes y ont des intérêts et sont prêtes à faire n’importe quoi pour s’assurer qu’ils soient protégés. C’est pour cette raison que si peu de pays se soulèvent contre ce qui se passe.

La géographie nous place également dans une situation désavantageuse. Peut-être que si nous étions en Ukraine, nos voix auraient compté, mais nous sommes en RDC et les acteurs internationaux ne s’intéressent qu’à nos ressources et non à notre peuple. Mais les personnes tuées en RDC sont des êtres humains qui ont des familles, des vies et des rêves, tout comme ceux tués en Ukraine.

La communauté internationale doit comprendre que nous avons besoin de paix et de sécurité, et que la MONUSCO n’a pas tenu ses promesses et doit quitter notre pays. Elle doit écouter la voix du peuple qui est souverain. Écouter le peuple sera le seul moyen de mettre fin aux manifestations. Essayer de les arrêter d’une autre manière conduira à plus de violence et plus de morts.

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CANADA : « Les peuples autochtones les plus marginalisés subissent de sévères violations de leurs droits humains »

Melanie OmenihoCIVICUS parle des droits des peuples autochtones au Canada avec Melanie Omeniho, présidente de Les Femmes Michif Otipemisiwak/Femmes de la Nation Métisse (LFMO).

Fondée en 1999 et constituée en société en 2010, LFMO est une organisation de la société civile qui défend les droits des peuples autochtones au Canada. Cela inclut notamment le droit à l’égalité de traitement, à la santé et au bien-être des femmes, et les droits des personnes de diverses identités de genre et des minorités sexuelles de la Nation Métisse.

Quelle est la situation actuelle des peuples autochtones au Canada ?

D’après notre expérience au LFMO, les personnes autochtones les plus marginalisées subissent d’importantes violations de leurs droits humains. Beaucoup d’entre elles tentent de surmonter des traumatismes et n’ont ni le temps, ni les ressources nécessaires pour faire face au racisme systémique responsable de la violation persistante de leurs droits.

Par exemple, nous avons entendu de nombreuses expériences concernant les difficultés d’accès au système canadien de services d’assistance aux victimes. Dans certaines régions si une personne a déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale, même des décennies auparavant, et que cela reste dans son casier judiciaire, elle peut ne pas être admissible à des services aux victimes. Cette politique a de graves répercussions sur les personnes autochtones qui sont victimes de crimes, y inclus d’agressions sexuelles, et représente une violation de leurs droits.

Au LFMO, nous sommes très conscients de l’expérience du racisme anti-autochtone. Certains d’entre nous sommes attaqués sur la base de notre apparence ou de nos propos dans notre vie quotidienne. Ce qui nous concerne particulièrement est le manque de volonté de catégoriser comme des crimes de haine les attaques physiques contre les femmes autochtones.

Nous encourageons un changement de politiques et de pratiques dans toutes les facettes du système de justice pénale, afin d’identifier les crimes de haine contre les personnes autochtones au lieu de les classer comme des agressions ordinaires. Pour créer un changement et tenir les agresseurs dûment responsables, nous devons faire en sorte que le racisme anti-autochtone soit reconnu comme un crime de haine.

Comment la LMFO travaille-t-elle pour faire avancer les droits des peuples autochtones au Canada ?

La LMFO est l’organisation nationale qui représente les femmes Métisses dans toute la mère patrie de la Nation Métisse. Les Métis sont l’un des trois peuples autochtones reconnus du Canada, avec les Premières Nations et les Inuits. Selon le recensement de 2016, près de 600 000 Canadiens s’identifient comme Métis.

La LMFO défend l’égalité des femmes Métisses, des personnes bispirituelles et des personnes Métisses de diverses identités de genre dans toute la mère patrie de la Nation Métisse – notre mère patrie Métisse. Le terme « bispirituel » a été repris dans les années 1990 pour désigner les personnes autochtones LGBTQI+. Il correspond à un concept ancien dans les communautés autochtones qui désigne une personne qui incarne à la fois un esprit masculin et féminin.

Le LFMO joue un rôle important dans l’amélioration de l’espace social, culturel, économique, environnemental et de leadership (rôles de dirigeance) occupé par les femmes Métisses et les minorités de genre. Notre mission primordiale est d’assurer l’égalité de traitement, la santé et le bien-être de tous les Métis, en mettant l’accent sur les femmes, les jeunes et les personnes bispirituelles et de genre diverse.

Dans le cadre de notre plan stratégique, nous avons 10 objectifs : défendre les priorités et les besoins des femmes de la Nation Métisse, du Canada et du monde entier ; prendre soin de la terre et des eaux ; préserver le savoir traditionnel des femmes Métisses ; promouvoir la justice sociale et l’égalité ; créer des occasions pour les femmes Métisses de développer leurs compétences en leadership ; aider les Métis à mener une vie plus saine et soutenir des communautés saines et dynamiques ; veiller à ce que les perspectives et les priorités des femmes Métisses soient prises en compte dans les initiatives de développement économique, et qu’un soutien soit apporté à leur esprit d’entreprise ; favoriser des espaces d’apprentissage culturellement adéquats, dès la jeunesse et tout au long de la vie, afin d’améliorer les résultats éducationnels pour les enfants, les femmes et tous les apprenants Métis ; élaborer une stratégie de recherche d’informations spécifique aux Métis afin de produire des données désagrégées ; et bâtir une organisation forte, prospère, inclusive, responsable et transparente.

Nous faisons partie d’un mouvement global de groupes de peuples autochtones du monde entier qui luttent et plaident collectivement pour être vus, entendus et reconnus. Plus nous prenons la parole, partageons nos histoires et luttons pour préserver nos traditions et nos cultures, plus nous aurons de chances d’obtenir la reconnaissance de nos droits et la création de politiques qui nous soutiennent et nous protègent.

Comment le gouvernement devrait-il contribuer à l’avancement des droits des peuples autochtones du Canada ?

Nous espérons qu’en transposant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans son droit interne, le gouvernement mettra en œuvre des politiques visant à concrétiser les droits des peuples autochtones, et que les femmes autochtones participeront à ces conversations. C’est en vue de cet objectif que LFMO préconise une approche fondée sur le genre avec une optique intersectionnelle dans l’élaboration des politiques et la co-création de la législation.

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GUINÉE : « L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays »

CIVICUS échange sur l’absence de progrès dans la transition vers la démocratie en Guinée après le coup d’État militaire de 2021 avec Abdoulaye Oumou Sow, responsable de la communication du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC).

Le FNDC est une coalition d’organisations de la société civile et de partis d’opposition guinéens fondée en avril 2019 pour protester contre le projet de révision constitutionnelle de l’ancien Président Alpha Condé pour briguer un troisième mandat. La coalition a continué à lutter pour le retour à un gouvernement constitutionnel après le coup d’État militaire de septembre 2021. Le 8 août 2022, le gouvernement de transition a  en l’accusant d’organiser des manifestations publiques armées, de recourir à la violence et d’inciter à la haine.

Abdoulaye Oumou Sow

Pourquoi tant de retard dans la convocation des élections pour rétablir l’ordre constitutionnel ?

Le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), la junte au pouvoir depuis septembre 2021, est plutôt sur la voix de la confiscation du pouvoir que de l’organisation des élections. Il met tout en œuvre pour restreindre l’espace civique et faire taire toutes les voix dissonantes qui essayent de protester et rappeler que la priorité d’une transition doit être le retour à l’ordre constitutionnel. Il emprisonne des dirigeants et des membres de la société civile et de l’opposition politique pour s’être mobilisés en vue des élections, et vient d’ordonner la dissolution du FNDC sous l’accusation fausse d’avoir organisé des manifestations armées sur la voie publique et d’agir comme un groupe de combat ou une milice privée.

Quelles sont les conditions fixées par les militaires et comment l’opposition démocratique a-t-elle réagi ?

En violation de l’article 77 de la charte de la transition, qui prévoit la fixation de la durée de la transition par accord entre le CNRD et les forces vives de la nation, la junte militaire a de façon unilatérale fixée une durée de 36 mois sans l’avis des forces sociales et politiques du pays. Aujourd’hui, elle s’obstine à n’écouter personne.

Les militaires répriment sauvagement les citoyen.nes qui se mobilisent pour la démocratie et exigent l’ouverture d’un dialogue franc entre les forces vives de la nation et le CNRD pour convenir d’un délai raisonnable pour le retour à l’ordre constitutionnel. N’ayant pas la volonté de quitter le pouvoir, le chef de la junte se mure dans l’arrogance et le mépris. Son attitude rappelle les temps forts de la dictature du régime déchu d’Alpha Condé.

Quelle a été la réaction du public ?

Aujourd’hui la plupart des acteurs socio-politiques se sentent exclus du processus de transition et il y a eu des manifestations pour le rétablissement de la démocratie.

Mais la junte gère le pays comme un camp militaire. Depuis le 13 mai 2002, un communiqué du CNRD a interdit toutes manifestations sur la voie publique. Cette décision est contraire à l’article 8 de la charte de transition, qui protège les libertés fondamentales. Les violations des droits humains se sont ensuite multipliées. L’espace civique est complètement sous verrous. Les activistes sont persécutés, certains arrêtés, d’autres vivants dans la clandestinité. Malgré les multiples appels des organisations des droits humains, la junte multiplie les exactions contre les citoyen.nes pro démocratie.

Le 28 juillet 2022, à l’appel du FNDC les citoyen.nes prodémocratie ce sont mobilisés pour protester contre la confiscation du pouvoir par la junte. Mais malheureusement cette mobilisation a été empêchée et réprimée dans le sang. Au moins cinq personnes ont été tuées par balles, des dizaines ont été blessées et des centaines ont été arrêtées. D’autres ont été déportées au camp militaire Alpha Yaya Diallo, où elles ont été torturées par des militaires.

Parmi les arrêtés aujourd’hui détenus à la maison d’arrêt de Conakry se trouvent le Coordinateur National du FNDC, Oumar Sylla Foniké Manguè, le responsable des opérations du FNDC, Ibrahima Diallo, et le secrétaire Général de l’Union des Forces Républicaines, Saikou Yaya Barry. Ils sont accusés d’attroupement illégal, destruction d’édifices publics et trouble à l’ordre public.

Comment la communauté internationale, et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en particulier, pourrait-elle apporter au mouvement démocratique le soutien dont il a besoin ?

Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire pour la communauté internationale d’accompagner le peuple de Guinée qui est sous le prisme d’une nouvelle dictature militaire.

L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays. Si la communauté internationale, et notamment la CEDEAO, se mure dans le silence, elle favorisera un précédent dangereux dans la région. A cause de sa gestion de la précédente crise générée pour le troisième mandat d’Alpha Condé, les citoyen.nes Guinéens ne croient pas trop à l’institution sous-régionale. Désormais, la force du changement doit venir de l’interne, par la détermination du peuple de Guinée que compte prendre son destin en main.

L’espace civique en Guinée est considéré comme « réprimé » par le CIVICUS Monitor.
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NATIONS UNIES : « Le pouvoir des groupes anti-droits s’accroît ; des temps difficiles nous attendent »

CIVICUS échange avec Tamara Adrián, fondatrice et directrice de DIVERLEX-Diversité et égalité par le droit, au sujet de la fructueuse campagne de la société civile pour le renouvellement du mandat de la personne experte indépendante des Nations Unies (ONU) sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

Tamara Adrián est avocate et professeure d’université, et la première femme transgenre à être élue dans un parlement national en Amérique latine.

DIVERLEX est une organisation de la société civile vénézuélienne qui se consacre à la recherche, à la formation, au plaidoyer et aux litiges stratégiques sur la diversité sexuelle. En raison de la crise humanitaire complexe qui touche le Venezuela, la quasi-totalité de ses dirigeants se trouvent actuellement hors du pays, où ils continuent de travailler pour l’amélioration des conditions de vie des personnes LGBTQI+ en exil.

Tamara Adrian

Pourquoi le mandat de l’expert indépendant des Nations unies sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre est-il si important ?

Il s’agit d’un mandat extrêmement important. L’arme préférée de toute intolérance est l’invisibilisation de certains groupes et la violation de leurs droits. C’est une constante en ce qui concerne les femmes, les peuples autochtones, les minorités raciales et les minorités religieuses. Tant que les intolérants peuvent dire que le problème n’existe pas, les relations de pouvoir restent penchées en leur faveur et rien ne change. Dans le système universel des droits humains, ce que les intolérants veulent garder invisible ne peut être rendu visible que grâce au travail des experts et des rapporteurs indépendants.

Le premier expert indépendant, Vitit Muntarbhorn, a été en fonction pendant moins de deux ans et a produit un rapport sur la violence fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, qu’il a partagé avec le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Il a commencé à mettre en évidence les injustices, les inégalités et les violences dont sont victimes les personnes LGBTQI+ dans tout le monde.

Les trois rapports de l’actuel expert indépendant, Victor Madrigal-Borloz, pointent du doigt de nombreux pays qui manquent à leur devoir de protéger tous leurs citoyens. La Haut-Commissaire aux droits de l’homme elle-même a souligné l’obligation positive des États de garantir l’égalité des droits pour tous et toutes.

Nous sommes conscients qu’il reste beaucoup à faire et que les rapports - de l’expert indépendant, du Haut-Commissaire et des organismes régionaux tels que l’Organisation des États Américains - sont importants pour ce processus.

Si importants sont-ils, en effet, que ces travaux ont suscité une forte réaction de la part de groupes fondamentalistes. Ceux-ci se sont réorganisés sous le format d’« organisations non gouvernementales » et ont cherché à obtenir un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies pour pouvoir intervenir dans ces processus.

Comment ces groupes opèrent-ils au sein de l’ONU ?

Les acteurs anti-droits ont changé de stratégie. Plutôt que de se montrer comme des organisations religieuses, ils ont cherché à se présenter comme des défenseurs de la liberté religieuse et, surtout, de la liberté d’expression. Ils ont promu des stratégies d’unité religieuse, réunissant des fondamentalistes catholiques et des représentants du Saint-Siège avec des fondamentalistes néo-évangéliques et les groupes musulmans les plus rétrogrades.

Ils ont également affiné leurs arguments. Premièrement, ils affirment que le concept d’orientation sexuelle et d’identité de genre est un concept occidental et non universel, et qu’il ne peut donc pas être protégé par l’ONU. Deuxièmement, ils disent qu’il n’existe aucun traité ni instrument international qui protège contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Troisièmement, ils soutiennent que les pays ayant des valeurs traditionnelles devraient avoir la liberté de préserver leurs lois discriminatoires et criminaliser les relations homosexuelles ou les diverses identités de genre.

Ces trois arguments ont été implicitement présents dans l’argumentation des pays qui se sont opposés au renouvellement du mandat de l’expert indépendant ou ont proposé des modifications, de même qu’un quatrième, qui soutient qu’aucun pays ne peut protéger des criminels. Selon cette vision, la détermination de ce qui constitue un acte criminel est soumise au droit pénal de chaque pays et non susceptible d’être vérifiée par le système international des droits humains.

Historiquement, la réponse à ces questions a été fournie par la reconnaissance du fait que chacun a droit à ses propres croyances, et que personne ne peut imposer sa croyance ou priver les autres de leurs droits sur la base de leur foi. Les fondamentalistes cherchent à renverser cette situation afin que les croyants puissent discriminer et refuser des droits aux autres.

Le pouvoir des acteurs anti-droits a-t-il augmenté ces dernières années ?

Le pouvoir des acteurs anti-droits est en hausse, ce qui est peut-être lié à la régression qui a lieu aux États-Unis. En effet, lors du vote pour le renouvellement du mandat, nous avons vu deux groupes de pays qui ont résisté : d’une part, les pays qui n’ont jamais avancé dans la reconnaissance des droits et dans lesquels il y a beaucoup de résistance au changement, et d’autre part, les pays qui reculent, comme les États-Unis.

Aux États-Unis, depuis au moins une décennie, les liens entre le suprémacisme blanc, les groupes néo-pentecôtistes et les secteurs les plus radicaux du parti républicain se sont resserrés. Les groupes anti-droits ont pris de l’espace dans les tribunaux, allant des plus bas à la Cour suprême, ainsi que dans les gouvernorats et les législatures des États, ce qui a donné lieu à de plus en plus de décisions, de lois et de politiques contre les personnes transgenre, l’éducation sexuelle et renforçant la liberté religieuse. Ils n’ont pas caché leur intention de revenir sur le droit à l’avortement, de combattre le concept de genre et de rejeter les droits à l’éducation sexuelle et reproductive et à la contraception, et même les droits des femmes, le mariage pour tous et les protections contre la discrimination raciale.

Les États-Unis ont également joué un rôle clé dans le financement international du mouvement anti-droits et dans le développement de nouvelles églises néo-pentecôtistes dans le monde, notamment en Afrique et en Amérique latine. Ils ont également influencé la formation d’un phénomène auquel on n’a pas accordé suffisamment d’attention : les courant du féminisme fixés sur la biologie, qui nient le concept de genre avec les mêmes arguments que les églises les plus conservatrices.

Cette communauté d’argumentation est très suspecte, d’autant plus lorsqu’on observe les flux de financement en provenance des États-Unis qui alimentent ces groupes au Brésil, en Amérique centrale, en Espagne, au Royaume-Uni ou en République dominicaine. Ces groupes ne ciblent plus les personnes LGBTQI+ en général, mais spécifiquement les personnes transgenre. En affirmant le caractère biologique et naturel des différences, ils cherchent à détruire toute la structure de protection fondée sur le genre.

Honnêtement, il me semble qu’il s’agit d’un plan très réfléchi. Ils ont imité la stratégie que nous avions initialement adoptée pour rendre notre lutte visible, mais ils ont l’avantage d’être au pouvoir. Le nombre de pays qui ont signé une résolution « pro-vie » à l’ONU et se sont déclarés « pays pro-vie » montre que leur objectif n’est plus seulement de s’opposer aux droits des personnes LGBTQI+ mais à tous les droits fondés sur le concept de genre.

Comment la campagne pour le renouvellement du mandat de l’expert indépendant a-t-elle été organisée ?

Les organisations qui ont exercé de la pression pour le renouvellement du mandat sont celles qui travaillent ensemble depuis la campagne pour la nomination du premier expert indépendant. Chaque fois, le processus commence longtemps avant la nomination. Cette fois-ci, nous avons commencé il y a environ trois ans : l’année suivant le renouvellement du mandat, nous travaillions déjà à la création d’un groupe central qui travaillerait vers ce nouveau renouvellement.

Pour les organisations latino-américaines, une limitation récurrente est le manque de connaissance de la langue anglaise, qui restreint la capacité des militants à internationaliser leurs luttes. Pour surmonter ce problème, notre groupe central est composé à la fois de militants hispanophones et de militants anglophones. Cela a été crucial car la coalition était principalement composée de groupes latino-américains.

Le processus s’est avéré très difficile, et si bien le vote a fini par être favorable, les résultats des sessions au fil des mois ne suscitaient pas une grande confiance. Nous avons constaté une résistance croissante de la part des pays plus fondamentalistes, de plus en plus attachés à l’idée de supprimer des droits.

Quelles sont les prochaines étapes après le renouvellement du mandat ?

Je pense que nous ne devrions pas nous détendre. Des temps difficiles nous attendent. De nombreux droits qui semblaient être conquis risquent d’être annulés aux États-Unis, notamment ceux liés à l’égalité raciale. Il ne s’agit même plus de reculer vers une vision du XXe siècle, mais plutôt vers une vision du XVIe ou du XVIIe siècle.

Cela aura un fort impact au niveau mondial, notamment dans les pays dont les institutions sont moins développées. Les pays dotés d’institutions plus fortes pourront certainement mieux résister aux tentatives de renversement des droits sexuels et reproductifs.

Pour les prochaines étapes, je pense que les capacités d’organisation seront primordiales. Souvent et dans divers endroits les gens me disent : « ne vous inquiétez pas, cela n’arrivera jamais ici », mais j’insiste sur le fait que nous ne pouvons pas nous détendre. Nous devons nous concentrer sur la construction de coalitions et l’organisation d’alliances plus fortes pour mettre fin à l’avancée des groupes néoconservateurs et reconquérir les espaces de pouvoir qu’ils ont occupé. 

Contactez Tamara Adrián sur son site web ou son profil Facebook et suivez @TamaraAdrian sur Twitter. 

TUNISIE : « La nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations »

Amine GhaliCIVICUS échange sur le référendum constitutionnel du 25 juillet en Tunisie avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM).

KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui, à travers la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation, promeut la participation de la société civile dans la démocratie et la justice transitionnelle tant en Tunisie comme plus largement dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

Pourquoi le président Kais Saied organise-t-il un référendum constitutionnel le 25 juillet ?

Le changement ou la révision constitutionnelle relèvent du projet privé du président, qu’il n’a annoncé ni lors de sa candidature à la présidence en 2019 ni pendant ses deux premières années au pouvoir. Cela a commencé lorsque le président Saied a révoqué le premier ministre et dissout le Parlement en juillet 2021.

À cette époque, il n’avait même pas annoncé la révision constitutionnelle. Ce n’est qu’en mi-décembre que, sous pression internationale et locale, le président a dû énoncer un plan d’action. En son sein se trouvait une nouvelle Constitution.

Contrairement à la Constitution de 2014, qui reposait sur un consensus large, le processus menant à un référendum constitutionnel n’a pas obtenu le soutien du public. Lors d’une consultation en ligne organisée en début 2022 pour recueillir les avis sur la révision de la Constitution, seul environ le 30 % des interrogés la soutenait. Pourtant, le président a poursuivi le processus de révision constitutionnelle, avec une campagne de référendum encourageant les Tunisiens à voter « oui » pour « corriger le cours de la révolution ».

Dans quelle mesure la société civile a-t-elle participé au processus menant au référendum ?

La société civile a vécu des moments sans précédent ces derniers mois. En ce qui concerne sa position sur la question, elle s’est généralement montrée silencieuse ou favorable.

En juillet 2021, au début de l’abus de pouvoir du président, certains militants de la société civile mécontents à cause des problèmes rencontrés ces dernières années dans le cadre d’une démocratie inefficace, ont vu dans la démarche de Saied une tentative politique de corriger la trajectoire de notre démocratie. L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance.

Mais dès que le président a révélé son intention de modifier la constitution, les partis politiques, les personnes influentes et certains groupes de la société civile ont commencé à s’y opposer. 

La société civile n’est pas constituée d’un seul groupe ou d’une seule position - il existe bien sûr une certaine diversité. Les groupes les plus visibles et les plus influents le critiquent, surtout depuis que le projet de nouvelle Constitution a été communiqué au public ; ils ont compris que son objectif n’est pas de « restaurer la démocratie », mais plutôt de l’attaquer. Maintenant beaucoup tentent d’empêcher le processus de référendum.

Comment la société civile s’est-elle organisée contre le référendum ?

Bien que la réponse de la société civile ait été tardive, elle a récemment utilisé une série de moyens pour s’opposer au référendum. Des coalitions ont été créées, la société civile a publié des prises de position, des conférences ont été organisées.

Certains groupes appellent au boycott du référendum tandis que d’autres tentent de porter une affaire devant les tribunaux, mais celle-ci se mène contre les atteintes à la justice menées par le président : en juin, il a révoqué 57 juges, les accusant de corruption et de protection des « terroristes ». En mode de proteste les juges tunisiens se sont mis en grève et n’ont repris le travail que très récemment.

La Ligue tunisienne des droits de l’homme, une importante OSC, a fait appel au président à retirer sa proposition et à entamer un dialogue plus large avec la société tunisienne.

Dans quelle mesure le référendum pourrait-il être libre et équitable ?

Lors de la transition démocratique en 2011, notre pays s’est efforcé de créer des institutions indépendantes telles que la commission électorale et l’organisme de lutte contre la corruption, entre autres. La Constitution proposée dissout presque tous ces organes indépendants.

Le seul conservé est la commission électorale, dont le président Saied a pris le contrôle en mai en renvoyant ses membres et en en nommant de nouveaux. En février, il a dissout le Conseil supérieur de la magistrature, dont il a licencié les juges en juin. 

Dans ce contexte, l’indépendance de cette « commission indépendante » chargée d’organiser le référendum, ainsi que l’intégrité de l’ensemble de l’élection, doivent être remises en question.

Quelles sont vos attentes quant à ses résultats, et quel impact auront-ils sur la qualité de la démocratie ?

Si l’on examine les derniers sondages sur la cote de popularité du président Saied, on constate qu’il bénéficie toujours d’un énorme soutien public. Mais cela n’est que le résultat de sa politique populiste : le populisme - du moins pendant ses premiers stades- compte de nombreux partisans. Mais une fois que le président populiste ne parvient pas à tenir ses promesses, il perd sa popularité et son soutien. En Tunisie, nous en sommes encore aux premiers stades du populisme.

Malgré sa popularité, je pense que son prochain référendum aura un taux de participation très faible, d’où la légitimité du résultat sera remise en question.

Mais le président et son régime ne se soucient pas de la légitimité. Par exemple, lorsque la consultation nationale a eu lieu il y a plusieurs mois, elle a constitué un échec total en termes de taux de participation. Pourtant, le président Saied s’en est servi pour justifier l’organisation de ce référendum.

Si le référendum est approuvé, il sera suivi d’élections parlementaires en décembre, conformément à son plan d’action ; le parlement a été dissout en avril. Entre-temps, il y aura probablement plusieurs « réformes » et de nouvelles lois. Je crains que la prochaine phase soit assez effrayante car le président a le pouvoir ultime de changer les lois sans aucun contrôle, en l’absence d’un système judiciaire, d’une Cour constitutionnelle et d’un Parlement indépendant.

La démocratie signifie la séparation des pouvoirs, des poids et contrepoids, et la participation, mais tout cela a été annulé par le président depuis juillet 2021. Il a resserré son emprise sur l’ensemble de l’organe exécutif, l’ensemble de l’organe législatif, et même une partie de l’organe judiciaire. Avec une telle attaque contre le pouvoir judiciaire, nous pouvons moins compter sur les juges pour être les ultimes défenseurs des droits et des libertés. La qualité de notre démocratie est vraisemblablement à son pire niveau depuis la révolution de 2010 qui a chassé l’autocrate Zine al-Abidine Ben Ali.

La situation des droits humains s’aggrave avec le déclin de la démocratie. Nous avons été témoins de plusieurs violations des droits humains, dont certaines nous ont rappelé le type d’abus commis pendant les premières années de la révolution. La différence entre cette époque et aujourd’hui est l’absence de toute responsabilité. Le président n’a été tenu responsable d’aucune des décisions qu’il a prises au cours de cette dernière année.

De notre côté, la société civile a condamné ces violations, mais ce n’a pas été suffisant. Nous avons donc essayé de créer un réseau avec divers défenseurs de la démocratie en Tunisie et à l’étranger. Dans la prochaine phase, la société civile continuera sa pression et se mobilisera contre toute déviation de la démocratie, étant donné que la nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations.

Quelle a été la réaction de la communauté internationale ?

Le sentiment partagé est que la communauté internationale a abandonné la Tunisie. Elle a offert une réponse vacillante face à cette attaque contre la démocratie et la perte d’un pays démocratique. La communauté des pays démocratiques ne fait pas beaucoup d’efforts pour garder la Tunisie entre eux.

Beaucoup d’entre nous sommes très déçus par leurs réactions face à la dissolution du Parlement et tout ce qui a suivi, dont le résultat a été un projet de Constitution qui va vraisemblablement annuler la démocratie tunisienne. Mais il n’y a pas eu de réponse solide de la part des amis démocratiques de la Tunisie.

Par ces moyens, ils encouragent le président à commettre davantage de violations. Ces pays font un pas en arrière envers leurs politiques des dernières décennies, donnant la priorité à la sécurité et à la stabilité et les faisant primer sur la démocratie et les droits humains dans notre région.

L’espace civique en Tunisie est considéré comme « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
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TRAITÉ SUR LES PANDÉMIES : « Les États ont une responsabilité commune pour assurer la sécurité du monde et doivent être tenus responsables »

Barbara StockingCIVICUS s’entretient avec Dame Barbara M. Stocking sur la nécessité de développer un nouveau traité sur les pandémies, qui soit ancré dans la solidarité, la transparence, la responsabilisation et l’équité.

Barbara Stocking est présidente du Panel pour une convention mondiale sur la santé publique (Panel for a Global Public Health Convention, PGPHC), ancienne présidente du Murray Edwards College de l’Université de Cambridge, ancienne directrice générale d’Oxfam Grande-Bretagne et ancienne présidente du Panel d’évaluation intérimaire d’Ebola.

Qu’est-ce que le Panel pour une convention mondiale sur la santé publique et qu’est-ce qui a motivé sa création en avril 2021 ?

L’université de Miami a décidé d’interroger des experts du monde entier sur le thème des pandémies, avant que la pandémie de COVID-19 n’éclate. Nous avions besoin de savoir si nous étions préparés à une pandémie et quels étaient les problèmes à résoudre à cet égard. Je faisais partie des experts : en 2015, j’ai présidé le comité Ebola, qui a évalué les performances de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en la matière. Un article résumant l’avis des experts a été publié quelques mois plus tard dans la revue médicale à comité de lecture « The Lancet ».

À ce moment-là, la pandémie de COVID-19 battait son plein, et le président de l’université de Miami, Julio Frank, a suggéré de faire plus que de publier un rapport. Le Panel pour une convention mondiale sur la santé publique a été créé en 2020 pour promouvoir de nouvelles façons de contrôler les épidémies et d’y répondre, et on m’a demandé d’en assurer la présidence.

Le Panel est une coalition de plaidoyer indépendante et de haut niveau. Il compte parmi ses membres d’anciens présidents, tels que Laura Chinchilla du Costa Rica et John Mahama du Ghana, ainsi que l’ancien secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques, Angel Gurría. Ce sont toutes des personnes qui peuvent avoir une influence sur l’OMS, ses États membres et d’autres organes. Nous ne menons pas de campagnes publiques, car nous n’avons ni les moyens financiers ni les ressources humaines requises, mais nous agissons au plus haut niveau politique.

En décembre 2021, l’Assemblée mondiale de la Santé a convenu d’entamer un processus visant à élaborer un traité mondial sur la prévention, la préparation et la riposte en matière de pandémies. Notre panel continuera à suivre de près l’évolution de cette idée pour s’assurer qu’elle permettra d’atteindre les objectifs que nous jugeons nécessaires pour éviter que les épidémies ne deviennent des pandémies.

Quelles sont les insuffisances en matière de riposte à la pandémie de COVID-19 qui ont mis en évidence la nécessité d’un traité ?

La nécessité d’une convention est devenue évidente pour tout le monde à la suite de la pandémie de COVID-19, mais il ne s’agit pas d’une mesure prise uniquement pour faire face à la COVID-19. Au cours des 20 dernières années, tous les rapports ont conclu que nous n’étions pas prêts à faire face à une pandémie, quelle qu’elle soit. C’est ce que la COVID-19 vient de confirmer, de la manière la plus horrible qui soit.

La préparation est une des clés de la solution au problème. Les gouvernements se sont efforcés d’être prêts, mais ils ne l’étaient manifestement pas. Pourquoi en est-il ainsi ? Pour certains pays, le manque de préparation venait d’un manque de ressources, auquel cas nous devons veiller à ce qu’ils aient les moyens de mettre en place des systèmes de surveillance de la santé. Cependant, bon nombre de pays disposant de nombreuses ressources et d’excellents systèmes de santé n’étaient pas prêts non plus à affronter la pandémie. Cela s’explique en partie par le fait que très peu de pays mettent en pratique la préparation en matière de santé publique. Lorsque je travaillais dans le service de santé britannique, chaque hôpital s’entraînait à gérer un incident majeur tous les trois ans. Nous devons adopter la même approche pour la préparation en matière de santé publique. La pratique est essentielle et doit impliquer non seulement les systèmes de santé, mais aussi l’ensemble du gouvernement, car lorsqu’un évènement aussi grave se produit, les ministères et les chefs d’État doivent également être impliqués.

Le public n’était pas non plus préparé. Nous devons nous assurer que nous faisons passer le bon message et que nous faisons participer les communautés, qui, comme nous le savons, ont un rôle si important.

Quand il y n’y avait plus aucun doute sur le fait qu’un virus circulait, sans pour autant connaître la nature exacte de ce virus, et que l’OMS a déclaré l’état d’urgence sanitaire international, peu de choses ont été faites. Février 2020 a été un moment clé pour agir, mais très peu de choses ont été faites.

Bref, tout ceci revient à dire que les individus ne savaient pas comment faire preuve de précaution dans le contexte d’une pandémie, contrairement à beaucoup d’autres cas de figures, pour lesquels on peut se demander si une situation va s’aggraver, puis faire une évaluation réaliste. Mais dans le cas d’une pandémie, surtout au début, on ne sait pas comment le virus va proliférer, et il faut donc agir vite. Or, dans le cas de la COVID-19, les États n’ont pas agi de la sorte. Ils se sont également opposés aux directives de l’OMS en disant que l’OMS « n’avait pas d’autorité ».

L’autre problème est que nous disposons bel et bien de règlements sanitaires internationaux, mais que ceux-ci ne sont pas respectés, et il qu’il n’existe pas de mécanismes d’application et de responsabilisation. Bien sûr, il faudrait également mettre à jour les règlements sanitaires internationaux, mais aussi et surtout faire en sorte que les pays acceptent de se rendre des comptes mutuellement. Il s’agit du concept d’« assurance mutuelle » : pour qu’un État puisse prendre des décisions difficiles, il doit savoir que les autres États feront de même. Cela devrait aider à faire accepter l’idée de responsabilisation.

Il ne sert à rien d’avoir un traité ou une convention sur les pandémies si les individus ne sont pas prêts à rendre des comptes. Mais cet aspect est souvent ignoré car il est difficile à appliquer. Les États sont souverains sur leur territoire et sont responsables de la santé de leurs citoyens, mais ils ont aussi la responsabilité commune de préserver la sécurité du monde. C’est pour cette raison que nous avons besoin d’un traité ou d’une convention.

Comment le traité pourrait-il contribuer à résoudre ces problèmes ?

Les principes d’équité, de transparence et de responsabilisation doivent être intégrés dans ce traité. Nous devons réfléchir à ce qui doit être réglé ou rectifié, car c’est sur cela que nous serons tenus responsables.

En ce qui concerne la préparation, par exemple, les premiers progrès ont été réalisés, mais uniquement par le biais d’évaluations par les pairs des pays, afin de déterminer s’ils sont prêts. Ce système devrait être étendu. Des évaluations indépendantes seraient bénéfiques pour le traité ou la convention. Nous avons besoin d’une instance autre que l’OMS pour effectuer les évaluations de la préparation et de la riposte, ce qui peut se faire dans le cadre d’une structure de traité. L’OMS devrait fixer les normes et apporter son soutien en jouant le rôle d’« ami du pays ». Nous pourrions mettre en place un petit comité. Comme l’OMS dispose de pratiquement toutes les données en la matière, il n’est pas nécessaire de partir de zéro. Il doit s’agir d’un organisme doté de l’expérience et des compétences requises. Il devra peut-être faire rapport, par le biais des structures des traités, aux chefs d’État, qui, nous l’espérons, formeront les conférences des parties chargées de superviser ce traité ou cette convention.

Tous ces éléments peuvent être intégrés. Ils ne réduiront pas les pouvoirs de l’OMS, mais les étendront plutôt.

Comment la société civile a-t-elle participé au processus d’élaboration du traité jusqu’à présent ?

La société civile demande manifestement à avoir plus de poids dans les questions de santé et dans l’élaboration du traité sur les pandémies, et je pense que ce changement est vraiment nécessaire.

Au niveau de l’OMS, la société civile est surtout représentée dans les organes internationaux et auprès des partenaires locaux, qui ont souvent une expérience dans le domaine de la santé – et j’entends « santé » au sens large, y compris la santé mentale.

Lorsque des réunions ont été organisées, la société civile y a activement participé et le cercle des organisations de la société civile (OSC) participantes s’est élargi aux OSC de défense des droits humains, non seulement en raison des libertés entravées par les confinements, mais aussi parce que les gouvernements utilisaient la pandémie comme prétexte pour violer les droits humains. Par conséquent, de plus en plus d’OSC de défense des droits humains ont voulu avoir leur mot à dire dans le traité.

En ce qui concerne la participation au processus du traité lui-même, l’OMS a prévu une catégorie pour la société civile, celle des « observateurs officiels ». Mais la société civile devrait avoir beaucoup plus d’influence sur les discussions. Au plus haut niveau, l’OMS organise des événements de deux jours pour fournir des preuves aux parties prenantes au-delà des États membres. En avril, un événement de deux jours a été organisé, auquel le Panel a participé et présenté son point de vue sur la question. Un autre événement est prévu en juin.

Un autre problème majeur réside dans la gestion centralisée des pandémies. Nous devons impliquer les communautés dans cette gestion, y compris la société civile. La gestion d’une pandémie doit impliquer les personnes et les organisations au niveau local. Cette gestion ne peut pas uniquement reposer sur le gouvernement central, les autorités locales doivent également jouer leur rôle pour coopérer avec ces groupes. 

Étendre la gestion du traité à la société civile serait un véritable défi, car les États membres seront maîtres du traité qu’ils signeront, soit par consensus, soit en le faisant ratifier par le gouvernement. Il faut discuter davantage de la manière dont nous pouvons impliquer davantage la société civile et coopérer avec elle, même s’il y a une conférence des parties.

Quels sont les principaux défis que vous prévoyez dans les années à venir en vue de la mise en œuvre d’un éventuel traité ?

Le premier défi est de produire une convention mondiale sur la santé publique avec un mécanisme solide de responsabilisation. Les États doivent accepter de se rendre des comptes entre eux et au reste du monde. Et même s’il peut être difficile pour les États d’accepter l’idée d’être évalués par des entités indépendantes, nous devons faire en sorte que les évaluations soient réalisées par un organe indépendant. Le travail de cet organe peut être contrôlé par les États, mais il doit pouvoir travailler de manière indépendante.

L’idée de « souveraineté partagée » est toujours difficile à accepter pour les pays. Mais nous sommes une planète et nous avons donc besoin de personnes qui coopèrent. Nous sommes tous interdépendants, nous devons donc avoir la volonté de coopérer et de voir comment nous pouvons construire quelque chose ensemble. Les États vont dans un premier temps s’inquiéter de la perte de leur souveraineté, mais nous devons les aider à comprendre à quel point un tel changement est important, à la fois d’un point de vue moral et dans leur propre intérêt. Il est dans l’intérêt de chacun que les autres adoptent un comportent louable envers les autres. Ce sont là quelques-uns des obstacles que nous devons surmonter pour parvenir à un traité digne de ce nom.

En bref, les États se sont déjà mis d’accord pour élaborer une sorte de traité ou de convention et y travaillent déjà. Mais la question est de savoir s’il s’agira d’un traité efficace. Si tout se passe bien, nous aurons un accord d’ici 2024, et ensuite les pays devraient avoir encore un peu de temps pour le ratifier - ou pas.

Mais il nous faut impérativement profiter de cet élan, car nous devons vraiment être prêts à affronter une autre éventuelle pandémie. Les individus se demandent souvent s’ils devront faire face à une autre pandémie dans les 10 ou 20 prochaines années. Eh bien, franchement, la réponse est que nous pourrions en avoir une autre dès l’année prochaine. Il y a une réelle urgence en la matière, car les habitats changent et les animaux et les êtres humains vivent de plus en plus en proximité les uns des autres.

Je vois que tout le monde se relâche un peu depuis que la COVID-19 semble être quelque peu sous contrôle. Mais malgré les progrès, nous ne devons pas dormir sur nos lauriers. Car il est presque certain que nous devrons faire face à une autre pandémie dans le futur. La seule chose que nous ignorons encore, c’est quand.

Prenez contact avec le Panel pour une convention mondiale sur la santé publique via son site web.

ALGÉRIE : « Les autorités arrêtent les défenseurs des droits humains pour étouffer la société civile »

Rachid AouineCIVICUS évoque la situation des droits humains et des libertés civiques en Algérie avec Rachid Aouine, directeur de l’organisation SHOAA for Human Rights.

SHOAA for Human Rights est une organisation de la société civile (OSC) indépendante dont le but est de soutenir et de protéger les droits humains en Algérie. Fondée en 2020 et basée à Londres, au Royaume-Uni, elle fait un travail de sensibilisation à la question des droits humains et surveille, répertorie et dénonce les exactions commises contre les citoyens par les personnes au pouvoir.

Quelle est la situation actuelle en matière de droits humains et d’espace civique en Algérie ?

En raison de l’escalade des pratiques répressives de la part des autorités algériennes, la situation en matière des droits humains est extrêmement préoccupante. Les arrestations arbitraires se sont multipliées, ciblant des journalistes, des défenseurs des droits humains, des militants de la société civile et des militants politiques associés à des partis politiques liés au mouvement de protestation du Hirak. Tous se font arrêter pour avoir exercé leurs droits de liberté d’association, d’expression, de croyance et de réunion pacifique. Au cours des derniers mois, ils ont été incriminés comme jamais auparavant.

Les autorités poursuivent injustement des personnes pour leur association présumée avec les mouvements d’opposition politique, à savoir « Rachad » et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, qui ont été qualifiés en mai 2021 d’organisations terroristes par le Haut Conseil de sécurité, un organe consultatif présidé par le président algérien. Le Haut Conseil de sécurité a imputé à ces organisations la responsabilité des incendies de forêt dévastateurs qui ont ravagé le nord-est de l’Algérie en août 2021 et l’assassinat du militant et artiste Djamel Bensmaïl, alors qu’il était en garde à vue. Il a annoncé qu’il intensifierait ses efforts pour arrêter les membres de ces organisations jusqu’à leur « éradication totale ».

Depuis le début de l’année 2021, les poursuites sous de fausses accusations de terrorisme se sont multipliées de manière alarmante. Pour les personnes reconnues coupables de ces accusations, le code pénal dicte des peines allant d’un an de prison à l’emprisonnement à vie et à la peine de mort.

Bien entendu, les garanties de procédure et de procès équitable des personnes arrêtées et poursuivies ont systématiquement été violées.

Une nouvelle vague d’arrestations a commencé en février 2022. Pourquoi les autorités ciblent-elles les défenseurs des droits humains en si grand nombre ?

Les autorités algériennes arrêtent les défenseurs des droits humains pour étouffer la société civile. Les défenseurs des droits humains sont la seule limite à leur pouvoir, car ils sont les seuls à défendre et à promouvoir les droits humains en Algérie. Leur élimination permettrait de mettre fin dans la pratique aux flux d’informations concernant les violations des droits humains au reste du monde.

Plutôt que de résoudre les problèmes que la société civile dénonce, les autorités s’en prennent à ceux qui prônent le changement, car elles considèrent le changement comme une menace et une limite à leur pouvoir. Pour dissimuler les violations continues des droits humains, elles ont recours à une répression systématique, ciblant spécifiquement les défenseurs des droits humains et la liberté d’expression.

Trois ans après les manifestations du Hirak, les autorités continuent de restreindre les manifestations. Quelles tactiques de répression utilisent-elles ?

En effet, trois ans après que le Hirak (qui signifie « mouvement » en arabe) a fait pression de manière pacifique pour un changement politique et a contraint le président Abdelaziz Bouteflika à démissionner, au moins 300 militants, dont beaucoup sont associés au Hirak, sont détenus par les autorités.

Par le biais de décrets présidentiels, les autorités algériennes ont récemment promulgué une nouvelle législation hostile aux libertés d’expression et de réunion. En juin 2021, le code pénal a été modifié par décret présidentiel, ce qui a abouti à l’élargissement d’une définition déjà trop large de la notion de terrorisme. Des personnes sont désormais accusées d’infractions, telles que « l’offense aux organismes publics », « la diffusion de fausses informations », « l’appartenance à un groupe terroriste », « l’apologie du terrorisme » et « la conspiration contre la sécurité de l’État ». Une publication sur Facebook peut entraîner des accusations telles que « l’utilisation des technologies de l’information pour diffuser des idées terroristes » et « la diffusion d’informations susceptibles de nuire à l’intérêt national ». Même un simple envoi de fonds est considéré comme un acte de trahison.

Tous les défenseurs des droits humains et les avocats qui tombent sous le coup de ces nouvelles lois, en particulier les articles 87 bis et 95 bis du code pénal, sont automatiquement visés par des accusations vagues, telles que « l’atteinte à l’unité nationale », et par de fausses accusations liées au terrorisme. Malgré la présentation de preuves de leur innocence par leur défense, les autorités judiciaires imposent les verdicts souhaités par les autorités.

Les autorités accusent également les OSC pro-Hirak de mener des activités soi-disant contraires aux objectifs énumérés dans la loi sur les associations et dans leurs propres statuts. C’est ainsi que certaines de ces OSC ont été dissoutes, notamment le Rassemblement Action Jeunesse et l’association culturelle SOS Bab El Oued, dont le président a été condamné à un an de prison pour « atteinte à l’unité nationale et à l’intérêt national », en lien avec les activités de l’association.

Les militants politiques et les dirigeants des partis liés au Hirak sont également sanctionnés pour des « délits » tels que « l’appel à un rassemblement », et les partis sont accusés de ne pas respecter la loi sur les partis politiques en organisant « des activités en dehors des objectifs fixés dans ses statuts ». C’est ce qui s’est passé, par exemple, après que plusieurs militants se sont réunis pour discuter de la création d’un front uni contre la répression.

Que faut-il changer en Algérie ?

La société civile doit être préservée tant qu’il en reste quelque chose. Elle joue un rôle majeur dans tout mouvement en faveur du changement. Lorsque les OSC sont absentes ou dissoutes, les personnes se retrouvent sans protection ni conseils. Cela est particulièrement vrai s’agissant des efforts de lutte contre la violence et les violations des droits humains : lorsqu’il n’y a pas d’OSC, les personnes ne sont pas renseignées sur les mesures à suivre pour faire valoir leurs droits et les violations des droits humains ne sont pas comptabilisées. Les associations, centres et organismes de la société civile sont essentiels pour encadrer le mouvement de protestation - pour lui donner une structure, une stratégie et un objectif.

Si rien n’est fait, les autorités continueront à réprimer la société civile indépendante et la situation des droits humains s’aggravera. Si rien n’est fait, l’objectif de la démocratie et du respect des droits humains s’éloignera de plus en plus, jusqu’à devenir complètement hors de portée.

Comment la société civile internationale peut-elle soutenir la société civile algérienne dans sa lutte pour les droits humains et les libertés démocratiques ?

La société civile algérienne ne peut atteindre ses objectifs à elle seule ; elle a besoin de la coopération et du soutien de la communauté internationale. Pour lutter contre les violations des droits humains et promouvoir les libertés démocratiques en Algérie, la société civile nationale doit établir des rapports de coopération et travailler conjointement avec les organisations internationales.

La société civile algérienne peut développer une stratégie efficace en ouvrant des lignes de communication internationales et en devenant une source majeure d’informations sur la situation réelle des droits humains sur le terrain. En s’appuyant sur ces informations, les organisations internationales peuvent contribuer à activer les mécanismes internationaux de surveillance et faire pression sur les autorités algériennes pour qu’elles changent.

L’espace civique en Algérie est classé comme « réprimé » par le CIVICUS Monitor.
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HAÏTI : « La communauté internationale ne s’est jamais attaquée aux causes profondes de la crise »

NixonBoumbaCIVICUS s’entretient avec Nixon Boumba, militant des droits humains et membre du Kolektif Jistis Min nan Ayiti (Collectif pour la justice minière en Haïti), sur la situation politique en Haïti après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Formé en 2012, le Collectif pour la justice minière en Haïti est un mouvement d’organisations, d’individus et de partenaires de la société civile haïtienne qui font pression pour la transparence et la justice sociale et environnementale face à l’intérêt international croissant pour le secteur minier haïtien. Il sensibilise les communautés touchées aux conséquences de l’exploitation minière dans cinq domaines : l’environnement, l’eau, le travail, l’agriculture et la terre.

TUNISIE : « La société civile n’est pas encore directement menacée, mais nous pensons que notre tour arrivera »

Amine GhaliCIVICUS s’entretient des perspectives de démocratie en Tunisie après le coup de force du président de juillet 2021 avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM). KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui vise à promouvoir la contribution de la société civile à la démocratie et à la justice transitionnelle en Tunisie et dans la région, par la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation.

Quelle a été la position de la société civile tunisienne face au coup de force du président Kais Saied ?

En juillet dernier, le président Saied a limogé le premier ministre et suspendu le parlement, tout en promettant un processus de révision constitutionnelle. Depuis lors, il s’est octroyé des pouvoirs étendus et a supprimé les contrôles sur ce pouvoir.

Les réactions ont été variées, car la société civile tunisienne a toujours été très diverse. Une partie a soutenu les actions de Saied, ou du moins les a vues d’un bon œil, tandis qu’une autre s’y est complètement opposée. D’autres personnes ont été plus sélectives au sujet de ce à quoi elles s’opposent : peut-être n’étaient-elles pas satisfaites de l’arrangement politique précédent ou même de l’actuel, mais pensaient néanmoins que les actions de Saied ouvriraient de plus grandes opportunités de changement et de réforme.

Une diversité similaire a été visible dans la société en général, mais nous n’avons pas connu de polarisation malsaine parce que les gens ne se sont pas divisés entre des positions aux deux extrémités du spectre.

Et bien que je ne dispose pas de véritables chiffres ou statistiques, j’ai récemment remarqué une opposition croissante de la société civile face aux événements de juillet. Au début, il y avait une sorte d’euphorie, mais maintenant, la société civile est plus critique sur ce qui s’est passé, peut-être parce que les gens ont commencé à remarquer que Saied n’a pas encore tenu ses promesses.

Qu’est-ce qui a fait évoluer les positions de la société civile ?

L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance, ce qui ne s’est pas encore produit. En outre, il a pris des mesures et des décisions qu’il n’a pas annoncées le 25 juillet. Ses actions - principalement contre le parti Ennahda et d’autres partis politiques importants - étaient initialement conformes à la Constitution, mais il a ensuite commencé à agir contre la Constitution et à inverser les étapes de notre transition démocratique.

Selon le discours officiel, repris par certains acteurs politiques, notre Constitution actuelle est si mauvaise que nous en nécessitons une nouvelle. Mais à mon avis - et à celui de la société civile - elle n’est pas si mauvaise. Plus important encore, le processus d’élaboration de la Constitution à la suite des soulèvements de 2010 a fait l’objet d’un large consensus, et la nouvelle Constitution a été approuvée par beaucoup plus que la majorité requise des deux tiers de l’Assemblée nationale constituante - elle a reçu les voix de 200 députés sur 217. Mais maintenant, nous semblons passer d’un processus participatif à un processus restrictif.

En termes de gestion électorale, il est difficile de savoir si les prochaines élections et le référendum seront organisés par un organisme indépendant. De plus, Saied a remis en question un autre acquis démocratique majeur, l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Comment la société civile a-t-elle réagi à la feuille de route que le Président Saied a dévoilée en décembre 2021 ?

Je pense que c’est la pression exercée par la société civile, les partis politiques et la communauté internationale qui a poussé le président à définir une feuille de route à la mi-décembre. Pendant les trois ou quatre premiers mois qui ont suivi la suspension du Parlement, il s’y était opposé.

Une partie au moins de la société civile continuera à plaider pour que des mesures plus nombreuses et plus efficaces soient incluses dans la feuille de route, notamment une élection présidentielle, que nous pourrions être amenés à organiser puisque la feuille de route prévoit la rédaction d’une nouvelle Constitution, qui entraînera une nouvelle répartition des pouvoirs entre le président et le chef du gouvernement. Nous ferons également pression pour une approche plus participative, car l’organisation d’un référendum sur la Constitution n’est pas suffisante, dans la mesure où elle ne permettra aux gens que de répondre à une question par oui ou non.

Ce sont des points qui seront probablement soulevés dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Nous avons des OSC fortes travaillant sur les élections, qui se réunissent déjà pour discuter de la manière de maintenir la commission électorale comme acteur principal, et de celle d’aborder le passage du vote pour des listes au vote pour des individus, comme annoncé par les partisans du président.

Je m’attends à ce que nous assistions bientôt à la formation de nouvelles coalitions pour agir sur le nouvel agenda politique. En fait, certaines de ces coalitions se sont déjà formées, incluant des éléments de la société civile et politique, comme Citoyens contre le coup d’État. D’autres coalitions de la société civile travaillent à l’amélioration des mécanismes de protection des droits humains. À mon avis, cette nouvelle dynamique va se développer au cours des prochains mois.

Y a-t-il des possibilités d’engagement de la société civile autour du prochain référendum constitutionnel ?

Malheureusement, l’une des principales caractéristiques de ce nouveau système de gouvernance est le manque de consultation, non seulement avec la société civile mais aussi avec les partis politiques. Jusqu’à présent, l’espace réservé au processus de consultation n’a pas été assez large. L’une de ses caractéristiques est la consultation en ligne, qui n’est pas le type de consultation auquel nous nous sommes habitués ces dix dernières années.

Même si beaucoup de choses n’ont pas fonctionné comme elles étaient censées le faire, il y avait au moins une forme de consultation, une forme de donnant-donnant, entre les politiques et la société civile, les experts et la communauté internationale. Cet écosystème que nous avions autrefois n’existe plus. Les OSC feront pression pour obtenir de meilleures formes de coopération entre les décideurs et la société civile.

Quelle pression subit l’espace civique en Tunisie ?

L’espace civique se réduit. Bien que la société civile ne soit pas encore directement menacée, nous pensons que notre tour va arriver. Nous avons remarqué que les décideurs tunisiens détestent les corps intermédiaires. Ils ont donc fermé le parlement, attaqué le système judiciaire et boycotté les médias. Nous sommes probablement les prochains sur leur liste, nous devons donc être très vigilants. Des rumeurs circulent selon lesquelles les politiciens introduiront des changements juridiques qui affecteront les OSC, ce que nous n’accepterons pas. Nous devons défendre l’espace civique tant que nous avons encore un peu d’espace pour interagir avec les décideurs en l’absence du parlement, le corps intermédiaire traditionnel.

Les récentes arrestations d’opposants politiques s’inscrivent-elles dans une tendance inquiétante ?

Nous n’avons pas connu d’arrestations massives d’opposants politiques - en fait, il y en a eu très peu. Pour autant que nous le sachions, ces arrestations n’étaient pas fondées sur des raisons politiques, mais plutôt sur des activités illégales commises par des politiciens pendant leur mandat. Nous avons condamné les procédures et les circonstances des arrestations, qui n’étaient pas appropriées, mais personne n’est au-dessus de la loi, alors s’il existe des preuves suffisantes contre ces personnes, arrêtons-les et traduisons-les en justice selon les procédures judiciaires et non sur la base de décisions de l’exécutif.

Quelles sont les perspectives de consolidation démocratique en Tunisie, et comment la communauté internationale peut-elle y contribuer ?

Je pense que si nous la livrons à elle-même, le sort de la démocratie en Tunisie sera plutôt sombre. La société civile, la société politique, la communauté internationale et les amis de la Tunisie devront donc intensifier leurs efforts de plaidoyer, non pas pour restaurer la démocratie mais pour la maintenir. Nous avons besoin des efforts de tous les acteurs pour maintenir la pression afin de s’assurer que la Tunisie est sur la voie de la démocratie. Si nous ne nous engageons pas et nous contentons de regarder le spectacle, cela ne nous mènera probablement pas vers plus de démocratie et une meilleure démocratie, mais bien dans la direction opposée.

Tant que les acteurs internationaux reconnaissent qu’il y a une menace pour la démocratie et s’engagent, cela nous aidera. La communauté internationale ne doit pas nous traiter comme elle l’a fait avec l’Égypte en 2013 - c’est-à-dire qu’elle ne doit pas privilégier la sécurité et la stabilité au détriment de la démocratie. Nous avons besoin que la communauté internationale maintienne la pression sur les décideurs en Tunisie pour s’assurer que l’achèvement de la transition démocratique est notre objectif commun. De cette façon, la Tunisie deviendra un exemple majeur de transition démocratique réussie dans la région arabe.

L’espace civique en Tunisie est classé « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
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HAÏTI : « Il est possible de passer de l’ingérence étrangère à un véritable leadership du peuple haïtien »

Ellie Happel

CIVICUS s’entretient avec Ellie Happel, professeur de la Global Justice Clinic et directrice du Haiti Project à la New York University School of Law. Ellie a vécu et travaillé en Haïti pendant plusieurs années, et son travail se concentre sur la solidarité avec les mouvements sociaux en Haïti et la justice raciale et environnementale

Quels ont été les principaux développements politiques depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 ?

En tant qu’Américaine, je voudrais commencer par souligner le rôle que le gouvernement américain a joué dans la création de la situation actuelle. L’histoire des interventions étrangères improductives et oppressives est longue.

Pour comprendre le contexte de la présidence de Moïse, il faut toutefois remonter au moins à 2010. Après le tremblement de terre qui a dévasté Haïti en janvier 2010, les États-Unis et d’autres acteurs extérieurs ont appelé à la tenue d’élections. Les gens n’avaient pas leur carte de vote ; plus de deux millions de personnes avaient perdu leur maison. Mais les élections ont eu lieu. Le gouvernement américain est intervenu au second tour des élections présidentielles haïtiennes, en appelant le candidat et fondateur du parti PHTK, Michel Martelly, à se présenter au second tour. Martelly a été élu par la suite.

Pendant la présidence de Martelly, nous avons assisté à un déclin des conditions politiques, économiques et sociales. La corruption était bien documentée et endémique. Martelly n’a pas organisé d’élections et a fini par gouverner par décret. Il a choisi lui-même Moïse pour successeur. Le gouvernement américain a fortement soutenu les administrations de Martelly et de Moïse malgré l’augmentation de la violence, la destruction des institutions gouvernementales haïtiennes, la corruption et l’impunité qui ont eu lieu sous leur règne.

La mort de Moïse n’est pas le plus gros problème auquel Haïti est confronté. Pendant son mandat, Moïse a effectivement détruit les institutions haïtiennes. Le peuple haïtien s’est soulevé contre le régime du PHTK en signe de protestation, et il a été accueilli par la violence et la répression. Il existe des preuves de l’implication du gouvernement dans des massacres de masse de personnes dans des régions connues pour leur opposition au PHTK.

Deux semaines avant l’assassinat de Moïse, un militant de premier plan et une journaliste très connue ont été assassinés en Haïti. Diego Charles et Antoinette Duclair demandaient des comptes. Ils étaient actifs dans le mouvement visant à construire un Haïti meilleur. Ils ont été tués en toute impunité.

Il est clair que la crise actuelle n’a pas pour origine l’assassinat de Moïse. Elle est le résultat de l’échec des politiques étrangères et de la façon dont le gouvernement haïtien a réprimé et stoppé les manifestations de l’opposition qui demandait des comptes pour la corruption et la violence, et qui exigeait le changement.

Ce qui me donne actuellement de l’espoir, c’est le travail de la Commission pour une solution haïtienne à la crise, qui a été créée avant l’assassinat de Moïse. La Commission est un large groupe de partis politiques et d’organisations de la société civile (OSC) qui se sont réunis pour travailler collectivement à la reconstruction du gouvernement. C’est l’occasion de passer de l’ingérence étrangère à un véritable leadership du peuple haïtien.

Quel est votre point de vue sur le report des élections et du référendum constitutionnel, et quelles sont les chances que des votes démocratiques aient lieu ?

Dans le climat actuel, les élections ne sont pas la prochaine étape pour résoudre la crise politique d’Haïti. Les élections ne devraient pas avoir lieu tant que les conditions d’un vote équitable, libre et légitime ne sont pas réunies. Les élections de ces 11 dernières années démontrent qu’elles ne sont pas un moyen automatique de parvenir à une démocratie représentative.

Aujourd’hui, la tenue d’élections se heurte à de nombreux obstacles. Le premier est celui de la gouvernance : les élections doivent être supervisées par un organe de gouvernance légitime et respecté par le peuple haïtien. Il serait impossible pour le gouvernement de facto d’organiser des élections. Le deuxième problème est la violence des gangs. On estime que plus de la moitié de Port-au-Prince est sous le contrôle des gangs. Lorsque le conseil électoral provisoire a préparé les élections il y a quelques mois, son personnel n’a pas pu accéder à un certain nombre de centres de vote en raison du contrôle exercé par les gangs. Troisièmement, les électeurs haïtiens éligibles devraient avoir des cartes d’identité d’électeur.

Le gouvernement américain et d’autres acteurs doivent affirmer le droit du peuple haïtien à l’autodétermination. Les États-Unis ne devraient ni insister ni soutenir des élections sans preuve de mesures concrètes pour garantir qu’elles soient libres, équitables, inclusives et perçues comme légitimes. Les OSC haïtiennes et la Commission indiqueront quand les conditions sont réunies pour des élections libres, équitables et légitimes.

Y a-t-il une crise migratoire causée par la situation en Haïti ? Comment peut-on relever les défis auxquels sont confrontés les migrants haïtiens ?

Ce que nous appelons la « crise migratoire » est un exemple frappant de la manière dont la politique étrangère et la politique d’immigration des États-Unis à l’égard d’Haïti ont longtemps été affectées par le racisme anti-Noir.

De nombreux Haïtiens qui ont quitté le pays après le tremblement de terre de 2010 se sont d’abord installés en Amérique du Sud. Beaucoup sont repartis par la suite. Les économies du Brésil et du Chili se sont détériorées, et les migrants haïtiens se sont heurtés au racisme et au manque d’opportunités économiques. Des familles et des individus ont voyagé vers le nord, à pied, en bateau et en bus, en direction de la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

Depuis de nombreuses années, le gouvernement américain ne permet pas aux migrants haïtiens et aux autres migrants d’entrer aux États-Unis. Il expulse des personnes sans entretien de demande d’asile - un entretien de « crainte fondée », qui est requis par le droit international - vers Haïti.

Le gouvernement américain doit cesser d’utiliser le titre 42, une disposition de santé publique, comme prétexte pour expulser des migrants. Le gouvernement américain doit au contraire offrir une aide humanitaire et soutenir le regroupement familial et la relocalisation des Haïtiens aux États-Unis.

Il est impossible de justifier une expulsion vers Haïti à l’heure actuelle, pour les mêmes raisons que le gouvernement américain a déconseillé aux citoyens américains de s’y rendre. On estime à près de 1 000 le nombre de cas documentés d’enlèvement en 2021. Des amis expliquent que tout le monde est en danger. Les enlèvements ne sont plus ciblés, mais des écoliers, des marchands de rue et des piétons sont pris en otage pour exiger de l’argent. Le gouvernement américain a non seulement déclaré qu’Haïti n’était pas un pays sûr pour les voyages, mais en mai 2021, le ministère américain de la sécurité intérieure a désigné Haïti comme bénéficiaire du statut de protection temporaire, permettant aux ressortissants haïtiens admissibles résidant aux États-Unis de demander à y rester parce qu’Haïti ne peut pas rapatrier ses ressortissants en toute sécurité.

Les États-Unis doivent mettre fin aux déportations vers Haïti. Les États-Unis et d’autres pays d’Amérique doivent commencer à reconnaître, traiter et réparer la discrimination anti-Noir qui caractérise leurs politiques d’immigration.

Que devrait faire la communauté internationale, et en particulier les États-Unis, pour améliorer la situation ?

Premièrement, la communauté internationale devrait suivre l’exemple des OSC haïtiennes et s’engager de manière sérieuse et solidaire avec la Commission pour une solution haïtienne à la crise. Daniel Foote, l’envoyé spécial des États-Unis pour Haïti, a démissionné en signe de protestation huit semaines après son entrée en fonction ; il a déclaré que ses collègues du département d’État n’étaient pas intéressés par le soutien de solutions dirigées par les Haïtiens. Les États-Unis devraient jouer le rôle d’encourager la recherche d’un consensus et de faciliter les conversations pour faire avancer les choses sans interférer.

Deuxièmement, toutes les déportations vers Haïti doivent cesser. Elles ne sont pas seulement des violations du droit international. Elles sont aussi hautement immorales et injustes.

Les étrangers, y compris moi-même, ne sont pas les mieux placés pour prescrire des solutions en Haïti : nous devons plutôt soutenir celles créées par le peuple haïtien et les organisations haïtiennes. Il est temps pour le peuple haïtien de décider de la voie à suivre, et nous devons le soutenir activement, et le suivre.

L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.

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NATIONS UNIES : « La société civile a toujours fait partie intégrante de l’écosystème de l’ONU »

CIVICUS s’entretient avec Natalie Samarasinghe, directrice générale de l’Association britannique pour les Nations Unies (UNA-UK), au sujet du récent rapport du Secrétaire général de l’ONU intitulé « Notre programme commun » et de la nécessité d’inclure les voix de la société civile au sein de l’ONU.

Mouvement national de base regroupant plus de 20 000 personnes, l’UNA-UK est la principale source d’informations et d’analyses indépendantes sur l’ONU au Royaume-Uni, et se consacre à la construction d’un soutien pour l’ONU parmi les décideurs politiques, les faiseurs d’opinion et le public.

Natalie Samarasinghe

Quel est l’objectif de « Notre programme commun » et quelles sont ses principales recommandations ?

« Notre programme commun » est un rapport publié par le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, en septembre 2021. Si « l’ONU publie un rapport » n’est peut-être pas le gros titre le plus bouleversant, celui-ci se distingue pour deux raisons.

Tout d’abord, la manière dont il a été élaboré. Il a été mandaté par la déclaration de l’Assemblée générale marquant le 75e anniversaire de l’ONU, qui a chargé le Secrétaire général de formuler des recommandations pour répondre aux défis actuels et futurs. Le rapport s’appuie sur les réactions de 1,5 millions de personnes et de 60 000 organisations qui ont participé à la conversation mondiale sur le 75e anniversaire de l’ONU, ainsi que sur les contributions générées par une consultation numérique innovante qui a permis aux parties prenantes de divers secteurs d’échanger des idées.

Deuxièmement, son ton visionnaire. Le rapport se lit comme le manifeste d’un Secrétaire général en deuxième mandat. Après avoir été confronté à une situation difficile, allant des parasites nationaux à un virus mondial, M. Guterres a passé ses cinq premières années en poste à lutter contre de multiples crises et à mener des réformes judicieuses, bien que technocratiques. Il vient d’être reconduit dans ses fonctions pour un second mandat, et ce rapport indique qu’il est désormais sérieux : il a de grandes idées et veut les mener à bien. Cela ne fait que renforcer les arguments en faveur d’un mandat unique et plus long pour les secrétaires généraux.

Parsemé de faits et de chiffres, le rapport présente une analyse sombre de l’état du monde - et un pronostic encore plus sombre - tout en présentant un scénario alternatif plein d’espoir fondé sur l’action collective, un peu comme une version existentielle d’un livre « choisissez votre propre aventure ».

Il définit quatre grandes orientations : un contrat social renouvelé, ancré dans les droits humains ; une action urgente pour protéger les biens communs mondiaux et fournir des biens publics mondiaux ; une plus grande solidarité avec les jeunes et les générations futures ; et une ONU modernisée, plus inclusive, en réseau et axée sur les données.

Pour chaque virage, il existe un certain nombre de propositions. Certaines sont concrètes, comme un plan mondial de vaccination contre le COVID-19 et une réunion bisannuelle du G20 et des institutions internationales. D’autres sont plus ouvertes - une plateforme d’urgence pour répondre aux chocs futurs, par exemple, et des plans pour transformer l’éducation. Certaines - comme celui de la reconversion du Conseil de tutelle en gardien des générations futures - sont ancrées dans des idées de longue date. D’autres, comme un pacte numérique mondial, amèneraient les Nations unies sur un terrain nouveau. Et d’autres encore sont destinées à donner effet aux changements proposés, notamment un Sommet du futur qui se tiendra en 2023 et un Sommet social mondial qui aura lieu en 2025.

Quels sont les points positifs que le rapport identifie pour la société civile et la participation des citoyens à l’ONU ?

L’un des aspects les plus intéressants du rapport est qu’il recalibre le rôle de l’ONU sur la scène mondiale. L’explosion du nombre d’acteurs aux niveaux local, national et international est sans doute la plus grande transformation intervenue depuis la création de l’ONU en 1945. Il était rafraîchissant de voir M. Guterres combiner l’ambition pour le rôle de l’ONU avec l’humilité quant à ce qu’elle peut réaliser, et indiquer clairement que le succès dépend de l’action et des partenariats avec d’autres parties prenantes, y compris les organisations de la société civile (OSC).

Le rapport note que les OSC font partie intégrante de l’écosystème des Nations unies depuis le début. Il place les OSC au cœur d’un nouveau contrat social, en les associant à l’instauration de la confiance et de la cohésion, ainsi qu’à la réalisation de projets dans de nombreux domaines, du développement durable à l’action climatique, en passant par la gouvernance numérique et la prospective stratégique. Il préconise également que les institutions, y compris l’ONU, soient plus à l’écoute des gens, adoptent des approches participatives et réduisent la complexité afin que leurs processus et leurs résultats soient mieux compris.

Guterres recommande aux gouvernements de mener des consultations afin de permettre aux citoyens d’avoir leur mot à dire dans la conception de l’avenir de leur pays. Il appelle les États à examiner les suggestions visant à élargir la participation dans tous les organes intergouvernementaux. En outre, il annonce deux changements au sein du Secrétariat de l’ONU : la création d’un Bureau de la jeunesse de l’ONU et l’établissement de points focaux dédiés à la société civile dans toutes les entités de l’ONU, afin de créer un espace de participation aux niveaux national et mondial et au sein des processus de l’ONU.

Qu’est-ce qui manque ou pourrait être renforcé dans le rapport ?

Certaines parties du rapport sont remarquablement directes. En appelant à un contrat social renouvelé, par exemple, Guterres tisse un ensemble de questions politiquement difficiles, telles que les droits humains, la fiscalité et la justice. Il a raison de considérer ces questions comme essentiellement nationales, mais il sera difficile de définir la marche à suivre : l’accent mis sur le rôle de l’ONU dans les questions « nationales » irritera sans aucun doute les gouvernements, tandis que les OSC pourraient craindre que cela indique un repli sur l’établissement de normes et l’assistance technique.

Sur d’autres points, M. Guterres joue la carte de la prudence. C’est peut-être judicieux dans des domaines contestés comme la paix et la sécurité, où le rapport présente des propositions modestes qui sont, pour la plupart, déjà en cours. L’UNA-UK et les OSC partenaires auraient souhaité que l’accent soit davantage mis sur le Traité d’interdiction des armes nucléaires et sur l’arrêt du développement d’armes autonomes létales.

En ce qui concerne le climat, le thème central de M. Guterres, le rapport aurait pu aller plus loin en présentant la « triple crise » du dérèglement climatique, de la pollution et de la perte de biodiversité comme une urgence interdépendante dont les droits humains sont au cœur. Il aurait également pu sensibiliser les décideurs politiques à un ensemble de mesures plus audacieuses. Mais après une excellente analyse des défis, ceux qui recherchent de nouvelles approches en matière d’autonomisation des femmes et d’égalité des sexes restent sur leur faim.

Pour beaucoup d’entre nous, cependant, la plus grande déception concerne l’inclusion de la société civile. Le langage de M. Guterres est positif mais moins emphatique que dans son Appel à l’action en faveur des droits humains, et peu de dispositions spécifiques vont au-delà des belles paroles.

Au cours des consultations des parties prenantes, les OSC de toutes les régions ont demandé la nomination d’un champion de la société civile de haut niveau aux Nations unies, afin de contribuer à accroître et à diversifier la participation et de donner des conseils sur l’accès - que ce soit au siège des Nations unies ou aux COP sur le climat. C’est la seule proposition concrète qui a recueilli un large soutien et, bien que le rapport s’engage à l’explorer plus avant, on peut se demander pourquoi Guterres n’a pas procédé à une nomination qui est dans ses cordes.

Bien sûr, il est important d’avoir des points focaux dans tout le système. De nombreuses entités des Nations unies le font déjà. Mais nous savons, grâce à notre expérience en matière de genre, de droits humains et autres, que l’intégration ne suffit pas. C’est certainement une partie de la réflexion qui sous-tend la création d’un Office de la jeunesse. Elle devrait être appliquée à la société civile également.

Que faut-il faire ensuite pour améliorer la participation aux Nations unies ?

À court terme, le déploiement proposé de points focaux à l’échelle du système devrait se faire rapidement et en consultation avec la société civile. Un calendrier et un processus devraient être établis pour la cartographie et le suivi de l’engagement, comme l’envisage le rapport. Un champion de haut niveau serait l’instigateur naturel de ces deux démarches, et il faut espérer que ce poste sera créé.

À moyen terme, un certain nombre d’autres changements seraient utiles, notamment une stratégie à l’échelle du système sur l’espace civique à l’intérieur et à l’extérieur de l’ONU ; une plateforme en ligne simple pour soutenir l’engagement, qui pourrait inclure un mécanisme de pétition citoyenne ; un fonds volontaire pour soutenir la participation, ainsi que des outils tels que les obligations à impact social pour financer l’activité des OSC dans le pays ; et un nouveau cadre de partenariat pour renforcer la capacité de partenariat - y compris dans le pays – ainsi que pour simplifier l’engagement et améliorer le filtrage.

À plus long terme, l’ONU devrait s’orienter vers un modèle de partenariat, en lançant une campagne mondiale de renforcement des capacités afin de transférer un certain nombre de ses fonctions à des OSC et à d’autres acteurs mieux à même de les assumer sur le terrain. Cela permettrait à l’organisation de se concentrer sur les tâches qu’elle est la mieux placée pour entreprendre. En effet, le rapport semble déjà aller dans cette direction en mettant l’accent sur l’ONU en tant que rassembleur et fournisseur de données précises, de prévisions et d’analyses.

Que peut faire de plus la société civile pour pousser au changement et comment l’ONU peut-elle soutenir au mieux la société civile ?

L’ONU dépend déjà de la société civile pour l’ensemble de ses activités. Nous sommes indispensables pour atteindre les objectifs de développement durable et faire face à l’urgence climatique. Nous fournissons une assistance essentielle lors des crises humanitaires, parfois en tant que seuls acteurs ayant accès aux communautés marginalisées et bénéficiant de leur confiance. Nous défendons ceux qui sont ignorés et maltraités. Nous sommes des partenaires essentiels de l’ONU tout en étant sa conscience, en l’exhortant à être audacieuse et ambitieuse, et à agir sans crainte ni faveur. Et nous faisons tout cela face à des attaques croissantes.

En tant que telles, les OSC peuvent faire pression pour que des progrès soient réalisés dans le cadre de « Notre programme commun », qu’il s’agisse de plaider auprès des États pour que le Secrétaire général dispose du mandat nécessaire pour aller de l’avant, d’étoffer les nombreuses propositions du rapport et d’agir dans leurs communautés, leurs capitales et les forums des Nations unies.

Nous pouvons le faire depuis les coulisses - nous avons l’habitude de faire entendre notre voix malgré la réduction de l’espace civique. Mais nous serons beaucoup plus efficaces si on nous donne un rôle formel dans les processus dédiés tels que les préparations du Sommet du Futur, et dans le travail de l’ONU plus généralement ; et si nous savons que nous pouvons compter sur le soutien des fonctionnaires de l’ONU. La nomination d’un champion de la société civile serait un bon début.

Prenez contact avec l’UNA-UK via son site web ou sa page Facebook, et suivez @UNAUK et @Natalie_UNnerd sur Twitter.

COP26 : « On investit beaucoup plus d’argent pour détruire la planète que pour la sauver »

La 26ème Conférence des Parties des Nations Unies sur le changement climatique (COP26) vient de se terminer à Glasgow, au Royaume-Uni, et CIVICUS continue d’interviewer des militants de la société civile, des dirigeants et des experts sur les résultats du sommet, son potentiel pour résoudre les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés et les actions qu’ils entreprennent pour y faire face.

CIVICUS s’entretient avec Ruth Alipaz Cuqui, leader autochtone de l’Amazonie bolivienne et coordinatrice générale de la Coordination nationale pour la défense des territoires paysans indigènes et des aires protégées (CONTIOCAP). Cette organisation est née fin 2018 de la convergence de plusieurs mouvements de résistance contre la destruction des territoires autochtones et des zones protégées par les projets extractifs et la cooptation des organisations traditionnelles représentant les peuples autochtones. Initialement composée de 12 mouvements, elle en compte désormais 35, issus de toute la Bolivie.

RuthAlipaz

Sur quelles questions environnementales travaillez-vous ?

En tant que défenseure des territoires autochtones, des droits des autochtones et des droits de la nature, je travaille à trois niveaux différents. Tout d’abord, à titre personnel, je travaille dans ma communauté du peuple autochtone Uchupiamona, qui se trouve dans l’une des zones protégées les plus diversifiées au monde, le parc national Madidi.

En 2009, mon peuple était sur le point d’accorder une concession forestière qui dévasterait 31 000 hectares de forêt, dans une zone sensible pour la préservation de l’eau et particulièrement riche en diversité d’oiseaux. Pour empêcher cette concession, j’ai fait une proposition alternative, axée sur le tourisme ornithologique. Bien qu’actuellement, en raison de la pandémie, le tourisme se soit avéré ne pas être le pari le plus sûr, le fait est que nous avons encore les forêts grâce à cette activité - bien qu’elles restent toujours menacées en raison de la pression exercée par les personnes de la communauté qui ont besoin d’argent immédiatement.

Ma communauté est actuellement confrontée à de graves problèmes d’approvisionnement en eau, mais nous nous sommes organisées avec des jeunes femmes pour restaurer nos sources d’eau en reboisant la zone avec des plantes fruitières autochtones, et en transmettant les connaissances sur ces plantes fruitières et médicinales de nos aînés aux femmes et aux enfants.

Deuxièmement, je suis membre du Commonwealth des communautés autochtones des fleuves Beni, Tuichi et Quiquibey, une organisation de base de la région amazonienne de Bolivie qui, depuis 2016, mène la défense des territoires de six nations autochtones - Ese Ejja, Leco, Moseten, Tacana, Tsiman et Uchupiamona - contre la menace de la construction de deux centrales hydroélectriques, Chepete et El Bala, qui inonderaient nos territoires, déplaceraient plus de cinq mille autochtones, obstrueraient trois rivières pour toujours et dévasteraient deux zones protégées, le parc national Madidi et la réserve de biosphère Pilón Lajas. Le 16 août 2021, les organisations autochtones soutenant le gouvernement ont autorisé le lancement de ces projets hydroélectriques.

La rivière Tuichi, qui se trouve dans la zone protégée de Madidi et qui est essentielle à l’activité d’écotourisme communautaire de mon peuple Uchupiamona, a également été concédée dans sa totalité à des tiers extérieurs à la communauté pour le développement de l’exploitation de l’or alluvial. La loi sur l’exploitation minière et la métallurgie est discriminatoire envers les peuples autochtones en permettant à tout acteur extérieur d’acquérir des droits sur nos territoires.

Enfin, je suis la coordinatrice générale de CONTIOCAP, une organisation qui a dénoncé les violations systématiques de nos droits dans les territoires autochtones des quatre macro-régions de Bolivie : le Chaco, les vallées, l’Altiplano et l’Amazonie. Ces violations vont de pair avec l’exploration et l’exploitation pétrolières, le brûlage des forêts et la déforestation pour libérer des terres pour l’agrobusiness, la construction de routes et de centrales hydroélectriques et l’activité d’extraction d’or alluvial qui empoisonne les populations vulnérables.

Avez-vous été confrontée à des réactions négatives pour le travail que vous faites ?

Nous avons été confrontés à des réactions négatives, principalement de la part de l’État, par le biais d’organismes décentralisés tels que l’Agence nationale des impôts et l’Agence nationale des migrations. J’ai récemment découvert que ces deux agences avaient ordonné la rétention de mes comptes bancaires.

Lors d’une marche menée par la nation Qhara Qhara en 2019, j’ai été constamment suivie et physiquement harcelée par deux personnes, alors que j’étais en ville pour soumettre nos propositions aux côtés des leaders de la marche.

Et récemment, lorsque des organisations autochtones favorables au gouvernement ont autorisé les centrales hydroélectriques, nos dénonciations ont donné lieu à des actions visant à nous disqualifier et à nous discréditer, ce que le gouvernement bolivien fait depuis des années. Ils disent, par exemple, que ceux d’entre nous qui s’opposent aux mégaprojets hydroélectriques ne sont pas des représentants légitimes des peuples autochtones, mais des activistes financés par des organisations non gouvernementales internationales.

Comment vos actions s’inscrivent-elles dans le cadre du mouvement mondial pour le climat ?

Nos actions convergent avec celles du mouvement mondial, car en défendant nos territoires et nos zones protégées, nous contribuons non seulement à éviter la poursuite de la déforestation et de la pollution des rivières et des sources d’eau, et à préserver les sols pour maintenir notre souveraineté alimentaire, mais aussi à conserver les connaissances ancestrales qui contribuent à notre résilience face à la crise climatique.

Les peuples autochtones se sont avérés être les protecteurs les plus efficaces des écosystèmes et de la biodiversité, ainsi que des ressources fondamentales pour la vie telles que l’eau, les rivières et les territoires, face à la position de l’État dont les lois servent plutôt à violer nos espaces de vie.

Avez-vous utilisé les forums et les espaces de participation des organisations internationales ?

Oui, nous le faisons régulièrement, par exemple en demandant à la Commission interaméricaine des droits de l’homme d’assurer un suivi de la criminalisation et de la violence à l’encontre des défenseurs des droits des peuples autochtones en Bolivie et en participant à la production collective d’un rapport alternatif de la société civile pour l’Examen Périodique Universel de la Bolivie par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, que nous avons présenté lors des pré-sessions du Conseil en octobre 2019.

Récemment, lors d’une audience dans la ville de La Paz, nous avons présenté un rapport sur les violations de nos droits au rapporteur spécial des Nations unies sur les peuples autochtones.

Que pensez-vous des espaces de participation de la société civile aux COP, et comment évaluez-vous les résultats de la COP26 qui vient de se terminer ?

Une fois de plus, lors de la COP26, les États ont montré leur totale inefficacité à agir en conformité avec leurs propres décisions. J’ai déclaré à plus d’une occasion que 2030 était à portée de main et aujourd’hui, nous ne sommes qu’à huit ans de cette date et nous discutons encore des mesures les plus efficaces pour atteindre les objectifs fixés à cette date.

On investit beaucoup plus d’argent pour détruire la planète que pour la sauver. C’est le résultat des actions et décisions des Etats en faveur d’un capitalisme sauvage qui détruit la planète par son extractivisme prédateur de la vie.

Voyons les progrès accomplis depuis le protocole de Kyoto, adopté en 2005 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces dernières années, les entreprises ont utilisé le prétendu concept de « droit au développement » pour poursuivre leurs activités au détriment de la planète et, surtout, au détriment des populations les plus vulnérables, comme les peuples autochtones. C’est nous qui payons les coûts, pas ceux qui provoquent les catastrophes.

Les résultats de la COP26 ne me satisfont pas car nous voulons voir des actions tangibles. L’État bolivien n’a même pas signé la déclaration, même s’il a utilisé l’espace de la COP26 pour prononcer un discours trompeur selon lequel il faut changer le modèle capitaliste pour un modèle plus respectueux de la nature. Mais en Bolivie, nous avons déjà déforesté environ 10 millions d’hectares, de la manière la plus brutale qui soit, par des incendies qui, pendant plus d’une décennie et demie, ont été légalisés par le gouvernement.

Je pense que tant que ces forums ne discuteront pas de sanctions à l’égard des États qui ne respectent pas les accords, ou qui ne signent même pas les déclarations, il n’y aura pas de résultats concrets.

L’espace civique en Bolivie est classé « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
Entrez en contact avec CONTIOCAP via sa page Facebook et suivez @contiocap et @CuquiRuth sur Twitter.

SUISSE : « Il était temps que tout le monde ait les mêmes droits, sans discrimination »

RetoWyssCIVICUS s’entretient avec Reto Wyss, responsable des affaires internationales de Pink Cross, au sujet du récent référendum sur le mariage homosexuel en Suisse et des défis à venir.

Pink Cross est l’organisation faîtière nationale des hommes homosexuels et bisexuels de Suisse. Depuis 28 ans, elle défend leurs droits dans les quatre régions linguistiques du pays. Elle s’oppose à la discrimination, aux préjugés et à la violence fondés sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la séropositivité, et se bat pour l’acceptation et l’égalité des droits de toutes les personnes homosexuelles, tant au niveau national qu’international. Elle mène son action par le biais d’une présence médiatique active, d’un plaidoyer, de campagnes et d’efforts visant à renforcer la communauté LGBTQI+.

Quel a été le processus menant à la légalisation du mariage homosexuel en Suisse, et quels rôles Pink Cross a-t-elle joués ?

Le projet de loi sur le mariage homosexuel a été soumis au parlement en 2013 et il a fait plusieurs allers-retours entre les deux chambres législatives jusqu’à ce qu’il soit finalement adopté en décembre 2020. Pink Cross a mené un travail intensif et assez traditionnel de plaidoyer, de lobbying et de campagne publique tout au long du processus.

Nous avons beaucoup discuté avec des politiciens du Parti démocratique libre de Suisse (conservateur-libéral) ainsi que du Parti démocrate-chrétien. Nous avons commandé un avis juridique qui indiquait clairement que, contrairement à ce que disaient les opposants à la loi, il n’était pas nécessaire de modifier la Constitution suisse pour ouvrir le mariage à toutes et tous. Si tel avait été le cas, la légalisation du mariage homosexuel aurait nécessité un vote populaire positif dans la majorité des cantons suisses, ce qui aurait rendu les choses beaucoup plus compliquées.

Pour consacrer le mariage homosexuel, il suffisait d’une loi comme celle que le Parlement a votée, modifiant le code civil pour étendre le mariage à tous les couples au-delà de ceux composés d’un homme et d’une femme.

Aucun référendum n’était nécessaire : celui du 26 septembre était un référendum facultatif lancé par les opposants à la loi, qui entendaient montrer que la décision du Parlement n’était pas bien accueillie par le peuple suisse, et l’annuler. Pour que ce référendum soit lancé, ils ont mené une campagne active pour réunir les 50 000 signatures requises. Les organisations LGBTQI+ auraient été largement satisfaites de laisser la décision prise par le Parlement s’appliquer, plutôt que de demander à tout le monde son accord pour nous accorder les mêmes droits qu’aux autres.

La campagne de la société civile a été officiellement lancée le 27 juin, avec des événements dans 23 villes et villages de Suisse. Au cours des 100 jours suivants, la communauté queer s’est mobilisée dans tout le pays avec des dizaines d’actions pour réclamer le droit à l’égalité. La campagne a été soutenue par plusieurs organisations LGBTQI+, dont Pink Cross, l’Organisation Suisse des Lesbiennes - LOS, Network-Gay Leadership, WyberNet gay professionnal women, l’association faîtière Familles arc-en-ciel et la Fédération romande des associations LGBTIQ.

Nous voulions gagner autant de visibilité que possible, nous avons donc fait campagne avec des milliers de drapeaux arc-en-ciel accrochés aux balcons dans tout le pays et nous avons mis en ligne de nombreuses vidéos formidables. Il s’agissait d’une campagne de base très large, à laquelle de nombreux militants ont participé, en ligne et en personne. Notre message principal était que les mêmes droits doivent être reconnus à tous, sans discrimination, et qu’en Suisse, il était temps que cela arrive.

Qui a fait campagne pour et contre le mariage homosexuel pendant la période précédant le vote ? Comment les groupes opposés au mariage entre personnes de même sexe se sont-ils mobilisés ?

Les partis et organisations de gauche et libéraux ont fait campagne en faveur de la loi, tandis que l’Union démocratique du centre (UDC), populiste et de droite - mais pas tous ses représentants élus - a fait campagne contre la loi, ainsi que toute une série d’organisations conservatrices et ecclésiastiques, y compris le Parti populaire évangélique, plutôt petit. L’Église catholique était contre la loi, mais tous ses représentants ou institutions n’avaient pas la même position. L’Église protestante a soutenu la loi, mais pas à l’unanimité.

La mobilisation contre la loi a eu lieu principalement dans les campagnes et - évidemment - en ligne. Leurs arguments portaient essentiellement sur le prétendu bien-être des enfants, et se concentraient sur le fait que la loi permettait aux couples mariés de même sexe d’accéder à l’adoption et à la conception par don de sperme.

Quels seront les effets immédiats de la nouvelle loi ?

Le 26 septembre, par 64 % des voix, le peuple suisse a exprimé son accord avec la loi accordant le mariage égal pour tous. La loi entrera en vigueur le 1er juillet 2022 et aura des effets pratiques très importants et immédiats, car le statut juridique du mariage présente plusieurs différences importantes par rapport au régime du partenariat enregistré (PE) dont bénéficient déjà les couples de même sexe.

La reconnaissance du mariage à tous les couples éliminera les inégalités de traitement juridique qui existent encore en matière de naturalisation facilitée, d’adoption conjointe, de propriété conjointe, d’accès à la procréation médicalement assistée et de reconnaissance légale des relations parents-enfants dans les cas de procréation médicalement assistée.

S’ils veulent être reconnus comme légalement mariés, les couples de même sexe actuellement en PE devront demander la conversion de leur PE en mariage légal à l’office d’état civil au moyen d’une « déclaration simplifiée », qui n’entraînera pas de coûts excessifs, bien que la procédure exacte reste à déterminer et puisse varier d’un canton à l’autre.

Les personnes qui se sont mariées à l’étranger mais dont le mariage a été reconnu en Suisse comme PE verront leur PE automatiquement et rétroactivement converti en mariage. 

Quels sont les autres défis auxquels sont confrontées les personnes LGBTQI+ en Suisse, et qu’est-ce qui doit encore changer pour faire progresser les droits des LGBTQI+ ?

Il reste encore beaucoup à faire en termes de prévention, d’enregistrement et de condamnation des crimes de haine de manière adéquate. Pink Cross fait actuellement avancer cette question dans tous les cantons, car cela relève de leur compétence. De même, nous préparons un premier « précédent » pour obtenir une décision sur le paragraphe « agitation anti-LGBT » qui a été introduit dans le droit pénal l’année dernière.

Enfin, l’ancrage institutionnel de la défense des droits des LGBTQI+ doit certainement encore être renforcé au niveau national, notamment au sein de l’administration fédérale, soit par le biais d’une commission spécifique, soit par l’extension du mandat du Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous travaillons donc également pour avancer sur ce point.

L’espace civique en Suisse est classé « ouvert » par le CIVICUS Monitor.
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SUISSE : « La victoire du mariage entre personnes de même sexe va stimuler nos efforts pour les prochaines étapes »

JessicaZuberCIVICUS s’entretient avec Jessica Zuber, coleader de la campagne « mariage pour tous » d’Opération Libero, à propos du récent référendum sur le mariage homosexuel en Suisse. Opération Libero est un mouvement de la société civile non partisan fondé pour faire campagne contre les initiatives populistes. Son travail se concentre sur la préservation et le développement de la démocratie libérale, la promotion de relations fortes entre la Suisse et l’Europe, la promotion d’une loi libérale sur la citoyenneté, le soutien d’une transformation numérique renforçant la démocratie et la promotion d’une politique plus transparente, responsable et inclusive.

Quel rôle Opération Libero a-t-il joué dans le processus qui a conduit à la récente légalisation du mariage homosexuel ?

Depuis sa fondation, Opération Libero se bat pour l’égalité de traitement juridique. Nous avons accompagné le processus parlementaire et fait du lobbying pour que la loi soit adoptée, ce qui est arrivé en décembre 2020, après presque sept ans. Quelques jours avant que les opposants à la loi ne déposent leur demande de référendum, nous avons lancé notre pétition, qui est devenue virale et a reçu plus de 60 000 signatures en ligne en un seul week-end. Pour nous, c’était un signal très fort sur l’état de l’opinion publique.

Nous avons lancé notre campagne six semaines avant le vote. Elle était axée sur la devise « même amour, mêmes droits ». Notre campagne a complété celle du comité « officiel » mené par la communauté LGBTQI+, qui montrait de vrais couples de même sexe sur leurs affiches. Pour nous démarquer et attirer une cible plus conservatrice, nous avons montré des couples de même sexe aux côtés de couples hétérosexuels.

Pour le lancement de notre campagne, nous avons mis en scène un mariage et les images de cette cérémonie ont servi de supports visuels pour la couverture médiatique de la campagne. Certains de nos principaux concepts étaient que les droits fondamentaux doivent s’appliquer à tous, et que personne ne perd lorsque l’amour gagne. Il s’agissait d’une campagne de bien-être, car nous nous sommes volontairement abstenus de susciter trop de controverse - par exemple, en soulignant que l’homophobie est encore un phénomène très présent dans la société suisse.

Pendant la campagne, environ 150 000 de nos dépliants ont été distribués, 13 000 sous-verres ont été commandés et 10 000 autocollants ont été distribués. Notre principale source de financement a été la vente de nos chaussettes spéciales, dont nous avons vendu près de 10 000 paires. Nous avons organisé des ateliers d’entraînement pour préparer les électeurs aux débats et lancé une campagne d’affichage dans les gares et les bus publics. L'événement conjoint de distribution de tracts avec des membres du parti populiste de droite - qui, contre la ligne officielle du parti, soutenaient le mariage pour tous - a attiré l’attention des médias et a réussi à montrer l’ampleur du soutien à la loi.

Enfin et surtout, une semaine avant le vote, nous avons organisé un événement au cours duquel 400 personnes se sont alignées de part et d’autre pour applaudir les couples de jeunes mariés - de même sexe ou non - lors de leur passage. C’était un événement très inspirant, le plus grand de ce type en Suisse.

Nous sommes très heureux d’avoir remporté le référendum, 64 % des électeurs ayant soutenu la loi. Le 26 septembre marque un grand pas pour la Suisse : après une attente bien trop longue, l’accès au mariage s’applique enfin à tous les couples, indépendamment du sexe ou de l’orientation sexuelle. Cela élimine les principales inégalités juridiques dont souffrent les couples de même sexe, par exemple en matière de naturalisation facilitée, de perception des pensions de veuve, d’adoption et de médecine reproductive.

Pourquoi un référendum a-t-il été organisé alors que le Parlement avait déjà légalisé le mariage homosexuel ?

Les opposants à la loi ont lancé le référendum pour tenter de l’annuler. Leurs arguments étaient centrés sur la vision traditionnelle du mariage en tant qu’union « naturelle » entre un homme et une femme, et sur son rôle central dans la société. Selon eux, l’introduction du mariage universel constitue une rupture sociale et politique qui annule la définition historique du mariage, entendu comme une union durable entre un homme et une femme. Ils ont été particulièrement choqués par le fait que la loi permette l’accès au don de sperme pour les couples de femmes, car ils estiment que cela prive l’enfant de son intérêt supérieur. Ils craignent également que ces changements ne conduisent à la légalisation de la maternité de substitution.

Sur un plan plus technique, ils ont fait valoir que le mariage universel ne pouvait être introduit par un simple amendement législatif, mais nécessitait une modification de la Constitution.

Qui était dans le camp du « oui » et du « non » lors du référendum ?

Après l’adoption de la loi par le Parlement, un comité interpartis - composé principalement de représentants de l’Union démocratique du centre, un parti de droite, et de l’Union démocratique fédérale, un parti chrétien ultra-conservateur - a lancé une pétition en faveur d’un référendum. Ils ont réussi à réunir plus de 50 000 signatures nécessaires pour faire passer leur proposition et obtenir un vote national. Le droit d’opposer son veto à une décision parlementaire fait partie du système suisse de démocratie directe.

Pendant la campagne, ces groupes ont diffusé des affiches et des publicités en ligne et ont participé à des débats publics dans les médias. Leur principal argument était que le bien-être des enfants était en danger. Ils ont donc placé le débat public sous le signe de l’adoption et des droits reproductifs.

Heureusement, le mariage civil pour les couples de même sexe bénéficie d’un large soutien politique, comme on a pu le constater le 26 septembre. À l’exception de l’Union démocratique du centre, tous les partis au pouvoir ont soutenu le projet de loi, de même que les Verts et les Verts libéraux, qui ne font pas partie du gouvernement.

Les groupes religieux ont même fait preuve d’une certaine ouverture. En novembre 2019, la Fédération des Églises protestantes de Suisse s’est prononcée en faveur du mariage civil entre personnes de même sexe ; en revanche, la Conférence des évêques suisses et le Réseau évangélique suisse y restent opposés.

L’agressivité avec laquelle la loi accordant le mariage pour tous a été combattue et le fait qu’environ un tiers des électeurs l’ont rejetée, en partie pour des raisons homophobes, montre que l’homophobie est encore très répandue et encore bien trop largement acceptée.

Nous avons également dû relever le défi suivant : les sondages prévoyant une victoire relativement nette dès le départ, il nous a été plus difficile de mobiliser les gens. Nous craignions que les gens considèrent la victoire comme acquise et ne se rendent pas aux urnes. Mais nous avons réussi à faire passer le message qu’une victoire plus large était un signe encore plus fort pour l’égalité en Suisse.

Quels sont les autres défis auxquels les personnes LGBTQI+ sont confrontées en Suisse, et que faut-il encore changer pour faire progresser l’égalité des droits ?

Les groupes LGBTQI+ continueront à se battre, notamment contre les crimes haineux. Le mariage pour tous n’offre pas une égalité absolue aux couples de femmes qui reçoivent un don de sperme d’un ami ou choisissent une banque de sperme à l’étranger, auquel cas seule la mère biologique sera reconnue. Ces débats auront toujours lieu, et la communauté LGBTQI+ continuera à se battre pour l’égalité.

Le « oui » clair au mariage pour tous est un signal fort indiquant que la majorité de notre société est beaucoup plus progressiste et ouverte à des choix de vie diversifiés que notre système juridique, fortement fondé sur un modèle familial conservateur, pourrait le suggérer. En effet, le mariage pour tous n’est qu’un petit pas vers l’adaptation des conditions politiques et juridiques aux réalités sociales dans lesquelles nous vivons. Le « oui » au mariage entre personnes de même sexe stimulera nos efforts pour les étapes suivantes.

Nous demandons que toutes les formes consensuelles de relations et de modèles familiaux - qu’ils soient de même sexe ou de sexe opposé, mariés ou non - soient reconnues de manière égale. Le mariage, avec sa longue histoire en tant qu’instrument central du pouvoir patriarcal, ne doit plus être considéré comme le modèle standard. Il ne doit pas être privilégié, ni juridiquement ni financièrement, par rapport aux autres formes de cohabitation. Dans les mois et les années à venir, Opération Libero fera campagne pour l’imposition individuelle, la cohabitation réglementée, la parentalité simplifiée et un droit pénal sexuel moderne.

L’espace civique en Suisse est classé « ouvert » par le CIVICUS Monitor.
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COP26 : « Nous devons nous régénérer et régénérer ce que nous avons détruit »

Daniel Gutierrez GovinoAlors que la 26ème Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26) débute à Glasgow, au Royaume-Uni, CIVICUS continue d’interviewer des activistes, des dirigeants et des experts de la société civile sur les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés dans leurs contextes, les actions qu’ils entreprennent pour y faire face et leurs attentes pour le sommet.

CIVICUS s’entretient avec Daniel Gutiérrez Govino, fondateur de la Brigade des incendies d’Alter do Chão, un groupe qui s’emploie à prévenir, combattre et promouvoir la coordination sociopolitique contre les incendies dans la forêt amazonienne de l’État du Pará, au Brésil. Daniel est également cofondateur de l’Instituto Aquífero Alter do Chão, une institution qui promeut des projets sociaux dans la ville d’Alter do Chão, municipalité de Santarém, État du Pará.

Qu’est-ce qui vous a amené à devenir un défenseur de l’environnement ?

J’ai ressenti l’urgence de travailler pour que la planète reste viable pour les humains et les autres espèces. J’ai été ému, et je le suis encore aujourd’hui, par la possibilité pour les humains d’inverser leurs actions et leur réflexion sur notre rôle dans la nature. Nous devons nous régénérer et régénérer ce que nous avons détruit.

Que fait la Brigade Alter do Chão ?

Nous travaillons depuis 2017 à la prévention et à la lutte contre les feux de forêt à Alter do Chão, dans la municipalité de Santarém, au nord du Brésil. Nous avons réuni un groupe de volontaires communautaires qui, avec beaucoup de courage, a œuvré pour protéger la biodiversité, la population d’Alter do Chão et la région contre les feux de forêt. À cette fin, nous avons reçu une formation de la part du corps des pompiers militaires, de la défense civile et du secrétariat municipal de l’environnement et du tourisme de Belterra. Nous avons formé de nouveaux brigadistas et promu la coordination sociopolitique et la communication avec les communautés locales.

Quelles sont les restrictions auxquelles vous avez été confronté en réponse à votre activisme environnemental ?

Dans le cas de la brigade d’Alter do Chão, trois brigadistas et moi-même avons été arrêtés en 2019 sur la base d’accusations infondées, soi-disant pour avoir allumé des feux dans une zone de protection environnementale. Notre travail a été criminalisé parce qu’il propose des solutions et exige une transformation du contexte politique local.

En outre, le contexte national actuel est hostile à la société civile organisée. Nous avons servi de bouc émissaire dans un récit qui visait à criminaliser les organisations de la société civile, à un moment où le président du pays et ses partisans tentaient de rendre la société civile responsable de l’augmentation spectaculaire des feux de forêt.

J’ai également rencontré des résistances lorsque j’ai essayé de promouvoir des changements dans les politiques publiques actuelles dans le microcosme de Santarém. Le conservatisme politique et social sape tout mouvement qui cherche à faire avancer les programmes progressistes. Le gouvernement, la police civile et l’élite locale rejettent l’activisme environnemental en attaquant notre travail. Nous avons eu de la chance et nos privilèges nous ont permis de rester en vie, mais les militants en Amazonie sont constamment menacés de violence et de mort. Ce n’est pas une région sûre pour ceux qui luttent pour la liberté et la justice.

 

Quel type de soutien avez-vous reçu lorsque vous avez été criminalisés ?

Lorsque nous avons été arrêtés, nous avons reçu toutes sortes de soutiens, tant au niveau national qu’international. Le principal soutien est venu des avocats pénalistes pro-bono de Projeto Liberdade (Projet Liberté), qui nous accompagnent jusqu’à aujourd’hui. Mais nous avons également reçu le soutien d’institutions nationales telles que Projeto Saúde e Alegria (Projet Santé et Joie) et Conectas, ainsi que d’organisations internationales telles que WWF Brésil, Article 19, Front Line Defenders et bien d’autres.

Nous avons été libérés de prison quelques jours plus tard grâce à l’action de ces réseaux de défense et de protection. Cependant, la procédure pénale à notre encontre s’est poursuivie et dure depuis deux ans maintenant, bien qu’il n’y ait aucune preuve à l’appui des accusations portées contre nous. Au niveau fédéral, l’enquête de police a été classée; cependant, les autorités de l’État du Pará ont insisté sur leurs accusations. Récemment, le bureau du procureur fédéral a contesté la compétence du tribunal, mais depuis des mois, la procédure se poursuit dans le système judiciaire brésilien. Certains de nos équipements sont encore confisqués à ce jour. Je n’ai plus aucun espoir que justice soit faite.

Malgré tout, je pense que la société civile brésilienne en sort renforcée. Notre partenaire Caetano Scannavino, du Projeto Saúde e Alegria, qui travaille également à Alter do Chão, affirme qu’il s’agit d’une sorte d’effet boomerang. Je pense que c’est brillant. Ils nous attaquent, et leurs attaques nous rendent plus forts.

Quels sont les moyens dont disposent les militants de votre région pour demander protection et soutien ? De quel type de soutien avez-vous besoin de la part de la société civile et de la communauté internationale ?

L’essentiel est de connaître les réseaux de soutien disponibles et de se coordonner avec eux avant que quelque chose de grave ne se produise, c’est-à-dire de se coordonner de manière préventive. Cela inclut les institutions nationales et internationales telles que celles qui nous ont soutenus. Mais surtout, il est essentiel de connaître les réseaux de soutien locaux.

Les types de soutien nécessaires sont spécifiques et dépendent beaucoup de chaque région. Le Brésil est de la taille d’un continent et les besoins du sud, par exemple, ne sont pas les mêmes que ceux de l’Amazonie. On ne peut même pas dire que l’Amazonie soit une région, car il s’agit en fait d’un continent avec des particularités dans chaque région. Mais ce sont ces réseaux qui mettront en relation ceux qui ont besoin de soutien et ceux qui peuvent les aider.

L’espace civique au Brésil est classé « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
Contactez la Brigade des incendies d’Alter do Chão via son site web ou sa page Facebook.

COP26 : « Le Nord global doit être responsable et s’engager dans la lutte contre le changement climatique »

LorenaSosaAlors que la 26ème Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26) débute à Glasgow, au Royaume-Uni, CIVICUS continue d’interviewer des activistes, des dirigeants et des experts de la société civile sur les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés dans leurs contextes, les actions qu’ils entreprennent pour y faire face et leurs attentes pour le sommet.

CIVICUS s’entretient avec Lorena Sosa, directrice des opérations de Zero Hour, un mouvement dirigé par des jeunes qui cherche à créer des voies d’accès, fournit des formations et distribue des ressources pour les nouveaux jeunes militants et organisateurs. Grâce à Zero Hour, Lorena a soutenu le travail d’activistes en Jamaïque, aux Philippines et à Singapour, qui cherchent à générer une action immédiate et à attirer l’attention sur les impacts du changement climatique.

Quel est le problème climatique dans le pays où votre organisation travaille ?

Zero Hour travaille actuellement à l’élimination des subventions aux combustibles fossiles dans la politique américaine et à la lutte contre le manque de ressources pour l’organisation et la mobilisation en faveur du climat. Nous avons récemment organisé avec succès une manifestation virtuelle, « End Polluter Welfare », à laquelle ont participé le chef de la majorité des sénateurs Chuck Schumer et le membre du Congrès Ro Khanna, ainsi qu’une mobilisation intitulée « People Not Polluters » à New York. Nous avons également participé à l’organisation de la mobilisation « People vs Fossil Fuels » à Washington DC. Nous travaillons actuellement à la révision d’une série d’activités de formation pour aider nos sections à apprendre comment organiser des campagnes locales spécifiques à leurs communautés.

Beaucoup de nos actions expriment notre désir de nous lier et de collaborer avec d’autres personnes impliquées dans le mouvement pour élever les actions de chacun, car il est difficile d’obtenir une couverture et une attention pour les actions que nous organisons tous. Il est agréable de voir des militants se soutenir mutuellement ; l’amour et le soutien sont vraiment nécessaires pour améliorer l’état du mouvement et faire avancer ses revendications.

Avez-vous été confrontée à des réactions négatives pour le travail que vous faites ?

Le retour de bâton contre le travail des militants est très variable, notamment dans le cas de nos sections internationales, qui sont confrontées à des limites en matière de protestation et de mobilisation en raison de restrictions gouvernementales. Aux États-Unis, le principal effet négatif du travail que nous faisons est lié à l’épuisement qui résulte du fait de travailler sans voir aucune action de la part des dirigeants qui ont le pouvoir d’initier des actions pour le bien de notre planète. Le burnout n’est que trop fréquent au sein du mouvement des jeunes pour le climat, d’autant plus que nombre d’entre nous tentent de jongler entre leurs obligations universitaires, leur vie sociale et leur militantisme, tout en essayant de garder l’espoir que le changement est possible.

Pour ce qui est du maintien du bien-être et de la protection contre les effets de l’épuisement professionnel, j’ai appris qu’il est préférable de s’engager auprès de la communauté climatique dont je fais partie ; je sais que je ne suis pas seule avec mes préoccupations, car j’en parle constamment avec mes amis et mes collègues. Il n’existe pas de remède universel contre l’épuisement professionnel, mais j’ai appris que prendre le temps de prendre soin de moi et de rester en contact avec ma famille et mes amis m’aide énormément à garder les pieds sur terre.

Comment établissez-vous des liens avec le mouvement international pour le climat ?

Nos équipes Global Links et Operations, dirigées par Sohayla Eldeeb et moi-même, ont travaillé ensemble pour façonner nos communications avec nos sections internationales en Jamaïque, aux Philippines et à Singapour. Nous avons organisé des heures de consultation spécifiques pour nos sections internationales afin de les aider à résoudre les conflits qu’elles rencontrent dans leur travail de campagne, et de leur apporter tout le soutien possible.

En ce qui concerne les campagnes internationales, notre directrice adjointe des partenariats, Lana Weidgenant, participe activement aux campagnes internationales qui visent à attirer l’attention et à encourager l’éducation et l’action sur la transformation des systèmes alimentaires pour éliminer les émissions de gaz à effet de serre et protéger notre environnement. Lana était la vice-présidente jeunesse de Transition to Sustainable Consumption Patterns pour le Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires 2021, elle est l’une des jeunes leaders de la campagne internationale Act4Food Act4Change qui a recueilli les engagements et les priorités en matière de systèmes alimentaires de plus de 100 000 jeunes et alliés à travers le monde, et elle est l’un des deux représentants jeunesse aux négociations agricoles de la COP26 de cette année.

Dans quelle mesure espérez-vous que la COP26 permettra de progresser dans la lutte contre le changement climatique ?

Je voudrais que le Nord global rende des comptes et s’engage à apporter 100 milliards de dollars pour permettre au Sud de mettre en œuvre avec succès ses propres mesures d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.

Beaucoup de nos points de vue à Zero Hour se concentrent sur la justice, plutôt que sur l’équité, parce que nous savons que les États-Unis sont un contributeur majeur à cette crise. Les dirigeants du Nord de la planète, et en particulier les acteurs clés des États-Unis, doivent cesser de soutenir l’industrie des combustibles fossiles, et commencer à s’engager en faveur de solutions qui donnent la priorité aux personnes plutôt qu’aux pollueurs.

Je serais ravie de voir que tous les dirigeants présents à la COP26 prennent des mesures sérieuses et décisives pour combattre et éliminer les effets du changement climatique. L’aggravation des phénomènes météorologiques et la montée du niveau des mers ont déjà montré que l’inaction sera préjudiciable au bien-être de notre planète et de tous ses habitants.

Le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies a souligné qu’il existe suffisamment de preuves pour que nos dirigeants traitent le changement climatique comme l’urgence qu’il représente. J’espère que tous les dirigeants mondiaux participant à la conférence prendront véritablement en considération les conclusions du rapport du GIEC lors de la rédaction des résultats de la conférence.

L’espace civique aux États-Unis est classé « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
Contactez Zero Hour via son site web et suivez @ThisIsZeroHour sur Twitter.

 

COP26 : « Les décideurs ont des objectifs nationaux alors que les enjeux sont transnationaux »

Alors que la 26ème Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26) se déroule à Glasgow, au Royaume-Uni, du 31 octobre au 12 novembre 2021, CIVICUS interroge des militants, des dirigeants et des experts de la société civile sur les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés dans leur contexte, les actions qu’ils entreprennent pour y faire face et leurs attentes pour le sommet.

COP26 : « Les communautés marginalisées doivent être au cœur de l’action climatique »

À la veille de la 26ème Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26), qui se tiendra à Glasgow, au Royaume-Uni, du 31 octobre au 12 novembre 2021, CIVICUS a interrogé des militants, des dirigeants et des experts de la société civile sur les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés dans leur contexte, les actions qu’ils entreprennent pour y faire face et leurs attentes pour le sommet à venir.

CIVICUS s’entretient avec Jessica Dercontée, co-organisatrice du Collectif contre le racisme environnemental (CAER), un groupe de la société civile au Danemark qui s’efforce d’introduire la question de la discrimination et de l’injustice raciale dans le débat danois sur le climat en attirant l’attention du public sur le racisme environnemental.

Le militantisme et le travail universitaire de Jessica se concentrent sur la gouvernance climatique et explore les injustices sociales et climatiques profondément enracinées liées à la classe, au genre et à la race. Jessica est coordinatrice de projets de développement international à l’Union des étudiants danois et au Conseil danois de la jeunesse pour les réfugiés, et assistante de recherche au cabinet de conseil In Futurum.

Jessica Dercontee

Quels sont les objectifs du CAER ?

Nous sommes un collectif de femmes et de personnes de couleur non binaires travaillant à la croisée de l’environnementalisme, de l’antiracisme et de la justice climatique. Le CAER cherche à mobiliser et à amplifier les voix des personnes les plus touchées par le racisme environnemental, y compris les Noirs, les autochtones et les personnes de couleur dans le Sud et le Nord du monde. Notre collectif a été formé pour apporter une visibilité et un regard critique sur les débats et les conceptualisations actuels, en mettant en évidence les effets différenciés de la crise climatique et environnementale.

Quel est le principal problème climatique ou environnemental sur lequel vous travaillez ?

Le CAER se concentre sur l’écologie politique et le néocolonialisme des débats danois sur l’environnement et le climat. Les principaux débats publics sur la crise climatique au Danemark se concentrent sur les effets néfastes de notre culture de consommation et de nos modes de vie sur les biosystèmes de la planète, et accordent moins d’attention aux personnes touchées par ces effets, et à l’éternel désir des grandes entreprises de faire des profits et de maximiser leurs bénéfices. Si nous sommes d’accord sur l’urgence de ces questions, notre collectif estime que le débat au Danemark doit aller au-delà de l’affirmation de la nécessité pour les gouvernements et les autres parties prenantes de trouver des solutions technologiques grandioses pour atténuer la crise climatique. Le débat public actuel est trop simpliste, apolitique et technique, axé sur la recherche de solutions vertes. 

Le CAER met en lumière les différentes dynamiques de pouvoir qui caractérisent nos systèmes actuels, ainsi que la manière dont les pratiques et les modes de pensée actuels perpétuent le colonialisme et l’oppression mondiale, qui sont également fortement ancrés dans le capitalisme. Pour ce faire, nous organisons des ateliers, rédigeons des articles, diffusons des informations sur les médias sociaux et collaborons avec des personnes ou des groupes marginalisés dans le Sud. 

Un exemple de notre façon d’apporter une perspective différente à la question de la transition verte est notre analyse de la manière dont les grandes entreprises danoises causent la dégradation de l’environnement et favorisent l’accaparement des terres dans le Sud du monde. La société danoise d’énergie éolienne Vestas fait actuellement l’objet d’une action en justice intentée par des communautés autochtones du Mexique, qui l’accusent d’avoir des répercussions négatives sur les moyens de subsistance des populations autochtones, et l’associent à de graves violations des droits humains à l’encontre de manifestants locaux et de militants de la société civile, qui ont fait l’objet d’actes d’intimidation et de menaces de mort pour avoir dénoncé ces abus. Les gouvernements des deux pays ont conclu des accords qui, selon eux, étaient mutuellement bénéfiques, car ils étaient censés apporter croissance et développement économiques au Mexique, tout en aidant le Danemark à rendre son économie plus verte. Cependant, les accaparements de terres qui ont suivi ont privé les communautés du Sud de leurs droits, perpétuant le cycle de la dépendance à l’aide et faisant ressurgir les formes néocoloniales de contrôle et d’exploitation des terres et des populations autochtones.

Un autre exemple beaucoup plus proche du Danemark est le racisme environnemental qui imprègne les relations du Danemark avec le Groenland, ancienne colonie et actuelle nation du Commonwealth danois. En raison du contrôle exercé par le Danemark sur les ressources naturelles du Groenland, la population groenlandaise est exclue des décisions importantes concernant l’avenir de l’Arctique, ce qui peut être considéré comme ayant un impact racial majeur dans le domaine de la conservation, de la politique environnementale et du consumérisme.

L’objectif principal du CAER a été de fournir un espace sûr pour les Noirs, les autochtones et les personnes de couleur, y compris les personnes homosexuelles et transsexuelles, qui souhaitent se mobiliser dans les espaces de l’environnementalisme et de l’antiracisme au Danemark. Le mouvement climatique danois est souvent perçu comme ayant été excluant et discriminatoire envers ces personnes. Nous espérons que le discours public danois ne se contentera pas d’utiliser et de présenter les communautés marginalisées comme des études de cas, mais qu’il les placera au centre de l’action climatique en tant que fournisseurs légitimes de solutions, et participants actifs à la prise de décision.

Avez-vous été confronté à des réactions négatives face au travail que vous faites ?

Nous avons rencontré un véritable enthousiasme de la part d’autres organisations et acteurs désireux de changer leurs structures organisationnelles et de les rendre plus inclusives et capables de trouver des solutions à la crise que nous traversons. Bien que nous n’ayons pas eu de réactions négatives directes en raison de notre travail ou de l’accent que nous mettons sur la race et la nature discriminatoire de la politique environnementale, il nous semble que la société n’est pas prête à faire face aux diverses réalités vécues par les gens sur le terrain, qui sont différentes du récit extrêmement homogénéisé de l’expérience danoise. Au Danemark, les lois et les politiques ont été considérées comme inclusives sur la base de l’image progressiste de notre modèle d’État-providence qui protège toutes les personnes. Ainsi, les institutions et les individus ont plus de mal à comprendre que leur propre position privilégiée repose sur l’exploitation et l’oppression d’autres groupes sociaux, non seulement dans le passé mais encore aujourd’hui.

Quel lien entretenez-vous avec le mouvement international pour le climat ?

Nous nous engageons dans le mouvement climatique international sur la base de notre objectif de décolonisation des structures de l’activisme climatique. Nous cherchons aussi activement à nous engager dans des partenariats, ce qui se reflète dans les exemples que nous sélectionnons comme la face visible de nos projets et les voix que nous cherchons à amplifier. Nous cherchons à redonner du pouvoir et à créer des espaces où les personnes marginalisées peuvent raconter leur propre histoire et apporter leurs connaissances et leurs solutions à la crise climatique. De plus, en construisant et en partageant des connaissances à partir d’une diversité de perspectives et avec la contribution d’autant de chercheurs du Sud que possible, nous cherchons à faire contrepoids à l’ethnocentrisme qui imprègne l’échange de connaissances dans la gouvernance climatique, l’action climatique et l’environnementalisme.

Dans quelle mesure espérez-vous que la COP26 permettra de progresser sur les questions climatiques ?

Au CAER, nous espérons que, même si le scénario actuel de la COP26 présente l’inconvénient important de manquer de représentation diversifiée, il y aura un espace pour l’expression des connaissances vitales du Sud de la planète, et pour l’engagement d’un ensemble diversifié de voix dans l’élaboration des politiques, afin que le prochain cycle d’objectifs soit aussi nuancé et intersectionnel que possible.

Quel changement souhaiteriez-vous voir se produire pour contribuer à résoudre la crise climatique ?

Nous espérons que, dans un avenir proche, notre mouvement contre le racisme environnemental se développera et que cela nous permettra de jeter des ponts entre le mouvement climatique dominant et le mouvement antiraciste danois, afin d’atténuer la crise climatique d’une manière beaucoup plus inclusive et ouverte à la diversité et à la pluralité des connaissances, en englobant différents secteurs et institutions au Danemark, ainsi que dans le reste du monde.

L’espace civique au Danemark est classé « ouvert » par le CIVICUS Monitor.
Contactez le Collectif contre le racisme environnemental via son compte Instagram ou en envoyant un courriel à .

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