BELGIQUE : « Des petits groupes extrémistes réagissent à toute avancée des droits des femmes »
CIVICUS s’entretient avec Céline Danhier, directrice de O’YES, au sujet de la récente réaction conservatrice à la mise en œuvre d’un programme d’éducation aux relations affectives et sexuelles dans les écoles publiques de la région wallonne en Belgique. La désinformation se répand, affirmant que l’objectif du programme est d’hypersexualiser les enfants, et des incendies criminels ont été allumés dans des écoles en conséquence.
O’YES a été créé pour se concentrer sur le VIH/sida. Depuis 2011, il a élargi son champ d’action à la promotion de la santé en travaillant sur la santé sexuelle des jeunes de 15 à 30 ans, dans une démarche d’éducation par les pairs.
Qu’est-ce que l’EVRAS et pourquoi est-elle devenue controversée ?
L’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (en abrégé EVRAS) est un processus éducatif dont l’objectif est d’accroître les aptitudes des jeunes à faire des choix éclairés favorisant l’épanouissement de leur vie relationnelle, affective et sexuelle et le respect de soi et des autres. Il s’agit d’accompagner chaque jeune vers l’âge adulte selon une approche globale dans laquelle la sexualité est entendue au sens large et inclut notamment les dimensions relationnelle, affective, sociale, culturelle, philosophique et éthique.
La dimension relationnelle englobe les relations sociales, familiales, amicales, amoureuses, personnelles et autres. La dimension affective comprend ce qui a trait aux sentiments, aux émotions et à l’estime de soi, tandis que la dimension sexuelle comprend la sexualité dans ses aspects biologiques, psychologiques, affectives, juridiques et éthiques.
Les démarches de l’EVRAS se fondent sur des valeurs de respect, d’égalité, d’accueil des différences et d’ouverture à l’autre. Elles visent à apporter une information fiable, impartiale et complète afin d’aider les jeunes à développer un esprit critique, à assurer la protection de leurs droits, à considérer l’impact de leurs choix sur leur bien-être et celui des autres et à prendre des décisions tout au long de leur vie.
Comme lors de toutes avancées significatives pour les droits des femmes comme la pilule et l’interruption volontaire de grossesse, l’EVRAS a fait l’objet de controverses attisées par de petits groupes extrémistes.
L’entrée en vigueur d’un cadre de référence concret et un accord politique interministériel a relancé une controverse autour des questions d’EVRAS, animations qui sont pourtant en place depuis déjà plus de 40 ans en Belgique.
Ces activités sont obligatoires depuis 2012, mais par le biais d’un décret qui n’avait pas d’objectifs, de procédures ou de contrôles clairs pour s’assurer que les écoles se conformaient à cette obligation - par exemple, une affiche dans les toilettes pouvait suffire pour qu’une école soit répertoriée comme ayant mené des activités d’EVRAS. En conséquence, les jeunes n’y avaient pas accès de manière égalitaire. Le nouvel accord permettra à chaque jeune de 6e primaire (11-12 ans) et de 4e secondaire (15-16 ans) d’avoir accès à un minimum d’informations pendant sa scolarité, à raison de deux heures chaque année.
Qui s’y opposent, et comment O’YES est-il intervenu dans le débat ?
Comme l’explique un article récent publié par la Radio-télévision belge de la Communauté française, la campagne de désinformation contre l’EVRAS est menée par un réseau composé de complotistes anti-covid, de personnalités adeptes de théories pédocriminelles, d’associations de défense d’enfants et d’associations ultra conservatrices ou d’extrême droite. On doit préciser que ce ne sont pas que des groupes religieux qui sont derrière les mauvaises informations circulant à propos de l’EVRAS
Les médias mainstream sont bien informés et traitent, pour la plupart, l’information de manière objective. Mais un problème grave réside dans les réseaux sociaux et les algorithmes qui enferment les personnes qui regardent ce type de contenus et les persuadent du bien fondé de leur argumentaire. Les réseaux influencent énormément les personnes indécises.
Mobiliser Facebook par rapport aux propos haineux, pourrait être une piste à creuser. C’est d’ailleurs par ces différents biais que nous avons lancé une campagne d’information sur l’EVRAS : ce qu’elle est, ses objectifs, ses enjeux en matière de santé publique, de lutte contre les violences, de renforcement de l’estime de soi.
Considérez-vous cela comme faisant partie d’une réaction conservatrice continue face aux progrès en matière de droits sexuels et reproductifs ?
Il y a en effet une réaction conservatrice et idéologique face aux progrès en matière de droits sexuels et reproductifs. Nous pouvons d’ailleurs constater que lorsqu’il y a une avancée majeure sur une thématique de la vie relationnelle, affective et sexuelle, des mouvements conservateurs s’y opposent. Cela a d’ailleurs été le cas lors de l’ouverture des premiers centres de planning familial dans les années 60.
Les groupes anti-EVRAS diffusent des informations erronées pour faire peur à la population et plus spécifiquement aux parents. Ils se servent de la panique morale pour diviser l’opinion publique et semer le doute auprès d’une partie de la population qui ne serait pas au courant des avancées. La même dynamique a été observée autour du Covid et de la vaccination.
La tendance est initialement vécue comme régionale mais nous avons pu vite constater qu’elle était si pas mondiale, en tout cas internationale au niveau européen. Nous aimerions donc travailler cela au niveau européen mais actuellement c’est à un niveau national que nous travaillons afin de transmettre les informations pertinentes, cohérentes et précises aux personnes se posant des questions quant à l’EVRAS.
Comment O’YES s’efforce-t-il de promouvoir les droits sexuels et génésiques des jeunes ?
O’YES est une association sans but lucratif créée en 2009 par et pour les jeunes. Elle est active dans le domaine de la prévention et de la promotion de la santé. Elle a pour mission de former et sensibiliser les jeunes à la santé sexuelle via l’éducation par les pairs afin de changer les mentalités et d’améliorer les comportements sur le long terme.
O’YES est active toute l’année sur les milieux de vie des jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est-à-dire la communauté française de Belgique, avec la mise en place d’un parcours de jeux interactifs et éducatifs, des ateliers et des formations.
Dans une perspective d’amélioration de la santé sexuelle des jeunes, O’YES base son projet sur plusieurs méthodes, à la croisée des chemins entre les secteurs de la jeunesse, de la santé, de l’éducation, de la promotion de la santé et de la prévention.
Être une organisation de jeunesse implique de s’adresser à un public majoritairement composé de personnes de moins de 30 ans et de contribuer au développement, par les jeunes, de leurs responsabilités et de leurs aptitudes personnelles. Ainsi O’YES accompagne les jeunes à devenir des citoyen.nes responsables, actifs, critiques et solidaires.
Le champ d’action de l’association est celui de la santé sexuelle des jeunes, en particulier les 18-30 ans. La santé sexuelle est définie par l’Organisation mondiale de la Santé comme “un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité. Elle requiert une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence.”
L’éducation par les pairs représente un moyen de prévention très efficace qui a déjà fait ses preuves à l’étranger et dans de nombreux domaines, surtout celui de la santé sexuelle. Cette démarche permet d’aborder les thématiques de la santé sexuelle de manière fun et dans une ambiance décomplexée tout en obtenant des effets positifs, concrets et durables. Les jeunes sont ainsi en capacité de sensibiliser leurs pairs, de faire de la prévention et de créer des outils pédagogiques et des campagnes innovantes. Il s’agit de la prévention pour les jeunes par les jeunes, sans tabou ni complexe.
L’espace civique en Belgique est classé « rétréci » par le CIVICUS Monitor.
Contactez O’YES via son site web.