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#BEIJING25 : « Plus de femmes dans la fonction publique signifie un meilleur gouvernement et une démocratie plus forte »
À l'occasion du 25e anniversaire duProgramme d'Action de Beijing, CIVICUS s'entretient avec des activistes, des dirigeants et des experts de la société civile pour évaluer les progrès accomplis et les défis qui restent à surmonter. Adopté en 1995 lors de la quatrièmeConférence mondiale des Nations Unies (ONU) sur les femmes, le Programme d'Action de Beijing poursuit les objectifs d'éliminer la violence contre les femmes, de garantir l'accès au planning familial et à la santé reproductive, d'éliminer les obstacles à la participation des femmes à la prise de décision et de fournir un emploi décent et un salaire égal pour un travail égal. Vingt-cinq ans plus tard, des progrès importants mais inégaux ont été faits, en grande partie grâce aux efforts incessants de la société civile, mais aucun pays n'a encore atteint l'égalité des genres.
CIVICUS s'entretient avec Pakou Hang, directrice des programmes pour Vote Run Lead (Vote Candidate Dirige), une organisation dédiée à la formation de femmes afin qu’elles puissent se présenter aux élections et les remporter, augmentant ainsi la représentation des femmes à tous les niveaux de gouvernement. Créée en 2014, elle a déjà touché plus de 36 000 femmes aux États-Unis, dont près de 60% sont des femmes noires et 20% proviennent de zones rurales. De nombreuses formées à Vote Run Lead siègent désormais dans des conseils municipaux, des conseils de comté, des chambres d'État, des cours suprêmes et au Congrès des États-Unis.
Un quart de siècle plus tard, dans quelle mesure la promesse contenue dans le Programme d’Action de Beijing s’est traduite par des changements concrets ?
Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis 1995, mais il reste encore beaucoup à faire et nous sommes encore loin de l’égalité. En termes de représentation politique, il y a eu des progrès, mais cela a aussi été lent : globalement, au début de 2019, 24,3% des membres des parlements nationaux étaient des femmes, contre 11,3% seulement en 1995. Seuls trois pays dans le monde ont atteint ou dépassé la parité dans leurs chambres basses ou législatures monocamérales, mais beaucoup d'autres ont atteint ou dépassé le seuil de 30%. Jusqu'à l'année dernière, il y avait également 11 femmes chefs d'État et 12 chefs de gouvernement ; et les femmes occupaient près de 21% des postes ministériels, souvent dans les domaines les plus associés aux problématiques des femmes, tels que l'action sociale et les portefeuilles liés à la famille, à l'enfance, à la jeunesse, et aux personnes âgées et handicapées. Les résultats sont donc mitigés - beaucoup de progrès ont été accomplis, mais les progrès ont été lents et sont loin d'être suffisants.
Il y a également eu de grandes variations entre les régions et les pays, d'environ 16% de femmes parlementaires dans la région du Pacifique à plus de 40% dans les pays nordiques. La moyenne pour les Amériques est de 30%, mais les États-Unis sont en dessous de la moyenne. Le Congrès reste dominé de manière disproportionnée par les hommes. Bien que les femmes représentent plus de la moitié de la population, elles n'occupent que 24% des sièges. Le Congrès est également moins diversifié sur le plan racial que la population dans son ensemble, 78% de ses membres s'identifiant comme blancs, une proportion nettement supérieure au 60% de la population américaine composée de personnes blanches.
Selon le Centre pour les Femmes et la Politique Américaine (Center for American Women and Politics), la situation n'est pas très différente au niveau des états : 29,2% des sièges législatifs des états et 18% des postes des gouvernants sont occupés par des femmes. Il y a moins de données sur les pouvoirs exécutifs locaux et l'essentiel des informations disponibles se réfère aux plus grandes villes, dont 60% des maires sont des hommes blancs, alors que les hommes blancs ne représentent que 20% de la population de ces villes. Bien que davantage de femmes aient accédé à la fonction publique locale en 2018, les conseils municipaux et les commissions de comté ont continué à n'inclure qu'une seule femme ou pas de femmes.
D’autre part, malgré le nombre relativement restreint de femmes parlementaires, et en particulier de femmes noires, le Congrès actuel est le plus diversifié de l'histoire. Ainsi, le bassin de candidats pour des mandats législatifs en 2020 était également le plus diversifié de l’histoire. Bien entendu, ces candidats ont reçu de violentes attaques de la part des médias et de l'opposition politique. Mais je pense que nous devons changer notre perspective pour comprendre l'ampleur du changement qui s'est produit. J’ai certainement été déçue de voir que nous nous retrouvions avec deux hommes blancs d’un certain âge à la tête des deux principaux sièges présidentiels - mais désormais, nous comptons également une femme noire d’origine indienne comme vice-présidente élue, ce qui constitue sans aucun doute un progrès.
Je me souviens que lorsque le triomphe de Joe Biden et Kamala Harris à l'élection présidentielle de 2020 a été annoncé, j'ai appelé ma nièce de neuf ans pour lui annoncer la nouvelle. Elle était extatique. Cela m'a rappelé qu'elle appartient à une nouvelle génération d'Américains née sous la présidence de Barack Hussein Obama. Quand elle grandira elle saura que Donald Trump a été président, mais elle saura également que Trump a été vaincu par une femme noire d'origine indienne. Pendant que nous parlions, ma nièce m'a dit : "Nous avons presque réussi, ma tante." Et j'ai pris conscience qu'elle avait raison : oui, nous y sommes presque.
Pourquoi est-il important d'atteindre la parité homme-femme dans la représentation politique ? S'agit-il uniquement des droits des femmes et de l'égalité des chances, ou aura-t-elle également des effets positifs sur les institutions démocratiques et les politiques publiques ?
L'une des principales raisons pour lesquelles nous avons besoin d'un plus grand nombre de femmes aux postes gouvernementaux est qu'elles ne gouvernent pas comme les hommes. Les femmes au gouvernement sont plus collaboratives, plus civiles, plus communicatives. Elles sont plus susceptibles de travailler avec des membres d'autres partis pour résoudre des problèmes. Elles obtiennent plus d'argent pour leurs localités, elles votent plus de lois et leurs projets sont davantage axés sur les populations les plus vulnérables telles que les enfants, les personnes âgées et les malades. Les femmes élargissent l'agenda politique, au-delà des questions qui concernent traditionnellement les femmes. Et cela produit de meilleures politiques pour tous, c'est-à-dire non seulement pour les femmes et les filles, mais aussi pour les hommes et les garçons. Enfin, dans la mesure où elles apportent un nouvel ensemble de perspectives et d'expériences de vie au processus d'élaboration des politiques, leur présence garantit que les perspectives des femmes ne soient pas négligées et que des questions telles que la violence sexiste ou les soins aux enfants ne soient pas ignorées. En bref, les femmes occupant des postes gouvernementaux ont tendance à être plus efficaces que les hommes. Et étant donnée la situation actuelle de stagnation politique et d'hyper-partisanerie, nous devons changer la façon de faire. Plus de femmes dans la fonction publique signifie un meilleur gouvernement et une démocratie plus forte.
De plus, la nécessité de femmes au pouvoir et en politique est devenue d’autant plus essentielle dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Lors du dernier cycle électoral, les bailleurs de fonds voulaient plus que jamais contribuer aux campagnes électorales des femmes candidates, étant donné que la pandémie les a sensibilisés non seulement aux nombreuses inégalités qui affectent notre société et le système de santé, mais aussi au travail remarquable que les femmes, et en particulier les femmes noires, entreprennent dans leurs communautés pour répondre aux besoins urgents, combler les lacunes des politiques inadéquates du gouvernement et résoudre les problèmes des communautés exclues qui ont été affectées de manière disproportionnée par la COVID-19 et la crise économique. Au cours de cette crise, les femmes ont joué un rôle essentiel en soutenant la connexion des communautés, en collectant et en distribuant de la nourriture et d'autres produits de base aux familles en difficulté, en trouvant des moyens de soutenir l'activité économique locale et en fournissant des services communautaires ad hoc, entre autres.
Les recherches sur la manière dont divers pays ont répondu à la pandémie suggèrent que les pays avec des femmes au pouvoir ont tendance à avoir moins de cas et moins de décès dus à la COVID-19. Il semble que les femmes au pouvoir ont adopté un style de leadership transformateur qui peut être plus approprié pour la gestion des crises. Ce type de leadership se concentre sur les relations humaines profondes, l'investissement dans l'équipe de travail et l'échange de connaissances, l'action exemplaire et la motivation des autres. Cela représente des qualités très utiles dans notre contexte actuel.
Pourquoi pensez-vous que la représentation politique des femmes aux États-Unis est encore si faible ?
Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles nous n'avons pas de parité entre les sexes dans la représentation politique. Tout d'abord, il y a encore trop de raisons structurelles pour lesquelles les femmes ne se présentent pas et ne sont pas élues. Les femmes effectuent encore une quantité disproportionnée de travaux ménagers et l'éducation des enfants, et la couverture médiatique reste sexiste, se concentrant sur les apparences et les personnalités des femmes plutôt que sur leurs positions politiques. En outre, les personnes qui occupent les structures des partis et qui ont des connaissances politiques, des réseaux et de l’argent sont encore des hommes, et ce sont souvent eux qui déterminent qui est politiquement viable. Par exemple, un jeune homme qui a étudié le développement communautaire à Harvard est considéré comme plus viable qu'une femme d'âge moyen qui travaille dans l'organisation communautaire depuis 20 ans.
Paradoxalement, les femmes candidates remportent les élections dans les mêmes proportions que leurs homologues masculins et, selon les sondages, les électeurs sont enthousiastes face à la possibilité d'élire des femmes. Mais la deuxième raison pour laquelle les femmes ne sont pas élues est tout simplement qu'elles ne se portent pas candidates autant que les hommes, et évidemment, dès lors que vous ne concourez pas, vous ne pourrez pas gagner.
Pourquoi les femmes ne présentent-elles pas leurs candidatures à des fonctions publiques ? La raison peut-être la plus répandue est que les femmes doutent d'elles-mêmes. Elles ne sont pas considérées comme qualifiées. Elles ne voient pas d'autres femmes qui leur ressemblent ou qui pensent comme elles dans ces positions de pouvoir, et c'est donc un cercle vicieux. Et non seulement les femmes doutent d'elles-mêmes, mais les observateurs extérieurs aussi. De ce fait, si une position de pouvoir particulière n'a jamais été occupée par une femme, la question qui se pose encore de façon répétée dans les médias, sur un ton de doute, est : une femme pourrait-elle être élue ? C'est une question que l'on entend beaucoup dans le cadre des primaires présidentielles démocrates de 2020.
Il y a aussi le fait que certaines qualités considérées comme positives chez les hommes, comme l'assurance ou l'ambition, prennent une connotation négative lorsqu'elles sont appliquées aux femmes. Alors qu'il y a sans aucun doute eu des hommes en colère et vengeurs qui ont été élus président, les femmes qui sont perçues comme « en colère » ou « vengeresses » sont considérées comme désagréables et donc disqualifiées. Les femmes candidates sont soumises à des attentes beaucoup plus élevées, parfois de leur propre fait, mais plus souvent par les autres, et par conséquent nous manquons de parité entre les sexes dans notre représentation politique.
Quand avez-vous réalisé que, contrairement aux hommes, les femmes avaient besoin d'une formation pour se présenter à des fonctions publiques ?
Bien que j'aie étudié les sciences politiques à l'université, je sentais que la politique américaine était sale et corrompue et je ne me suis jamais impliquée dans la politique électorale. Mais en 2001 ma cousine aînée, Mee Moua, a décidé de se porter candidate pour un siège au Sénat pour le district de East Saint Paul lors d'une élection spéciale. Le district oriental de Saint-Paul devenait rapidement un district où les minorités étaient majoritaires, mais tous ses élus, de l'état au comté et au niveau de la ville, étaient des hommes blancs conservateurs. Ma cousine était diplômée d'une université prestigieuse, avait exercé la profession d'avocate, avait été présidente de la Chambre de Commerce Hmong, et avait décidé de se présenter après avoir fait du bénévolat pendant des années dans de nombreuses campagnes politiques. Cependant, comme c'est souvent le cas pour les femmes candidates, on lui a dit qu'elle devait attendre son tour. Et bien, elle a décidé de ne pas le faire, et comme aucun acteur politique pertinent ne l'a aidée, elle a rassemblé nos 71 cousins germains pour devenir son armée de volontaires et m'a recrutée comme directrice de campagne, car j'étais la seule à avoir étudié les sciences politiques. Contre toute attente, sans expérience politique et au milieu de l'hiver du Minnesota, nous avons frappé aux portes, passé des appels téléphoniques, mobilisé les électeurs à l'aide des radios communautaires, amené les gens aux urnes, et gagné. Nous avons marqué l'histoire en élisant le premier législateur d'état Hmong de l'histoire américaine et de l'histoire des Hmong.
Rétrospectivement, je me rends compte que j'ai mené la campagne uniquement par instinct, alimentée par l'expérience de mon enfance d'aider mes parents non anglophones à se déplacer dans le monde extérieur. Et même si nous avons gagné, on aurait pu affronter un adversaire mieux organisé et perdu. Ce n'est que des années plus tard, après avoir suivi une formation politique au Camp Wellstone, que j'ai constaté que les femmes candidates avions besoin de quelque chose conçu spécialement pour nous, quelque chose qui nous interpellerait directement et nous préparerait aux vrais défis auxquels nous serions confrontées en tant que femmes candidates.
Quel type de formation propose Vote Run Lead et comment contribue-t-elle à briser les barrières qui empêchent les femmes d'accéder au pouvoir ?
Vote Run Lead est le programme de leadership des femmes le plus vaste et le plus diversifié aux États-Unis. Nous avons formé plus de 38 000 femmes pour se présenter à des fonctions publiques, y compris des femmes rurales, des femmes transgenre, des jeunes femmes et des femmes noires, autochtones et de couleur. Plus de 55% de nos diplômées qui ont participé à l'élection générale de 2020 ont gagné, et 71% de nos diplômées qui sont des femmes de couleur ont également été élues.
Les femmes que nous formons décident généralement de se présenter aux fonctions publiques parce qu'elles identifient quelque chose de négatif dans leurs communautés et veulent y remédier. Mais elles ne voient pas beaucoup de personnes comme elles dans des positions de pouvoir. Vote Run Lead propose plusieurs modules de formation qui apprennent aux femmes tout ce qu'elles doivent savoir sur la campagne électorale, qu'il s'agisse de prononcer un discours, de constituer une équipe de campagne ou de rédiger un message, de collecter des fonds ou de motiver les gens à voter. Mais ce qui distingue notre programme de formation, c'est que nous formons les femmes pour qu’elles postulent telles qu'elles sont. Les femmes ont souvent besoin de soutien pour se considérer comme étant des candidates qualifiées, capables et dignes. Nous leur montrons qu'elles n'ont pas besoin de rechercher une autre promotion ou d'obtenir un autre titre puisque, en fait, leur histoire personnelle est leur plus grand atout. Notre programme de formation, Run As You Are, rappelle aux femmes qu'elles suffisent et qu'elles sont le genre de leaders que nous devons élire pour bâtir la démocratie juste que nous méritons.
Quel est le profil « typique » de la femme que vous aidez à postuler ? Soutenez-vous une femme qui souhaite concourir quelle que soit son orientation politique ?
Il n'y a pas de formée typique de Vote Run Lead. Nous sommes une organisation non partisane, nous formons donc des femmes des milieux les plus divers, de toutes les professions, de tous les partis politiques et quel que soit leur niveau de développement politique. Nos valeurs sont profondément liées à la promotion de femmes intersectionnelles et antiracistes engagées à construire une démocratie plus juste et équitable.
Compte tenu du phénomène généralisé de suppression des électeurs aux États-Unis, le programme vise-t-il également à motiver la participation électorale ?
Traditionnellement, Vote Run Lead n'utilise pas son propre programme pour motiver la participation électorale (GOTV, pour son acronyme en anglais) étant donné que la plupart de nos diplômées dirigent une élection ou travaillent sur une campagne. Mais en 2020, lorsque les niveaux déjà élevés de suppression des électeurs ont été alimentés par des campagnes de désinformation et des préoccupations en matière de sécurité sanitaire, Vote Run Lead a lancé un solide programme GOTV qui a mobilisé les femmes formées chez nous. Ce programme GOTV comprenait huit modules de formation spécifiques pour motiver la participation électorale, allant de la manière de répondre à l'apathie et au cynisme autour de l'élection, aux plateformes numériques et aux outils de communication à utiliser pour promouvoir la participation. Nous avons également contacté plus de 200 bénévoles, eu 3 000 conversations, effectué 30 000 appels téléphoniques et envoyé plus de 33 000 messages texte pour que nos diplômés et leurs réseaux votent.
Avant l'été, nous avons également lancé une série intitulée « Votre armoire de cuisine », avec laquelle nous formons les femmes à la collecte de fonds, au contact direct avec les électeurs et même au lancement d'un plan numérique tout en maintenant une distanciation sociale. Ces guides et webinaires sont disponibles sur notre site Web et sur notre chaîne YouTube et offrent des conseils en temps réel et des informations factuelles.
L'espace civique aux États-Unis est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
Entrez en contact avec Vote Run Lead via sonsite Web ou sa pageFacebook, et suivez @VoteRunLead sur Twitter. -
ALGÉRIE : « L’Etat doit respecter les libertés de ceux qui réclament la vérité et la justice sur les disparitions forcées »
CIVICUS échange sur la répression de la société civile en Algérie avec Nassera Dutour, militante franco-algérienne des droits humains, présidente du Collectif des Familles de Disparu.e.s en Algérie (CFDA) et de la Fédération Euro-Méditerranéenne contre les Disparitions Forcées.
Le CFDA a été fondé à Paris en mai 1998, sous l’impulsion de mères algériennes vivant en France dont des proches avaient disparu en Algérie. Il défend le droit à la vérité et à la justice des familles de disparu.e.s et s’emploie depuis sa création à sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale à l’ampleur des violations des droits humains en Algérie.
Quelle est la raison de l’augmentation récente de la répression en Algérie ?
En février 2019, la population en Algérie s’est mobilisée de manière spontanée et pacifique pour exiger un changement démocratique. Elle est descendue dans les rues d’Alger et d’autres villes pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, président en exercice, à un cinquième mandat. Même après sa démission, le mouvement de contestation, appelé « Hirak », n’a pas perdu de son élan, élargissant ses revendications pour la refonte profonde du régime, en quête d’un gouvernement civil ainsi que d’une « Algérie libre et démocratique ».
Bien que la pandémie de Covid-19 ait mis un frein aux manifestations à partir de mars 2020, la mobilisation a repris en février 2021 avant de connaître un déclin définitif, en partie dû aux pressions concertées des autorités pour réprimer le mouvement. Le harcèlement et l’intimidation des militants des droits humains, en particulier de celles et ceux qui osent critiquer les discours et politiques du gouvernement, sont incessants. Les forces de sécurité les surveillent et les menacent, créant ainsi un climat de peur qui devient progressivement fatal à l’action pour la défense des droits humains. Dans certains cas extrêmes, des militants sont même confronté.e.s à des violences physiques, compromettant leur sécurité et leur capacité à poursuivre leur travail essentiel.
Les tribunaux algériens se sont appuyés sur de nombreuses dispositions du Code pénal afin de bâillonner les voix critiques aussi bien en ligne qu’hors ligne. Des journalistes tels que Mustapha Bendjama, Khaled Drareni, Ihsane El-Kadi et Rabah Karèche ont été ciblés et condamnés à des peines de prison lourdes pour avoir dénoncé la corruption et les abus. Les autorités ont également arbitrairement restreint, voire bloquer l’accès à des sites d’information indépendants, minant davantage l’accès à une information plurielle.
Entre autres tactiques, les autorités ont souvent invoqué l’atteinte à l’« intérêt national » pour restreindre la liberté d’action des défenseurs des droits humains. C’est ainsi que le président de l’association SOS Bab El Oued, Nacer Meghnine, a été condamné en 2021 pour des publications trouvées au siège de son association dénonçant la répression, les arrestations arbitraires et la torture. Les juges avaient en effet considéré que ces écrits ternissaient l’image de l’Algérie à l’international, et qu’en épinglant l’Algérie pour n’avoir pas appliqué la Convention des Nations Unies contre la torture, il incitait à l’ingérence étrangère. Nacer Meghnine a, par ailleurs, été condamné pour incitation directe à attroupement non armé, pour des tracts affichant des portraits de détenus d’opinion. L’un des outils les plus redoutables employés par les autorités pour réprimer la dissidence est la législation contre le terrorisme avec une définition du terrorisme élargie.
Les organisations de la société civile indépendantes peuvent-elles toujours opérer en Algérie ?
Le CFDA demeure une association clandestine malgré les nombreuses relances réalisées pour la légaliser auprès du ministère de l’Intérieur et de la préfecture. Il n’y a jamais eu de justification de la part de l’Etat expliquant ce refus d’autoriser l’enregistrement.
De 2001 à 2013 le CFDA a dû déménager chaque année ses bureaux en Algérie, en raison de l’intimidation exercée sur les propriétaires par les autorités algériennes. En France, il y a eu deux intrusions particulièrement violentes dans les bureaux, qui ont été complètement saccagés. L’Etat algérien exerce une très forte pression psychologique chez les membres de l’organisation tant en Algérie qu’en France.
En 2023, des policiers sont venus dans les bureaux d’Alger en menaçant les membres de l’association. Il n’y a pas eu de suites alors que l’avocate de l’association a cherché à déterminer l’existence d’un dossier d’enquête sur le CFDA ou sur le propriétaire des lieux.
Lors de l’organisation d’une conférence qui devait se dérouler à Alger, les autorités sont venues à l’hôtel en nous « suggérant » de ne pas tenir la conférence. Les équipes du CFDA de ses partenaires ont essayé pendant des heures de tenir tête aux autorités policières et de gendarmerie, mais ils nous ont obligé à quitter les lieux. Ce séminaire international qui devait se tenir sur deux jours sous l’intitulé « vérité, justice et conciliation » a été tout simplement interdit.
Le téléphone ainsi qu’internet ont été régulièrement coupés sans aucune explication et le site internet ainsi que les réseaux sociaux se sont fait piratés à deux reprises. La radio du CFDA crée en 2016 a été immédiatement censuré dans la mesure où il n’était plus accessible en Algérie. Six ans plus tard, le site a été piraté et le CFDA a été dans l’obligation de créer un autre site sous une autre enseigne.
Les membres du CFDA ont subi un harcèlement psychologique allant jusqu’aux menaces de mort à répétition. En 2002, les autorités françaises m’ont prévenu que l’Algérie avait donné l’ordre de me tuer.
En outre, le recours aux financements étrangers est drastiquement limité alors qu’il est quasiment impossible d’avoir accès à des financements de la part de l’Etat, dont seules les organisations « affiliées » à l’Etat algérien bénéficient.
Depuis le Hirak, la dissolution des associations s’est intensifiée de manière exponentielle. En effet, une association peut être suspendue « en cas d’ingérence dans les affaires internes du pays ou d’atteinte à la souveraineté nationale ». Le Rassemblement Actions Jeunesse ainsi que la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme ont été dissoutes.
Les manifestations organisées en Algérie pour défendre les droits humains sont souvent réprimées par la police, avec des nombreuses arrestations et détentions arbitraires, de cas de disparitions forcées de court et longue durée, et de cas de torture.
En raison de cette répression, plusieurs défenseurs et défenseures des droits humains, avocates et journalistes ont dû quitter l’Algérie vers la France ou d’autres pays Européens. Mais la diaspora continue de faire front uni en menant des actions communes telles que des manifestations à Paris tous les dimanches, des missions de plaidoyer auprès des institutions nationales, européennes et internationales, la documentation et la rédaction de rapports à l’attention des organes décisionnels, d’investigation et judiciaires, la publication d’articles de presse et de communiqués officiels, des conférences et tables-rondes et des campagnes de plaidoyer sur les réseaux sociaux.
Comment travaille le CFDA pour protéger et promouvoir les droits humains en Algérie ?
Le CFDA mené des actions de plaidoyer auprès des instances internationales et invite des militants des droits humains et des membres de la société civile en Algérie à participer.
Le CFDA informe immédiatement le grand public, dès qu’il a connaissance d’une violation des droits humains en Algérie. Cependant, on ne s’arrête pas à des dénonciations : on interpelle les États par des écrits ainsi que les instances internationales par des appels urgent adressées aux différentes procédures spéciales des Nations Unies et auprès des commissaires de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.
Le CFDA a produit plusieurs rapports sur les droits humains en Algérie, sur la non-indépendance de la justice, sur le droit des femmes, sur les détentions arbitraires et les disparitions forcées.
En 2014, on a inauguré le Centre pour la Préservation de la Mémoire et l’Etude des Droits de l’Homme à Oran. Il s’agit d’un espace de documentation, de rencontre et de réflexion sur des thématiques liées aux droits humains ouvert à tout public. Il dispose d’un vaste panel de publications concernant les disparitions forcées et la justice transitionnelle.
Le CFDA forme et informe. En effet, on informe par nos réseaux sociaux et notre site internet, mais aussi par notre radio en ligne, « La radio des sans voix ». Depuis 2016, la radio aborde, dans des podcasts et interviews réguliers, des sujets liés aux droits humains. Elle fait partie intégrante de notre travail de mémoire, parce qu’elle offre un espace d’expression aux personnes qui ont été mises sous silence. Depuis 2019, la radio suit et commente également le Hirak et les dérives autoritaires du régime algérien.
Le CFDA forme les militants des droits humains sur les mécanismes internationaux et africains de protection des droits humains, sur la communication interne et externe ainsi que sur la gestion des conflits. Il s’investit énormément sur l’indépendance de la justice car il estime que l’Etat de droit et la démocratie ne peuvent exister sans indépendance de la justice et que sans Etat de droit, la vérité sur les disparitions forcées en Algérie ne sera jamais établie.
Quelles sont vos demandes au gouvernement algérien ?
En ce qui concerne la recherche de la vérité, nous exigeons une enquête exhaustive et impartiale sur tous les cas de disparitions afin que la victime, si elle est vivante, soit placée sous la protection de la loi, et si elle ne l’est pas, que sa dépouille soit restituée à sa famille. Toutes les personnes concernées par la disparition doivent avoir accès aux résultats finaux de l’enquête.
Les autorités doivent utiliser tous les moyens techniques et légaux pour localiser les charniers et tombes anonymes, identifier les corps, clarifier les circonstances dans lesquelles ils ont été enterrés et restituer les dépouilles aux familles. Elles doivent mettre en place une base de données ADN à des fins d’identification.
Pour mettre fin à l’impunité, les autorités doivent mener des enquêtes immédiates et impartiales sur chaque cas présumé de disparition dont le commanditaire, auteur ou complice aurait la qualité d’agent de l’Etat. Toute plainte pénale contre un inconnu ou un agent public doit être déclarée recevable et faire l’objet d’une enquête immédiate. L’État doit également prendre des mesures urgentes pour garantir l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
En outre, des réparations appropriées et adéquates doivent être accordées aux victimes, incluant une indemnisation financière appropriée, une réhabilitation morale et psychologique, et un travail de mémoire le plus exhaustif et visible possible.
Pour s’assurer que les crimes du passé ne se répètent pas, l’État doit respecter, protéger, garantir et promouvoir les libertés d’opinion, d’expression, d’association et de réunion pacifique de ceux qui réclament la vérité et la justice. Il doit protéger toutes les victimes et leurs familles contre les atteintes potentielles à leur intégrité physique et morale qu’elles pourraient subir en raison de leurs revendications.
Quel soutien la société civile algérienne reçoit-elle de ses alliés internationaux, et de quel autre soutien international auriez-vous besoin ?
Les organisations non-gouvernementales internationales telles que Amnesty International et la Fédération Internationale pour les Droits Humains sont constamment en alerte quant à la répression du gouvernement algérien.
De plus, les organisations ainsi que le CFDA et d’autres organisations algériennes ont mené et participé à des missions de plaidoyer auprès des instances internationales et notamment européennes concernant la libération des détenus d’opinions. Nous avons obtenu trois résolutions du Parlement européen concernant les violations des droits humains en Algérie.
Malgré ces actions, à nos connaissances et à notre grand désespoir, aucun Etat ne s’est prononcé ou dénoncé la répression en Algérie.
Dans ce contexte, il est nécessaire de renforcer la solidarité internationale pour montrer un front uni pour créer rapport de force qui amènerait les États à demander à l’Algérie de respecter ses obligations internationales et de ce fait, respecter le droit de toutes les libertés collectives et individuelles et l’instauration d’un Etat de droit en Algérie en commençant par l’indépendance de la justice.
Quant aux disparitions forcées, il est nécessaire de sensibiliser l’opinion internationale sur le fait que cette pratique peut arriver sous n’importe quel gouvernement répressif, et concerne de fait toutes les sociétés – d’autant plus dans un monde globalisé où les traumas intergénérationnels et les pratiques sont particulièrement mobiles. Apparue dans les dictatures d’Amérique latine dans les années 70 et 80, cette pratique est désormais utilisée sur tous les continents par des régimes autoritaires de tous bords politiques. Pourtant, les décideur.euses et différentes parties prenantes se sont montrées désengagées. Nous devons absolument mobiliser un large public et s’organiser à l’internationale pour combattre et prévenir ce crime.
L’espace civique en Algérie est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
Contactez le CFDA sur sonsite web, son compte d’Instagram ou sa pageFacebook, et suivez@SOS_Disparus sur Twitter.
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ANGOLA : « Le parti au pouvoir perçoit les élections locales comme une menace »
Lisez l'interview originale en portugais ici
CIVICUS parle de la situation en Angola avec Pascoal Baptistiny, directeur exécutif de MBAKITA - Kubango Agricultural Benevolent Mission, Inclusion of Technologies and Environment, une organisation de la société civile basée dans la province de Cuando Cubango dans le sud de l’Angola. Fondée en 2002, MBAKITA défend les droits des peuples indigènes et des communautés traditionnelles, dénonce la discrimination dont ils sont victimes et l’expropriation de leurs terres, et promeut une société plus juste, démocratique, participative, tolérante, solidaire, saine et humaine.
Quel est l’état de l’espace civique en Angola, et quelles sont les principales contraintes auxquelles sont confrontés les activistes angolais ?
La répression de l’espace civique en Angola est l’un des plus grands défis auxquels la société civile angolaise est confrontée aujourd’hui. Les activistes sont victimes d’arrestations arbitraires et illégales, de tortures et de mauvais traitements, d’enlèvements, d’assassinats, de harcèlement et de disparitions de la part des forces gouvernementales, de la police et des services de renseignement de l’État. Cette répression a rendu de nombreux Angolais attentifs à ce qu’ils disent en public. Les rares organisations qui défendent les droits humains en Angola le font souvent au péril de leur vie personnelle et familiale.
Pourriez-vous nous parler des restrictions auxquelles vos collègues et vous se sont confrontés en 2020 ?
En 2020, mes collègues du MBAKITA et moi-même avons dû faire face à des obstacles visant à prévenir, minimiser, perturber et inverser l’impact des activités légitimes de l’organisation qui se concentre sur la critique, la dénonciation et l’opposition aux violations des droits et aux positions, politiques et actions gouvernementales inefficaces.
Les diverses formes de restriction que nous connaissons comprennent les restrictions et annulations arbitraires de manifestations et de réunions, la surveillance, les menaces, l’intimidation, les représailles et les punitions, les agressions physiques, les campagnes de diffamation qui présentent les membres du MBAKITA comme des « ennemis de l’État » et des mercenaires au service d’intérêts étrangers ; harcèlement judiciaire ; amendes exorbitantes pour l’achat de moyens de transport ; cambriolage de nos bureaux et vol de matériel informatique ; perquisition et saisie de biens ; destruction de véhicules ; privation d’emploi et de revenu ; et interdiction de voyager.
En outre, 15 activistes ont été arbitrairement détenus et maltraités pendant la campagne de prévention de la COVID-19. Le 1er mai, ma résidence a été envahie et les gardes ont été gazés au lacrymogène. Le 16 novembre, deux activistes ont été violées. Trois de nos activistes et un manifestant ont été tués au cours de l’année.
Quel genre de travail fait MBAKITA et pourquoi pensez-vous que l’organisation a été tellement attaquée ?
MBAKITA est une organisation qui défend et promeut les droits humains. Nous travaillons à la promotion, à la protection et à la diffusion des droits humains et des libertés universellement reconnus, en particulier les droits à la liberté de réunion, d’association, de manifestation pacifique, d’expression et de presse, le droit à l’autodétermination des peuples indigènes, les droits à la terre, à une alimentation adéquate, à l’eau potable et à l’environnement, et la lutte contre la torture et les mauvais traitements.
Nous contestons les violations des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux des personnes autochtones, ethniques, linguistiques, LGBTQI+, handicapées et migrantes.
Mon organisation utilise des moyens pacifiques et non violents dans ses activités. Cependant, nous avons été confrontés à des risques incalculables en raison de notre travail en faveur des droits humains dans les provinces du sud de l’Angola.
La MBAKITA est systématiquement attaquée pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’en 2018, elle a dénoncé la mort de quatre enfants lors de l’opération Transparence, une action contre le trafic de diamants et de migrants sans papiers menée par la police et les forces armées angolaises dans la municipalité de Mavinga, province de Cuando Cubango. Ensuite, parce qu’en 2019, elle a dénoncé le détournement par les gouvernements provinciaux des fonds destinés à soutenir les victimes de la sécheresse dans les provinces du sud de l’Angola. Troisièmement, parce qu’en avril 2019, deux activistes de l’organisation ont dénoncé l’appropriation illégale de terres par des entrepreneurs politiques - généraux, députés et gouverneurs - sur des territoires appartenant aux minorités indigènes San et Kuepe et utilisés pour la chasse, la pêche et la cueillette de fruits sauvages, qui constituent l’alimentation de ces populations. Quatrièmement, parce qu’en février 2020, MBAKITA a dénoncé le détournement de fonds destinés à l’achat de matériel de biosécurité pour la prévention de la COVID-19 et le détournement de nourriture destinée au programme d’aide aux paniers alimentaires de base pour les groupes vulnérables. Cinquièmement, parce que nous avons participé et mené une campagne de sensibilisation sur la COVID-19, qui comprenait la distribution de matériel de biosécurité acheté avec les fonds de MISEREOR-Allemagne. Et enfin, parce que nous avons participé à toutes les manifestations organisées par la société civile angolaise, dont la dernière en date, le 9 janvier 2021, qui portait sur la lutte contre la corruption et la demande d’élections locales sous le slogan « Des élections locales maintenant, 45 ans au pouvoir, c’est trop », et revendiquait le respect des promesses électorales de 500 000 emplois, la réduction du coût de la vie pour les familles et l’inclusion socio-économique des minorités indigènes, entre autres.
Pourquoi les élections prévues pour 2020 ont-elles été annulées ?
D’une part, à cause de la pandémie de la COVID-19. Mais à part cette pandémie mortelle, le gouvernement n’a jamais été intéressé par la tenue d’élections locales en 2020. Le parti au pouvoir, le Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola (MPLA), voit les élections locales comme une menace pour le pouvoir central et craint de perdre son emprise sur le pouvoir. Il craint d’introduire un élément de contrôle des électeurs sur les autorités locales, c’est-à-dire la participation des citoyens et le contrôle de la gestion des fonds publics. Le gouvernement pense que le peuple s’éveillera à l’idée de l’État démocratique et de l’État de droit, c’est-à-dire que beaucoup de gens prendront conscience de leurs droits et de leurs devoirs. Cela irait à l’encontre de l’intention du MPLA, qui est de se perpétuer au pouvoir.
La promesse de démocratie locale en Angola a été un échec. Après trois ans de gouvernement, le président João Lourenço n’a même pas tenu 10 % de ses promesses électorales, laissant 90 % des Angolais dans un état de scepticisme total.
En Angola, le parti qui est au pouvoir depuis plus de 45 ans ne tolère pas les personnes libres. Aujourd’hui, les défenseurs des droits humains perdent leur emploi, le pain pour leurs enfants, leur carrière et même leur vie s’ils osent être libres, désirer la démocratie et exercer la liberté.
Quelles sont les perspectives de changement de la situation dans un avenir proche ?
Pour que la situation change, la société civile a beaucoup de travail à faire. Les actions les plus importantes et les plus urgentes sont l’acquisition d’une formation en sécurité individuelle, institutionnelle et numérique, l’apprentissage de la langue anglaise, l’obtention du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits humains et des peuples, l’observation et la participation à des manifestations et autres événements publics, la défense et le lobbying pour la légalisation des organisations de défense des droits humains, effectuer des visites de prisons, y compris des entretiens avec des prisonniers et recueillir des preuves de torture, de mauvais traitements et de conditions de détention, observer les procès d’activistes dans les tribunaux inférieurs, collecter des fonds pour assurer la durabilité des activités des défenseurs des droits humains, et surveiller les élections locales de 2021 et les élections générales de 2022.
De quel type de soutien les activistes angolais ont-ils besoin de la part de la société civile internationale pour poursuivre leur travail ?
Les besoins sont énormes et variés. Les activistes ont un besoin urgent de protection et de sécurité, notamment d’une formation à l’analyse des risques, à la planification de la sécurité et à la formation aux mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains, ainsi que de compétences en matière d’enquêtes, de litiges, de documentation, de pétition et de signalement des violations des droits humains. Plus précisément, à MBAKITA, nous aimerions recevoir une assistance technique pour évaluer les dispositifs de sécurité qui pourraient être mis en place pour accroître la protection physique du bureau de l’organisation et de ma résidence, ainsi qu’un soutien financier pour l’achat de ces dispositifs, par exemple pour l’achat d’un système de sécurité ou d’une caméra de surveillance vidéo.
Les activistes agressés, et en particulier les 15 activistes du MBAKITA qui ont été directement victimes de la répression et de la torture aux mains des forces gouvernementales, ont également besoin d’une assistance psychologique post-traumatique. L’aide financière nous aiderait à payer les honoraires des avocats qui ont travaillé à la libération de six activistes emprisonnés entre août et novembre 2020. Elle nous aiderait également à remplacer les équipements de travail volés, sans lesquels notre capacité de travail a été réduite : deux véhicules, des ordinateurs, des cartes mémoire, un appareil photo numérique et une caméra vidéo.
Pour les activistes menacés de détention arbitraire, d’enlèvement ou d’assassinat, qui n’ont d’autre choix que de quitter rapidement le pays ou leur région d’origine, nous avons besoin d’une aide au transport et au logement. Nos activistes bénéficieraient également d’échanges d’expériences, de connaissances et de bonnes pratiques, pour renforcer leurs connaissances en matière de sécurité numérique, et pour se former aux techniques journalistiques et audiovisuelles et à la langue anglaise.
Enfin, le fonctionnement des organisations et leur pérennité gagneraient à obtenir un soutien pour l’installation de services internet et la création de sites web sécurisés, et l’acquisition de logiciels de gestion financière et de ressources pour le recrutement de personnel stable, capable de subvenir aux besoins de sa famille et de se consacrer pleinement à la défense des droits humains.
L’espace civique en Angola est classé comme « répressif » par leCIVICUS Monitor.
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BURKINA FASO : ‘Pour une grande partie de la société civile, la sécurité est une préoccupation plus urgente que la démocratie’
CIVICUS échange sur lecoup d’État militaire récent au Burkina Faso avec Kop’ep Dabugat, coordinateur du Réseau de Solidarité pour la Démocratie en Afrique de l’Ouest (WADEMOS).
WADEMOS est une coalition d’organisations de la société civile (OSC) d’Afrique de l’Ouest qui mobilise la société civile afin de défendre la démocratie et de promouvoir des normes démocratiques dans la région.
Qu’est-ce qui a conduit aucoup d’État récent au Burkina Faso, et que faut-il faire pour que la démocratie soit restaurée ?
Le capitaine Ibrahim Traoré,actuel chef de la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso, a invoqué la dégradation continue de la situation sécuritaire pour justifier la prise de pouvoir par les militaires, tout comme l'avait fait son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Or il semblerait que les attaques de groupes armés ont fortement augmenté dans les mois qui ont suivile premier coup d’État mené par Damiba, en janvier 2022. Les analystes affirment que le Burkina Faso constitue le nouvel épicentre du conflit au Sahel. Depuis 2015, les violences perpétrées par des insurgés djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont entraîné la mort de milliers de personnes et déplacé deux millions d’autres.
Le coup d’État a également révélé la présence d’un schisme au sein de la junte dirigée par Damiba. Le nouveau coup a été orchestré en partie par les mêmes officiers militaires qui avaient participé au coup d’État pour porter Damiba à la tête de l’État. Désormais, ces officiers affirment queDamiba n’a pas cherché à réorganiser l’armée pour mieux faire face aux menaces sécuritaires comme ils s’y attendaient. Au lieu de cela, il est resté fidèle à la structure militaire qui a conduit à la chute du gouvernement du président Roch Marc Christian Kaboré, et a commencé à révéler des ambitions politiques.
La question de la sécurité reste le premier défi à relever pour faire du Burkina Faso un État démocratique. La fonction principale d’un Etat, et plus encore d’un Etat démocratique, est de garantir la sécurité de ses citoyens. Une armée burkinabè unie sera nécessaire pour atteindre cet objectif.
Il reste aussi à mener à bien l’actuel programme de transition accepté par la nouvelle junte, qui vise à mettre en place un régime civil d’ici juillet 2024.
Au-delà de la transition, la nécessité de construire un État et des institutions politiques solides doit être soulignée. Il convient de s’attaquer sérieusement aux problèmes de corruption et de marginalisation économique. La nécessité de renforcer les institutions n’est pas propre au Burkina Faso : elle est essentielle pour toute la région, et en particulier pour les pays qui ont récemment été soumis à un régime militaire, notammentla Guinée etle Mali.
Quelle a été la réaction de la société civile face à ce dernier coup d’État militaire ?
À l’image de la désunion qui caractérise la société civile au Burkina Faso, la réaction de la société civile au coup d’État a été mitigée. Mais une partie notable de la société civile a semblé accueillir favorablement le dernier coup d’État parce qu’elle considérait la junte dirigée parDamiba non seulement comme autoritaire mais aussi comme s'alignant avec les politiciens du régime du président au pouvoir de 1987 à 2014, Blaise Compaoré. Ils craignaient ainsi que ces politiciens reprennent le pouvoir et ferment toutes les portes à la justice pour les victimes du régime Compaoré, ce qui constituait bien entendu un scénario plausible.
Par conséquent, ce dernier coup d'État n'est en aucun cas perçu unanimement par la société civile comme constituant un pas en arrière pour l’agenda de la transition démocratique. De plus, pour une grande partie de la société civile, la sécurité semble être une préoccupation plus urgente et prioritaire que la démocratie, de sorte que l’élément qui a prévalu est l’incapacité apparente de la junte dirigée par Damiba à faire face à la situation sécuritaire.
L’effort des groupes traditionnels et religieux qui ont négocié un accord à sept conditions entre les factions militaires de Damiba et de Traoré, mettant fin à la violence et prévenant le carnage, mérite toutefois d’être salué. Cet effort semble avoir créé une base pour l'engagement constructif entre la junte dirigée par Traoré et la société civile, qui s'est poursuivi avec la participation notable de la société civile à la Conférence nationale du 14 octobre 2022. Celle-ci a approuvé une nouvelle Charte de transition pour le Burkina Faso et a officiellement nommé Traoré comme président de transition.
Quelle est la situation des OSC de défense des droits humains ?
Les OSC burkinabè actives dans le domaine des droits humains et civils sont de plus en plus préoccupées par les représailles contre les politiciens et les civils perçus comme étant pro-français, ainsi que par la recrudescence marquée des groupes pro-russes qui demandent que la France et tous ses intérêts soient chassés du pays.
De plus, les OSC de défense des droits humains et des droits civils s'inquiètent de la stigmatisation et des représailles contre la communité peule, ce qui vient s'ajouter aux préoccupations concernant l’insurrection djihadiste qui sévit dans le pays. Cette stigmatisation découle du fait que de nombreux groupes terroristes recrutent des combattants burkinabés d’origine peule. Des arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires de Peuls en raison de présomptions sur leur complicité dans des actes de violence terroriste ont été signalées. En dehors de ceux-là, aucun autre cas notable de violation des droits humains menaçant les civils n’a été identifié. Par conséquent, même si on n'est qu'au début du mandat de Traoré, on peut du moins déjà affirmer qu'il ne s'agit pas d'une situation d’augmentation des violations systématiques des droits humains.
Comment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a-t-elle réagi au coup d’État militaire ?
Conformément à son Protocole additionnel de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, la réponse initiale de la CEDEAO a été de condamner fermement et sans réserve le coup d’État, le trouvant inopportun à un moment où des progrès avaient été réalisés par la junte dirigée par Damiba pour préparer le terrain aux élections et à la démocratie. La CEDEAO a également demandé à la junte de garantir les droits humains et d’assurer la stabilité.
Malgré les sanctions en cours contre le pays, à la suite de sa rencontre avec M. Traoré, Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger et médiateur envoyé au Burkina Faso par la CEDEAO, s’est déclaré satisfait et a déclaré que la CEDEAO resterait aux côtés du peuple burkinabé. La CEDEAO, comme elle a tendance à le faire, travaillera en étroite collaboration avec la junte militaire pour rétablir l’ordre démocratique. Le calendrier est maintenu et l’échéance reste juillet 2024.
Comment les autres institutions internationales ont-elles réagi, et que devraient-elles faire pour soutenir la société civile au Burkina Faso ?
Les autres institutions internationales ont réagi de la même manière que la CEDEAO. L’Union africaine a condamné le coup d’Etat, le considérant un pas en arrière suite aux progrès déjà réalisés vers la restauration de la démocratie. Le coup d’Etat a également été condamné par les Nations Unies et le Parlement européen.
Si la communauté internationale veut aider les OSC au Burkina Faso, elle doit avant tout soutenir les efforts de la junte pour éradiquer l’insurrection djihadiste qui continue de sévir dans le pays. Elle doit également aider les autorités à faire face non seulement à la crise actuelle des réfugiés, accentuée par les défis liés au changement climatique, mais aussi justement à la crise climatique qui contribue à la propagation de la violence terroriste.
La communauté internationale doit également continuer à faire pression sur la junte pour qu’elle tienne son engagement et qu'elle adhère aux accords conclus par l’ancienne junte avec la CEDEAO, afin de mettre fin à la répression des personnes en raison de leur appartenance politique et ethnique et de libérer toute personne emprisonnée pour des motifs politiques.
L’espace civique au Burkina Faso est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
Entrez en contact avec WADEMOS via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@WADEMOSnetwork sur Twitter.
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BURUNDI : « L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement »
CIVICUS s’entretient avecCarina Tertsakian, co-fondatrice de l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB), à proposde la répression au Burundi de la société civile et des défenseurs des droits humains, ainsi que des droits des personnes LGBTQI+.
L’IDHB était une initiative indépendante qui, depuis la mi-2019 jusqu’en décembre 2023, travaillait en coopération avec un éventail de personnes à l’intérieur comme à l’extérieur du Burundi pourdocumenter la situation des droits humains et plaider en faveur des droits humains.
La situation des droits humains au Burundi s’est-elle améliorée ?
Le bilan global du Burundi en matière de droits humains n’a guère évolué depuis l’entrée en fonction du président Évariste Ndayishimiye en 2020. À l’époque, les gens avaient de grands espoirs parce que le nouveau président avait un passé moins sanglant que son prédécesseur. Mais la protection des droits civils et politiques n’a pas progressé. Les autorités ont continué d’arrêter, de poursuivre, de maltraiter et parfois de torturer des personnes pour des raisons politiques. Parmi les personnes arrêtées figurent des activistes, des journalistes et des membres de l’opposition.
Alors même que les formes les plus graves de violations des droits, telles que les assassinats politiques et les disparitions forcées, ont diminué, des défenseurs des droits humains et des journalistes se font arrêter arbitrairement seulement en raison de leur participation à des activités de défense des droits humains ou de leur affiliation à des organisations de la société civile (OSC) indépendantes. Ils sont généralement accusés de porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou à l’intégrité territoriale, entre autres accusations sans fondement.
Quelles sont les conditions de vie des personnes LGBTQI+ au Burundi ?
En août 2023, 24 personnes ont été arrêtées pour leur présumée implication dans des organisations d’aide aux personnes LGBTQI+. Certaines ont été acquittées ou mises en liberté, tandis que d’autres ont été condamnées. Un des activistes acquittés est décédé avant d’être libéré. L’affaire est en cours et attire l’attention sur le problème sous-jacent plus large de la criminalisation de l’homosexualité au Burundi.
Il est pratiquement impossible de s’identifier ouvertement en tant qu’activiste LGBTQI+ au Burundi. Si certaines organisations mènent des activités de soutien aux personnes LGBTQI+, elles évitent de s’identifier explicitement comme des organisations LGBTQI+. Les 24 personnes arrêtées, par exemple, avaient participé à une formation sur la sensibilisation et la prévention du VIH/sida.
Dans son récent discours de fin d’année, le président Ndayishimiye a vilipendé les personnes LGBTQI+, qualifiant l’homosexualité de péché et encourageant la lapidation publique de ceux qui sont perçus comme des « homosexuels ». Cette horrible déclaration a alimenté la rhétorique de la haine en ligne mais, au moins, elle a été vivement critiquée par une OSC burundaise et plusieurs éminents activistes en exil – ce qui est extrêmement difficile à faire à l’intérieur du Burundi.
Dans quelle mesure les organisations de défense des droits humains peuvent-elles effectuer leur travail au Burundi ?
En 2015, une importante crise politique et des droits humains a éclaté au Burundi, marquée par une violente répression de la société civile, en particulier des détracteurs et des personnes soupçonnées de s’opposer au gouvernement. En conséquence, des dirigeants de grandes organisations de défense des droits humains ont fui le pays et demeurent en exil. Certains ont été inculpés et condamnés par contumace, notamment à l’emprisonnement à perpétuité.
L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement au Burundi. Depuis 2015, les activistes qui s’attaquent à des questions politiquement sensibles font l’objet de menaces directes et ne peuvent pas travailler librement dans le pays. Même ceux qui étaient auparavant affiliés à des organisations de défense des droits humains qui n’opèrent plus au Burundi continuent de faire l’objet d’arrestations.
Les activistes qui défendent les droits économiques et sociaux subissent comparativement moins de pressions. Certaines OSC travaillant sur les questions de lutte contre la corruption et de bonne gouvernance ont été plus ou moins autorisées à fonctionner, bien que le gouvernement ait parfois entravé leurs activités, par exemple en perturbant ou en interdisant les conférences de presse.
Les activistes burundais ont-ils trouvé la sécurité dans l’exil ?
Les activistes en exil basés en Europe ou au Canada sont relativement en sécurité, tandis que ceux qui se trouvent au Rwanda peuvent subir des pressions supplémentaires. En 2015, alors que de nombreux journalistes et défenseurs des droits humains ont fui, le gouvernement burundais a interdit ou suspendu leurs organisations et fermé plusieurs stations de radio indépendantes. Certains journalistes en exil ont créé des stations de radio à l’étranger, principalement au Rwanda.
Le gouvernement burundais a profité de l’amélioration récente des relations avec le Rwanda pour faire pression sur le pays hôte afin qu’il fasse taire ces journalistes ou qu’il les renvoie. Le gouvernement rwandais a lancé un ultimatum à certains de ces journalistes, leur imposant de se taire ou de partir, ce qui a contraint certains d’entre eux à cesser leurs activités au Rwanda et à se réinstaller ailleurs. Certains de ces journalistes, comme d’autres défenseurs des droits humains plus largement, étaient entre ceux qui ont été jugés et condamnés par contumace.
Quelles sont vos principales demandes au gouvernement burundais ?
La société civile burundaise demande au gouvernement de lever les restrictions sur l’espace civique, afin de permettre aux défenseurs des droits humains, aux journalistes et aux autres voix indépendantes de s’exprimer librement sans harcèlement. Nous soutenons ces demandes.
Tout d’abord, le gouvernement doit libérerFloriane Irangabiye, une journaliste condamnée à 10 ans de prison en mai 2023. Cinq autres défenseurs des droits humains avaient été inculpés et jugés avant cela, en avril. Ils avaient été ciblés par le gouvernement en raison de leur association avec une organisation internationale non approuvée par le régime, et accusés de recevoir illégalement des fonds. Bien qu’ils aient été mis en liberté au bout de deux mois grâce à la pression internationale, certains d’entre eux ont reçu des condamnations de peine avec sursis. On appelle donc à ce que toutes les poursuites à leur encontre soient abandonnées.
La sécurité des activistes exilés doit également être assurée avant qu’ils ne puissent rentrer, ce qui nécessite la levée de leur peine. Tant que les défenseurs des droits humains continueront à faire l’objet de condamnations par contumace, il y aura des obstacles importants à toute forme d’activisme en faveur des droits humains au Burundi. Nous demandons également au gouvernement de révoquer les interdictions et les suspensions imposées aux OSC depuis 2015.
Bien que le gouvernement prétende que le Burundi est une démocratie, ce n’est certainement pas le cas. S’il l’était, les critiques seraient permises et les activités des défenseurs des droits humains ne seraient pas criminalisées.
Quel soutien les activistes burundais des droits humains reçoivent-ils de la part de leurs alliés internationaux, et de quoi ont-ils encore besoin ?
Lorsque les pays de l’Union européenne, les États-Unis et d’autres gouvernements font part de leurs préoccupations concernant les violations flagrantes des droits humains au Burundi, notamment par l’intermédiaire de leurs ambassades dans le pays, cela fait vraiment la différence. Bien qu’il faille parfois des années pour obtenir la libération d’un défenseur des droits humains, l’intensification de la pression internationale s’est avérée efficace.
Il reste trop peu de groupes indépendants de défense des droits humains au Burundi, et il est difficile d’apporter un soutien international à des entités pratiquement inexistantes. Ceux qui sont encore actifs sont pour la plupart des activistes individuels, qui peuvent difficilement être soutenus par les donateurs. Une exception notable est le journal indépendant Iwacu, qui poursuit son travail malgré les contraintes qui lui sont imposées. Nous encourageons les donateurs à maintenir leur soutien à ce média, qui représente l’une des dernières voix indépendantes au Burundi.
Les organisations de défense des droits humains opérant depuis l’exil ont besoin d’un soutien continu et pourraient développer leur travail si elles disposaient d’un financement plus durable. Il est difficile de travailler depuis l’étranger. Après plusieurs années d’exil, les activistes commencent à se sentir déconnectés et démotivés car ils ne voient pas les choses changer.
L’espace civique au Burundi est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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BURUNDI: «Élire de nouveaux dirigeants n’est pas synonyme de démocratie»
CIVICUS parle des récentes élections au Burundi avec un activiste de la société civile qui, pour des raisons de sécurité, a préféré rester anonyme.
Le 20 mai 2020, dans le cadre de la pandémie COVID-19, des élections présidentielles, parlementaires et municipales ont eu lieu au Burundi. En mars, deux mois avant les élections, la Commission d'Enquête des Nations Unies sur le Burundi a lancé un appel à la communauté internationale, y compris le Conseil de Sécurité des Nations Unies et les institutions régionales, pour qu'elle unisse ses forces pour encourager le gouvernement du Burundi à rouvrir les espaces démocratiques, civils et politiques. Le jour des élections, le président de la Commission d'Enquête a déclaré que les conditions n'étaient pas réunies pour organiser des élections libres et crédibles. Commel'a rapporté le CIVICUS Monitor, de nombreux politiciens de l'opposition ont reçu des menaces de mort et ont subi des agressions physiques, et les partis d'opposition se sont heurtés à des obstacles administratifs, car plusieurs demandes d’inscription des candidatures ont été rejetées. Le chef d'un parti d'opposition a été assassiné et d'autres candidats ont été arrêtés sur la base de fausses accusations. Le journalisme indépendant s'est heurté à des obstacles systématiques, tels que l'arrestation de journalistes et le blocage des plateformes de réseaux sociaux.
Photo by Spencer Platt/Getty Images
La réponse du gouvernement du Burundi à la pandémie de COVID-19 a-t-il amplifié les restrictions croissantes sur l'espace civique?
L'espace civique au Burundi est fermé depuis avril 2015, à la suite de troubles politiques déclenchés par la décision de l'ancien président burundais récemment décédé, Pierre Nkurunziza, d’obtenir un troisième mandat malgré les controverses. Cela a déclenché une violence généralisée qui a fait au moins 1 200 morts et contraint 400 000 personnes à fuir le pays. Étonnamment, en mars 2020, alors que la pandémie de COVID-19 se propageait dans presque tous les pays africains, les autorités burundaises ont ouvert un espace pour que des campagnes aient lieu pour les élections présidentielles, parlementaires et municipales de mai. Mais on peut conclure que l'espace civique continue d'être fermé en ce qui concerne les possibilités d'expression de toute critique ouverte de la façon dont le pays est géré politiquement, ce qui inclut la critique de la façon dont le gouvernement a géré la pandémie au cours de la période électorale.
Quelle a été la position de la société civile concernant la décision de tenir des élections pendant la pandémie?
La décision des autorités burundaises de permettre le déroulement des campagnes électorales à une époque où de nombreux autres pays africains prenaient des mesures de confinement pour arrêter la propagation du COVID-19 a été interprétée comme un déni de la réalité de la pandémie visant à sauver les intérêts politiques du parti au pouvoir, le CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie - Forces pour la Défense de la Démocratie), au détriment de la santé de la population.
Malgré les craintes d'une propagation massive du COVID-19, l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement s'est précipité pour organiser les élections a été l'opportunité de mener un processus électoral en l'absence d'un nombre important d'observateurs indépendants et internationaux qui pourraient signaler tout acte répréhensible. La Commission Électorale Nationale Indépendante étant principalement composée de membres du parti au pouvoir, cette décision a mis le gouvernement en mesure de manipuler les résultats des élections autant qu'il le voulait.
Le résultat des élections a-t-il été accepté par la majorité des gens?
Le 20 mai 2020, Évariste Ndayishimiye, le candidat du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, a été élu président avec 71% des voix. Le CNDD-FDD a également remporté 72 des 100 sièges à l'Assemblée Nationale.
Dès l'annonce de ces résultats par la commission électorale, des partis d'opposition comme le Congrès National pour la Liberté, placé comme lointain second, ont déclaré aux médias étrangers que les chiffres officiels n'étaient pas crédibles et qu’ils étaient le résultat de fraude massive. La vérité est que les élections se sont déroulées dans un contexte de répression permanente de l'opposition politique, des médias indépendants et de la société civile. Il n'y avait pas d'observateurs internationaux car le gouvernement les avait avertis qu'en raison de la pandémie, ceux qui venaient devraient rester en quarantaine pendant 14 jours à compter de leur arrivée.
Il y a eu quelques critiques discrètes, notamment de la part de l'Église catholique, à propos des incidents qui ont marqué le processus électoral. D'autres ont chuchoté (car il n'est pas facile de faire une critique ouverte au Burundi) que les résultats des élections avaient été truqués. Mais ce fut tout. Des membres puissants de la communauté internationale, comme le gouvernement de la Belgique et des États-Unis, se sont précipités pour saluer le président élu, et la Communauté de l'Afrique de l'Est a félicité le Burundi pour avoir organisé des élections «pacifiques et réussies».
À mon avis, le résultat des élections a finalement été accepté car beaucoup craignaient l'effusion de sang qui pourrait se produire si le rejet ouvert des résultats des élections par l'opposition était suivi de manifestations de rue.
Quelles sont les chances que les résultats des élections conduisent à une amélioration de la démocratie et de l'espace civique?
Il y a ceux qui disent croire qu’élire de nouveaux dirigeants est synonyme de démocratie. Le résultat des élections de mai 2020 a aidé le Burundi à changer le visage des hauts dirigeants et à montrer que le dictateur qui nous gouvernait depuis 15 ans ne dirige plus le pays. Cependant, les violations des droits humains qui ont eu lieu pendant la campagne électorale, la nomination de responsables sous sanctions économiques américaines ou européennes pour avoir commis des violations des droits humains et la rhétorique politique utilisée pour dépeindre certains pays et leurs dirigeants comme des colonialistes montrent que la démocratie au Burundi a encore un long chemin à parcourir.
Cependant, certaines mesures de lutte contre la corruption et autres abus que le président Ndayishimiye a prises depuis son entrée en fonction laissent penser que l'impunité dont jouissaient certaines autorités locales sous le gouvernement Nkurunziza pourrait prendre fin.
Beaucoup pensaient que le plan pour l'ancien président Nkurunziza était de continuer à détenir le pouvoir en coulisse. Les perspectives ont-elles changé à la suite de son décès?
L'ancien président Nkurunziza est décédé subitement en juin, avant que son successeur ne prenne ses fonctions. Comme il y avait déjà un président élu, la Cour Constitutionnelle a décidé qu'il devait prêter serment deux mois à l'avance.
Beaucoup pensaient que la mort de Nkurunziza permettrait au président Ndayishimiye de gouverner en toute indépendance, et il a semblé le confirmer dans son discours inaugural, où il a promis d'engager un large dialogue sur toutes les questions. Il est trop tôt pour s'assurer que le fait que Nkurunziza ait été exclu de l'équation permettra au nouveau gouvernement d'ouvrir l'espace civique et que le nouveau président saisira cette opportunité. Cependant, il est encourageant de voir que le nouveau président a déjà rencontré les dirigeants d'autres partis politiques, les anciens présidents du Burundi, les évêques catholiques et anglicans, et a promis de promouvoir le dialogue. Nous sommes impatients de voir si ses paroles se traduiront en action.
Au même temps, cependant, le Ministre de l’intérieur a récemment publié une résolution visant à suspendre jusqu’à nouvel ordre l’enregistrement des nouvelles organisations de la société civile et des églises et la reconnaissance des nouvelles autorités des organisations existantes. Cette décision est incompatible avec le changement qu’on désire. Si elle est maintenue, elle empêchera la société civile de se développer et de devenir un interlocuteur légitime et publiquement reconnu.
Que devrait faire la communauté internationale pour contribuer à améliorer l'espace civique au Burundi?
Il est difficile de fixer des priorités, car il y a beaucoup de choses à mettre en place si le Burundi veut devenir une terre de liberté. Cependant, il serait vital d'impliquer le gouvernement du Burundi dans un dialogue multidimensionnel. La coopération internationale doit être relancée afin d’aider le gouvernement burundais à mettre fin à la pauvreté endémique. La communauté internationale doit plaider pour le rapatriement de tous les réfugiés, y compris ceux qui ont des ordres d'arrêt du gouvernement burundais, et assurer leur protection. Et elle doit également offrir sa médiation pour résoudre le conflit entre le Burundi et ses pays voisins, notamment le Rwanda, afin de faciliter la circulation des personnes et des biens et la restauration des relations diplomatiques.
Si les priorités suggérées sont poursuivies, les autorités burundaises pourraient se rendre compte que le Burundi n’est pas isolé et que la communauté internationale n’agit pas pour saboter ses intérêts, mais plutôt pour renforcer les aspects positifs de la mondialisation dans tous les domaines.
L'espace civique au Burundi est classé comme «fermé» par leCIVICUS Monitor.
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ÉTHIOPIE : « Les élections de juin 2021 sont une question de vie ou de mort pour la démocratie »
CIVICUS s’entretient avec Mesud Gebeyehu sur le conflit politique dans la région du Tigré en Ethiopie et les controversées élections nationales éthiopiennes qui auront lieu en juin 2021, dans un contexte de pandémie et d’état d’urgence prolongé. Mesud est directeur exécutif du Consortium of Ethiopian Human Rights Organizations (CEHRO) et vice-président du comité exécutif du groupe d’affinité des associations nationales de CIVICUS. Mesud est également membre du comité exécutif du Conseil éthiopien des OSC, un organe statutaire établi pour coordonner l’autorégulation des organisations de la société civile (OSC) en Éthiopie.
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GABON : « L’espace civique et les conditions des droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime »
CIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Georges Mpaga, président exécutif national du Réseau des organisations libres de la société civile du Gabon (ROLBG).
Au cours des dix dernières années, le ROLBG s’est concentré sur les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires, la torture et les détentions arbitraires. Il plaide en faveur de l’espace civique au Gabon e l’Afrique centrale et mène des campagnes sur les conditions de détention inhumaines.
Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?
Les élections du 26 août ont été indubitablement frauduleuses, comme l’étaient les précédentes. Le régime du dictateur prédateur Ali Bongo avait interdit les missions d’observation internationales et domestiques ainsi que la présence de la presse internationale. Le ROLBG a été la seule organisation à mettre en œuvre une observation citoyenne à travers le système de tabulation parallèle des votes. Par la volonté despotique de Bongo, l’élection s’est tenue dans des conditions totalement irrégulières, en violation flagrante des normes et standards internationaux en la matière. Les scrutins s’étaient déroulés à huis clos, dans une opacité qui a généré une fraude électorale à grande échelle et des résultats tronqués.
Le 30 août 2023, l’intervention salutaire des forces de défense et de sécurité a mis un terme à cette forfaiture. Pour moi en tant qu’acteur de la société civile, ce qui vient de se passer au Gabon n’est nullement un coup d’Etat, c’est tout simplement une intervention militaire menée par des patriotes au sein de l’armée, sous le leadership du Général Brice Clotaire Oligui Nguema, qui a mis fin à une imposture de 56 ans, un système prédateur et un cycle infernal d’élections truquées souvent jalonnées de violations massives des droits humains. C’est notre lecture de la situation et c’est l’avis général de la population gabonaise qui vient d’être libérée d’une dictature et d’une oligarchie criminelle.
Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?
L’intervention militaire du 30 août se justifie comme une réponse à la volonté du clan Bongo et son Parti démocratique gabonais de se maintenir au pouvoir de gré ou de force à travers des élections frauduleuses et la répression policière orchestrée par des forces de défense et de sécurité instrumentalisées et aux ordres de l’ancien président.
Les forces armées gabonaises sont intervenu pour éviter un bain de sang et remplacer le régime incarné par Bongo : un régime inamovible qui s’est montré impitoyable envers le peuple gabonais, entaché de relations clientélistes, d’affaires louches, de corruption prédatrice et de violations généralisées des droits humains et des libertés fondamentales, le tout sanctionné par des élections frauduleuses.
En résumé, le coup au Gabon ne s’inscrit pas dans une tendance régionale, mais est le résultat d’un processus purement interne résultant des 56 ans de dictature et son corollaire de violations des droits humains et de destruction du tissu économique et social du pays. Les évènements en cours au Gabon ont évidemment des répercussions dans la région d’Afrique centrale, foyer des plus grandes dictatures d’Afrique.
Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?
La société civile a favorablement accueilli l’intervention militaire qui a sonné le glas de plus d’un demi-siècle de forfaiture et de prédation au sommet de l’Etat. Sans cette intervention, nous aurons assisté à une tragédie sans précédent.
L’armée gabonaise, sous la houlette du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), la junte militaire au pouvoir, a permis au pays d’échapper à un drame aux conséquences incalculables. Vu sous cet angle, les militaires sont des héros à célébrer. Dès sa prise de pouvoir, le Général Oligui s’est employé à fédérer un pays qui était profondément divisé et traumatisé par si longtemps de gestion calamiteuse par la famille Bongo et les intérêts mafieux qui les entouraient.
L’attitude de la communauté internationale est inacceptable pour la société civile, les défenseurs des droits humains et la population gabonaise, qui ont longtemps payé un lourd tribut. Quand en 2016 Bongo a planifié et exécuté un coup d’état électoral suivi d’atrocités contre les populations civiles qui s’étaient opposées à la mascarade électorale, la communauté internationale s’était tue laissant les populations civiles gabonaises face à leur bourreau. Au regard de ce qui précède, nous rejetons catégoriquement les déclarations de la communauté internationale, singulièrement la Communauté Économique des États de l’Afrique centrale et l’Union Africaine, deux institutions qui encouragent les tripatouillages de constitutions et les présidences à vie en Afrique centrale.
Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?
L’espace civique et les conditions d’exercice des libertés démocratiques et les droits humains étaient difficiles sous l’ancien régime. Les droits de d’association, de réunion pacifique d’expression étaient bafoués. De nombreux militants de la société civile et défenseurs des droits humains dont moi-même, ont séjourné en prison ou furent privés de leurs droits fondamentaux.
Maintenant, avec l’arrivée du régime de transition, nous notons un changement fondamental, une approche globalement favorable à la société civile. Les nouvelles autorités travaillent désormais de concert avec toutes les forces vives de la nation y compris la société civile qui a été reçue le 1er septembre par le Général Oligui et ses pairs du CTRI, et votre humble serviteur était le facilitateur de cette rencontre. Le président de transition, qui a prêté serment le 4 septembre, s’est engagé à travailler pour restaurer les institutions de l’Etat et les droits humains et démocratiques et respecter les engagements nationaux et internationaux du Gabon. Le signal fort a été donné le 5 septembre par la libération progressive des prisonniers d’opinion dont le leader de la plus grande confédération syndicale de la fonction publique gabonaise, Jean Remi Yama, après 18 mois de détention arbitraire.
L’espace civique au Gabon est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.
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GABON : « Sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte »
CIVICUS échange sur le coup d’État militaire au Gabon avec Pepecy Ogouliguende, experte en droits humains, gouvernance, genre et médiation de paix et fondatrice et présidente de Malachie.
Malachie est une organisation de la société civile gabonaise qui lutte contre la pauvreté et promeut le développement durable et l’égalité des sexes. Elle est active dans plusieurs domaines, notamment la protection de la biodiversité, l’aide en cas de catastrophes naturelles, le soutien médical, notamment auprès des personnes vivantes avec le VIH/SIDA, et l’éducation aux droits humains, particulièrement auprès des couches sociales les plus vulnérables.
Que pensez-vous des récentes élections au Gabon et du coup d’État militaire qui s’en est suivi ?
Le 30 août 2023 aux environs de 3h du matin la Commission Gabonaise Électorale a annoncé les résultats de l’élection présidentielle qui donnaient le président, Ali Bongo, gagnant. Quelques minutes plus tard, les militaires annonçaient avoir pris le pouvoir. Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un coup d’État, mais d’une prise de pouvoir par les militaires. Cela trouve sa justification dans le fait que cela s’est déroulé sans effusion de sang.
Cette élection était entachée d’irrégularités et l’annonce de ses résultats allaient conduire à des contestations bien que légitimes mais qui se seraient soldées par des violences. Je tiens donc ici à saluer l’acte de bravoure des forces de défense et de sécurité.
Les militaires ont ensuite dissous l’ensemble des institutions du gouvernement et ont mis en place un Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI).
Votre organisation a-t-elle pu observer les élections ?
Non, mon organisation n’a pas pu observer les élections pour la simple raison qu’aucun observateurs internationaux et nationaux n’étaient admis. Cette élection s’est déroulée dans une opacité totale. Comme tous les Gabonais, j’ai effectivement constaté que les déclarations ne correspondaient pas aux résultats des urnes.
La prise du pouvoir par les forces de défense et de sécurité dans cette circonstance particulière de défiance des populations envers les autorités et de suspicion profonde quant à la vérité des urnes s’apparente plutôt à un sursaut patriotique.
Pour quoi l’intervention militaire s’est-elle produite maintenant, après tant d’années de règne de la famille Bongo ?
Nos forces de défense et de sécurité ont au même titre que la population, constaté de nombreuses irrégularités et plusieurs dysfonctionnements de l’appareil étatique ces dernières années. Ils ont donc décidé de mettre fin à ce régime qui ne correspondait plus aux aspirations des Gabonais.
Les militaires ont profité des élections du 26 août dernier pour mettre fin au système en place en prenant leurs responsabilités pour sauver la nation et l’État de droit. Aussi, le but de cette prise de pouvoir est de « redonner aux gabonais leur dignité ». Comme l’a dit le porte-parole du CTRI, « c’est enfin notre essor vers la félicité ».
Quel est votre point de vue sur les critiques internationales concernant le coup d’État ?
La communauté internationale a simplement appliqué les textes sans au préalable analyser le contexte. Le contexte du Gabon est bien particulier.
La célébration dans les rues des principales villes du pays montre à quel point le régime en place n’était plus désiré, mais seulement toléré. Ces scènes de liesse populaire observées qui contrastent avec la condamnation de la communauté internationale devraient interpeller celle-ci, l’inviter à revoir son approche davantage tournée vers la sauvegarde à tout prix de la stabilité souvent au détriment d’un réel progrès social, du développement ou encore de la croissance économique... bref, du bien-être du plus grand nombre.
Tous les membres de la communauté internationale qui se sont exprimés ont condamné le « coup d’État » et assuré qu’ils suivaient avec intérêt l’évolution de la situation au Gabon tout en rappelant leur attachement au respect des institutions. Les réactions des organisations internationales ont été très fortes : les Nations unies ont condamné et l’Union Africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ont suspendu le Gabon car ce « coup d’État » a été directement assimilé à ceux qui ont précédemment eu lieu dans la région. Les États-Unis se sont quelques peu démarqués en affirmant qu’ils travailleraient avec leurs partenaires et les populations pour soutenir le processus démocratique en cours. C’est en cela que nous attendons le reste de la communauté internationale pour nous aider à œuvrer à la construction d’institutions fortes.
Nous saluons les États qui ont bien compris la nécessité de ce changement. Nous condamnons les sanctions de l’UA et celles de la CEEAC. La communauté internationale devrait accompagner les États dans le respect des lois et constitutions et veiller au respect de la démocratie et des droits humains.
Pensez-vous que ce coup d’État s’inscrit dans une tendance régionale ?
Il faut avant tout rappeler que pour le cas du Gabon, il s’agit d’une prise de pouvoir des militaires et non d’un coup d’État au sens strict du terme. Il est effectivement le résultat d’une mauvaise gouvernance, de la non prise en compte des besoins des populations notamment les besoins sociaux mais aussi d’une soif de changement. Elle peut avoir une connotation régionale en ce sens que la plupart des populations africaines vivent les mêmes difficultés - chômage des jeunes, pauvreté, manque d’accès aux soins de santé - et aspirent à de grands changements. Lorsque la population ne se sent pas prise en compte dans les politiques mises en place elle est frustrée.
Nous n’excluons pas la possibilité que cela ait un impact chez nos voisins. Il n’est pas trop tard pour que les régimes en place en Afrique centrale saisissent cette occasion pour repenser la manière de servir le peuple.
Quelles étaient les conditions de la société civile sous le régime de la famille Bongo ? Pensez-vous qu’il y ait une chance que la situation s’améliore ?
Au Gabon, le fonctionnement des organisations et associations est régie par la loi 35/62 qui garantit la liberté d’association. Cela dit, sous l’ancien régime la société civile n’était pas prise en compte. Elle ne participait que partiellement à gestion de la chose publique.
Certains leaders notamment syndicaux pouvaient être victimes d’arrestations ou d’intimidations si le régime estimait qu’ils faisaient trop de zèle. Plusieurs leaders dans la société civile gabonaise se levaient pour dénoncer des arrestations arbitraires liées aux opinions et positionnements.
Au même titre que les Gabonais, la société civile s’est réjouie du changement. La société civile dans son ensemble s’est engagée à prendre activement part aux actions et reformes menées par les autorités au cours de la transition qui iront dans le sens du respect des droits humains, l’équité et la justice sociale, la préservation de la paix ainsi que la promotion de la bonne gouvernance.
Le CTRI vient d’autoriser la libération de quelques figures de la lutte syndicale au Gabon et de prisonniers d’opinion. Aux vues des premières décisions prises par le CTRI, le meilleur est à venir. Je peux, sans risques de me tromper, dire que le Gabon de demain sera meilleur. Aujourd’hui on perçoit une lueur d’espoir.
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GUINÉE : « L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays »
CIVICUS échange sur l’absence de progrès dans la transition vers la démocratie en Guinée après le coup d’État militaire de 2021 avec Abdoulaye Oumou Sow, responsable de la communication du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC).
Le FNDC est une coalition d’organisations de la société civile et de partis d’opposition guinéens fondée en avril 2019 pour protester contre le projet de révision constitutionnelle de l’ancien Président Alpha Condé pour briguer un troisième mandat. La coalition a continué à lutter pour le retour à un gouvernement constitutionnel après le coup d’État militaire de septembre 2021. Le 8 août 2022, le gouvernement de transition a en l’accusant d’organiser des manifestations publiques armées, de recourir à la violence et d’inciter à la haine.
Pourquoi tant de retard dans la convocation des élections pour rétablir l’ordre constitutionnel ?
Le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), la junte au pouvoir depuis septembre 2021, est plutôt sur la voix de la confiscation du pouvoir que de l’organisation des élections. Il met tout en œuvre pour restreindre l’espace civique et faire taire toutes les voix dissonantes qui essayent de protester et rappeler que la priorité d’une transition doit être le retour à l’ordre constitutionnel. Il emprisonne des dirigeants et des membres de la société civile et de l’opposition politique pour s’être mobilisés en vue des élections, et vient d’ordonner la dissolution du FNDC sous l’accusation fausse d’avoir organisé des manifestations armées sur la voie publique et d’agir comme un groupe de combat ou une milice privée.
Quelles sont les conditions fixées par les militaires et comment l’opposition démocratique a-t-elle réagi ?
En violation de l’article 77 de la charte de la transition, qui prévoit la fixation de la durée de la transition par accord entre le CNRD et les forces vives de la nation, la junte militaire a de façon unilatérale fixée une durée de 36 mois sans l’avis des forces sociales et politiques du pays. Aujourd’hui, elle s’obstine à n’écouter personne.
Les militaires répriment sauvagement les citoyen.nes qui se mobilisent pour la démocratie et exigent l’ouverture d’un dialogue franc entre les forces vives de la nation et le CNRD pour convenir d’un délai raisonnable pour le retour à l’ordre constitutionnel. N’ayant pas la volonté de quitter le pouvoir, le chef de la junte se mure dans l’arrogance et le mépris. Son attitude rappelle les temps forts de la dictature du régime déchu d’Alpha Condé.
Quelle a été la réaction du public ?
Aujourd’hui la plupart des acteurs socio-politiques se sentent exclus du processus de transition et il y a eu des manifestations pour le rétablissement de la démocratie.
Mais la junte gère le pays comme un camp militaire. Depuis le 13 mai 2002, un communiqué du CNRD a interdit toutes manifestations sur la voie publique. Cette décision est contraire à l’article 8 de la charte de transition, qui protège les libertés fondamentales. Les violations des droits humains se sont ensuite multipliées. L’espace civique est complètement sous verrous. Les activistes sont persécutés, certains arrêtés, d’autres vivants dans la clandestinité. Malgré les multiples appels des organisations des droits humains, la junte multiplie les exactions contre les citoyen.nes pro démocratie.
Le 28 juillet 2022, à l’appel du FNDC les citoyen.nes prodémocratie ce sont mobilisés pour protester contre la confiscation du pouvoir par la junte. Mais malheureusement cette mobilisation a été empêchée et réprimée dans le sang. Au moins cinq personnes ont été tuées par balles, des dizaines ont été blessées et des centaines ont été arrêtées. D’autres ont été déportées au camp militaire Alpha Yaya Diallo, où elles ont été torturées par des militaires.
Parmi les arrêtés aujourd’hui détenus à la maison d’arrêt de Conakry se trouvent le Coordinateur National du FNDC, Oumar Sylla Foniké Manguè, le responsable des opérations du FNDC, Ibrahima Diallo, et le secrétaire Général de l’Union des Forces Républicaines, Saikou Yaya Barry. Ils sont accusés d’attroupement illégal, destruction d’édifices publics et trouble à l’ordre public.
Comment la communauté internationale, et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en particulier, pourrait-elle apporter au mouvement démocratique le soutien dont il a besoin ?
Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire pour la communauté internationale d’accompagner le peuple de Guinée qui est sous le prisme d’une nouvelle dictature militaire.
L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays. Si la communauté internationale, et notamment la CEDEAO, se mure dans le silence, elle favorisera un précédent dangereux dans la région. A cause de sa gestion de la précédente crise générée pour le troisième mandat d’Alpha Condé, les citoyen.nes Guinéens ne croient pas trop à l’institution sous-régionale. Désormais, la force du changement doit venir de l’interne, par la détermination du peuple de Guinée que compte prendre son destin en main.
L’espace civique en Guinée est considéré comme « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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HAÏTI : « Il est possible de passer de l’ingérence étrangère à un véritable leadership du peuple haïtien »
CIVICUS s’entretient avec Ellie Happel, professeur de la Global Justice Clinic et directrice du Haiti Project à la New York University School of Law. Ellie a vécu et travaillé en Haïti pendant plusieurs années, et son travail se concentre sur la solidarité avec les mouvements sociaux en Haïti et la justice raciale et environnementale
Quels ont été les principaux développements politiques depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 ?
En tant qu’Américaine, je voudrais commencer par souligner le rôle que le gouvernement américain a joué dans la création de la situation actuelle. L’histoire des interventions étrangères improductives et oppressives est longue.
Pour comprendre le contexte de la présidence de Moïse, il faut toutefois remonter au moins à 2010. Après le tremblement de terre qui a dévasté Haïti en janvier 2010, les États-Unis et d’autres acteurs extérieurs ont appelé à la tenue d’élections. Les gens n’avaient pas leur carte de vote ; plus de deux millions de personnes avaient perdu leur maison. Mais les élections ont eu lieu. Le gouvernement américain est intervenu au second tour des élections présidentielles haïtiennes, en appelant le candidat et fondateur du parti PHTK, Michel Martelly, à se présenter au second tour. Martelly a été élu par la suite.
Pendant la présidence de Martelly, nous avons assisté à un déclin des conditions politiques, économiques et sociales. La corruption était bien documentée et endémique. Martelly n’a pas organisé d’élections et a fini par gouverner par décret. Il a choisi lui-même Moïse pour successeur. Le gouvernement américain a fortement soutenu les administrations de Martelly et de Moïse malgré l’augmentation de la violence, la destruction des institutions gouvernementales haïtiennes, la corruption et l’impunité qui ont eu lieu sous leur règne.
La mort de Moïse n’est pas le plus gros problème auquel Haïti est confronté. Pendant son mandat, Moïse a effectivement détruit les institutions haïtiennes. Le peuple haïtien s’est soulevé contre le régime du PHTK en signe de protestation, et il a été accueilli par la violence et la répression. Il existe des preuves de l’implication du gouvernement dans des massacres de masse de personnes dans des régions connues pour leur opposition au PHTK.
Deux semaines avant l’assassinat de Moïse, un militant de premier plan et une journaliste très connue ont été assassinés en Haïti. Diego Charles et Antoinette Duclair demandaient des comptes. Ils étaient actifs dans le mouvement visant à construire un Haïti meilleur. Ils ont été tués en toute impunité.
Il est clair que la crise actuelle n’a pas pour origine l’assassinat de Moïse. Elle est le résultat de l’échec des politiques étrangères et de la façon dont le gouvernement haïtien a réprimé et stoppé les manifestations de l’opposition qui demandait des comptes pour la corruption et la violence, et qui exigeait le changement.
Ce qui me donne actuellement de l’espoir, c’est le travail de la Commission pour une solution haïtienne à la crise, qui a été créée avant l’assassinat de Moïse. La Commission est un large groupe de partis politiques et d’organisations de la société civile (OSC) qui se sont réunis pour travailler collectivement à la reconstruction du gouvernement. C’est l’occasion de passer de l’ingérence étrangère à un véritable leadership du peuple haïtien.
Quel est votre point de vue sur le report des élections et du référendum constitutionnel, et quelles sont les chances que des votes démocratiques aient lieu ?
Dans le climat actuel, les élections ne sont pas la prochaine étape pour résoudre la crise politique d’Haïti. Les élections ne devraient pas avoir lieu tant que les conditions d’un vote équitable, libre et légitime ne sont pas réunies. Les élections de ces 11 dernières années démontrent qu’elles ne sont pas un moyen automatique de parvenir à une démocratie représentative.
Aujourd’hui, la tenue d’élections se heurte à de nombreux obstacles. Le premier est celui de la gouvernance : les élections doivent être supervisées par un organe de gouvernance légitime et respecté par le peuple haïtien. Il serait impossible pour le gouvernement de facto d’organiser des élections. Le deuxième problème est la violence des gangs. On estime que plus de la moitié de Port-au-Prince est sous le contrôle des gangs. Lorsque le conseil électoral provisoire a préparé les élections il y a quelques mois, son personnel n’a pas pu accéder à un certain nombre de centres de vote en raison du contrôle exercé par les gangs. Troisièmement, les électeurs haïtiens éligibles devraient avoir des cartes d’identité d’électeur.
Le gouvernement américain et d’autres acteurs doivent affirmer le droit du peuple haïtien à l’autodétermination. Les États-Unis ne devraient ni insister ni soutenir des élections sans preuve de mesures concrètes pour garantir qu’elles soient libres, équitables, inclusives et perçues comme légitimes. Les OSC haïtiennes et la Commission indiqueront quand les conditions sont réunies pour des élections libres, équitables et légitimes.
Y a-t-il une crise migratoire causée par la situation en Haïti ? Comment peut-on relever les défis auxquels sont confrontés les migrants haïtiens ?
Ce que nous appelons la « crise migratoire » est un exemple frappant de la manière dont la politique étrangère et la politique d’immigration des États-Unis à l’égard d’Haïti ont longtemps été affectées par le racisme anti-Noir.
De nombreux Haïtiens qui ont quitté le pays après le tremblement de terre de 2010 se sont d’abord installés en Amérique du Sud. Beaucoup sont repartis par la suite. Les économies du Brésil et du Chili se sont détériorées, et les migrants haïtiens se sont heurtés au racisme et au manque d’opportunités économiques. Des familles et des individus ont voyagé vers le nord, à pied, en bateau et en bus, en direction de la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
Depuis de nombreuses années, le gouvernement américain ne permet pas aux migrants haïtiens et aux autres migrants d’entrer aux États-Unis. Il expulse des personnes sans entretien de demande d’asile - un entretien de « crainte fondée », qui est requis par le droit international - vers Haïti.
Le gouvernement américain doit cesser d’utiliser le titre 42, une disposition de santé publique, comme prétexte pour expulser des migrants. Le gouvernement américain doit au contraire offrir une aide humanitaire et soutenir le regroupement familial et la relocalisation des Haïtiens aux États-Unis.
Il est impossible de justifier une expulsion vers Haïti à l’heure actuelle, pour les mêmes raisons que le gouvernement américain a déconseillé aux citoyens américains de s’y rendre. On estime à près de 1 000 le nombre de cas documentés d’enlèvement en 2021. Des amis expliquent que tout le monde est en danger. Les enlèvements ne sont plus ciblés, mais des écoliers, des marchands de rue et des piétons sont pris en otage pour exiger de l’argent. Le gouvernement américain a non seulement déclaré qu’Haïti n’était pas un pays sûr pour les voyages, mais en mai 2021, le ministère américain de la sécurité intérieure a désigné Haïti comme bénéficiaire du statut de protection temporaire, permettant aux ressortissants haïtiens admissibles résidant aux États-Unis de demander à y rester parce qu’Haïti ne peut pas rapatrier ses ressortissants en toute sécurité.
Les États-Unis doivent mettre fin aux déportations vers Haïti. Les États-Unis et d’autres pays d’Amérique doivent commencer à reconnaître, traiter et réparer la discrimination anti-Noir qui caractérise leurs politiques d’immigration.
Que devrait faire la communauté internationale, et en particulier les États-Unis, pour améliorer la situation ?
Premièrement, la communauté internationale devrait suivre l’exemple des OSC haïtiennes et s’engager de manière sérieuse et solidaire avec la Commission pour une solution haïtienne à la crise. Daniel Foote, l’envoyé spécial des États-Unis pour Haïti, a démissionné en signe de protestation huit semaines après son entrée en fonction ; il a déclaré que ses collègues du département d’État n’étaient pas intéressés par le soutien de solutions dirigées par les Haïtiens. Les États-Unis devraient jouer le rôle d’encourager la recherche d’un consensus et de faciliter les conversations pour faire avancer les choses sans interférer.
Deuxièmement, toutes les déportations vers Haïti doivent cesser. Elles ne sont pas seulement des violations du droit international. Elles sont aussi hautement immorales et injustes.
Les étrangers, y compris moi-même, ne sont pas les mieux placés pour prescrire des solutions en Haïti : nous devons plutôt soutenir celles créées par le peuple haïtien et les organisations haïtiennes. Il est temps pour le peuple haïtien de décider de la voie à suivre, et nous devons le soutenir activement, et le suivre.
L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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HAÏTI : « La communauté internationale ne s’est jamais attaquée aux causes profondes de la crise »
CIVICUS s’entretient avec Nixon Boumba, militant des droits humains et membre du Kolektif Jistis Min nan Ayiti (Collectif pour la justice minière en Haïti), sur la situation politique en Haïti après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Formé en 2012, le Collectif pour la justice minière en Haïti est un mouvement d’organisations, d’individus et de partenaires de la société civile haïtienne qui font pression pour la transparence et la justice sociale et environnementale face à l’intérêt international croissant pour le secteur minier haïtien. Il sensibilise les communautés touchées aux conséquences de l’exploitation minière dans cinq domaines : l’environnement, l’eau, le travail, l’agriculture et la terre.
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HAÏTI : « La société civile doit s’impliquer car les acteurs politiques ne peuvent pas trouver de solution à nos problèmes »
CIVICUSéchange avec Monique Clesca, journaliste, défenseuse de la démocratie et membre de la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise (CRSC), à propos de la crise actuelle en Haïti et des appels à l’intervention étrangère.
La CRSC, également connue sous le nom de Groupe Montana, est un groupe d’organisations et de leaders civiques, religieux et politiques qui se sont réunis au début de l’année 2021. Le groupe a promu l’Accord de Montana à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. Cet accord mettait en place un gouvernement provisoire de deux ans pour succéder à Ariel Henry, le Premier ministre par intérim. De plus, il prévoyait l’organisation d’élections dès que possible, ainsi qu’une feuille de route pour réduire l’insécurité, faire face à la crise humanitaire et répondre aux demandes de justice sociale. Le Bureau de suivi de l’Accord de Montana continue d’assurer le suivi de cette feuille de route.
Quelles sont les causes de la crise actuelle en Haïti ?
Les gens semblent associer la crise à l’assassinat du président Moïse, mais elle a commencé bien avant en raison de plusieurs problèmes sous-jacents. Il s'agit certes d'une crise politique, mais plus profondément on fait face à une crise sociale. Depuis de nombreuses décennies, la majorité de la population haïtienne subit les effets de profondes inégalités. Les écarts sont énormes en termes de santé et d’éducation, d’où la nécessité de justice sociale. Le problème va bien au-delà des questions politiques, constitutionnelles et humanitaires les plus visibles.
Au cours de la dernière décennie, différents gouvernements ont tenté de saper les institutions de l’État afin de faire prévaloir un système corrompu : il n’y a pas eu d’élections transparentes ni d’alternance, avec trois gouvernements successifs du même parti politique. L’ancien président Michel Martelly a reporté à deux reprises les élections présidentielles, gouvernant par décret pendant plus d’un an. En 2016, des allégations de fraude ont été soulevées contre Moïse, son successeur, qui a dissous le Parlement pendant son mandat sans jamais organiser des élections. Il a aussi révoqué plusieurs juges de la Cour suprême et a politisé la police.
Il a également proposé un référendum constitutionnel, qui a été reporté à plusieurs reprises et qui est clairement inconstitutionnel. La Constitution de 1987 énonce les modalités du droit d'amendement, donc en tentant de la réécrire, Moïse a choisi la voie anticonstitutionnelle.
Lorsque Moïse a été tué, Haïti faisait déjà face à la faiblesse des institutions, à la corruption massive, et à l’absence d’élections et de renouvellement de la classe politique qu’il avait accentué.À la suite de son assassinat la situation s’est encore aggravée, car à l'absence du Président s'ajoutait le manque d’opérationnalité de l'organe judiciaire et législatif. Nous avons connu, et continuons de connaître, une véritable crise constitutionnelle.
Ariel Henry, l’actuel Premier ministre par intérim, n’a clairement aucun mandat. Moïse l’a nommé Premier ministre successeur deux jours avant son décès, sans même laisser une lettre de nomination signée.
Qu’a proposé le Groupe Montana pour sortir de cette crise ?
En début 2021 le Groupe Montana s’est fondé sur l'idée que la société civile devait s’impliquer car les acteurs politiques ne pouvaient pas trouver de solution aux problèmes d’Haïti. Un forum de la société civile a donc formé une commission qui a travaillé pendant six mois pour créer un dialogue et tenter de dégager un consensus en s’adressant à tous les acteurs politiques, ainsi qu’aux organisations de la société civile. Grâce à toutes ces contributions, nous avons abouti à un projet d’accord qui a été finalisé et signé par près d’un millier d’organisations et de citoyens : l’Accord de Montana.
Nous avons élaboré un plan composé de deux parties : d'une part un plan de gouvernance et d'autre part une feuille de route pour la justice sociale et l’aide humanitaire, qui a été signée dans le cadre de l’accord. Pour obtenir un consensus avec une participation plus large, nous avons proposé la création d’un organe de contrôle qui jouerait le rôle du pouvoir législatif et d’un pouvoir judiciaire intérimaire pendant la transition. Une fois qu’Haïti aura organisé des élections transparentes, il y aura un organe législatif dûment élu et le gouvernement pourra passer par le processus constitutionnel pour nommer le plus haute juridiction, la Cour suprême. Tel est le modèle de gouvernance que nous avons envisagé pour la transition, dans une tentative de rapprochement à l’esprit de la Constitution haïtienne.
Au début de l’année, nous avions rencontré plusieurs fois Henry afin d’entamer des négociations avec lui et ses alliés. À un moment donné, il nous a dit qu’il n’avait pas l’autorité pour négocier. Il a donc fermé la porte aux négociations.
Quels sont les défis à relever pour organiser des élections dans le contexte actuel ?
Le principal défi est l’insécurité généralisée. Les gangs terrorisent la population. Les enlèvements ainsi que les assassinats sont monnaie courante. Les gens ne peuvent pas sortir de chez eux : ils ne peuvent pas aller à la banque, dans les magasins, ni même à l’hôpital. Les enfants ne peuvent pas aller à l’école : la rentrée était prévue pour septembre, puis a été reportée jusqu’à octobre, et maintenant le gouvernement n'annonce même pas quand elle aura lieu. En outre, il y a une situation humanitaire désastreuse en Haïti, qui s’est d'autant plus aggravée avec le blocage du Terminal Varreux, le principal terminal pétrolier de Port-au-Prince. Cet événement a eu un impact sur l’alimentation en électricité et la distribution d’eau, et donc sur l’accès de la population aux biens et services de base. Au milieu d’une épidémie de choléra, les établissements de santé ont été contraints de réduire leurs services ou bien de fermer leurs portes complètement.
Il y a aussi une polarisation politique et une méfiance généralisée. Les gens se méfient non seulement des politiciens, mais aussi les uns des autres.
En raison de la pression politique et de l’activité des gangs, les mobilisations citoyennes ont été inconstantes. Or depuis fin août, des manifestations massives ont été organisées pour demander la démission d’Ariel Henry. Les gens ont également manifesté contre la hausse des prix du carburant, les pénuries et la corruption. Ils ont aussi clairement rejeté toute intervention militaire étrangère.
Quelle est votre position concernant l’appel du Premier ministre à une intervention étrangère ?
Henry n’a aucune légitimité pour demander une intervention militaire. La communauté internationale peut aider, mais ne peut pas prendre la décision d’intervenir ou pas. Nous devons d’abord avoir une transition politique de deux ans avec un gouvernement crédible. Nous avons des idées, mais à ce stade nous avons besoin de voir cette transition.
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HAÏTI : « Les gangs contrôlent le pays en lieu et place des autorités »
CIVICUS échange sur l’augmentation de la violence des gangs et la situation politique en Haïti avec Nancy Roc, journaliste indépendante.
Avec 38 ans d’expérience, Nancy est une journaliste originaire d’Haïti, reconnue pour son travail en faveur de la liberté de la presse. Elle est récipiendaire de nombreux prix, dont le prix Jean Dominique pour la liberté de la presse décerné par l’UNESCO, entre autres.
Quelle est la situation actuelle d’Haïti en matière de sécurité ?
La situation est intenable, pour reprendre le terme exact du Haut-Commissaire des Nations Unies (ONU) aux droits de l’homme, Volker Türk. Malgré l’état d’urgence et la succession de couvre-feu déclarés par le gouvernement depuis le 4 mars pour regagner le contrôle de la capitale, Port-au-Prince, il n’y a pas une semaine qui ne s’écoule sans que des kidnappings aient lieu. La violence est quotidienne.
La population est cloitrée chez elle, la plupart des écoles sont fermées et les activités économiques sont gravement affectées. Il en est de même sur les routes où depuis plus de trois mois les gangs imposent leur loi et de nombreux chauffeurs sont au chômage. Pratiquement toutes les infrastructures de la capitale ont été ou détruites ou gravement affectées par les attaques des gangs.
L’attaque du Pénitencier national, le 2 mars, a été un grand choc pour les Haïtiens, même s’ils sont habitués à vivre sous la menace constante de la violence. Plus de 4.500 détenus se seraient évadés, parmi lesquels des membres éminents de gangs et des personnes arrêtées dans le cadre de l’assassinat du Président Jovenel Moïse en juillet 2021. Les pillages et les attaques ont été nombreux, notamment contre la Bibliothèque nationale, qui a été prise d’assaut le 3 avril.
La veille, dans la soirée du 2 avril, des bandits lourdement armés ont pillé des dizaines de maisons et emporté plusieurs véhicules privés aux villages Tecina et Théodat, dans la municipalité de Tabarre, au nord-est de Port-au-Prince. La grande majorité de la population, qui vivait déjà dans une misère extrême, est aujourd’hui plongée dans un véritable enfer et laissée pour compte.
Quant à la police, malgré certains efforts, elle n’est pas outillée ni assez nombreuse pour faire face à une telle situation de guérilla urbaine face à des gangs surarmés. Actuellement, environ 23 gangs opèrent dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, divisés en deux grandes coalitions : le G-Pèp, dirigé par Gabriel Jean Pierre, dit Ti Gabriel, et le G9 Famille et Alliés, dirigé par Jimmy Chérizier, alias Barbecue. Mais les experts de l’ONU estiment qu’il y en a entre 150 et 200 dans l’ensemble du pays.
Selon l’ONU, depuis le début de l’année, 1.193 personnes ont été tuées et 692 blessées à cause de la violence des gangs. Le système de santé est au bord de l’effondrement et les hôpitaux n’ont souvent pas la capacité de traiter les personnes blessées. L’économie est asphyxiée car les gangs imposent des restrictions aux mouvements de la population. Le principal fournisseur d’eau potable a cessé ses livraisons. Cette situation a entraîné une crise alimentaire majeure : près de la moitié des 11 millions d’habitants d’Haïti ont besoin d’une forme d’assistance alimentaire.
Comment les gangs sont-ils devenus si puissants ?
Les gangs disposent de puissants financeurs au sein du gouvernement et du secteur privé. Sous l’ancien premier ministre de facto Ariel Henry, qui a démissionné en mars, le gouvernement finançait 30% des membres du G9. Il ne serait pas étonnant que certaines personnalités tant du secteur privé que d’anciens hauts dignitaires de l’État continuent à les financer, en particulier ceux qui ont été sanctionnés par la communauté internationale.
Un rapport d’experts de l’ONU publié en 2023 a également pointé du doigt l’ancien président Michel Martelly, au pouvoir entre 2011 et 2016, ainsi que plusieurs hommes d’affaires et législateurs de premier plan, comme fournissant des ressources aux gangs armés, que ce soit en nature ou en espèces.
La prolifération des gangs a commencé sous Martelly et s’est accentuée après l’assassinat de Moïse. Déjà en 2019, environ 162 groupes armés avaient été répertoriés sur le territoire national dont plus de la moitié opérait dans l’aire métropolitaine. Au total, ils auraient un potentiel supérieur à 3.000 soldats armés d’armes à feu, dont des adolescents et même des enfants.
Sous Moïse, de nombreux massacres ont eu lieu, tels que le massacre de La Saline en 2018, le massacre du Bel Air en 2019 et le massacre de Cité Soleil en 2020. Tous ont eu lieu dans des quartiers à fort poids électoral et où résidaient des membres de l’opposition, et ces crimes sont tous restés impunis.
En 2020, la situation s’est aggravée lorsque Chérizier, ancien policier, a fédéré les gangs avec la « famille G9 » alliée aux neuf bandes les plus puissantes de la région. Cela lui a permis de contrôler une bonne partie de la capitale – tout en étant financé en sous-main par de hauts fonctionnaires de l’appareil d’État.
La fédération des gangs a même été saluée par la Représentante spécial du Secrétaire Général de l’ONU en Haïti, qui a affirmé que fédérer les gangs avait fait baisser le nombre d’homicides de 12% en trois mois. Cela a provoqué un tel scandale qu’elle a dû revenir sur ses propos en les qualifiant de « mésinterprétation ».
Un an après l’assassinat du président Moïse, alors que la situation s’aggravait, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté, à l’unanimité, une résolution établissant un régime de sanctions qui ciblait les chefs de gangs et ceux qui les finançaient. Chérizier était le seul chef de gang dont le nom figurait dans une annexe de la résolution mais, à ce jour, aucune mesure n’a été prise à son encontre.
Le 29 février 2024, la situation dans la capitale a pris un tournant décisif et pour le pire lorsque Chérizier a annoncé, à travers une vidéo sur les réseaux sociaux, la reconstitution de la coalition des groupes armés dénommée « Viv Ansanm » (Vivre ensemble). Il y revendiquait la responsabilité des tensions qui ont secoué Port-au-Prince et a déclaré que l’objectif premier des gangs était de renverser le gouvernement. Il a précisé aussi qu’une chasse aux ministres, au directeur général de la Police Nationale, était désormais ouverte. Il voulait les arrêter et empêcher Ariel Henry, qui se trouvait à Porto Rico, de rentrer au pays. Des policiers ont été tués, des commissariats attaqués, plusieurs vols annulés suite à un assaut des gangs à l’aéroport international Toussaint Louverture qui, depuis, est fermé.
Chérizier prétend lancer une révolution afin de libérer le peuple haïtien des autorités et des oligarques pourtant, ces gangs ont ciblé toutes les couches de la société, autant que les quartiers pauvres de la capitale et de nombreuses structures étatiques qui servaient aux pauvres comme le principal hôpital public. La destruction est telle que l’ONU parle d’Haïti comme « un État au bord de l’effondrement ».
En décembre 2023 plus de 310.000 personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 50.000 personnes ont quitté la capitale en trois semaines au mois de mars 2024. L’ampleur du désastre est stupéfiante et tous les pays qui avaient promis une aide policière ou militaire sont absents. Haïti est abandonnée à son triste sort et les gangs contrôlent le pays en lieu et place des autorités.
Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas réagi à la menace croissante des gangs ?
Il y a quatre ans, la Police Nationale d’Haïti disposait officiellement d’une force de 15.498 officiers de police (dont seulement 1.711 femmes), bien que le nombre d’officiers effectifs était estimé à beaucoup moins. En outre, le programme humanitaire mis en place par l’administration Biden-Harris pour faciliter le séjour des Haïtiens aux États-Unis a fait courir à la police le risque de perdre jusqu’à un tiers de ses effectifs en raison de l’émigration.
Dans un tel contexte, le chaos et la violence ont atteint un niveau sans précédent. Depuis l’assassinat du président Moïse, le gouvernement a été incapable d’instaurer l’ordre avec la police, et l’armée ne comptait qu’environ 2.000 soldats. De plus, aucune élection législative ou générale n’a été organisée depuis 2016. Il n’y a donc plus d’élus, le mandat des précédents étant expiré. Les critiques d’Henry, très impopulaire, considéraient son règne comme illégitime.
En octobre 2022, Henry a fait appel à la communauté internationale, sollicitant l’intervention d’une force étrangère. Vu son impopularité, cela a suscité la méfiance parmi la population qui redoutait que cette intervention vienne renforcer un gouvernement illégitime et accusé de connivence avec les gangs. De plus, la composition de cette mission a viré au casse-tête.
Près d’un an plus tard, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté une résolution autorisant le recours à la force par une mission internationale d’assistance à la sécurité en Haïti. Ni le Canada ni les États-Unis n’ont voulu intervenir directement en Haïti, soulignant que la solution devait venir des Haïtiens. Mais ces derniers n’ont jamais pu s’entendre et, de plus, ils redoutent une intervention étrangère, compte tenu des interventions catastrophiques de l’ONU, depuis 2004. Le Canada, qui avait été sollicité par Washington pour prendre le leadership de l’intervention, s’est retiré en mars 2023, pour laisser la direction au Kenya.
Le déploiement de la force d’intervention multinationale devait commencer le 1er janvier 2024. En juillet dernier, le Kenya avait proposé de diriger la mission avec un millier de policiers. Antigua et Barbuda, les Bahamas et la Jamaïque s’étaient engagés à envoyer du personnel de sécurité, et plus récemment le Belize et la Guyane. Le Canada s’était également engagé à participer à la mission. Pour sa part, le gouvernement américain s’était engagé à financer la mission à hauteur d’au moins 100 millions de dollars.
Alors que les gangs étendaient leur emprise sur Port-au-Prince et formaient une alliance dans le but déclaré de renverser le Premier ministre, Henry prévoyait de se rendre au Kenya pour signer un accord de réciprocité. Pendant son absence, les bandes criminelles de Chérizier ont attaqué des commissariats de police, l’aéroport de la capitale et des prisons. Ils ont brandi la menace d’une guerre civile si Henry revenait en Haïti. Il a démissionné le 11 mars 2024. Le lendemain, le Kenya a suspendu l’envoi de ses policiers en Haïti.
Qui est aux commandes aujourd’hui, et quelles sont les chances que la démocratie soit rétablie ?
Dans la foulée de la démission d’Henry, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence. Le même jour, la formation d’un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) chargé de rétablir l’ordre a été annoncée. Le conseil est constitué de neuf membres, soit sept votants et deux observateurs. Il intègre des représentants des principaux partis politiques, ainsi que du secteur privé et de la société civile. Son mandat de 22 mois prendra fin le 7 février 2026 après avoir organisé des « élections démocratiques, libres et crédibles ».
De nombreux obstacles se dressent déjà pour atteindre cette finalité. En premier lieu, comment rétablir la sécurité alors que les gangs continuent de recevoir des armes des États-Unis ? Dernier coup de théâtre : lorsque Ariel Henry a sorti le décret annonçant la formation du CPT, aucun nom des membres n’y figurait. Depuis, les organisations des représentants désignés du CPT ont exprimé leur désaccord avec le décret du Gouvernement publié dans le journal officiel le 12 avril 2024. Finalement, l’arrêté officialisant la nomination des membres du CPT a été publié le 16 avril.
De plus, le Conseil souhaite prêter serment au Palais National devant la nation alors même que le Palais a été la cible des gangs à plusieurs reprises. Qui assurera sa sécurité ? Comment rétablir la paix en Haïti dans un contexte d’incertitude politique et de fragilité économique ? Est-ce que les membres du Conseil, dont certains sont des frères ennemis, pourront dépasser leurs propres intérêts au profit de la nation ? D’autre part, qui reconstruira le pays après le départ de tant de jeunes ? Le pays fera-t-il enfin appel à sa diaspora ?
Par ailleurs, la possibilité d’une famine se dessine à l’horizon et le Programme Alimentaire Mondial craint que ses stocks alimentaires ne s’épuisent d’ici la fin du mois d’avril.
Enfin, comment convaincre les gangs de déposer leurs armes alors qu’ils accumulent des millions à travers les kidnappings et la vente des armes ? Il s’agit d’une activité très lucrative, tant pour les gangs que pour de simples citoyens qui font face à une grande pauvreté.
Comment aussi rétablir la justice et punir les criminels qui ont commis tant de crimes contre l’humanité ? L’adage ne dit-il pas qu’il n’y a pas de paix sans justice ? Enfin, que dire des ambitions politiques des gangs ? Le 11 mars, Chérizier a déclaré qu’il serait « l’alliance Viv Ansanm, avec le peuple haïtien, qui élira celui qui dirigera le pays ». Le CPT devra-t-il négocier avec les gangs ?
Les défis qui se dressent devant le CPT ne sont donc pas des moindres et l’un des plus ardus sera de trouver le moyen d’articuler une demande d’aide externe sans perdre la souveraineté d’Haïti.
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HAÏTI : « Si la mission a du succès, les autorités n’auront pas à se tourner à nouveau vers la communauté internationale pour maintenir la paix »
CIVICUS échange avec l’avocate haïtienne Rosy Auguste Ducéna sur la situation en Haïti et les perspectives d’une mission internationale nouvellement déployée.
Rosy est responsable de programmes du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), une organisation de la société civile qui œuvre pour l’instauration d’un État de droit en Haïti.
Suite à la démission du premier ministre de facto Ariel Henry en avril, un Conseil présidentiel de transition a été nommé pour tenter d’entamer le processus de rétablissement de la paix dans un pays assiégé par les gangs. En proie à des divisions internes, il a fallu attendre le mois de juin pour que le conseil nomme un nouveau premier ministre, l’universitaire et praticien du développement Garry Conille. Le même mois, le premier contingent de la Mission multinationale de soutien à la sécurité des Nations unies, dirigée par le Kenya et longtemps retardée, a commencé à arriver. Compte tenu de la longue histoire d’échecs des interventions internationales en Haïti, la société civile est sceptique et exige que la mission soit fortement axée sur les droits humains.
Qu’est-ce qui a changé depuis la démission du premier ministre de facto Ariel Henry ?
Après l’avoir soutenu tout au long de son gouvernement, la communauté internationale a finalement retiré son soutien à Henry, qui a démissionné dans la honte. Il était un prédateur des droits humains et nous étions donc heureux de le voir partir, même si ce n’était pas de la manière dont nous l’aurions souhaité.
Un Conseil présidentiel de transition a été mis sur pied avec la participation de la communauté internationale via la Communauté caribéenne (CARICOM), l’organisation régionale. Il compte en son sein des personnalités issues de secteurs qui n’inspirent pas confiance à la population haïtienne. La seule femme qui fait partie du Conseil a un rôle d’observateur et tous les candidats au poste de premier ministre auditionnés étaient des hommes.
Un mois après l’installation de ce conseil, avec le peuple haïtien dévasté par l’insécurité et les bandes armées, un premier ministre a enfin été élu : Garry Conille, lui aussi soutenu par la communauté internationale. La prochaine étape logique est la mise en place d’un gouvernement de transition.
Qu’attend la société civile du nouveau premier ministre ?
Nous attendons du nouveau Premier ministre qu’il tienne sa première promesse : celle d’établir un gouvernement dans lequel les femmes n’auront pas un rôle symbolique mais occuperont des postes de pouvoir. Et nous espérons que des femmes ayant un agenda de lutte pour les droits des femmes dans le contexte de la transition seront choisies. Il est important de respecter le quota minimal de 30% de femmes dans les organes de décision – sans pour autant s’y arrêter, puisque plus de la moitié de la population haïtienne sont des femmes –, mais il est également important que les femmes qui occupent ces postes s’impliquent dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, les discriminations et les injustices sociales subies par les femmes.
Nous espérons aussi que les décisions qui seront prises par ce gouvernement à venir tiendront compte des priorités de la population : combattre l’insécurité, lutter contre l’impunité dont ont toujours bénéficié les bandits armés et mettre les victimes de l’insécurité au cœur des décisions, ainsi qu’organiser les élections.
Et, sachant que cette transition a une obligation de résultat, tout doit être mis en œuvre pour que la feuille de route du Conseil et du premier ministre soit réalisée.
Quelle est la situation en matière de sécurité et de droits humains ?
La situation des droits humains sur le terrain est très préoccupante : les vols, assassinats, viols, viols collectifs, massacres, attaques armées et enlèvements contre rançon, et les incendies des maisons et des véhicules de la population sont monnaie courante.
Deux grandes coalitions de gangs armés qui jadis se battaient entre elles, le « G-9 an Fanmi e Alye » dirigé par Jimmy Chérizier, alias Barbecue, et le « G-Pèp », dirigé par Gabriel Jean Pierre, alias Ti Gabriel ou Gabo, se sont regroupées autour d’une fédération et s’attaquent à la population civile pour asseoir leur pouvoir.
Les conséquences sur la vie et la sécurité de la population haïtienne sont énormes : les bandits armés contrôlent la circulation des biens et des services ainsi que les approvisionnements en carburant et en médicaments et sèment la terreur. Certaines zones se sont complètement vidées de leur population. Des victimes de l’insécurité vivent dans des camps d’accueil surpeuplés, dans la promiscuité et exposés à toutes sortes d’exactions et de maladies contagieuses.
Les écoles ne fonctionnent pas toutes. Des milliers d’enfants en âge d’être scolarisés et de jeunes qui devaient fréquenter l’université viennent de perdre une année académique. Des hôpitaux et centres de santé ont dû fermer leurs portes en raison de l’insécurité. Des alertes à la crise alimentaire aigüe ont été lancées : en Haïti, nous vivons une crise humanitaire sans précédent. Et, si aucune mesure n’est prise, elle s’aggravera.
Dans un pays appauvri, où le système éducatif n’était déjà pas inclusif et où les droits sociaux ont toujours été considérés comme des produits à se procurer, le fossé de l’accès à l’éducation et à des soins de santé de qualité se creuse. Les femmes, les enfants et les personnes vivant avec une déficience physique, sensorielle ou même cognitive, ont été les premiers touchés par les conséquences néfastes du chaos instauré par les bandits armés, avec la complicité de l’institution policière et des autorités au pouvoir dirigé par Henry.
Dans ce contexte de violation massive et continue des droits humains, le Conseil présidentiel de transition n’a pas encore prouvé qu’il comprend la nécessité d’agir vite.
Comment la nouvelle mission internationale a-t-elle été créée et en quoi diffère-t-elle de ses prédécesseurs ?
Le 6 octobre 2022, Henry avait sollicité l’envoi d’une « force robuste » en vue, selon ses dires, « de combattre l’insécurité, rétablir la paix et de réaliser les élections ». Près d’une année plus tard, le 2 octobre 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution autorisant le déploiement d’une force baptisée Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité, après que le Kenya eut accepté d’en assurer le leadership.
La mission a mis du temps à se mettre en place. Elle est en train de commencer, mais nous restons sceptiques.
Elle sera la onzième mission depuis 1993. Toutes ses prédécesseuses ont été impliquées dans la commission de violations des droits humains à l’encontre de la population haïtienne : exécutions sommaires, bastonnades et atteintes à l’intégrité physique et psychique, marchandage sexuel, viols sur mineurs.es et sur femmes. Et la seule sanction à laquelle s’exposaient les auteurs de ces violations était le rapatriement.
L’Organisations des Nations Unis a apporté le choléra, dont la propagation a causé la mort de plus de 10.000 personnes, et n’a accepté ses responsabilités que du bout des lèvres. Les promesses de dédommagement n’ont jamais été tenues.
Les résultats des différentes missions en Haïti, qui ont coûté des millions de dollars, sont maigres. Les institutions policières et judiciaires, ainsi que l’organe électoral qu’on leur a toujours demandé de renforcer, n’ont jamais été aussi dysfonctionnels. Le calcul coût-bénéfice et leur implication dans les violations des droits humains suggèrent qu’elles sont contre-productives.
Il faut toutefois reconnaitre que la population, fatiguée de l’insécurité qui lui vole sa vie et son humanité et ayant perdu confiance dans le système pénal haïtien, place ses espoirs dans cette force internationale. Actuellement, la police ne traque pas les bandits notoires, les tribunaux ne les jugent pas, même par contumace, alors que plusieurs centaines de victimes de massacres, accompagnées par le RNDDH, ont porté plainte contre leurs agresseurs. Les rares fois où ils sont emprisonnés, ils s’évadent ou passent des années en détention, sans que les faits qui leur sont reprochés ne soient jamais élucidés et sans que les victimes ne reçoivent justice.
Comment la mission internationale doit-elle agir pour contribuer à une paix durable ?
Avec six autres organisations de la société civile haïtienne, nous avons réfléchi à cette question et formulé des recommandations. Celles-ci portent notamment sur la définition des objectifs de la mission et la prise en compte des préoccupations des organisations de défense des droits humains dans l’élaboration du cadre réglementaire et du plan stratégique de sécurité de la mission.
La résolution étant restée muette ou ayant utilisé des termes sibyllins sur certaines questions importantes, nous insistons sur la nécessité d’aborder les obligations des agents.es relatives à la gestion des eaux, aux normes déontologiques et de transparence, ainsi qu’aux mécanismes de monitoring et de suivi des comportements des agents.
Nous recommandons également l’établissement de mécanismes de prévention des actes de violations des droits humains et la mise en place d’un mécanisme de plaintes pour les éventuelles victimes. Il est essentiel que les pays pourvoyeurs d’agents.es s’engagent à tout mettre en œuvre pour que les exactions soient punies et que les garanties judiciaires des victimes soient protégées et respectées.
Plus que toute autre chose, nous espérons que la mission mènera ses opérations sur le terrain avec la participation des policiers.ères haïtiens, qui y gagneront en formation et en tactiques de lutte contre les bandes armées, afin qu’au départ de cette mission, les autorités haïtiennes n’aient pas à se tourner à nouveau vers la communauté internationale pour maintenir la paix et la sécurité.
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HONG KONG : « La loi sur la sécurité nationale viole la liberté d’expression et intensifie l’autocensure »
CIVICUS s’entretient avec Patrick Poon, chercheur indépendant sur les droits humains, de la situation des droits humains à Hong Kong à la suite de l’adoption d’une nouvelle loi sur la sécurité nationale (LSN) en juin 2020. Patrick est un chercheur en doctorat à l’Université de Lyon en France,a précédemment travaillé comme chercheur sur la Chine à Amnesty International, et a occupé différents postes au sein du China Human Rights Lawyers Concern Group, du Independent Chinese PEN Center et du China Labor Bulletin.
L’espace civique à Hong Kong est de plus en plus assiégé depuis le début d’une vague demanifestations de masse pour les libertés démocratiques en juin 2019, déclenchée par l’introduction d’un projet de loi sur l’extradition. LeCIVICUS Monitor a documenté l’usage excessif et mortel de la force contre les manifestants par les forces de sécurité, l’arrestation et la poursuite d’activistes pro-démocratie, ainsi que des attaques contre les médias indépendants.
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KIRGHIZISTAN : « Le choix des citoyens lors du référendum sera décisif pour l'avenir »
CIVICUS et l’International Partnership for Human Rights (Partenariat international pour les droits de l'homme) s’entretiennent avec Ulugbek Azimov, expert juridique à la Legal Prosperity Foundation, au sujet des manifestations qui ont eu lieu au Kirghizistan en octobre 2020 et des évolutions politiques qui s’en sont suivies. La Legal Prosperity Foundation (anciennement Youth Human Rights Group) est une organisation indépendante de la société civile qui œuvre à la promotion des droits humains et des principes démocratiques au Kirghizstan depuis 1995. L’organisation mène des programmes éducatifs, assure le suivi des droits humains, interagit avec les mécanismes internationaux des droits humains et promeut le respect des droits humains dans le cadre de réformes juridiques.
Le Kirghizistan est souvent considéré comme la seule démocratie d’Asie centrale. Dans quelle mesure cette description est-elle proche de la vérité ?
Il est vrai qu’au début des années 1990, c’est-à-dire dans les premières années de l’indépendance, la démocratie a émergé et a commencé à se développer au Kirghizistan. Par rapport aux autres pays de la région, le Kirghizistan se caractérisait par un niveau plus élevé de participation des citoyens, une société civile plus développée et des conditions plus favorables au fonctionnement et à la participation des partis politiques au processus politique. Pour cette raison, le Kirghizstan a été qualifié d’« île de la démocratie » en Asie centrale.
Toutefois, au cours des 30 années qui ont suivi l’indépendance, le Kirghizistan a été confronté à de graves difficultés. Les tentatives des anciens présidents pour préserver et renforcer leur emprise sur le pouvoir, en faisant pression sur l’opposition, en persécutant les médias et les journalistes indépendants, en restreignant la liberté d’expression, en utilisant les ressources publiques en leur faveur, en soudoyant les électeurs et en falsifiant les résultats des élections, ont entraîné des bouleversements politiques majeurs à plusieurs reprises. Au cours des 15 dernières années, le gouvernement a été renversé à trois reprises lors des révolutions dites des tulipes, d’avril et d’octobre, respectivement en 2005, 2010 et 2020, deux anciens présidents ayant été contraints de fuir le pays et le troisième de démissionner avant le terme de son mandat.
Chaque bouleversement a hélas été accompagné d'évolutions mettant à mal les acquis démocratiques antérieurs. Il n’est donc pas surprenant que Freedom House ait toujours classé le Kirghizistan comme étant seulement « partiellement libre » dans son enquête annuelle sur la liberté dans le monde. En outre, dans l’enquête la plus récente, publiée cette année, la note du Kirghizistan s’est détériorée pour devenir « non libre » en raison des retombées des élections législatives d’octobre 2020, qui ont été entachées de graves violations. Ainsi, le Kirghizistan se trouve désormais dans la même catégorie que celle dans laquelle se trouvent les autres pays d’Asie centrale depuis de nombreuses années.
Des restrictions liées à la pandémie ont-elles été imposées à l’approche des élections de 2020 ?
En réponse à l’augmentation rapide des cas de COVID-19 au printemps 2020, les autorités kirghizes ont adopté des mesures d’urgence et instauré un confinement dans la capitale, Bichkek, et dans plusieurs autres régions du pays, ce qui a entraîné des restrictions du droit à la liberté de mouvement et d’autres droits connexes. Tous les événements publics, y compris les rassemblements, ont été interdits.
Les mesures prises dans le contexte de la pandémie ont également suscité des inquiétudes quant aux restrictions de la liberté d’expression et de l’accès à l’information. Les autorités ont sérieusement resserré la vis contre les voix critiques, en réponse aux nombreuses critiques formulées à l’encontre des personnes au pouvoir, notamment le président de l’époque Sooronbai Jeenbekov, pour leur incapacité à lutter efficacement contre la pandémie. Les forces de l’ordre ont traqué les blogueurs et les commentateurs des médias sociaux gênants, leur ont rendu visite à leur domicile et ont engagé des discussions « préventives » avec eux. Dans certains cas, des utilisateurs de médias sociaux ont été placés en détention pour avoir soi-disant diffusé de fausses informations sur la pandémie, et ont été contraints de présenter des excuses publiques sous la menace de poursuites.
La loi sur la « manipulation de l’information », adoptée par le Parlement en juin 2020, est particulièrement préoccupante. Bien que les initiateurs de la loi aient prétendu qu'elle avait pour seul but de résoudre le problème des faux comptes en ligne, il était clair dès le départ qu’il s’agissait d’une tentative de la part des autorités d’introduire la censure sur Internet et de fermer les sites indésirables à la veille des élections. Après une avalanche de critiques de la part de la communauté des médias et des défenseurs des droits humains, le président de l’époque, M. Jeenbekov, a refusé de signer la loi et l’a renvoyée au Parlement pour révision en août 2020. Depuis lors, la loi est restée au niveau du Parlement.
Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations post-électorales d’octobre 2020 ? Qui a protesté, et pourquoi ?
La principale raison des manifestations d’octobre 2020, qui ont à nouveau conduit à un changement de pouvoir, était le mécontentement de la population à l’égard des résultats officiels des élections législatives du 4 octobre.
Sur les 16 partis en lice pour un siège au Parlement, seuls cinq ont franchi le seuil des sept pour cent requis pour entrer au Parlement. Bien que le président de l’époque, M. Jeenbekov, ait déclaré publiquement qu’il ne soutenait aucun parti, celui qui a obtenu le plus de voix - Birimdik (Unité) – lui était lié puisque son propre frère et d’autres membres de l’élite dirigeante se présentaient sous sa bannière. Le parti arrivé en deuxième position, Mekenim Kyrgyzstan (Mère patrie du Kirghizistan), était également considéré comme pro-gouvernemental et associé à la famille de l’ancien haut fonctionnaire des services douaniers Raiymbek Matraimov, qui a été impliqué dans une enquête très médiatisée sur la corruption, publiée en novembre 2019. Le gouvernement de Jeenbekov a ignoré les conclusions de cette enquête et n’a pas engagé d’action pénale contre Matraimov, malgré les appels publics en ce sens.
Il était prévisible que Birimdik et Mekenim Kyrgyzstan obtiennent de nombreux votes, compte tenu de l’utilisation de ressources publiques et des cas signalés d'achat de votes en faveur de leurs candidats. Ces deux partis, qui participaient pour la première fois à des élections législatives, ont obtenu près de la moitié des voix et donc la majorité absolue des sièges au Parlement. Les méthodes utilisées par les deux partis vainqueurs pour s’assurer le contrôle du Parlement ont suscité l’indignation des autres partis politiques ayant participé aux élections, de leurs électeurs et même des personnes apolitiques.
Les élections se sont déroulées dans un contexte de mécontentement croissant face aux difficultés sociales et économiques causées par la pandémie, ainsi que de sentiments antigouvernementaux grandissants au sein de la population.
Les élections « entachées », caractérisées par un nombre sans précédent de violations, ont servi de catalyseur aux événements qui ont suivi. Les manifestations ont commencé immédiatement après l’annonce des résultats préliminaires, le soir du jour de l’élection, le 4 octobre, et se sont poursuivies tout au long de la journée suivante. Les jeunes y ont joué un rôle décisif : la plupart de ceux qui sont descendus dans la rue pour protester et se sont rassemblés sur la place centrale de la capitale étaient des personnes jeunes. Malheureusement, la plupart de ceux qui ont été blessés, ainsi que le manifestant qui est décédé pendant les événements d’octobre, étaient également des jeunes.
Quelle a été la réaction du gouvernement face aux manifestations ?
Les autorités avaient la possibilité de prendre le contrôle de la situation et de la résoudre pacifiquement, mais elles ne l’ont pas saisie. Ce n’est que dans la soirée du 5 octobre que le président de l’époque, M. Jeenbekov, a annoncé qu’il rencontrerait les dirigeants des différents partis en lice pour les élections. Il a fixé une réunion pour le matin du 6 octobre, mais il était trop tard, car dans la nuit du 5 octobre, les manifestations pacifiques ont dégénéré en affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre à Bichkek, qui se sont terminés par la prise de la Maison Blanche (siège de la présidence et du Parlement) et d’autres bâtiments publics par les manifestants. Au cours de ces affrontements, les forces de l’ordre ont utilisé des balles en caoutchouc, des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes contre les manifestants. À la suite de ces affrontements, un jeune homme de 19 ans a été tué et plus de 1 000 personnes ont dû recevoir des soins médicaux, dont des manifestants et des membres des forces de l’ordre, et plus de 600 policiers ont été blessés. Au cours des troubles, des voitures de police, des ambulances, des caméras de surveillance et d’autres biens ont également été endommagés, pour une valeur estimée à plus de 17 millions de soms (environ 200 000 USD).
Les élections présidentielles anticipées organisées en janvier 2021 ont-elles permis de résoudre les problèmes soulevés par les manifestations ?
La principale revendication des manifestants était d’annuler les résultats des élections législatives d’octobre 2020 et d’organiser de nouvelles élections équitables. Cette demande a été partiellement satisfaite le 6 octobre 2020, lorsque la Commission électorale centrale (CEC) a déclaré les résultats des élections invalides. Cependant, jusqu’à présent, aucune date n’a été fixée pour les nouvelles élections législatives. La CEC les avait initialement prévues pour le 20 décembre 2020, mais le Parlement a réagi en adoptant rapidement une loi qui suspendait les élections durant le temps de révision de la Constitution, et prolongeait le mandat des membres du Parlement sortant jusqu’au 1er juin 2021.
La Commission de Venise - un organe consultatif du Conseil de l’Europe, composé d’experts indépendants en droit constitutionnel - a évalué cette loi et conclu que, pendant la période de transition actuelle, le Parlement devrait exercer des fonctions limitées et s’abstenir d’approuver des mesures extraordinaires, telles que des réformes constitutionnelles. Toutefois, le Parlement sortant a poursuivi ses travaux de manière habituelle et a approuvé la tenue d’un référendum constitutionnel en avril 2021. Le président nouvellement élu, Sadyr Japarov, a proposé d’organiser de nouvelles élections parlementaires à l’automne 2021, ce qui signifierait que les membres du Parlement sortant resteraient en poste même après le 1er juin 2021.
Conformément à d’autres revendications des manifestants, la législation électorale du pays a été modifiée en octobre 2020 afin de réduire le seuil électoral de sept à trois pour cent, permettant aux partis d'être représentés au Parlement et de réduire le fonds électoral de 5 à 1 million de soms (environ 12 000 USD). Ces modifications ont été apportées pour faciliter la participation d’un plus grand nombre de partis, y compris les plus récents, et pour promouvoir le pluralisme et la concurrence.
Les manifestants ont également exprimé leur mécontentement face à l’insuffisance des mesures prises pour lutter contre la corruption. Ils ont exigé que les autorités traduisent en justice les fonctionnaires corrompus, en particulier Matraimov, et restituent à l’État les biens volés. S’exprimant devant les manifestants avant de devenir président, M. Japarov a promis que M. Matraimov serait arrêté et puni.
Il faut reconnaître que Japarov a tenu parole. Après son arrivée au pouvoir en octobre 2020, Matraimov a été arrêté dans le cadre d’une enquête sur des mécanismes de corruption au sein du service des douanes, a plaidé coupable et a accepté de réparer les dommages en remboursant plus de 2 milliards de soms (environ 24 millions de USD). Un tribunal local l’a ensuite condamné, mais lui a appliqué une peine réduite, sous la forme d’une amende de 260 000 soms (environ 3 000 USD) et a levé les mesures de gel de ses biens, car il avait coopéré à l’enquête. Cette sentence extrêmement clémente a provoqué l’indignation générale. Le 18 février 2021, Matraimov a de nouveau été arrêté pour de nouvelles accusations de blanchiment d’argent, mais quelques jours plus tard, il a été transféré du centre de détention provisoire où il était détenu vers une clinique privée pour y être soigné pour des problèmes de santé. Après cela, beaucoup ont qualifié de « populistes » les mesures anticorruption prises par les autorités actuelles.
En janvier 2021, les citoyens kirghizes ont également voté lors d’un référendum constitutionnel. Quels ont été ses résultats, et quelles conséquences auront-ils sur la qualité de la démocratie ?
Selon les résultats du référendum, qui s’est déroulé le même jour que l’élection présidentielle de janvier 2021, 84 % des électeurs ont soutenu le changement d'un système de gouvernement parlementaire à un système présidentiel.
Sur la base d’une expérience comparative, de nombreux avocats et activistes de la société civile ne considèrent pas ce changement comme négatif en soi, à condition qu’un système de contrôle et d’équilibre des pouvoirs efficace soit mis en place. Cependant, ils sont sérieusement préoccupés par le fait que les autorités tentent de mener cette transition à un rythme anormalement rapide, en utilisant des approches et des méthodes discutables qui ne correspondent pas aux principes généralement acceptés et aux règles et procédures juridiques établies.
Le premier projet de Constitution prévoyant un système de gouvernance présidentiel, présenté en novembre 2020, a été surnommé « khanstitution » en référence aux dirigeants autocratiques historiques d’Asie centrale. Ses détracteurs ont accusé M. Japarov, qui a plaidé en faveur de ce changement depuis son entrée en fonction en octobre 2020, de vouloir usurper le pouvoir.
Le projet de Constitution accordait au président des pouvoirs pratiquement illimités, tout en réduisant au minimum le statut et les pouvoirs du Parlement, ce qui compromettait l’équilibre des pouvoirs et créait un risque d’abus de pouvoir présidentiel. Il prévoyait également une procédure d’impeachment compliquée, impossible à mettre en œuvre dans la pratique. En outre, alors qu’il ne mentionne pas une seule fois le principe de l’État de droit, le texte fait référence à plusieurs reprises à des valeurs et principes moraux. De nombreuses dispositions de la Constitution actuelle qui garantissent les droits humains et les libertés ont été exclues.
En raison de critiques sévères, les autorités ont été contraintes d’abandonner leur projet initial de soumettre le projet de Constitution à un référendum le même jour que l’élection présidentielle de janvier 2021, et ont accepté d’organiser une discussion plus large. À cette fin, une conférence dite constitutionnelle a été convoquée et ses membres ont travaillé pendant deux mois et demi, malgré les accusations d’illégitimité de leurs activités. Au début du mois de février 2021, la conférence constitutionnelle a soumis ses suggestions au Parlement.
Il faut reconnaître qu’à la suite de la discussion et des propositions soumises par la conférence constitutionnelle, certaines parties du projet de Constitution ont été améliorées. Par exemple, la référence au principe de l’État de droit a été rétablie et des modifications importantes ont été apportées aux sections relatives aux droits humains et aux libertés, notamment en ce qui concerne la protection de la liberté d’expression, le rôle des médias indépendants et le droit d’accès à l’information. Mais le projet est resté pratiquement inchangé en ce qui concerne les dispositions qui prévoient des pouvoirs illimités pour le président.
En mars 2021, le Parlement a adopté une loi sur l’organisation d’un référendum sur le projet de Constitution révisé, fixant la date au 11 avril 2021. Cela a suscité une nouvelle vague d’indignation parmi les politiciens, les juristes et les activistes de la société civile, qui ont souligné que cela allait à l’encontre de la procédure établie pour les changements constitutionnels et ont de nouveau averti que la concentration du pouvoir entre les mains du président pourrait aboutir à un régime autoritaire. Leurs préoccupations ont été reprises dans un avis conjoint de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, émis en mars 2021 à la demande du médiateur du Kirghizistan.
Le projet de Constitution comporte deux autres dispositions problématiques. L’une d’elles permet d’imposer des restrictions à tout événement qui contredit les « valeurs morales et éthiques » ou « la conscience publique du peuple de la République kirghize ». Ces concepts ne sont pas définis ou réglementés, ils peuvent donc être interprétés différemment selon les cas, ce qui crée un risque d’interprétation trop large et subjective et d’application arbitraire. Cela pourrait à son tour entraîner des restrictions excessives des droits et libertés humains, notamment des droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique.
L’autre disposition impose aux partis politiques, aux syndicats et aux autres associations publiques de garantir la transparence de leurs activités financières et économiques. Dans le contexte des récentes tentatives de renforcement du contrôle des organisations de la société civile (OSC), on craint que cette disposition ne soit utilisée pour faire pression sur celles-ci. Le jour même où le Parlement a voté en faveur de l’organisation d’un référendum sur le projet de Constitution, certains législateurs ont accusé les OSC de porter atteinte aux « valeurs traditionnelles » et de constituer une menace pour l’État.
Les activistes de la société civile continuent de demander la dissolution du Parlement actuel, qui a perdu sa légitimité à leurs yeux, et exhortent le président à convoquer rapidement de nouvelles élections. Les activistes organisent un rassemblement permanent à cette fin et, si leurs demandes ne sont pas satisfaites, ils prévoient de se tourner vers les tribunaux en invoquant l'usurpation du pouvoir.
Le président a toutefois rejeté toutes les préoccupations exprimées au sujet de la réforme constitutionnelle. Il a assuré que le Kirghizistan resterait un pays démocratique, que la liberté d’expression et la sécurité personnelle des journalistes seraient respectées et qu’il n’y aurait plus de persécution politique.
Les citoyens du Kirghizistan doivent faire leur choix. Le référendum à venir sur l’actuel projet de Constitution pourrait devenir un autre tournant dans l’histoire du Kirghizistan, et le choix des citoyens sera décisif pour l’évolution future vers la stabilité et la prospérité.
L’espace civique au Kirghizistan est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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MYANMAR : « Les militaires ont fait passer les travailleurs de la santé du statut de héros à celui de criminel du jour au lendemain »
CIVICUS s’entretient avec Nay Lin Tun, un médecin qui se porte régulièrement volontaire auprès des équipes de secours dans les zones d’urgence de la ville de Yangon au Myanmar. Depuis que l’armée a pris le pouvoir par un coup d’État le 1er février 2021, elle a lancé unerépression brutale contre le Mouvement de désobéissance civile (MDC), un mouvement de protestation qui s’est étendu à tout le pays et au sein duquel lesprofessionnels de la santé ont joué un rôle clé.
Depuis le coup d’État, Nay Lin Tun est en première ligne pour soigner les manifestants blessés par les forces de sécurité. Il a précédemment travaillé dans l’État de Rakhine, où il fournissait des soins de santé communautaires mobiles à la population Rohingya et à d’autres personnes déplacées à l’intérieur du pays dans les zones touchées par le conflit. Il a également participé à la campagneGoalkeepers Youth Action Accelerator, qui vise à accélérer les progrès vers les objectifs de développement durable des Nations unies.
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MYANMAR : « Les partis d'opposition se plaignent que le corps électoral censure leur discours »
CIVICUS s'entretient avec le journaliste lauréat Cape Diamond (Pyae Sone Win) au sujet des prochaines élections au Myanmar. Cape est un journaliste multimédia basé au Myanmar qui s’intéresse au domaine des droits humains, des crises et des conflits. Il travaille actuellement de manière indépendante pour l'Associated Press (AP). Il a assuré une couverture critique de la crise des réfugiés rohingyas et a travaillé avec de nombreux médias internationaux, dont Al Jazeera, ABC News et CBS. Il a également contribué au documentaire lauréat du BAFTA,Myanmar’s Killing Fields, et au filmThe Rohingya Exodus, médaillé d'or au Festival du film de New York.
Prévues pour le 8 novembre 2020, ces élections seront les premières depuis 2015, date à laquelle elles ont abouti à une victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), et ne seront que les deuxièmes élections compétitives depuis 1990, date à laquelle la victoire écrasante de la LND a été annulée par l’armée.
Quel est l'état des libertés civiles et de la société civile à l'approche des élections ?
La situation de la liberté d'expression est très préoccupante. Au fil des années, des journalistes et des militants des droits de l'homme au Myanmar ont fait l'objet d'accusations pénales en raison de leur travail. Des lois restrictives, telles que la loi sur les télécommunications, la loi sur les associations illicites, la loi sur les secrets officiels et les dispositions du code pénal relatives à la diffamation, continuent d'être utilisées pour poursuivre les militants et les journalistes. La loi sur les défilés et rassemblements pacifiques a également été utilisée contre les manifestants.
De nombreux partis politiques se sont plaints du fait que la Commission électorale de l'Union (CEU), l'organe électoral, a censuré des messages devant être diffusés à la télévision nationale avant les élections. Par exemple, Ko Ko Gyi, président du parti populaire, a déclaré que les changements apportés par la CEU dans son discours de campagne l'empêchaient d'exprimer pleinement la position politique de son parti sur les élections. Deux partis, le Parti démocratique pour une nouvelle société et la Force démocratique nationale, ont annulé leurs émissions électorales pour protester contre la censure.
En même temps, les adversaires disent que le corps électoral est biaisé en faveur du parti au pouvoir, la LND, dirigé par Aung San Suu Kyi. C'est une question à laquelle nous devons être attentifs et dont nous devons parler afin de garantir des élections crédibles.
Le corps électoral s’est-il rapproché de la société civile ?
J'ai entendu dire que l'actuel CEU n'a pas cherché activement à établir un lien avec la société civile. Le CEU a d'abord interdit à l'Alliance du peuple pour des élections crédibles (APEC), l'un des plus grands groupes de surveillance des élections du pays, de surveiller les élections. La CEU a accusé l'APEC de ne pas être enregistrée en vertu de la loi régissant les organisations de la société civile et de recevoir des fonds de sources internationales. Bien que la CEU l'ait finalement autorisée à fonctionner, l'organisation éprouve des difficultés à le faire en raison des restrictions récemment imposées à cause de la COVID-19.
Quelles sont les principales questions autour desquelles la campagne s'articulera ?
La pandémie de la COVID-19 et la guerre civile en cours dans le pays sont nos principaux problèmes pour le moment. Il est très clair que le parti au pouvoir et le gouvernement ne prêtent pas suffisamment attention à la situation des minorités dans les régions qui souffrent de la guerre civile.
Il est inquiétant que le pays traverse une pandémie, dont je pense qu'il n'a pas la capacité suffisante pour y faire face. Au 29 septembre 2020, nous avons eu un total de 11 000 cas signalés et 284 décès dus à la COVID-19. L'augmentation des infections au cours des dernières semaines est inquiétante, puisque nous n'avions eu qu'environ 400 cas confirmés en août. Je crains que la situation ne permette aux gens d'aller voter aux élections en toute sécurité.
Plus de 20 partis politiques ont envoyé des demandes au corps électoral pour reporter les élections en raison de la pandémie, mais celles-ci ont été rejetées. Le parti au pouvoir n'est pas prêt à reporter les élections.
Est-il possible de développer une campagne « normale » dans ce contexte ?
Je ne pense pas qu'il soit possible d'avoir des rassemblements de campagne normaux comme ceux des dernières élections, celles de 2015, car nous sommes en pleine pandémie. Le gouvernement a pris plusieurs mesures pour lutter contre la propagation de la maladie, notamment l'interdiction de se réunir. Les partis politiques ne peuvent pas faire campagne dans des zones qui sont en situation de semi-confinement.
Les grandes villes, telles que Yangon et sa région métropolitaine, ainsi que certaines municipalités de Mandalay, sont en semi-confinement, dans le cadre d'un programme que le gouvernement a appelé « Restez à la maison ». Au même temps, l'ensemble de l'État de Rakhine, qui connaît une guerre civile, est également en semi-confinement. J'ai bien peur que les habitants de la zone de guerre civile ne puissent pas aller voter.
Pour s'adresser à leur public, les candidats utilisent à la fois les réseaux sociaux et les médias traditionnels. Toutefois, comme je l'ai déjà souligné, certains partis de l'opposition ont été censurés par la CSU. Certains membres de l'opposition ont dénoncé le traitement inéquitable de la CEU et du gouvernement, tandis que le parti au pouvoir utilise son pouvoir pour accroître sa popularité. Cela va clairement nuire aux chances électorales de l'opposition.
Quels sont les défis spécifiques auxquels sont confrontés les candidats dans l'État de Rakhine ?
Étant donné que tout l'État de Rakhine est soumis à des restrictions en raison de la COVID-19, les candidats ne peuvent pas faire campagne personnellement. C'est pourquoi ils font généralement campagne sur les réseaux sociaux. En même temps, dans de nombreuses municipalités de l'État de Rakhine, une coupure du service Internet a été imposée de façon prolongée en raison des combats continus entre l'armée arakanienne et les forces militaires. Je crains que les gens là-bas ne puissent pas obtenir suffisamment d'informations sur les élections.
Le gouvernement du Myanmar utilise également la loi discriminatoire de 1982 sur la citoyenneté et la loi électorale pour priver les Rohingyas de leurs droits et les empêcher de se présenter aux élections. Les autorités électorales ont empêché le leader du Parti de la démocratie et des droits humains (PDDH) dirigé par les Rohingyas, Kyaw Min, de se présenter aux élections. Kyaw Min a été disqualifié avec deux autres candidats du PDDH parce que ses parents n'auraient pas été citoyens, comme l'exige la loi électorale. C'est l'un des nombreux outils utilisés pour opprimer le peuple Rohingya.
En octobre, la CEU a lancé une application pour smartphone qui a été critiquée pour l'utilisation d'un label dérogatoire en référence aux musulmans rohingyas. L'application mVoter2020, qui vise à sensibiliser les électeurs, désigne au moins deux candidats de l'ethnie rohingya comme des « Bengalis », ce qui laisse entendre qu'ils sont des immigrants du Bangladesh, même si la plupart des Rohingyas vivent au Myanmar depuis des générations. Ce label est rejeté par de nombreux Rohingyas. De plus, aucun des plus d'un million de réfugiés Rohingyas au Bangladesh, ni des centaines de milliers de personnes dispersées dans d'autres pays, ne pourra voter.
L'espace civique au Myanmar est décrit comme « répressif » par leCIVICUS Monitor.
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NIGER : « La menace ne résout pas les problèmes ; la réponse internationale doit mettre en avant le dialogue et la négociation »
CIVICUS échange sur le récentcoup d’État militaire au Niger avec Clément Kocou Gbedey, Coordonnateur National au Niger du Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (West Africa Network for Peacebuilding, WANEP).
Le WANEPest une organisation régionale fondée en 1998 en réponse aux guerres civiles qui ont ravagé l’Afrique de l’Ouest dans les années 1990. Avec plus de 700 organisations membres, il comprend des réseaux nationaux dans chaque État membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Avec une approche collaborative de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix, il travaille avec la société civile, les gouvernements, les organismes intergouvernementaux et d’autres partenaires pour établir des plates-formes de dialogue, de partage d’expérience et d’apprentissage. En 2002, elle a conclu un partenariat avec la CEDEAO pour mettre en œuvre un système régional d’alerte précoce et de réaction rapide en cas de crise.
Quelles sont les causes du récent coup d’État militaire, et quel est la position de l’opinion publique ?
Les causes du coup d’État font suite à la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale, et ainsi que la corruption et la mal gouvernance. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale du Niger, Niamey, lors d’une manifestation pacifique soutenant le coup d’État et critiquant d’autres pays d’Afrique de l’Ouest pour avoir imposé des sanctions financières et commerciales au Niger.
Pourquoi ? Parce que les Nigériens aujourd’hui ont l’impression que les pays occidentaux, surtout la France, sont en train d’exploiter toutes les richesses du pays, telles que l’uranium, le pétrole et l’or. Et le Niger est encore mal classé en termes de développement humain. Les autorités déchues auraient contracté avec la France pour exploiter des ressources minières et énergétiques qui constituent un combustible vital pour l’énergie nucléaire. Et les bénéfices de ce contrat se partagent au niveau du plus haut sommet, sans que le peuple ait droit à quoi que ce soit.
Quelles restrictions ont été imposées à l’espace civique à la suite du coup d’État, et comment la société civile a-t-elle réagi ?
Le coup d’État a entraîné des nouvelles restrictions de l’espace civique, notamment la suspension des activités des partis politiques et la censure des médias internationaux RFI et France 24, ainsi que la fermeture de l’espace aérien. Ces mesures visent à empêcher toute contestation du pouvoir militaire et à se prémunir contre une éventuelle intervention extérieure.
Le coup d’État a eu un impact important sur la société civile nigérienne. Certains acteurs de la société civile ont exprimé leur soutien au général Abdourahamane Tchiani, qui a arrêté le président Mohamed Bazoum, et ses hommes, qu’ils considèrent comme des sauveurs face à la menace terroriste et à la mauvaise gouvernance du président Bazoum. Mais d’autres ont dénoncé le coup d’État comme une atteinte à la démocratie et à l’État de droit, et ont réclamé le retour du président élu.
Combien de temps la junte compte-t-elle rester au pouvoir ?
La junte s’est fixé plusieurs objectifs à long terme et, bien qu’elle n’ait pour l’instant donné aucune indication sur la durée de son maintien au pouvoir, elle ne semble pas envisager de le quitter à brève échéance. Leurs objectifs déclarés sont de corriger les incohérences et les inefficacités dans la gestion de la sécurité du gouvernement déchu, de revoir l’approche sécuritaire du pays et de le protéger contre le terrorisme, de renouer les relations avec les pays voisins, et plus particulièrement avec le Burkina Faso et le Mali, d’améliorer la situation de l’éducation et de la santé et de lutter contre les détournements de fonds publics. Dans tout cela, ils disent mettre les intérêts du Niger en avant.
Le plus grand défi auquel le régime militaire est confronté est celui des sanctions très sévères imposées par la CEDEAO, qui visent à isoler le Niger sur le plan économique, politique et diplomatique.
Quels ont été les résultats de la présence militaire étrangère au Niger jusqu’à présent ?
La présence française au Niger a eu pour but de lutter contre le terrorisme, de former et d’équiper les forces de sécurité nigériennes et de promouvoir la stabilité dans la région. La France intervient au Niger dans le cadre de l’opération Barkhane, qui vise à soutenir les pays du Sahel face aux groupes armés djihadistes.
Mais depuis un moment la présence française est controversée par certains acteurs de la société civile, qui la jugent inefficace, néocoloniale et contraire aux intérêts nationaux. Depuis lors, un sentiment anti politique française a évolué.
Pour l’instant il n’y a pas de présence russe au Niger, mais depuis le coup d’État un sentiment pro-russe est en train de gagner l’esprit de la population. Le public pense que la CEDEAO et les institutions internationales sont restées insensibles au cri des populations civiles, et préfèrent se diriger vers une autre puissance qui pourrait peut-être les aider.
Pensez-vous que la communauté internationale a réagi de manière adéquate au coup d’État ?
La communauté internationale a condamné le coup d’État, mais le président déchu veut plus : il a exhorté les États-Unis et « l’ensemble de la communauté internationale » à aider à « rétablir l’ordre constitutionnel ».
Mais comment ? Les sanctions n’ont fait qu’aggraver la situation. La CEDEAO, qui se dit être la CEDEAO des peuples, a été vite en besogne dans la prise des sanctions contre le Niger. Les sanctions devraient aller en crescendo, mais cela n’a pas été le cas et la situation est devenue insoutenable. Avec les frontières fermées, les sanctions entraînent des conséquences graves pour la population nigérienne, qui souffre déjà de la pauvreté, de l’insécurité alimentaire et de la crise sanitaire. Les coupures d’électricité, le manque de carburant, la hausse des prix des produits de première nécessité et la paralysie des activités commerciales sont autant de difficultés qui affectent le quotidien des Nigériens.
Une intervention de la CEDEAO compliquerait encore plus la situation au Niger et dans les autres pays voisins, voire un embrasement dans la sous-région. Nous pensons que ce qui est nécessaire dans la réponse internationale serait de continuer toujours à mettre en avant le dialogue et la négociation, car la menace ne résout pas les problèmes.
Quel soutien international la société civile nigérienne reçoit-elle et de quel soutien aurait-elle besoin ?
Actuellement on ne reçoit aucun soutien, puisque tout est verrouillé par les sanctions injustement imposées au Niger. En revanche, la société civile nigérienne aurait donc besoin d’un soutien supplémentaire pour assurer sa protection, sa pérennité et son indépendance face aux menaces et aux pressions qu’elle subit à la suite des sanctions de la CEDEAO et des institutions internationales. Elle aurait également besoin d’un soutien pour renforcer son dialogue avec les autorités publiques, les acteurs internationaux et les autres OSC, afin de construire une vision commune et concertée du développement du Niger.
L’espace civique au Niger est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.
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