société civile
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#UN75 : « La pandémie de la COVID-19 a montré que les institutions multilatérales sont essentielles »
Pour marquer le 75ème anniversaire de la création de l'Organisation des Nations Unies (ONU), CIVICUS s'entretient avec des activistes, des avocats et des professionnels de la société civile sur les rôles que l’ONU a joués jusqu’à présent, les succès qu’elle a obtenus et les défis à venir. CIVICUS s’entretient avec un membre anonyme d’une organisation internationale de la société civile (OSC) responsable du plaidoyer au sein des Nations Unies sur les opportunités et les défis rencontrés par les OSC qui s’engagent auprès de divers organes des Nations Unies.
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ALGÉRIE : « Les autorités arrêtent les défenseurs des droits humains pour étouffer la société civile »
CIVICUS évoque la situation des droits humains et des libertés civiques en Algérie avec Rachid Aouine, directeur de l’organisation SHOAA for Human Rights.
SHOAA for Human Rights est une organisation de la société civile (OSC) indépendante dont le but est de soutenir et de protéger les droits humains en Algérie. Fondée en 2020 et basée à Londres, au Royaume-Uni, elle fait un travail de sensibilisation à la question des droits humains et surveille, répertorie et dénonce les exactions commises contre les citoyens par les personnes au pouvoir.
Quelle est la situation actuelle en matière de droits humains et d’espace civique en Algérie ?
En raison de l’escalade des pratiques répressives de la part des autorités algériennes, la situation en matière des droits humains est extrêmement préoccupante. Les arrestations arbitraires se sont multipliées, ciblant des journalistes, des défenseurs des droits humains, des militants de la société civile et des militants politiques associés à des partis politiques liés au mouvement de protestation du Hirak. Tous se font arrêter pour avoir exercé leurs droits de liberté d’association, d’expression, de croyance et de réunion pacifique. Au cours des derniers mois, ils ont été incriminés comme jamais auparavant.
Les autorités poursuivent injustement des personnes pour leur association présumée avec les mouvements d’opposition politique, à savoir « Rachad » et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, qui ont été qualifiés en mai 2021 d’organisations terroristes par le Haut Conseil de sécurité, un organe consultatif présidé par le président algérien. Le Haut Conseil de sécurité a imputé à ces organisations la responsabilité des incendies de forêt dévastateurs qui ont ravagé le nord-est de l’Algérie en août 2021 et l’assassinat du militant et artiste Djamel Bensmaïl, alors qu’il était en garde à vue. Il a annoncé qu’il intensifierait ses efforts pour arrêter les membres de ces organisations jusqu’à leur « éradication totale ».
Depuis le début de l’année 2021, les poursuites sous de fausses accusations de terrorisme se sont multipliées de manière alarmante. Pour les personnes reconnues coupables de ces accusations, le code pénal dicte des peines allant d’un an de prison à l’emprisonnement à vie et à la peine de mort.
Bien entendu, les garanties de procédure et de procès équitable des personnes arrêtées et poursuivies ont systématiquement été violées.
Une nouvelle vague d’arrestations a commencé en février 2022. Pourquoi les autorités ciblent-elles les défenseurs des droits humains en si grand nombre ?
Les autorités algériennes arrêtent les défenseurs des droits humains pour étouffer la société civile. Les défenseurs des droits humains sont la seule limite à leur pouvoir, car ils sont les seuls à défendre et à promouvoir les droits humains en Algérie. Leur élimination permettrait de mettre fin dans la pratique aux flux d’informations concernant les violations des droits humains au reste du monde.
Plutôt que de résoudre les problèmes que la société civile dénonce, les autorités s’en prennent à ceux qui prônent le changement, car elles considèrent le changement comme une menace et une limite à leur pouvoir. Pour dissimuler les violations continues des droits humains, elles ont recours à une répression systématique, ciblant spécifiquement les défenseurs des droits humains et la liberté d’expression.
Trois ans après les manifestations du Hirak, les autorités continuent de restreindre les manifestations. Quelles tactiques de répression utilisent-elles ?
En effet, trois ans après que le Hirak (qui signifie « mouvement » en arabe) a fait pression de manière pacifique pour un changement politique et a contraint le président Abdelaziz Bouteflika à démissionner, au moins 300 militants, dont beaucoup sont associés au Hirak, sont détenus par les autorités.
Par le biais de décrets présidentiels, les autorités algériennes ont récemment promulgué une nouvelle législation hostile aux libertés d’expression et de réunion. En juin 2021, le code pénal a été modifié par décret présidentiel, ce qui a abouti à l’élargissement d’une définition déjà trop large de la notion de terrorisme. Des personnes sont désormais accusées d’infractions, telles que « l’offense aux organismes publics », « la diffusion de fausses informations », « l’appartenance à un groupe terroriste », « l’apologie du terrorisme » et « la conspiration contre la sécurité de l’État ». Une publication sur Facebook peut entraîner des accusations telles que « l’utilisation des technologies de l’information pour diffuser des idées terroristes » et « la diffusion d’informations susceptibles de nuire à l’intérêt national ». Même un simple envoi de fonds est considéré comme un acte de trahison.
Tous les défenseurs des droits humains et les avocats qui tombent sous le coup de ces nouvelles lois, en particulier les articles 87 bis et 95 bis du code pénal, sont automatiquement visés par des accusations vagues, telles que « l’atteinte à l’unité nationale », et par de fausses accusations liées au terrorisme. Malgré la présentation de preuves de leur innocence par leur défense, les autorités judiciaires imposent les verdicts souhaités par les autorités.
Les autorités accusent également les OSC pro-Hirak de mener des activités soi-disant contraires aux objectifs énumérés dans la loi sur les associations et dans leurs propres statuts. C’est ainsi que certaines de ces OSC ont été dissoutes, notamment le Rassemblement Action Jeunesse et l’association culturelle SOS Bab El Oued, dont le président a été condamné à un an de prison pour « atteinte à l’unité nationale et à l’intérêt national », en lien avec les activités de l’association.
Les militants politiques et les dirigeants des partis liés au Hirak sont également sanctionnés pour des « délits » tels que « l’appel à un rassemblement », et les partis sont accusés de ne pas respecter la loi sur les partis politiques en organisant « des activités en dehors des objectifs fixés dans ses statuts ». C’est ce qui s’est passé, par exemple, après que plusieurs militants se sont réunis pour discuter de la création d’un front uni contre la répression.
Que faut-il changer en Algérie ?
La société civile doit être préservée tant qu’il en reste quelque chose. Elle joue un rôle majeur dans tout mouvement en faveur du changement. Lorsque les OSC sont absentes ou dissoutes, les personnes se retrouvent sans protection ni conseils. Cela est particulièrement vrai s’agissant des efforts de lutte contre la violence et les violations des droits humains : lorsqu’il n’y a pas d’OSC, les personnes ne sont pas renseignées sur les mesures à suivre pour faire valoir leurs droits et les violations des droits humains ne sont pas comptabilisées. Les associations, centres et organismes de la société civile sont essentiels pour encadrer le mouvement de protestation - pour lui donner une structure, une stratégie et un objectif.
Si rien n’est fait, les autorités continueront à réprimer la société civile indépendante et la situation des droits humains s’aggravera. Si rien n’est fait, l’objectif de la démocratie et du respect des droits humains s’éloignera de plus en plus, jusqu’à devenir complètement hors de portée.
Comment la société civile internationale peut-elle soutenir la société civile algérienne dans sa lutte pour les droits humains et les libertés démocratiques ?
La société civile algérienne ne peut atteindre ses objectifs à elle seule ; elle a besoin de la coopération et du soutien de la communauté internationale. Pour lutter contre les violations des droits humains et promouvoir les libertés démocratiques en Algérie, la société civile nationale doit établir des rapports de coopération et travailler conjointement avec les organisations internationales.
La société civile algérienne peut développer une stratégie efficace en ouvrant des lignes de communication internationales et en devenant une source majeure d’informations sur la situation réelle des droits humains sur le terrain. En s’appuyant sur ces informations, les organisations internationales peuvent contribuer à activer les mécanismes internationaux de surveillance et faire pression sur les autorités algériennes pour qu’elles changent.
L’espace civique en Algérie est classé comme « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
Prenez contact avec l’organisation SHOAA for Human Rights via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@shoaa_org sur Twitter. -
ANGOLA : « Le parti au pouvoir perçoit les élections locales comme une menace »
Lisez l'interview originale en portugais ici
CIVICUS parle de la situation en Angola avec Pascoal Baptistiny, directeur exécutif de MBAKITA - Kubango Agricultural Benevolent Mission, Inclusion of Technologies and Environment, une organisation de la société civile basée dans la province de Cuando Cubango dans le sud de l’Angola. Fondée en 2002, MBAKITA défend les droits des peuples indigènes et des communautés traditionnelles, dénonce la discrimination dont ils sont victimes et l’expropriation de leurs terres, et promeut une société plus juste, démocratique, participative, tolérante, solidaire, saine et humaine.
Quel est l’état de l’espace civique en Angola, et quelles sont les principales contraintes auxquelles sont confrontés les activistes angolais ?
La répression de l’espace civique en Angola est l’un des plus grands défis auxquels la société civile angolaise est confrontée aujourd’hui. Les activistes sont victimes d’arrestations arbitraires et illégales, de tortures et de mauvais traitements, d’enlèvements, d’assassinats, de harcèlement et de disparitions de la part des forces gouvernementales, de la police et des services de renseignement de l’État. Cette répression a rendu de nombreux Angolais attentifs à ce qu’ils disent en public. Les rares organisations qui défendent les droits humains en Angola le font souvent au péril de leur vie personnelle et familiale.
Pourriez-vous nous parler des restrictions auxquelles vos collègues et vous se sont confrontés en 2020 ?
En 2020, mes collègues du MBAKITA et moi-même avons dû faire face à des obstacles visant à prévenir, minimiser, perturber et inverser l’impact des activités légitimes de l’organisation qui se concentre sur la critique, la dénonciation et l’opposition aux violations des droits et aux positions, politiques et actions gouvernementales inefficaces.
Les diverses formes de restriction que nous connaissons comprennent les restrictions et annulations arbitraires de manifestations et de réunions, la surveillance, les menaces, l’intimidation, les représailles et les punitions, les agressions physiques, les campagnes de diffamation qui présentent les membres du MBAKITA comme des « ennemis de l’État » et des mercenaires au service d’intérêts étrangers ; harcèlement judiciaire ; amendes exorbitantes pour l’achat de moyens de transport ; cambriolage de nos bureaux et vol de matériel informatique ; perquisition et saisie de biens ; destruction de véhicules ; privation d’emploi et de revenu ; et interdiction de voyager.
En outre, 15 activistes ont été arbitrairement détenus et maltraités pendant la campagne de prévention de la COVID-19. Le 1er mai, ma résidence a été envahie et les gardes ont été gazés au lacrymogène. Le 16 novembre, deux activistes ont été violées. Trois de nos activistes et un manifestant ont été tués au cours de l’année.
Quel genre de travail fait MBAKITA et pourquoi pensez-vous que l’organisation a été tellement attaquée ?
MBAKITA est une organisation qui défend et promeut les droits humains. Nous travaillons à la promotion, à la protection et à la diffusion des droits humains et des libertés universellement reconnus, en particulier les droits à la liberté de réunion, d’association, de manifestation pacifique, d’expression et de presse, le droit à l’autodétermination des peuples indigènes, les droits à la terre, à une alimentation adéquate, à l’eau potable et à l’environnement, et la lutte contre la torture et les mauvais traitements.
Nous contestons les violations des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux des personnes autochtones, ethniques, linguistiques, LGBTQI+, handicapées et migrantes.
Mon organisation utilise des moyens pacifiques et non violents dans ses activités. Cependant, nous avons été confrontés à des risques incalculables en raison de notre travail en faveur des droits humains dans les provinces du sud de l’Angola.
La MBAKITA est systématiquement attaquée pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’en 2018, elle a dénoncé la mort de quatre enfants lors de l’opération Transparence, une action contre le trafic de diamants et de migrants sans papiers menée par la police et les forces armées angolaises dans la municipalité de Mavinga, province de Cuando Cubango. Ensuite, parce qu’en 2019, elle a dénoncé le détournement par les gouvernements provinciaux des fonds destinés à soutenir les victimes de la sécheresse dans les provinces du sud de l’Angola. Troisièmement, parce qu’en avril 2019, deux activistes de l’organisation ont dénoncé l’appropriation illégale de terres par des entrepreneurs politiques - généraux, députés et gouverneurs - sur des territoires appartenant aux minorités indigènes San et Kuepe et utilisés pour la chasse, la pêche et la cueillette de fruits sauvages, qui constituent l’alimentation de ces populations. Quatrièmement, parce qu’en février 2020, MBAKITA a dénoncé le détournement de fonds destinés à l’achat de matériel de biosécurité pour la prévention de la COVID-19 et le détournement de nourriture destinée au programme d’aide aux paniers alimentaires de base pour les groupes vulnérables. Cinquièmement, parce que nous avons participé et mené une campagne de sensibilisation sur la COVID-19, qui comprenait la distribution de matériel de biosécurité acheté avec les fonds de MISEREOR-Allemagne. Et enfin, parce que nous avons participé à toutes les manifestations organisées par la société civile angolaise, dont la dernière en date, le 9 janvier 2021, qui portait sur la lutte contre la corruption et la demande d’élections locales sous le slogan « Des élections locales maintenant, 45 ans au pouvoir, c’est trop », et revendiquait le respect des promesses électorales de 500 000 emplois, la réduction du coût de la vie pour les familles et l’inclusion socio-économique des minorités indigènes, entre autres.
Pourquoi les élections prévues pour 2020 ont-elles été annulées ?
D’une part, à cause de la pandémie de la COVID-19. Mais à part cette pandémie mortelle, le gouvernement n’a jamais été intéressé par la tenue d’élections locales en 2020. Le parti au pouvoir, le Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola (MPLA), voit les élections locales comme une menace pour le pouvoir central et craint de perdre son emprise sur le pouvoir. Il craint d’introduire un élément de contrôle des électeurs sur les autorités locales, c’est-à-dire la participation des citoyens et le contrôle de la gestion des fonds publics. Le gouvernement pense que le peuple s’éveillera à l’idée de l’État démocratique et de l’État de droit, c’est-à-dire que beaucoup de gens prendront conscience de leurs droits et de leurs devoirs. Cela irait à l’encontre de l’intention du MPLA, qui est de se perpétuer au pouvoir.
La promesse de démocratie locale en Angola a été un échec. Après trois ans de gouvernement, le président João Lourenço n’a même pas tenu 10 % de ses promesses électorales, laissant 90 % des Angolais dans un état de scepticisme total.
En Angola, le parti qui est au pouvoir depuis plus de 45 ans ne tolère pas les personnes libres. Aujourd’hui, les défenseurs des droits humains perdent leur emploi, le pain pour leurs enfants, leur carrière et même leur vie s’ils osent être libres, désirer la démocratie et exercer la liberté.
Quelles sont les perspectives de changement de la situation dans un avenir proche ?
Pour que la situation change, la société civile a beaucoup de travail à faire. Les actions les plus importantes et les plus urgentes sont l’acquisition d’une formation en sécurité individuelle, institutionnelle et numérique, l’apprentissage de la langue anglaise, l’obtention du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits humains et des peuples, l’observation et la participation à des manifestations et autres événements publics, la défense et le lobbying pour la légalisation des organisations de défense des droits humains, effectuer des visites de prisons, y compris des entretiens avec des prisonniers et recueillir des preuves de torture, de mauvais traitements et de conditions de détention, observer les procès d’activistes dans les tribunaux inférieurs, collecter des fonds pour assurer la durabilité des activités des défenseurs des droits humains, et surveiller les élections locales de 2021 et les élections générales de 2022.
De quel type de soutien les activistes angolais ont-ils besoin de la part de la société civile internationale pour poursuivre leur travail ?
Les besoins sont énormes et variés. Les activistes ont un besoin urgent de protection et de sécurité, notamment d’une formation à l’analyse des risques, à la planification de la sécurité et à la formation aux mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains, ainsi que de compétences en matière d’enquêtes, de litiges, de documentation, de pétition et de signalement des violations des droits humains. Plus précisément, à MBAKITA, nous aimerions recevoir une assistance technique pour évaluer les dispositifs de sécurité qui pourraient être mis en place pour accroître la protection physique du bureau de l’organisation et de ma résidence, ainsi qu’un soutien financier pour l’achat de ces dispositifs, par exemple pour l’achat d’un système de sécurité ou d’une caméra de surveillance vidéo.
Les activistes agressés, et en particulier les 15 activistes du MBAKITA qui ont été directement victimes de la répression et de la torture aux mains des forces gouvernementales, ont également besoin d’une assistance psychologique post-traumatique. L’aide financière nous aiderait à payer les honoraires des avocats qui ont travaillé à la libération de six activistes emprisonnés entre août et novembre 2020. Elle nous aiderait également à remplacer les équipements de travail volés, sans lesquels notre capacité de travail a été réduite : deux véhicules, des ordinateurs, des cartes mémoire, un appareil photo numérique et une caméra vidéo.
Pour les activistes menacés de détention arbitraire, d’enlèvement ou d’assassinat, qui n’ont d’autre choix que de quitter rapidement le pays ou leur région d’origine, nous avons besoin d’une aide au transport et au logement. Nos activistes bénéficieraient également d’échanges d’expériences, de connaissances et de bonnes pratiques, pour renforcer leurs connaissances en matière de sécurité numérique, et pour se former aux techniques journalistiques et audiovisuelles et à la langue anglaise.
Enfin, le fonctionnement des organisations et leur pérennité gagneraient à obtenir un soutien pour l’installation de services internet et la création de sites web sécurisés, et l’acquisition de logiciels de gestion financière et de ressources pour le recrutement de personnel stable, capable de subvenir aux besoins de sa famille et de se consacrer pleinement à la défense des droits humains.
L’espace civique en Angola est classé comme « répressif » par leCIVICUS Monitor.
Contactez MBAKITA via leur pageFacebook. -
Appel de la société civile aux États: nous sommes tous dans la même situation, ne bafouons pas les droits de l'homme lorsque nous répondons au COVID-19
Alors que les gouvernements prennent des mesures extraordinaires pour freiner la propagation du COVID-19, nous reconnaissons et saluons les efforts que les États déploient pour gérer le bien-être de leurs populations et protéger les droits de l'homme, tels que les droits à la vie et à la santé. Cependant, nous exhortons les États à mettre en œuvre ces mesures dans le respect de l'État de droit: toutes les mesures de riposte face au COVID-19 doivent être basées sur des éléments concrets, elles doivent être légales, nécessaires pour protéger la santé publique, non discriminatoires, être définies dans le temps et proportionnées.
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BIODIVERSITÉ : « Les gouvernements ne feront pas preuve de volonté politique sans pression de la base »
CIVICUS s’entretient avec Gadir Lavadenz, coordinateur mondial de l’Alliance de la Convention sur la diversité biologique (Alliance CDB), au sujet du processus en cours visant à rédiger un cadre mondial pour la biodiversité post-2020 avec la pleine participation des communautés concernées et de la société civile dans son ensemble.
L’Alliance CDB est un réseau d’organisations de la société civile (OSC) ayant un intérêt commun pour la Convention sur la diversité biologique. Elle s’efforce de mieux faire comprendre au public les questions qu’elle aborde, d’améliorer la coopération entre les organisations qui souhaitent avoir une influence positive sur la CDB et de combler le fossé entre les participants aux sessions de la CDB et ceux qui œuvrent pour la biodiversité sur le terrain, tout en respectant l’indépendance et l’autonomie des peuples autochtones, une partie prenante essentielle.
Qu’est-ce que l’Alliance CDB, que fait-elle et comment s’est-elle développée ?
Les origines de l’Alliance CDB, il y a une vingtaine d’années, sont organiques : elle a émergé naturellement lorsque les participants au processus de la CDB ont reconnu la nécessité d’agir ensemble et d’amplifier les voix de la société civile dans les négociations. Dès le début, le rôle de l’Alliance CDB n’était pas de parler au nom des gens, mais de soutenir du mieux qu’elle pouvait tous les efforts de plaidoyer qui étaient faits de manière autonome.
Malgré nos limites, nous sommes bien conscients que les groupes défavorisés ont besoin d’un soutien spécifique. En outre, bien que notre réseau soit diversifié, nous respectons le rôle des autres grands groupes impliqués dans le processus et assurons une bonne coordination avec eux, notamment le Forum international autochtone sur la biodiversité (FIAB), le Réseau mondial des jeunes pour la biodiversité (GYBN) et l’Assemblée générale des femmes.
L’Alliance CDB est une vaste communauté : elle comprend à la fois les peuples autochtones et les communautés locales (IPLC), et les OSC qui les soutiennent. Nous respectons pleinement les structures de gouvernance et les processus décisionnels de chacun de ces groupes. Nous maintenons une communication et une coordination fluides avec le FIAB, qui représente le plus grand groupe de peuples et de communautés autochtones engagés dans la CDB. Nous appuyons leurs déclarations lors des réunions officielles, soutenons la participation des peuples autochtones et des communautés locales aux réunions internationales chaque fois que cela est possible, et amplifions toutes leurs publications et campagnes.
Pourquoi un nouveau cadre mondial pour la biodiversité est-il nécessaire ?
Historiquement, la mise en œuvre de la CDB s’est concentrée sur son premier objectif, la conservation de la diversité biologique, et relativement peu d’attention a été accordée à ses deuxième et troisième objectifs, qui sont l’utilisation durable des éléments constitutifs de la diversité biologique et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. C’est l’une des raisons pour lesquelles la CBD n’a pas été en mesure de fournir les résultats escomptés. Au cours de la dernière décennie, le manque de volonté politique des parties à la CDB a conduit à l’échec de la réalisation des objectifs d’Aichi, et une abondante littérature montre que la destruction de la biodiversité se poursuit à un rythme galopant.
Un nouveau cadre devrait être une occasion unique de corriger les erreurs du passé. La CDB couvre un large éventail de questions, mais n’a pas réussi à s’attaquer aux causes profondes de la perte de biodiversité, et sa focalisation excessive sur des objectifs tels que les zones protégées, axés sur la quantité plutôt que sur la qualité, a masqué d’énormes incohérences dans notre approche de la perte de biodiversité.
Par exemple, le Forest Peoples Programme, membre de l’Alliance CDB, a indiqué que le financement mondial de la biodiversité a augmenté de manière significative au cours de la dernière décennie, et est désormais estimé entre 78 et 147 milliards de dollars par an. Cependant, il est largement dépassé par les subventions publiques et les flux financiers qui entraînent la perte de biodiversité, estimés entre 500 milliards et plusieurs milliers de milliards de dollars par an.
En outre, bien que la contribution des peuples autochtones et des communautés locales soit largement reconnue comme vitale pour la protection de la biodiversité, ceux-ci sont souvent affectés négativement par le financement de la biodiversité, et leurs efforts reçoivent peu de soutien direct.
Un autre membre de l’Alliance CDB, le Third World Network, a indiqué qu’en 2019, 50 des plus grandes banques du monde ont soutenu avec plus de 2 600 milliards de dollars des industries reconnues comme étant à l’origine de la perte de biodiversité. Une étude récente a conclu que « le secteur financier finance la crise d’extinction massive tout en sapant les droits humains et la souveraineté des autochtones ».
Selon la Coalition mondiale des forêts, également membre de l’Alliance CDB, le financement du climat et la production subventionnée d’énergies renouvelables constituent une forme de subvention directe qui nuit souvent aux forêts et ne réduit pas les émissions. L’exemple le plus marquant est la centrale de Drax, au Royaume-Uni, qui reçoit 2 millions de livres sterling (environ 2,8 millions de dollars) par jour pour produire de l’électricité très polluante à partir de bois récolté, entre autres, dans des forêts humides riches en biodiversité du sud-est des États-Unis. Parmi les autres exemples, citons la subvention accordée par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) aux entreprises sidérurgiques pour qu’elles produisent du charbon de bois à partir de plantations d’eucalyptus au Brésil, et les nombreuses subventions nationales et européennes accordées à l’industrie de la pâte et du papier au Portugal.
Récemment, lors d’un événement organisé par le secrétariat de la CDB, plusieurs soi-disant leaders mondiaux ont promis d’importantes sommes d’argent pour la biodiversité. Cependant, les pays du Nord ont renoncé à leurs engagements internationaux en matière de fonds nouveaux et supplémentaires. Ce qu’ils promettent pour la nature est mélangé à toutes sortes de dispositifs qui ne s’attaquent pas aux causes réelles de la perte de biodiversité. Et les montants promis pour protéger la biodiversité sont clairement dépassés par tout l’argent dépensé pour sa destruction.
Outre ces contradictions et incohérences inquiétantes, les groupes puissants et les nations développées tentent constamment et par tous les moyens d’échapper à leurs responsabilités. Nous pensons que la volonté d’intégrer des termes tels que « solutions fondées sur la nature » dans la CDB n’est qu’une nouvelle astuce de la part des grands pollueurs pour se soustraire à leurs obligations et une nouvelle forme de « blanchiment écologique » et d’accaparement des terres par les entreprises.
Pourquoi tout cela n’est-il pas relayé par les médias ? C’est ce qui se produit lorsque les principaux acteurs concentrent toute leur attention sur certaines politiques et activités, comme l’augmentation des zones protégées. Les zones protégées ne sont pas mauvaises en soi, mais elles sont loin d’être une véritable solution, tout comme la modification de nos modes de production et de consommation. Le discours sur la CDB doit être recentré sur les causes profondes de la perte de biodiversité, qui sont plus structurelles et liées à la justice et à l’équité. De la même manière que le changement climatique n’est plus considéré comme un problème purement environnemental, nous devons comprendre le tableau d’ensemble de la destruction de la biodiversité en relation avec les droits des peuples autochtones et tribaux, des paysans, des femmes, des générations futures et de la nature elle-même. Il faut mettre un terme à la marchandisation de la nature, car celle-ci n’appartient ni à nous ni à quelques privilégiés parmi nous. La nature n’a pas besoin d’artifices et de gros sous pour se développer, elle a besoin que nous cessions de la détruire. Ce récit devrait nous inciter à vouloir et à travailler réellement à un profond changement individuel et collectif.
Quels changements le Cadre mondial pour la biodiversité post-2020 devrait-il apporter ?
La CDB est un accord juridiquement contraignant et, si elle est pleinement mise en œuvre, elle offre un grand potentiel. Le Cadre mondial pour la biodiversité pour l’après 2020 devrait être l’instrument permettant de faire respecter les obligations juridiques des parties à la CDB grâce à des mécanismes de responsabilisation qui sanctionnent l’inaction. C’est également l’occasion d’adopter une approche fondée sur les droits qui place les droits des peuples autochtones et tribaux, des femmes et des paysans, ainsi que les droits de la nature, au centre du débat, en reliant la CDB à l’architecture internationale des droits humains.
Plusieurs rapports ont montré que des violations des droits humains ont été commises au nom de la promotion des zones protégées. Bien qu’il soit possible et inévitable de s’attaquer à la crise de la biodiversité et au changement climatique, divers intérêts font pression pour que ce lien se concentre sur les soi-disant « solutions fondées sur la nature », qui ne sont rien d’autre qu’une couverture pour des systèmes tels que les compensations, qui ne profitent pas à la nature mais au statu quo et n’apportent pas de véritables solutions à nos problèmes structurels.
Un autre défi majeur réside dans le fait que la mise en œuvre des normes environnementales est souvent entre les mains des ministères de l’environnement, qui sont souvent complètement impuissants face aux autres acteurs qui sont les véritables moteurs de la perte de biodiversité. Avec le nouveau cadre mondial pour la biodiversité, cela doit changer.
La Conférence des Nations unies sur la biodiversité a été reportée à deux reprises en raison de la pandémie de COVID-19. Quels défis cette situation a-t-elle posés ?
Le premier défi auquel nous avons été confrontés est que les pays du Nord ont exercé une forte pression pour poursuivre les négociations par des moyens virtuels, sans tenir compte des diverses difficultés rencontrées non seulement par leurs pairs du Sud mais aussi par la société civile. L’Alliance CDB a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude quant aux inégalités et aux injustices des négociations virtuelles, et a soutenu la proposition des parties du sud de la planète de reporter les négociations. Ce n’est que lorsque les États africains et certains États d’Amérique latine ont exprimé leur profonde inquiétude face à cette situation que les nations riches ont fait marche arrière. Les réunions en ligne ont été maintenues afin que les discussions puissent se poursuivre, mais il a été établi que les décisions ne seraient prises que lors de réunions en face à face.
Comment la société civile internationale peut-elle soutenir au mieux le travail que vous réalisez autour du Cadre mondial pour la biodiversité pour l’après 2020 ?
Certains de nos objectifs sont de veiller à ce que le Cadre mondial pour la diversité pour l’après 2020 se concentre sur une déclaration de principes forte, telle que l’équité et les responsabilités communes mais différenciées (CBDR) ; un mécanisme pour traiter le non-respect, y compris des sanctions et bien intégré au principe CBDR ; un objectif axé sur les défenseurs des droits humains, les défenseurs de l’environnement et les femmes, car ce sont elles qui défendent la biodiversité dans le monde réel ; et un objectif sur l’interdiction des altérations majeures de la nature.
Une fois le cadre approuvé, notre mission sera de coordonner avec les régions, les réseaux et les organisations qui ont un lien direct avec ceux qui travaillent sur le terrain et en première ligne. Cette coordination devrait inclure une diffusion massive et intense du cadre, mais en mettant l’accent sur la manière dont il peut renforcer les personnes dans leurs résistances, leurs luttes et leurs projets.
Même s’ils sont confrontés à des obligations juridiquement contraignantes, les gouvernements ne feront pas preuve de volonté politique s’ils ne subissent pas une pression suffisante de la base. Une telle pression ne peut avoir lieu en l’absence d’autonomisation et d’information sur les décisions prises au niveau international.
Contactez l’Alliance CDB via sonsite web, sa pageFacebooket son compteTwitter.
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BOLIVIE : « La pandémie est devenue une justification pour le renforcement du contrôle de l’information »
CIVICUS s’entretien sur la situation politique bolivienne et le calendrier électoral dans le cadre de la pandémie de COVID-19 avec Cristian León, directeur des programmes d’Asuntos del Sur et coordinateur de Public Innovation 360, un projet qui poursuit le renforcement démocratique des gouvernements infranationaux et qui est mis en œuvre dans trois pays d’Amérique latine. Asuntos del Sur est une organisation régionale de la société civile basée en Argentine qui conçoit et met en œuvre des innovations politiques pour développer des démocraties paritaires, inclusives et participatives. Cristian León est également l’un des fondateurs, et actuellement un contributeur, d’InternetBolivia.org, qui défend les droits numériques en Bolivie.
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BURKINA FASO : ‘Pour une grande partie de la société civile, la sécurité est une préoccupation plus urgente que la démocratie’
CIVICUS échange sur lecoup d’État militaire récent au Burkina Faso avec Kop’ep Dabugat, coordinateur du Réseau de Solidarité pour la Démocratie en Afrique de l’Ouest (WADEMOS).
WADEMOS est une coalition d’organisations de la société civile (OSC) d’Afrique de l’Ouest qui mobilise la société civile afin de défendre la démocratie et de promouvoir des normes démocratiques dans la région.
Qu’est-ce qui a conduit aucoup d’État récent au Burkina Faso, et que faut-il faire pour que la démocratie soit restaurée ?
Le capitaine Ibrahim Traoré,actuel chef de la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso, a invoqué la dégradation continue de la situation sécuritaire pour justifier la prise de pouvoir par les militaires, tout comme l'avait fait son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Or il semblerait que les attaques de groupes armés ont fortement augmenté dans les mois qui ont suivile premier coup d’État mené par Damiba, en janvier 2022. Les analystes affirment que le Burkina Faso constitue le nouvel épicentre du conflit au Sahel. Depuis 2015, les violences perpétrées par des insurgés djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont entraîné la mort de milliers de personnes et déplacé deux millions d’autres.
Le coup d’État a également révélé la présence d’un schisme au sein de la junte dirigée par Damiba. Le nouveau coup a été orchestré en partie par les mêmes officiers militaires qui avaient participé au coup d’État pour porter Damiba à la tête de l’État. Désormais, ces officiers affirment queDamiba n’a pas cherché à réorganiser l’armée pour mieux faire face aux menaces sécuritaires comme ils s’y attendaient. Au lieu de cela, il est resté fidèle à la structure militaire qui a conduit à la chute du gouvernement du président Roch Marc Christian Kaboré, et a commencé à révéler des ambitions politiques.
La question de la sécurité reste le premier défi à relever pour faire du Burkina Faso un État démocratique. La fonction principale d’un Etat, et plus encore d’un Etat démocratique, est de garantir la sécurité de ses citoyens. Une armée burkinabè unie sera nécessaire pour atteindre cet objectif.
Il reste aussi à mener à bien l’actuel programme de transition accepté par la nouvelle junte, qui vise à mettre en place un régime civil d’ici juillet 2024.
Au-delà de la transition, la nécessité de construire un État et des institutions politiques solides doit être soulignée. Il convient de s’attaquer sérieusement aux problèmes de corruption et de marginalisation économique. La nécessité de renforcer les institutions n’est pas propre au Burkina Faso : elle est essentielle pour toute la région, et en particulier pour les pays qui ont récemment été soumis à un régime militaire, notammentla Guinée etle Mali.
Quelle a été la réaction de la société civile face à ce dernier coup d’État militaire ?
À l’image de la désunion qui caractérise la société civile au Burkina Faso, la réaction de la société civile au coup d’État a été mitigée. Mais une partie notable de la société civile a semblé accueillir favorablement le dernier coup d’État parce qu’elle considérait la junte dirigée parDamiba non seulement comme autoritaire mais aussi comme s'alignant avec les politiciens du régime du président au pouvoir de 1987 à 2014, Blaise Compaoré. Ils craignaient ainsi que ces politiciens reprennent le pouvoir et ferment toutes les portes à la justice pour les victimes du régime Compaoré, ce qui constituait bien entendu un scénario plausible.
Par conséquent, ce dernier coup d'État n'est en aucun cas perçu unanimement par la société civile comme constituant un pas en arrière pour l’agenda de la transition démocratique. De plus, pour une grande partie de la société civile, la sécurité semble être une préoccupation plus urgente et prioritaire que la démocratie, de sorte que l’élément qui a prévalu est l’incapacité apparente de la junte dirigée par Damiba à faire face à la situation sécuritaire.
L’effort des groupes traditionnels et religieux qui ont négocié un accord à sept conditions entre les factions militaires de Damiba et de Traoré, mettant fin à la violence et prévenant le carnage, mérite toutefois d’être salué. Cet effort semble avoir créé une base pour l'engagement constructif entre la junte dirigée par Traoré et la société civile, qui s'est poursuivi avec la participation notable de la société civile à la Conférence nationale du 14 octobre 2022. Celle-ci a approuvé une nouvelle Charte de transition pour le Burkina Faso et a officiellement nommé Traoré comme président de transition.
Quelle est la situation des OSC de défense des droits humains ?
Les OSC burkinabè actives dans le domaine des droits humains et civils sont de plus en plus préoccupées par les représailles contre les politiciens et les civils perçus comme étant pro-français, ainsi que par la recrudescence marquée des groupes pro-russes qui demandent que la France et tous ses intérêts soient chassés du pays.
De plus, les OSC de défense des droits humains et des droits civils s'inquiètent de la stigmatisation et des représailles contre la communité peule, ce qui vient s'ajouter aux préoccupations concernant l’insurrection djihadiste qui sévit dans le pays. Cette stigmatisation découle du fait que de nombreux groupes terroristes recrutent des combattants burkinabés d’origine peule. Des arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires de Peuls en raison de présomptions sur leur complicité dans des actes de violence terroriste ont été signalées. En dehors de ceux-là, aucun autre cas notable de violation des droits humains menaçant les civils n’a été identifié. Par conséquent, même si on n'est qu'au début du mandat de Traoré, on peut du moins déjà affirmer qu'il ne s'agit pas d'une situation d’augmentation des violations systématiques des droits humains.
Comment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a-t-elle réagi au coup d’État militaire ?
Conformément à son Protocole additionnel de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, la réponse initiale de la CEDEAO a été de condamner fermement et sans réserve le coup d’État, le trouvant inopportun à un moment où des progrès avaient été réalisés par la junte dirigée par Damiba pour préparer le terrain aux élections et à la démocratie. La CEDEAO a également demandé à la junte de garantir les droits humains et d’assurer la stabilité.
Malgré les sanctions en cours contre le pays, à la suite de sa rencontre avec M. Traoré, Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger et médiateur envoyé au Burkina Faso par la CEDEAO, s’est déclaré satisfait et a déclaré que la CEDEAO resterait aux côtés du peuple burkinabé. La CEDEAO, comme elle a tendance à le faire, travaillera en étroite collaboration avec la junte militaire pour rétablir l’ordre démocratique. Le calendrier est maintenu et l’échéance reste juillet 2024.
Comment les autres institutions internationales ont-elles réagi, et que devraient-elles faire pour soutenir la société civile au Burkina Faso ?
Les autres institutions internationales ont réagi de la même manière que la CEDEAO. L’Union africaine a condamné le coup d’Etat, le considérant un pas en arrière suite aux progrès déjà réalisés vers la restauration de la démocratie. Le coup d’Etat a également été condamné par les Nations Unies et le Parlement européen.
Si la communauté internationale veut aider les OSC au Burkina Faso, elle doit avant tout soutenir les efforts de la junte pour éradiquer l’insurrection djihadiste qui continue de sévir dans le pays. Elle doit également aider les autorités à faire face non seulement à la crise actuelle des réfugiés, accentuée par les défis liés au changement climatique, mais aussi justement à la crise climatique qui contribue à la propagation de la violence terroriste.
La communauté internationale doit également continuer à faire pression sur la junte pour qu’elle tienne son engagement et qu'elle adhère aux accords conclus par l’ancienne junte avec la CEDEAO, afin de mettre fin à la répression des personnes en raison de leur appartenance politique et ethnique et de libérer toute personne emprisonnée pour des motifs politiques.
L’espace civique au Burkina Faso est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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BURKINA FASO : « La société civile prodémocratie est pratiquement paralysée par l’intensité et la férocité de la répression »
CIVICUS échange avec Ousmane Miphal Lankoandé, Secrétaire exécutif et Coordonnateur du programme de gouvernance et mobilisation citoyenne au Balai Citoyen, sur les droits humains et l’espace civique au Burkina Faso.
Fondé en 2013, le Balai Citoyen est une organisation de la société civile (OSC) qui mobilise l’action citoyenne pour promouvoir la démocratie, l’intégrité de la gouvernance, la justice et l’état de droit au Burkina Faso.
Comment les droits humains et les libertés civiques se sont-ils détériorés sous la junte militaire du Burkina Faso ?
Depuis l’arrivée des militaires en janvier 2022, il y a eu une dégradation manifeste des droits humains et des libertés civiques, un phénomène qui s’est accentué à la suite du second coup d’État survenu en septembre 2022. Toute voix dissidente, divergeant de la ligne officielle du régime militaire, est systématiquement réprimée.
Pour ce faire, le régime a progressivement mis en place des mesures insidieuses. Initialement, il a suspendu les activités des partis politiques, même après le rétablissement de la Constitution après une suspension temporaire. De plus, certains médias internationaux sont proscrits de diffusion, tandis que certains médias nationaux ont subi des suspensions. Des journalistes et activistes sont soumis à des intimidations et menaces, certains ayant été enlevés. Le sort de certains, notamment deux militants du Balai citoyen, reste inconnu à ce jour.
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BURUNDI : « L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement »
CIVICUS s’entretient avecCarina Tertsakian, co-fondatrice de l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB), à proposde la répression au Burundi de la société civile et des défenseurs des droits humains, ainsi que des droits des personnes LGBTQI+.
L’IDHB était une initiative indépendante qui, depuis la mi-2019 jusqu’en décembre 2023, travaillait en coopération avec un éventail de personnes à l’intérieur comme à l’extérieur du Burundi pourdocumenter la situation des droits humains et plaider en faveur des droits humains.
La situation des droits humains au Burundi s’est-elle améliorée ?
Le bilan global du Burundi en matière de droits humains n’a guère évolué depuis l’entrée en fonction du président Évariste Ndayishimiye en 2020. À l’époque, les gens avaient de grands espoirs parce que le nouveau président avait un passé moins sanglant que son prédécesseur. Mais la protection des droits civils et politiques n’a pas progressé. Les autorités ont continué d’arrêter, de poursuivre, de maltraiter et parfois de torturer des personnes pour des raisons politiques. Parmi les personnes arrêtées figurent des activistes, des journalistes et des membres de l’opposition.
Alors même que les formes les plus graves de violations des droits, telles que les assassinats politiques et les disparitions forcées, ont diminué, des défenseurs des droits humains et des journalistes se font arrêter arbitrairement seulement en raison de leur participation à des activités de défense des droits humains ou de leur affiliation à des organisations de la société civile (OSC) indépendantes. Ils sont généralement accusés de porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou à l’intégrité territoriale, entre autres accusations sans fondement.
Quelles sont les conditions de vie des personnes LGBTQI+ au Burundi ?
En août 2023, 24 personnes ont été arrêtées pour leur présumée implication dans des organisations d’aide aux personnes LGBTQI+. Certaines ont été acquittées ou mises en liberté, tandis que d’autres ont été condamnées. Un des activistes acquittés est décédé avant d’être libéré. L’affaire est en cours et attire l’attention sur le problème sous-jacent plus large de la criminalisation de l’homosexualité au Burundi.
Il est pratiquement impossible de s’identifier ouvertement en tant qu’activiste LGBTQI+ au Burundi. Si certaines organisations mènent des activités de soutien aux personnes LGBTQI+, elles évitent de s’identifier explicitement comme des organisations LGBTQI+. Les 24 personnes arrêtées, par exemple, avaient participé à une formation sur la sensibilisation et la prévention du VIH/sida.
Dans son récent discours de fin d’année, le président Ndayishimiye a vilipendé les personnes LGBTQI+, qualifiant l’homosexualité de péché et encourageant la lapidation publique de ceux qui sont perçus comme des « homosexuels ». Cette horrible déclaration a alimenté la rhétorique de la haine en ligne mais, au moins, elle a été vivement critiquée par une OSC burundaise et plusieurs éminents activistes en exil – ce qui est extrêmement difficile à faire à l’intérieur du Burundi.
Dans quelle mesure les organisations de défense des droits humains peuvent-elles effectuer leur travail au Burundi ?
En 2015, une importante crise politique et des droits humains a éclaté au Burundi, marquée par une violente répression de la société civile, en particulier des détracteurs et des personnes soupçonnées de s’opposer au gouvernement. En conséquence, des dirigeants de grandes organisations de défense des droits humains ont fui le pays et demeurent en exil. Certains ont été inculpés et condamnés par contumace, notamment à l’emprisonnement à perpétuité.
L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement au Burundi. Depuis 2015, les activistes qui s’attaquent à des questions politiquement sensibles font l’objet de menaces directes et ne peuvent pas travailler librement dans le pays. Même ceux qui étaient auparavant affiliés à des organisations de défense des droits humains qui n’opèrent plus au Burundi continuent de faire l’objet d’arrestations.
Les activistes qui défendent les droits économiques et sociaux subissent comparativement moins de pressions. Certaines OSC travaillant sur les questions de lutte contre la corruption et de bonne gouvernance ont été plus ou moins autorisées à fonctionner, bien que le gouvernement ait parfois entravé leurs activités, par exemple en perturbant ou en interdisant les conférences de presse.
Les activistes burundais ont-ils trouvé la sécurité dans l’exil ?
Les activistes en exil basés en Europe ou au Canada sont relativement en sécurité, tandis que ceux qui se trouvent au Rwanda peuvent subir des pressions supplémentaires. En 2015, alors que de nombreux journalistes et défenseurs des droits humains ont fui, le gouvernement burundais a interdit ou suspendu leurs organisations et fermé plusieurs stations de radio indépendantes. Certains journalistes en exil ont créé des stations de radio à l’étranger, principalement au Rwanda.
Le gouvernement burundais a profité de l’amélioration récente des relations avec le Rwanda pour faire pression sur le pays hôte afin qu’il fasse taire ces journalistes ou qu’il les renvoie. Le gouvernement rwandais a lancé un ultimatum à certains de ces journalistes, leur imposant de se taire ou de partir, ce qui a contraint certains d’entre eux à cesser leurs activités au Rwanda et à se réinstaller ailleurs. Certains de ces journalistes, comme d’autres défenseurs des droits humains plus largement, étaient entre ceux qui ont été jugés et condamnés par contumace.
Quelles sont vos principales demandes au gouvernement burundais ?
La société civile burundaise demande au gouvernement de lever les restrictions sur l’espace civique, afin de permettre aux défenseurs des droits humains, aux journalistes et aux autres voix indépendantes de s’exprimer librement sans harcèlement. Nous soutenons ces demandes.
Tout d’abord, le gouvernement doit libérerFloriane Irangabiye, une journaliste condamnée à 10 ans de prison en mai 2023. Cinq autres défenseurs des droits humains avaient été inculpés et jugés avant cela, en avril. Ils avaient été ciblés par le gouvernement en raison de leur association avec une organisation internationale non approuvée par le régime, et accusés de recevoir illégalement des fonds. Bien qu’ils aient été mis en liberté au bout de deux mois grâce à la pression internationale, certains d’entre eux ont reçu des condamnations de peine avec sursis. On appelle donc à ce que toutes les poursuites à leur encontre soient abandonnées.
La sécurité des activistes exilés doit également être assurée avant qu’ils ne puissent rentrer, ce qui nécessite la levée de leur peine. Tant que les défenseurs des droits humains continueront à faire l’objet de condamnations par contumace, il y aura des obstacles importants à toute forme d’activisme en faveur des droits humains au Burundi. Nous demandons également au gouvernement de révoquer les interdictions et les suspensions imposées aux OSC depuis 2015.
Bien que le gouvernement prétende que le Burundi est une démocratie, ce n’est certainement pas le cas. S’il l’était, les critiques seraient permises et les activités des défenseurs des droits humains ne seraient pas criminalisées.
Quel soutien les activistes burundais des droits humains reçoivent-ils de la part de leurs alliés internationaux, et de quoi ont-ils encore besoin ?
Lorsque les pays de l’Union européenne, les États-Unis et d’autres gouvernements font part de leurs préoccupations concernant les violations flagrantes des droits humains au Burundi, notamment par l’intermédiaire de leurs ambassades dans le pays, cela fait vraiment la différence. Bien qu’il faille parfois des années pour obtenir la libération d’un défenseur des droits humains, l’intensification de la pression internationale s’est avérée efficace.
Il reste trop peu de groupes indépendants de défense des droits humains au Burundi, et il est difficile d’apporter un soutien international à des entités pratiquement inexistantes. Ceux qui sont encore actifs sont pour la plupart des activistes individuels, qui peuvent difficilement être soutenus par les donateurs. Une exception notable est le journal indépendant Iwacu, qui poursuit son travail malgré les contraintes qui lui sont imposées. Nous encourageons les donateurs à maintenir leur soutien à ce média, qui représente l’une des dernières voix indépendantes au Burundi.
Les organisations de défense des droits humains opérant depuis l’exil ont besoin d’un soutien continu et pourraient développer leur travail si elles disposaient d’un financement plus durable. Il est difficile de travailler depuis l’étranger. Après plusieurs années d’exil, les activistes commencent à se sentir déconnectés et démotivés car ils ne voient pas les choses changer.
L’espace civique au Burundi est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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CAMEROUN : « Il faut que les communautés bénéficient de ce qui provient de leurs terres »
CIVICUS échange sur les aspirations et les rôles de la société civile dans le prochain sommet sur le climat COP28 avec Estelle Ewoule Lobé, cofondatrice de l’organisation de la société civile (OSC) camérounaise l’Action pour la protection en Afrique des déplacés internes et des migrants environnementaux (APADIME).
Quelles sont les questions environnementales sur lesquelles vous travaillez ?
Notre organisation, APADIME, travaille sur plusieurs questions interconnectées de droits humains et l’environnement. On travaille dans la protection des droits des peuples autochtones et des communautés locales, en mettant l’accent sur les femmes autochtones et les déplacés environnementaux. Nous contribuons à la lutte contre les crimes environnementaux transnationaux tels que l’exploitation illégale des ressources forestières et le trafic illicite d’espèces protégées. Nous travaillons à renforcer la résilience des peuples autochtones et des communautés locales et à sensibiliser l’opinion publique à la protection des forêts. Enfin, on met en œuvre des activités génératrices de revenus pour les peuples autochtones et les communautés locales.
Quand on travaille sur le crime organisé, on ne laisse pas de côté la défense des droits fondamentaux des personnes. Notre zone de travail se situe dans le Bassin du Congo, avec un ancrage sur le Cameroun. L’Afrique centrale abrite une des plus vastes forêts tropicales humides du monde. Elle regorge d’énormes ressources dont dépendent des millions d’individus pour leur subsistance, notamment des peuples autochtones et des communautés locales. Cette forêt offre également un habitat à d’innombrables espèces animales, et est d’une importance cruciale pour le climat planétaire.
Malgré tout le dispositif juridique qui vise la protection des forêts au Cameroun, l’on constate que l’exploitation des forêts, qui se fait souvent en partenariat avec des entreprises privées, donne lieu à de nombreuses dérives entrainant de graves violations des droits humains alimentés par des réseaux criminels bien organisés, et conduit généralement à la spoliation des terres de ces peuples et communautés. C’est à ce niveau que le travail de l’association intervient.
Nous avons d’abord un volet recherche qui vise, d’une part, à faire des recherches sur le cadre juridique et institutionnel afin d’appuyer nos actions de plaidoyer au niveau national et international, et d’autre part, à faire des études et publier des articles et des livres, le dernier étant A la recherche d’un statut pour les déplacés environnementaux.
Ensuite nous avons un volet terrain où nous descendons dans les communautés pour les rencontrer, organiser des réunions de concertation, organiser des focus groups, des enquêtes et des observations afin de collecter des données sur les difficultés qu’elles rencontrent et leurs besoins.
Le troisième volet de l’association est celui lié à l’éducation, où nous renforçons la résilience des peuples autochtones et des communautés locales sur la base de leurs droits intrinsèques, les droits procéduraux, la gestion durable des sols, la préservation des espèces protégées et la législation forestière en vigueur. Nous organisons aussi des campagnes de sensibilisation pour l’éducation des communautés.
Le quatrième volet est l’accès aux droits. Nous organisons les communautés en mettant en place des réseaux d’acteurs institutionnels et locaux afin de faciliter cet accès pour ces communautés donc les droits humains et fonciers sont constamment violés.
Le dernier volet concerne le relèvement économique par la mise en œuvre des activités génératrices de revenus dans certaines communautés à travers notamment des champs communautaires.
Avez-vous fait l’objet de restrictions ou de représailles en raison de votre travail ?
Nous sommes des défenseurs des droits humains travaillant dans un environnement toujours pas souvent réceptif au type de travail que l’on fait. Nous sommes confrontés à des intérêts puissants tels que ceux des sociétés forestières qui exploitent souvent abusivement les forêts. Notre présence fait souvent tâche et nous sommes sujets à des menaces qui nous contraignent à limiter généralement notre champ d’action pour éviter que la situation ne dégénère et devienne trop risquée.
Au niveau administratif, le principal obstacle est l’absence de réactions positives ou de collaboration venant des responsables administratifs. Certains responsables rencontrés refusent d’être parties prenantes à nos projets, se contentant de la seule séance de discussion générale avec nous. D’autres refusent de rendre public les contacts de leurs membres.
Quels types de liens entretenez-vous avec le mouvement climatique mondial ?
L’APADIME collabore avec plusieurs organisations internationales de renom dans le monde notamment le Centre international de droit comparé de l’environnement, une OSC internationale à caractère scientifique basée en France, qui travaille sur la protection de l’environnement à travers la promotion des instruments juridiques internationaux. On travaille aussi avec l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC).
Avec le support et l’accompagnement de la GI-TOC, nous sommes actuellement engagés avec un réseau d’acteurs en République du Congo et au Gabon, dans le but de lutter contre le crime organisé environnemental dans le Bassin du Congo et protéger les droits des peuples autochtones pour parvenir à une justice climatique centrée sur les droits humains.
Nous sommes impliqués avec des acteurs internationaux dans la construction du Sommet des Peuples pour la justice sociale et environnementale, contre la marchandisation de la vie et de la nature, et pour la défense des biens communs. Notre association participe aussi activement comme orateur et observateur à des grandes rencontres internationales donc la plus récente est la 11ème Conférence des Parties à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC), qui s’est tenue à Vienne en octobre 2022, et à l’issue de laquelle a été produite un appel à l’action de la société civile.
Quelles questions prioritaires devraient être abordées lors de la COP28 ?
Les enjeux prioritaires de la COP28 sont les mêmes que ceux que nous défendons depuis longtemps : l’appui aux peuples autochtones et aux communautés locales pour garantir la protection de leurs droits, notamment à travers le financement des activités de conservation et des activités génératrices de revenus pour relever leur niveau de vie, et le partage équitables des avantages de la nature tel que définis par le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, qui reconnaît qu’en plus du besoin urgent d’utiliser durablement la nature, il faut que les communautés bénéficient de ce qui provient de leurs terres.
Il s’agit en particulier d’examiner comment les communautés marginalisées, y compris les peuples autochtones, peuvent bénéficier des produits thérapeutiques et cosmétiques souvent lucratifs dérivés des ressources de leurs terres.
Pensez-vous que la COP28 offrira suffisamment d’espace à la société civile ? Quelles sont vos attentes quant à ses résultats ?
La participation de la société civile aux négociations sur le climat est extrêmement importante car nous sommes des participants actifs et lorsque nous sommes en mesure d’influencer les négociations, nous sommes un facteur clé de progrès en matière de développement durable. Nos actions sont complémentaires au dialogue politique, d’où la nécessité voire même l’obligation de participer à ces négociations.
Comme d’habitude, la COP28 sera officiellement bien ouverte à la société civile en tant que participants et observateurs, mais les difficultés d’accès résideront dans le financement pour se rendre et séjourner aux Émirats arabes unis, où se tiendra cet événement mondial.
Mais nous espérons que malgré toutes ces difficultés, des progrès seront réalisés sur les questions qui sont au cœur de notre travail, à savoir le financement direct des communautés pour garantir des actions d’adaptation et renforcer leur résilience.
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CAMEROUN : « La communauté internationale n’a pas contribué au traitement des causes profondes de la crise anglophone »
CIVICUS échange avec la chercheuse et écrivaine féministe camerounaise Monique Kwachou au sujet de la crise actuelle dans les régions anglophones du Cameroun. Le conflit a émergé en 2016 à travers une série de griefs juridiques et éducatifs exprimés par la population anglophone du pays, minoritaire au niveau national mais majoritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.
Monique est la fondatrice de Better Breed Cameroon, une organisation de la société civile (OSC) travaillant sur le développement et l'émancipation des jeunes, et coordinatrice nationale de la section camerounaise du Forum des éducatrices africaines.
Quelles ont été les conséquences humanitaires de l’escalade du conflit dans les régions anglophones du Cameroun ?
La crise dans les régions anglophones du Cameroun a entraîné le déplacement interne de près de 800 000 personnes anglophones, selon lesuivi des organisations humanitaires. De nombreuses personnes émigrent également vers d’autres pays en quête de sécurité. Malheureusement, les civils ont été instrumentalisés et utilisés comme une arme. En conséquence la seule manière pour eux de se protéger est de fuir vers des régions plus sûres, à l'intérieur comme en dehors du pays.
De même, de nombreuses personnes sont de plus en plus désespérées et n’investissent plus dans les régions anglophones comme elles le faisaient auparavant. Pour vous donner une idée claire de l’insécurité qui règne actuellement dans les régions anglophones, avant de sortir de chez moi, je dois évaluer les risques et décider si ce que je dois faire en vaut la peine.
Les exécutions illégales et les enlèvements sont désormais monnaie courante et quelque peu normalisés : ils ne nous choquent pas autant qu’autrefois, et il existe une lassitude générale liée au traumatisme qui peut engendrer une apathie dangereuse.
Actuellement, certaines personnes essaient de faire circuler un hashtag à propos d’un enlèvement récent de membres du clergé et de fidèles catholiques dans la région du Nord-Ouest. Les ravisseurs exigent une rançon de 30 millions de francs CFA (environ 45 000 dollars), mais l’Église hésite d’accepter ces demandes, craignant que si les kidnappeurs sont payés une fois, d’autres personnes seront enlevées dans le futur. Pourtant, la plupart des commentaires sur les réseaux sociaux à propos de cette nouvelle soutiennent le paiement de la rançon puisqu’il n’y a rien d’autre à faire. C'est la récurrence de telles histoires qui provoque cette apathie.
Étant donné que les forces de sécuritéont une réputation de violence et qu’elles ont contribué au développement de la crise en brûlant des villages entiers, les gens ne leur font pas confiance non plus.
En tant qu’enseignante, je pense que l’un des impacts les plus tristes de cette crise est au niveau de l’éducation. Pour l’instant, je pense que personne ne bénéficie d’une éducation de qualité. De nombreuses personnes ont émigré vers d’autres régions, notamment vers Douala, la plus grande ville du Cameroun, et Yaoundé, la capitale. En conséquence, les écoles y sont surpeuplées. Le ratio élèves- enseignants a augmenté et la qualité de l’enseignement a baissé. Dans les régions en crise, chaque grève et chaque couvre-feu met en suspens l’avenir des élèves et affecte potentiellement leur bien-être psychologique.
Que faudra-t-il faire pour désescalader la situation ?
Je pense que le gouvernement sait déjà ce qu’il faut faire pour que la situation s’apaise. Edith Kahbang Walla, du parti de l’opposition Parti du Peuple Camerounais, a présenté un processus de désescalade et de transition politique pacifique, étape par étape. Mais le problème est que le parti au pouvoir ne veut pas de transition. Or, vu qu'il semblerait qu'ils prévoient de rester perpétuellement au pouvoir, ils feraient mieux d’apporter des changements qui conviennent à toutes les régions du Cameroun.
Des mesures extrêmes ont été adoptées pour attirer l’attention sur les problèmes rencontrés par les Camerounais anglophones. Les régions anglophones maintiennent les journées de « ville morte » tous les lundis, arrêtant les activités pendant un jour pour protester contre les autorités. Ces jours-là, les écoles ne fonctionnent pas et les entreprises restent fermées. L’objectif initial était de montrer du soutien aux enseignants et aux avocats en grève, mais cette pratique commence à avoir un impact négatif sur la vie des habitants des régions anglophones.
Si le gouvernement envisageait une meilleure stratégie pour négocier avec les sécessionnistes, la situation pourrait être traitée efficacement. Malheureusement, le gouvernement a rendu la négociation impossible depuis le début de la crise en arrêtant les manifestants. Avec qui le gouvernement va-t-il alors dialoguer ? Ils soutiennent qu’ils ne négocieront pas avec les terroristes, tout en oubliant que c'est eux qui ont créé le monstre. Ils doivent reconnaître les causes profondes du problème, sinon ils ne pourront pas le résoudre.
À quels défis la société civile doit-elle faire face en plaidant pour la paix ?
La société civile est doublement victime du conflit en cours. Étant donné que les OSC se concentrent en ce moment sur l'action humanitaire, leurs activités axées sur le développement ont été grandement affectées par la crise et laissées de côté.
D’une part, le gouvernement est en train de saper l’activisme des populations anglophones par le biais d'arrestations et de restrictions de la liberté d’expression, tant sur Internet comme hors Internet. Il est dangereux de dénoncer le gouvernement et l'action des militaires dans les régions anglophones. Par exemple, la journaliste Mimi Mefo a été arrêtée pour avoir fait un reportage sur l’activité militaire et a dû quitter le Cameroun parce que sa vie était menacée.
D’autre part, les militants pacifistes qui préconisent le retour des enfants à l’école sont attaqués par des groupes sécessionnistes qui pensent que ces demandes seront instrumentalisées par le gouvernement. Des hôpitaux ont été attaqués à la fois par les militaires et par les groupes armés sécessionnistes parce qu’ils ont aidé l’un ou l’autre.
Outre le défi du danger auquel les membres des OSC sont confrontés dans le cadre de leur travail, un autre défi est celui de l'articulation de messages pour la paix et la résolution de la crise sans être identifié comme pro-gouvernemental ou pro-sécessionniste. Cela s'accentue par le fait que les médias tentent de dépeindre le conflit comme si c'était tout noir ou blanc. Cela n’a pas été une tâche facile. Les ressources limitées rendent également difficile le travail tendant à la consolidation de la paix.
Comment la communauté internationale peut-elle soutenir la société civile camerounaise ?
Pendant la crise, les organisations humanitaires ont commencé à se rendre visibles dans les régions anglophones. Cependant, l’aide des organisations humanitaires ne répond qu'aux symptômes du problème, et non à sa cause profonde : ce n'est pas une façon de résoudre la crise. Je n’ai pas vu la communauté internationale aider le Cameroun à s’attaquer aux causes profondes du conflit. Ce serait constructif, par exemple, d’aider à tracer la vente d'armes aux deux camps. Nos principaux partenaires internationaux pourraient également utiliser leur influence pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il s’oriente vers un véritable dialogue inclusif et garantisse l’adoption de solutions efficaces à la crise.
L’espace civique au Cameroun est classé comme « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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CAMEROUN : « Le mécontentement de la communauté anglophone doit être abordé à travers des discussions sérieuses avec toutes les parties »
CIVICUS échange avec l’écrivain et activiste numérique camerounais Dibussi Tande au sujet de la crise actuelle dans les régions anglophones du Cameroun. Le conflit a commencé en 2016 dû à une série de griefs juridiques et éducatifs exprimés par la population anglophone du pays, minoritaire au niveau national mais majoritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.
Dibussi est l’auteur deScribbles from the Den. Essays on Politics and Collective Memory in Cameroon. Il tient également un blog où il partage des nouvelles et des analyses de la situation au Cameroun.
Quelles ont été les conséquences humanitaires de l’escalade du conflit au Cameroun ?
Le principal problème humanitaire concerne le déplacement de centaines de milliers de personnes fuyant le conflit. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), en août 2021 on comptait 712 800 personnes déplacées internes (PDI), à savoir déplacées à l’intérieur du pays. Bien que depuis certaines soient retournées, il reste encore plus d’un demi-million de PDI à travers le Cameroun.
Aujourd’hui, les besoins prioritaires des personnes déplacées et des rapatriés sont le logement ainsi que l’accès aux soins de santé, à l’alimentation, à l’eau et à l’éducation. Cependant, l’aide n’a pas été facilement accessible, ce qui explique pourquoi ce conflit a été classé à plusieurs reprises comme l’une des crises de déplacement les plus négligées depuis 2019.
N’oublions pas que l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés compte 82 000 réfugiés camerounais supplémentaires enregistrés au Nigeria. De plus, il y a des millions de personnes piégées dans des zones de conflit et prises entre deux feux, ce qui pourrait conduire vers une crise humanitaire catastrophique.
Que faut-il faire pour désescalader le conflit ?
C’est très simple. Tout d’abord, les parties impliquées dans le conflit doivent être prêtes à oublier l’option militaire, qui n’a jusqu’à présent rien résolu, et à rechercher plutôt une solution pacifique. Il ne peut y avoir de véritable désescalade tant qu’elles n’auront pas donné un sens aux demandes aujourd’hui ridiculisées tendant à un « dialogue national inclusif ». Or celles-ci, sont devenues banales et constituent désormais une excuse pour l’inaction. Cela dit, je pense que la responsabilité incombe en premier lieu au gouvernement camerounais, qui dispose des ressources nécessaires pour au moins entamer un véritable dialogue.
Deuxièmement, la communauté internationale doit revoir son approche au conflit. Jusqu’à présent, toutes les tentatives de médiation internationale, telles que le processusde facilitationsuisse dans le cadre duquel le gouvernement suisse a organisé des pourparlers, ont stagné pendant des années ou ont tout simplement échoué. La communauté internationale doit intensifier la pression sur toutes les parties, y compris en menaçant tant avec des sanctions individuelles comme collectives si l’obstination persiste. Sans cette double approche, il n’y aura pas de désescalade à portée du regard.
A quels types de défis la société civile s’affronte-t-elle dans le cadre du plaidoyer pour la paix ?
La société civile est confrontée à de nombreux défis. Tout d’abord, les organisations de la société civile (OSC) ont un accès limité aux zones de conflit. Elles doivent également faire face à une situation délicate entre le gouvernement et les groupes ambazoniens qui luttent pour l’indépendance de l’Ambazonie, un État autoproclamé dans les régions anglophones, dans laquelle chacun des deux camps les accuse régulièrement de soutenir l’autre. Ainsi, même quand la société civile accède aux zones de conflit, elle opère avec des ressources (financières et autres) très limitées.
Cela dit, l’hostilité du gouvernement constitue le principal obstacle à leurs activités. Les OSC locales se plaignent régulièrement d’intimidation et de harcèlement de la part des autorités camerounaises lorsqu’elles tentent de travailler dans les zones de conflit. En 2020, par exemple, le ministre de l’Administration Territoriale a accusé les OSC locales de coopérer avec les OSC internationales pour alimenter le terrorisme au Cameroun. Il a affirmé que ces « ONG téléguidées » avaient reçu 5 milliards de francs CFA (environ 7,4 millions de dollars) pour minimiser les atrocités commises par les groupes séparatistes tout en publiant des informations fabriquées sur l’armée camerounaise.
Les groupes humanitaires internationaux tels que Médecins sans frontières (MSF) ont également subi la colère du gouvernement. En 2020, le Cameroun a suspendu MSF de ses activités dans la région du Nord-Ouest après l’avoir accusé d’entretenir des relations de complicité avec les séparatistes. En mars 2022, MSF a suspendu ses activités dans la région du Sud-Ouest suite à l’arrestation de quatre de ses employés pour avoir prétendument collaboré avec des séparatistes. MSF s’est plaint de la confusion du gouvernement entre l’aide humanitaire neutre, indépendante et impartiale, et la collusion avec les groupes séparatistes.
Quelles étaient les attentes des Camerounais anglophones pour le 1er octobre, proclamé « Jour de l’indépendance » dans les régions anglophones ?
Les Camerounais anglophones avaient différentes attentes en fonction de leur idéologie politique. Pour les indépendantistes, l’objectif est tout simplement l’indépendance de l’ancien territoire sous mandat britannique, le Southern Cameroons. De leur point de vue toute négociation avec le gouvernement doit donc porter sur les modalités pour mettre fin à l’union et non sur la question de savoir si l’union doit continuer.
Mais d’autres segments de la population croient toujours en une république camerounaise bilingue, bien que sous d’autres accords et agencements politiques. Les fédéralistes pensent que les attentes des anglophones seront satisfaites si le pays revient au système fédéral qui existait entre 1961 et 1972. Ce système offrait à l’ancien Southern Cameroons britannique des protections constitutionnelles au sein d’une république fédérale, notamment le droit d’avoir son propre gouvernement, un corps législatif élu, un système judiciaire indépendant, un système de gouvernement local dynamique et le contrôle étatique du système éducatif.
Le gouvernement camerounais n’a accédé ni aux demandes radicales des indépendantistes ni aux demandes comparativement modérées des fédéralistes. Au lieu de cela, il va de l’avant avec une politique de « décentralisation » qui, en accordant un pouvoir symbolique aux régions, finit par ne même pas aborder le soi-disant « problème anglophone ».
Que devrait faire le gouvernement camerounais pour assurer la reconnaissance des droits des Camerounais anglophones ?
Dans un premier temps, le gouvernement devrait abandonner ses politiques palliatives et largement cosmétiques pour résoudre le conflit, car celles-ci ne font qu’ajouter au ressentiment dans la région. Tel est le cas, par exemple, du « statut spécial » accordé aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qui était censé reconnaître leur « particularité linguistique et leur patrimoine historique ». Cependant, cette approche hautement critiquée n’accorde pas le pouvoir d’influencer ou de déterminer les politiques dans des domaines clés tels que l’éducation, la justice et le gouvernement local, où cette « particularité » a le plus besoin d’être protégée.
Les origines historiques et constitutionnelles du mécontentement des communautés anglophones au sein de la république bilingue du Cameroun sont bien documentées. Ce mécontentement doit être abordé par le biais d’une approche holistique qui inclut des discussions sérieuses avec toutes les parties, allant des fédéralistes aux indépendantistes. Le dialogue est un voyage, pas une destination. Il est maintenant temps de commencer ce voyage, même s’il est tortueux, frustrant et difficile, et malgré la méfiance, le ressentiment et l’animosité qui sont profondément ancrés entre les parties.
Comment la communauté internationale peut-elle soutenir la société civile camerounaise et aider à trouver une solution ?
La société civile camerounaise a besoin, entre autres, de ressources financières et matérielles pour fournir adéquatement l’assistance humanitaire aux personnes déplacées ainsi qu’aux personnes vivant dans les zones de conflit. C’est dans ce cadre que la communauté internationale peut participer. Cependant, l’aide internationale est une arme à double tranchant étant donné que le gouvernement camerounais est suspicieux et hostile envers les OSC locales qui ont des partenaires internationaux, et en particulier celles qui critiquent la façon dont le gouvernement a géré le conflit jusqu’à présent. La société civile a également besoin de ressources pour documenter de manière précise et adéquate ce qui se passe sur le terrain, y compris les crimes de guerre et les violations des lois internationales relatives aux droits humains.
Les OSC devront trouver un moyen de convaincre tant le gouvernement comme les groupes ambazoniens, qui se méfient également de leurs activités, qu’elles sont des intermédiaires honnêtes. Si elles parviennent à prouver qu’elles ne sont pas des acteurs partiaux, cela leur permettrait de jouer un rôle central dans la recherche d’une solution au conflit. À ce stade cela représente toutefois une tâche herculéenne, voire impossible. Pour l’instant, la société civile demeurera sur la corde raide entre le gouvernement et les indépendantistes, tout en faisant des promesses qu’elle ne peut pas tenir aux personnes touchées par le conflit.
En ce qui concerne la recherche internationale d’une solution, il y a eu beaucoup plus de tergiversations, tant de la part de l’Union Africaine comme de l’ONU, que de véritables actions. Jusqu’à présent, la communauté internationale a adopté une attitude essentiellement réactive face au conflit. Des déclarations de détresse suivies d’appels creux à un dialogue inclusif ont été publiées après chaque atrocité. Cela s’ensuit par du silence jusqu’à la prochaine tragédie. Les parties sont donc peu incitées au dialogue, surtout lorsque chacune d’entre elles croit, à tort ou à raison, qu’elle prend le dessus sur le plan militaire.
L’espace civique au Cameroun est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
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CONVENTION FISCALE DE L’ONU : « Le pouvoir populaire est notre arme principale pour lutter contre les inégalités »
CIVICUS échange sur le travail de la société civile pour lutter contre les inégalités en adoptant une approche ascendante, et discute des perspectives d’une convention fiscale des Nations Unies avec JennyRicks, coordinatrice mondiale de l’Alliance contre les inégalités.
L’Alliance contre les inégalités est une coalition mondiale en plein essor qui rassemble un large éventail de mouvements sociaux, d’organisations de base et communautaires, d’organisations de la société civile, de syndicats, d’artistes, et d’activistes individuels qui s’organisent et se mobilisent du bas vers le haut. Leur objectif est de trouver et promouvoir des solutions aux causes structurelles des inégalités afin de rééquilibrer le pouvoir et la richesse dans nos sociétés.
Existe-t-il un consensus mondial sur le fait que l’inégalité est un problème qu’il faut adresser ?
Depuis quelques années, il semble avoir un consensus sur le fait que l’inégalité a atteint de nouveaux extrêmes et qu’elle est préjudiciable à tous les membres de la société ainsi qu’à l’environnement. À l’heure actuelle, ce ne sont pas seulement les personnes les plus touchées par les inégalités qui s’y opposent, affirmant que c’est grotesque et que cela doit changer, mais même des organisations comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale l’envisagent comme un problème. Le pape dit que c’est un problème. Les gouvernements se sont engagés à réduire les inégalités dans le cadre de l’un des objectifs de développement durable.
En apparence, il existe un large consensus : tout le monde semble penser que la concentration du pouvoir et des richesses au sommet des sociétés est allée trop loin, que le fossé est trop profond et qu’il affecte la vie quotidienne et les moyens de subsistance des gens au point où c’est une question de vie ou de mort. Et ce n’est pas tout : les inégalités érodent aussi les démocraties. Lorsque les oligarques contrôlent les médias, achètent des votes, répriment les défenseurs des droits de l’homme et l’espace civique et saccagent l’environnement, tout le monde est concerné.
Mais sous ce consensus superficiel, je pense qu’il existe encore un profond désaccord sur ce que signifie réellement la lutte contre les inégalités. À l’Alliance contre les inégalités, nous travaillons pour démanteler les systèmes d’oppression à l’origine des inégalités, notamment le néolibéralisme, le patriarcat, le racisme et l’héritage colonial. Ce sont les racines structurelles profondes des inégalités qui expliquent pourquoi des milliards de personnes ont lutté pour survivre à une pandémie mondiale tandis que les plus riches du monde continuaient à s’amuser. C’est pour cela que notre plan d’action se centre sur la transformation de la nature de nos économies et de nos sociétés, et nous ne nous contentons pas d’apporter des modifications mineures au statu quo pour éviter les émeutes.
Comment s’attaquer à l’inégalité structurelle ?
Depuis le début de la formation de l’Alliance contre les inégalités, nous savions que le problème ne résidait pas dans le manque de solutions politiques. Nous connaissons déjà les solutions politiques pour lutter contre les inégalités : cela comprend notamment des mesures de lutte contre le changement climatique, des politiques fiscales redistributives, des politiques visant à garantir un travail décent.
Le problème était que la concentration écrasante de pouvoir et de richesse au sommet ne s’accompagnait pas d’une force compensatrice en bas de l’échelle. Les plus riches et les plus puissants sont organisés et bien financés. Ils poursuivent leurs intérêts et leur avidité de manière agressive et avec succès. Or, nous avons le pouvoir du peuple. Mais dans la société civile et au-delà, les groupes étaient très fragmentés, très cloisonnés, concentrés sur leurs agendas individuels et absorbés par les questions les plus cruciales pour leurs partie-prenantes. Il n’y avait pas assez de liens entre les luttes.
Le fait de s’organiser autour des inégalités permet de comprendre à quel point les luttes différentes sont interconnectées : sous les luttes quotidiennes, il y a des racines communes, et donc aussi des solutions communes à promouvoir. C’est là, ainsi que dans la transformation des discours sur l’inégalité, que nous avons trouvé notre mission. Nous devons changer ce que nous considérons comme nécessaire et possible dans nos sociétés et renforcer le pouvoir des visions alternatives pour lesquelles nous nous battons. Lorsque nous sommes limités par ce qui est perçu comme naturel ou normal selon le courant dominant, telle que l’idée fausse que les milliardaires sont des génies qui travaillent dur et méritent donc une richesse illimitée, cela limite nos énergies et nos capacités d’organisation pour un changement structurel.
Les personnes à la base connaissent bien leurs problèmes et leurs solutions. Les inégalités ne sont pas un problème à résoudre pour les économistes et les technocrates : il s’agit avant tout d’un combat qui doit être mené par les gens. Surtout, les voix des personnes qui subissent le pire des inégalités doivent être entendues. Ces personnes sont les véritables experts de cette lutte. Le pouvoir populaire est donc la plus grande arme que nous puissions utiliser dans ce combat. Les gouvernements et les institutions internationales veulent ramener ces débats dans les arènes techniques des organes de décision et des salles de conférence, en les enveloppant d’un langage technique qui les rend intentionnellement inaccessibles à la plupart des gens. Les inégalités, comme de nombreuses autres questions qui requièrent des changements structurels, sont vues dans les cercles économiques comme des éléments à mesurer, à rapporter et à discuter.
Mais l’inégalité est une tragédie humaine, pas une question technique. C’est une question de pouvoir. Et les solutions doivent venir des personnes dont la vie est la plus affectée par ces inégalités. Nous devons modifier l’équilibre des pouvoirs, dans nos sociétés et sur la scène mondiale, au lieu de discuter à huis clos sur la formulation d’un document technique. Cela passe par une organisation à grande échelle : le pouvoir du peuple est notre arme principale pour lutter contre les inégalités.
Pourquoi le régime fiscal est-il important dans la lutte contre les inégalités ?
La lutte contre les inégalités passe par une redistribution du pouvoir et des richesses, et les impôts constituent un outil majeur de redistribution.
Au cours des dix ou vingt dernières années, la société civile a fourni des efforts considérables pour remettre en question le fait que les personnes les plus riches et les plus grandes entreprises du monde ne paient pas leur juste part d’impôts. Le modèle économique est exploiteur, injuste et non durable, basé sur l’extraction de ressources, principalement du Sud, sur des pratiques de travail abusives, sur des travailleurs sous-payés et sur des dommages environnementaux considérables.
Lorsqu’il s’agit de budgets nationaux ou locaux, les gouvernements augmentent souvent les impôts indirects tels que la taxe sur la valeur ajoutée. Or celui-ci est le type d’impôt le plus régressif car au lieu de taxer davantage les riches ou les multinationales, il s’applique à tous les biens achetés, y compris les produits de première nécessité. Une industrie mondiale avec des systèmes d’évitement et d’évasion fiscale à grande échelle a été mise en place.
La redistribution actuelle se base sur l’extraction aux dépens des plus pauvres et la distribution aux personnes les plus riches du monde – milliardaires, actionnaires d’entreprises, etc. C’est ce que nous nous efforçons d’inverser, tant au niveau local comme au niveau mondial.
Comment une convention fiscale des Nations Unies pourrait-elle être utile ?
Le niveau actuel de concentration des richesses est tellement grotesque qu’il nécessite des solutions et des actions à tous les niveaux. Nous devons nous battre sur le front local, là où se trouvent les difficultés, tout en faisant pression pour un changement systémique dans des espaces tels que les Nations Unies. La discussion sur les règles fiscales mondiales semble assez éloignée des luttes quotidiennes pour lesquelles la plupart des gens, au sein de notre alliance et au-delà, font campagne. Mais les décisions prises à ce sujet ont des répercussions sur ces luttes.
Jusqu’à présent, les règles fiscales ont été fixées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une organisation intergouvernementale comptant 38 États membres : un club de pays riches. Comment les décisions sur les règles fiscales mondiales qui concernent tout le monde pourraient-elles être prises ailleurs qu’à l’ONU, qui, malgré tous ses défauts et toutes ses lacunes, est le seul organisme multilatéral où tous les États ont un siège ?
Néanmoins, comme nous l’avons vu avec les négociations sur le climat, il y a une énorme lutte de pouvoir qui doit être menée à l’ONU. Il faudra encore mener un énorme combat pour obtenir le type de règles fiscales mondiales que nous souhaitons. Mais si les règles fiscales mondiales sont élaborées au sein de l’OCDE, la majorité du monde n’a aucune chance. Ce n’est pas en demandant aux pays riches de mieux se comporter que l’on obtiendra le type de transformation que nous souhaitons.
En novembre 2022, une première étape positive a été franchie lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution appelant à une coopération fiscale internationale plus inclusive et plus efficace et exhortant les États membres à entamer des négociations sur une convention fiscale mondiale. La résolution fait écho à un appel lancé par le Groupe des 77 (G77), le plus grand bloc de pays en développement au sein des Nations Unies, ainsi que par le Groupe africain. Elle donne aux Nations Unies le mandat de contrôler, d’évaluer et de déterminer les règles fiscales mondiales et de soutenir la création d’un organisme fiscal mondial.
Une convention fiscale mondiale mettrait les États du Sud sur un pied d’égalité avec les États du Nord, de sorte que la proposition s’est heurtée à des résistances. Les dynamiques de pouvoir mondiales étaient clairement en jeu. Il fallait s’attendre à de telles réactions : en effet, ce processus sera à long terme et à durée indéterminée. Rien ne garantit qu’il aboutira au cadre mondial solide dont nous avons besoin. Mais c’est un combat qui vaut la peine d’être mené, et les Nations Unies sont l’enceinte idéale pour cela, tout simplement parce qu’il n’existe pas d’autre espace pour mener ces négociations. Où d’autre le G77 ou le Groupe africain pourraient-ils renégocier les règles fiscales mondiales ?
Comment faites-vous campagne à la lumière de la résolution ?
Nous ne faisons pas directement campagne pour la convention fiscale des Nations Unies, mais nous essayons d’amener les gens à s’intéresser à cet agenda différemment. Nous avons beaucoup fait campagne sur la taxation des riches et l’abolition des milliardaires, ce qui est une manière plus attrayante de présenter le problème et de mobiliser les gens. Nous ne pouvons pas imaginer à ce stade que des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour soutenir la convention fiscale des Nations Unies. Au lieu de cela, nous nous sommes organisés autour de la nécessité de taxer les riches, au niveau national et mondial, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises.
Cet appel a une grande résonance populaire parce qu’il est plus facile de le relier aux luttes principales individuelles telles que la recherche d’emploi, les dépenses en matière de santé, l’efficacité des services publics, le revenu de base, ou encore à la lutte contre les mesures d’austérité, les hausses d’impôts régressives ou les réductions de subventions. Grâce à notre organisation ces dernières années, cet appel a en effet été intégré à des campagnes d’un nombre croissant de mouvements à travers le monde. Cela a permis à de nombreux mouvements de base du Sud global de s’engager dans l’agenda fiscal, ce qui a le potentiel d’attirer l’attention des gens sur l’agenda plus large de justice fiscale. On ne peut pas commencer par l’organisation d’une réunion communautaire sur la Convention fiscale des Nations Unies : il faut partir des inégalités quotidiennes auxquelles les gens sont confrontés.
Contactez l’Alliance contre les inégalités sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@jenny_ricks et@FightInequality sur Twitter.
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COP26 : « Les jeunes font des propositions, ils ne se contentent pas de réclamer des changements en brandissant une pancarte »
À la veille de la 26ème Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26), qui se tiendra à Glasgow, au Royaume-Uni, du 31 octobre au 12 novembre 2021, CIVICUS a interrogé des militants, des dirigeants et des experts de la société civile sur les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés dans leur contexte, les actions qu’ils entreprennent pour y faire face et leurs attentes pour le sommet à venir.
CIVICUS s’entretient avec Antonella Regular et Joaquín Salinas, respectivement coordinatrice de la communication et coordinateur de la formation de Juventudes COP Chile, une plateforme indépendante de jeunes axée sur l’action climatique. Le groupe cherche à générer des espaces de plaidoyer pour la population jeune et constitue un espace intersectionnel et intergénérationnel pour l’apprentissage mutuel.
Quels sont les principaux problèmes environnementaux au Chili ?
Un problème central est directement lié aux zones de sacrifice environnemental, c’est-à-dire les zones qui concentrent un grand nombre d’industries polluantes ayant un impact direct sur les communautés. Un autre problème est l’exploitation minière et la manière dont les droits d’extraction prennent le pas sur les droits des communautés et de l’environnement, avec des opérations telles que le projet controversé de Dominga dans la région de Coquimbo, sur la côte nord et du centre du Chili. Et dans le sud, la question de la déforestation.
Ces questions environnementales sont notre point d’entrée dans les communautés : elles nous permettent de connaître les défis et les objectifs afin de pouvoir influencer et agir, et pas seulement exiger. A partir de cette plateforme, nous cherchons à générer des solutions aux problèmes.
Le fait que les jeunes ne trouvent pas d’espaces où ils sont entendus et peuvent participer activement à la prise de décision est également un problème. Le Chili traverse actuellement un processus constituant : nous avons une Assemblée constituante très diverse et plurielle, directement élue par les citoyens, qui rédige une nouvelle Constitution. Pour la première fois, il est possible que certaines demandes historiques, longtemps ignorées, soient satisfaites. En ce moment décisif, il est important que les jeunes soient inclus dans le processus décisionnel et qu’ils puissent influencer la conception de politiques publiques progressistes.
Comment vos actions s’inscrivent-elles dans le cadre du mouvement mondial pour le climat ?
La plateforme Juventudes COP Chile se veut un pont entre la société civile et les espaces de plaidoyer internationaux tels que les conférences sur le climat. Notre objectif est de donner à la société civile dans son ensemble les moyens d’émettre des opinions et des demandes pour influencer ces espaces. Nous avons ouvert des espaces de participation et généré des alliances, et toutes les propositions qui ont émergé dans ces espaces seront délivrées à la COP26.
Juventudes COP Chile promeut la participation des jeunes et les encourage à prendre une position active. Nous faisons des propositions, nous ne nous contentons pas d’exiger des changements en brandissant une pancarte.
Quels progrès attendez-vous de la COP26 ? Plus généralement, quelle est, selon vous, l’utilité de ces processus internationaux ?
Il y a beaucoup de travail resté inachevé depuis la COP25. Par exemple, finaliser le livre des règles en ce qui concerne l’article 6 de l’Accord de Paris, relatif aux marchés du carbone, pour que les États et les entreprises puissent échanger des unités d’émission de gaz à effet de serre. Nous espérons que lors de cette COP, les pays se mettront d’accord immédiatement et qu’il y aura une percée à cet égard. Ils devraient également cesser de reporter les contributions déterminées au niveau national (CDN) à 2050. Et les CDN ne devraient plus être volontaires. Cela semble presque une moquerie étant donné l’état de la crise climatique.
Il est urgent de progresser car nous constatons que le changement climatique est réel et qu’il se produit. Certains changements sont déjà irréversibles : nous les vivons au quotidien dans notre relation avec l’environnement et il se peut que nous soyons déjà à peine capables d’adopter des règles d’adaptation.
Les parties à la COP26 devraient en prendre conscience et mettre leurs intérêts de côté pour penser à la survie de l’espèce humaine. Ils doivent écouter la science et les jeunes. La participation des jeunes à ces processus ne peut être un simple protocole : elle doit être réelle, active et significative.
Quels changements voudriez-vous voir se produire dans le monde ou dans votre communauté, qui pourraient aider à résoudre la crise climatique ?
Dans nos communautés, nous attendons une plus grande participation et un meilleur accès à l’information. Au Chili, il y a une grande centralisation : tout se passe dans la capitale, Santiago, et cela génère un déficit de participation des citoyens à la prise de décision et à la diffusion de l’information dans les communautés. Nous espérons que des progrès seront réalisés sur les questions de décentralisation et de redistribution du pouvoir de décision effectif.
L’un des principes de Juventudes COP Chile est précisément la décentralisation, et c’est pourquoi nous travaillons avec des personnes de différentes régions du pays. Nous aimerions voir une adoption plus massive de certaines des pratiques que nous intégrons dans Juventudes COP Chile, comme l’artivisme, la culture régénératrice, l’horizontalité et le travail communautaire.
Au niveau national, nous attendons des hommes politiques qu’ils commencent à prendre ce problème au sérieux. Ils doivent œuvrer à la réduction de la pollution et à l’atténuation de la crise climatique. Ils doivent partir de la reconnaissance du fait que la crise climatique est une crise des droits humains, qui affecte radicalement la qualité de vie des personnes et des communautés les plus vulnérables. Il est important que l’on reconnaisse que cela se produit et que c’est un problème sérieux.
Une étape importante pour faire avancer les choses serait que le Chili signe enfin l’accord régional sur l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice en matière d’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes, plus connu sous le nom d’accord d’Escazú. Il s’agit du premier accord régional sur l’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes et du premier au monde à contenir des dispositions spécifiques sur les défenseurs des droits humains et les défenseurs de l’environnement. Pendant des années, le Chili a fait pression pour que les négociations aboutissent à cet accord, mais a ensuite décidé de ne pas le signer. Elle doit le faire sans délai.
L’espace civique au Chili est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
Contactez Juventudes COP Chile via sonsite web ou ses pagesFacebook etInstagram. -
CORÉE DU SUD : « Les activistes et déserteurs nord-coréens subissent une pression croissante pour les faire taire »
CIVICUS s'entretient avec Ethan Hee-Seok Shin, analyste juridique pour le Transitional Justice Working Group (TJWG), une organisation de la société civile (OSC) basée à Séoul et fondée par des défenseurs des droits humains et des chercheurs de cinq pays. Créée en 2014, elle est la première OSC basée en Corée qui se concentre sur les mécanismes de justice transitionnelle dans les régimes les plus répressifs du monde, y compris la Corée du Nord. Le TJWG poursuit l'objectif de développer des méthodes pratiques pour lutter contre les violations massives des droits humains et promouvoir la justice pour les victimes avant et après la transition. Ethan travaille au Central Repository Project du TJWG, qui utilise une plate-forme sécurisée pour documenter et faire connaître les cas de disparitions forcées en Corée du Nord. Il utilise des actions législatives et juridiques pour sensibiliser à la situation des droits humains en Corée du Nord.
Pouvez-vous nous parler du travail que font les groupes de la société civile sud-coréenne sur les droits humains en Corée du Nord ?
Il existe un éventail assez large d'OSC travaillant sur les questions des droits humains en Corée du Nord. TJWG a travaillé pour ouvrir la voie à la justice transitionnelle en Corée du Nord, remplissant sa mission principale, la documentation des droits humains.
Le projet phare du TJWG a abouti à la publication d'une série de rapports sur les exécutions publiques en Corée du Nord, sur la base d'entretiens avec des personnes en fuite vivant maintenant en Corée du Sud. Nous enregistrons les informations géo-spatiales des sites de tuerie, des lieux de sépulture et des lieux de stockage des enregistrements, tels que les tribunaux et les établissements chargés de l'application de la loi, en demandant à nos personnes interrogées d'identifier les emplacements sur Google Earth. La première édition du rapport a été publiée en juillet 2017 et reposait sur 375 entretiens, et la deuxième édition a été lancée en juin 2019, à la suite de 610 entretiens.
Nous sommes également en train de constituer une base de données en ligne, FOOTPRINTS, qui enregistre les enlèvements et les disparitions forcées commis en Corée du Nord et par la Corée du Nord. La plateforme utilise Uwazi, une technologie gratuite et open source qui permet d'organiser, d'analyser et de publier des documents, développée par l'OSC HURIDOCS. Une fois rendu public, FOOTPRINTS offrira une plate-forme facilement accessible et de recherche simple pour retrouver les personnes capturées et disparues en Corée du Nord.
Outre le travail de documentation et d'établissement de rapports, nous avons été activement impliqués dans des initiatives de plaidoyer nationales et internationales. En collaboration avec d'autres OSC des droits humains, le TJWG a rédigé et présenté une lettre ouverte exhortant l'Union européenne à renforcer le libellé et les recommandations des résolutions annuelles sur les droits humains adoptées par l'Assemblée générale des Nations Unies (ONU) et le Conseil des droits de l’Homme sur la Corée du Nord. Nous avons également présenté des cas au Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires et à d'autres experts des droits humains des Nations Unies.
En juillet 2020, le gouvernement sud-coréen a révoqué l'enregistrement de deux OSC et a publié un avis d'examen administratif et d'inspection aux groupes « dirigés par des fugitifs » axés sur les droits humains en Corée du Nord. Pourquoi ces groupes sont-ils ciblés ?
Le catalyseur direct a été les provocations nord-coréennes de juin 2020. Le 4 juin, Kim Yo-Jong, sœur du guide suprême Kim Jong-Un et premier directeur adjoint du département du Comité central du Parti des travailleurs de Corée, a critiqué les « brochures anti-RPDC » [République populaire démocratique de Corée] distribuées en Corée du Nord par des « fugitifs de Corée du Nord » et a menacé d’arrêter le tourisme sur le mont Kumgang, de démolir complètement la région industrielle de Kaesong, de fermer le bureau de liaison intercoréen, et de résilier l'accord militaire de 2018 qui créait des zones tampons démilitarisées, tout ce à moins que les autorités sud-coréennes ne prennent « des mesures appropriées ».
Quatre heures seulement après le bombardement matinal de Kim Yo-Jong, le Ministère sud-coréen de l'Unification (MOU) a annoncé qu'il préparerait un projet de loi interdisant la distribution de tracts en Corée du Nord. C'était un changement radical dans la position de longue date du gouvernement, qui avait constamment contourné une telle législation par crainte de violer la liberté d'expression.
Le 10 juin 2020, le MOU a annoncé qu'il déposerait des accusations criminelles contre Park Sang-Hak et Park Jung-Oh, deux fugitifs nord-coréens, pour violation de l'article 13 de la loi sur l'échange et la coopération intercoréennes, qui doit être approuvée avant tout échange intercoréen de marchandises, et qu'il révoquerait la reconnaissance juridique de leurs organisations, Fighters For Free North Korea (FFNK) et KuenSaem, pour l'envoi de brochures en Corée du Nord par l'utilisation de montgolfières et des bouteilles en PET pleines de riz jetées dans les courants océaniques, tel qu’ils l’ont fait le 31 mai 2020.
Alors que le gouvernement nord-coréen a finalement atténué sa rhétorique, le gouvernement sud-coréen a commencé à sévir contre les organisations de défense des droits humains et les groupes de déserteurs nord-coréens, considérés comme un obstacle à la paix intercoréenne.
Le 29 juin 2020, le MOU a tenu une audience et le 17 juillet il s'est appuyé sur l'article 38 du Code civil, vestige de l'époque autoritaire, pour annoncer la révocation de la reconnaissance légale de la FFNK et de KuenSaem pour avoir enfreint les conditions d’obtenir un statut juridique en entravant gravement la politique de réunification du gouvernement, en distribuant des brochures et des articles en Corée du Nord au-delà des objectifs déclarés de sa charte et en fomentant des tensions dans la péninsule coréenne.
Le protocole d'entente a également lancé des « inspections commerciales » d'autres groupes nord-coréens de défense des droits humains et de transfert et de réinstallation, parmi les plus de 400 associations reconnues avec l'autorisation du protocole d'accord, peut-être en vue de révoquer leur reconnaissance légale. Le 15 juillet 2020, la North Korean Defectors Association a reçu un avis du MOU lui indiquant qu'elle serait inspectée pour la première fois depuis sa reconnaissance en 2010. Le lendemain, les autorités du MOU ont informé les journalistes qu'elles procéderaient d'abord à des inspections commerciales sur 25 groupes nord-coréens de soutien et d'implantation et de défense des droits humains, 13 d'entre eux dirigés par des transfuges nord-coréens, et que d'autres seraient inspectés à l'avenir. Tout en reconnaissant que la question des brochures avait déclenché les inspections, le protocole d'entente a ajouté que les inspections commerciales ne seraient pas limitées aux personnes impliquées dans la campagne de distribution de brochures.
Combien de groupes ont été inspectés après les annonces ?
En raison du tollé national et international sur la nature manifestement discriminatoire des inspections des groupes de défense des droits humains et des personnes évadées de Corée du Nord, le mémorandum d'accord a quelque peu modéré son approche et a commencé tardivement à faire valoir qu'il vérifiait toutes les OSC enregistrées dans le cadre du PE.
Le 6 octobre 2020, le protocole d'entente a déclaré aux journalistes qu'il avait décidé d'inspecter 109 OSC, sur un total de 433, en raison qu’elles n’avaient pas soumis leurs rapports annuels, ou que les documents soumis étaient incomplets. Selon les informations fournies, 13 des 109 groupes à inspecter sont dirigés par des personnes qui ont fui la Corée du Nord; 22 (dont 16 qui travaillent sur les droits humains en Corée du Nord et la relocalisation des déserteurs, cinq qui travaillent dans le domaine social et culturel et un qui travaille dans le domaine de la politique d'unification) ont déjà été inspectés et aucun n'a révélé de motifs sérieux de se voir retirer la reconnaissance; et le protocole d'entente prévoit d'achever l'inspection des 87 OSC restantes d'ici la fin de 2020.
En tout état de cause, le gouvernement semble avoir déjà atteint son objectif de signaler clairement à la Corée du Nord qu'il est prêt à répondre à ses demandes en échange de liens plus étroits, quitte à sacrifier certains principes fondamentaux de la démocratie libérale. Le gouvernement a également envoyé un signal clair au transfuge nord-coréen et aux groupes de défense des droits humains, qui a eu l'effet dissuasif auquel on pourrait s'attendre.
Comment la société civile a-t-elle répondu à ces initiatives gouvernementales ?
Malheureusement, la société civile sud-coréenne est aussi polarisée que sa politique. Les progressistes actuellement au gouvernement perçoivent les conservateurs comme les héritiers illégitimes des collaborateurs du régime colonial japonais de 1910-1945 et du régime autoritaire postindépendance, en vigueur jusqu'en 1987. L’ancien président progressiste, Roh Moo-Hyun, au pouvoir entre 2003 et 2008, s'est suicidé en 2009 lors d'une enquête pour corruption à son encontre, généralement considérée comme politiquement motivée, menée par son successeur conservateur. L'actuel président, Moon Jae-In, a été élu en 2017, au milieu d'une vague d'indignation publique face à la destitution de son prédécesseur de droite pour corruption et abus de pouvoir.
La plupart des OSC sont dominées par des progressistes qui s’alignent politiquement avec le gouvernement actuel de Moon. Les progressistes sont relativement favorables à l'agenda des droits humains, mais restent généralement silencieux en ce qui concerne les droits humains en Corée du Nord, étant donné leur attachement au rapprochement intercoréen. Les mêmes personnes qui parlent haut et fort des « femmes de réconfort » japonaises soumises à l'esclavage sexuel par le Japon impérial avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, ou des outrages de l'ère autoritaire, ignorent les outrages actuels, à savoir les atrocités nord-coréennes au nom de la réconciliation nationale.
La plupart des groupes de défense des droits humains nord-coréens sont structurés autour de déserteurs nord-coréens et d'églises chrétiennes de droite politique qui caractérisent passionnément les gauchistes comme des marionnettes nord-coréennes. Beaucoup adoptent également une position hostile sur d'autres questions contemporaines des droits humains, telles que les droits des personnes LGBTQI+, ce qui est assez ironique étant donné que le juge australien Michael Kirby, auteur principal du rapport de l'ONU qui en 2014 a condamné les violations graves des droits humains en Corée du Nord en tant que crimes contre l'humanité, est homosexuel.
Les OSC établies, pour la plupart progressistes, n'ont pas été ciblées par le gouvernement dirigé par le président Moon ; au contraire, des personnalités éminentes de la société civile ont été nommées ou élues à divers postes ou ont reçu de généreuses subventions. Il y a ceux qui expriment en privé leur consternation et leur inquiétude face aux tendances illibérales du gouvernement, mais peu de gens sont prêts à soulever la question publiquement en raison de la profonde polarisation politique.
L'espace de la société civile - structuré par les libertés d'association, de réunion pacifique et d'expression - devient-il plus restrictif sous l'actuel gouvernement sud-coréen ?
Le gouvernement Moon a montré des tendances inquiétantes et illibérales envers les groupes qui, selon lui, se dressent sur son chemin, tels que les groupes nord-coréens de défense des droits humains et les transfuges, qui font face à une pression croissante pour garder le silence et cesser leur travail de plaidoyer.
Le président Moon a rouvert le dialogue avec le gouvernement nord-coréen pour établir des relations pacifiques, neutraliser la menace nucléaire venant du Nord et ouvrir la voie au regroupement familial, entre autres objectifs louables.
Cependant, conjointement au président américain Donald Trump, le président Moon a utilisé une stratégie diplomatique qui minimise le souci des droits humains. En particulier, ni la déclaration de Panmunjom de 2018 entre la Corée du Nord et la Corée du Sud ni la déclaration conjointe publiée après le sommet Trump-Kim de 2018 à Singapour ne mentionnent les violations flagrantes des droits humains commises par la Corée du Nord.
Dans les semaines qui ont précédé la rencontre du président Moon avec le dirigeant nord-coréen Kim à Panmunjom, il a été signalé que les activistes nord-coréens étaient empêchés de mener leur activisme. En octobre 2018, la Corée du Sud s'est conformée à la demande de la Corée du Nord d'exclure un journaliste déserteur de la couverture d'une réunion en Corée du Nord. Le 7 juillet 2019, deux déserteurs, des pêcheurs présentés comme des tueurs fugitifs, ont été livrés en Corée du Nord cinq jours après leur arrivée et sans même maintenir l'apparence d'une procédure régulière.
Le gouvernement Moon a également eu recours à des tactiques illibérales contre d'autres opposants présumés. Un homme qui, le 24 novembre 2019, avait accroché une affiche se moquant du président Moon en le qualifiant de « chien de poche de Xi Jinping » (faisant référence au président chinois) sur le campus de l'université Dankook, a été inculpé et le 23 juin 2020, le tribunal lui a infligé une amende pour « intrusion dans un bâtiment », conformément à l'article 319 (1) du Code pénal, alors que les autorités universitaires avaient clairement indiqué qu'elles ne souhaitaient pas porter plainte contre lui pour cet exercice de leur liberté d’expression. Beaucoup ont critiqué le processus pénal et la condamnation comme un retour aux vieux jours militaires.
Le gouvernement a également pris des mesures pour exercer un contrôle croissant sur les procureurs. Le ministre de la Justice Choo Mi-ae a attaqué des procureurs qui ont osé enquêter sur des allégations de corruption et d'abus de pouvoir contre le gouvernement, alléguant l'existence d'un complot visant à saper le président Moon.
Une autre tendance inquiétante est la tactique populiste des politiciens du parti au pouvoir, et du législateur Lee Jae-jung en particulier, d'utiliser Internet pour inciter leurs partisans à s'engager dans des actions de cyber-intimidation contre les journalistes.
Que peut faire la communauté internationale pour soutenir les groupes attaqués ?
En avril 2020, le parti au pouvoir a remporté les élections législatives, obtenant une écrasante majorité, remportant 180 sièges sur 300, grâce à son succès relatif à la contention de la pandémie de la COVID-19. L'opposition est désorganisée. Plutôt que de l'appeler à l'humilité, tout cela a enhardi le gouvernement, de sorte que ses tendances illibérales risquent de perdurer. En raison de la forte polarisation politique, il est peu probable que les politiciens du parti au pouvoir et leurs partisans prêtent beaucoup d'attention aux critiques internes.
C’est pourquoi la voix de la communauté internationale sera essentielle. Il est beaucoup plus difficile pour le gouvernement d'ignorer les préoccupations soulevées par les OSC internationales et de les écarter comme des attaques à motivation politique. Une déclaration conjointe ou une lettre ouverte dirigée par CIVICUS serait utile pour transmettre fermement le message que les droits humains en Corée du Nord concernent réellement la communauté internationale.
En outre, la Corée du Sud soumettra prochainement son cinquième rapport périodique au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, élaboré en fonction de la liste de points à traiter préalables à la soumission des rapports. Étant donné que les questions et préoccupations concernant la Corée du Nord ne sont pas incluses dans cette liste, il serait utile que les OSC internationales unissent leurs forces pour les inclure dans la discussion orale avec les membres du Comité des droits de l’Homme et dans leurs observations finales.
À court terme, des visites en Corée du Sud du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, du Rapporteur spécial sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d'association et du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits humains seraient d’excellentes occasions d’internationaliser la question et de faire pression sur notre gouvernement.
Même les progressistes pourraient soutenir une réforme de la loi obsolète sur l'enregistrement des OSC, par exemple, par intérêt personnel, si non pas par principe, en cas de changement de gouvernement.
L'espace civique en Corée du Sud est classé « étroit » par leCIVICUS Monitor. Contactez le Groupe de travail sur la justice transitionnelle via sonsite Web ou sa pageFacebook, et suivez@TJWGSeoul sur Twitter.
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COVID-19 : « Cette crise n'est pas seulement une crise sanitaire, c'est aussi une crise de justice »
CIVICUS s'entretient avec Abigail Moy, directrice du Legal Empowerment Network, la plus grande communauté mondiale de défenseurs de la justice au niveau local. Dirigé par l'organisation internationale de la société civile (OSC) Namati, le réseau rassemble 2 343 organisations et 8 761 individus de plus de 160 pays, tous travaillant à promouvoir la justice pour tous. Il y a environ trois ans, le réseau a lancé la campagne « Justice pour tous », qui vise à accroître le financement et la protection des défenseurs de la justice dans les communautés du monde entier.
Quel est le travail du Legal Empowerment Network ?
Le Legal Empowerment Network est un réseau mondial et multidisciplinaire qui rassemble les défenseurs de la justice à la base. Nous sommes plus de 2 000 organisations de base dans environ 160 pays du monde entier. Ce qui unit tous les membres du réseau, c'est leur dévouement à aider les communautés à comprendre, utiliser et façonner le droit. Ainsi, qu'ils travaillent sur la justice environnementale, les droits des femmes, la santé, l'éducation ou toute autre question, ces défenseurs aident les communautés à comprendre comment les politiques, les lois et l'action gouvernementale les affectent et comment elles peuvent se donner les moyens de participer à ces processus, de les utiliser et, si nécessaire, de les modifier pour créer une société plus juste.
Notre travail repose sur trois piliers principaux. Le premier est l'apprentissage : nous sommes un centre d'apprentissage où les organisations de base échangent leurs expériences et apprennent les unes des autres sur leurs méthodes et l'impact de leur travail d'autonomisation juridique. Avant la pandémie de la COVID-19, nous concevions et organisions chaque année des événements d'apprentissage qui aidaient nos membres à explorer des solutions pratiques aux problèmes de justice. Nos offres comprenaient un cours annuel de leadership, des échanges d'apprentissage en face à face et des séminaires en ligne. Pendant la pandémie, nous avons développé de nouvelles possibilités d'apprentissage en ligne.
Notre deuxième pilier est la sensibilisation et l'action collective. Nous travaillons avec nos membres pour transformer le domaine des politiques publiques afin de remédier aux injustices et de promouvoir l'autonomisation juridique aux niveaux national, régional et mondial. Nous nous mobilisons souvent autour des objectifs de développement durable (ODD) pour répondre aux besoins de justice sur le territoire. Deux de nos principaux appels à la sensibilisation et à l'action collective portent sur l'augmentation du financement et de la protection des personnes qui défendent la justice à tous les niveaux. Ces deux priorités touchent nos membres au-delà du pays dans lequel ils se trouvent ; c'est pourquoi le financement et la protection sont au cœur de notre campagne Justice pour tous.
Le troisième pilier est la construction de la communauté. Nous cherchons à construire une communauté plus forte de défenseurs de la justice sur le territoire afin qu'ils puissent se soutenir et apprendre les uns des autres. Notre objectif est de développer un noyau de direction plus fort pour le mouvement et de trouver des moyens pour que les défenseurs puissent améliorer leur travail en se connectant, en développant leur réflexion et en travaillant en collaboration.
Les trois piliers - apprentissage, défense des droits et communauté - nourrissent notre vision, qui est de cultiver un mouvement mondial pour l'autonomisation juridique qui mobilise des millions de personnes pour s'attaquer collectivement aux plus grandes injustices de notre temps.
Quel est le rôle de Namati au sein du Legal Empowerment Network ?
Namati est l'organisation qui convoque le réseau et, à bien des égards, en assure l’administration. Nous nous considérons comme un membre actif du réseau qui s'occupe d'aspects tels que le financement, la coordination et la maintenance des infrastructures. Nous travaillons avec le comité directeur du réseau, un conseil de membres, pour décider des priorités et des stratégies du réseau et pour organiser des opportunités d'apprentissage et de défense. Chaque année, nous sondons les membres du réseau pour savoir ce qu'ils veulent faire, et ces informations servent d'outil de planification. En tant que membre du réseau, Namati participe à ce processus, mais n'est qu'une voix parmi d'autres.
Namati a également des programmes nationaux. Les membres du réseau travaillent sur un large éventail de problèmes de justice dans le monde entier, et Namati travaille en étroite collaboration avec certains d'entre eux pour traiter trois problèmes urgents - la justice environnementale et territoriale, la justice sanitaire et la justice citoyenne - dans six pays : l'Inde, le Kenya, le Mozambique, le Myanmar, la Sierra Leone et les États-Unis.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la campagne Justice pour tous ?
Nous avons lancé la campagne Justice pour tous il y a près de trois ans. Notre précédente campagne, intitulée Justice 2015, était un appel à intégrer la justice dans les ODD. Nous avons réussi, mais après l'adoption des ODD, personne ne s'est concentré sur la réalisation de la promesse de l'objectif 16, qui est celle de garantir l'égalité d'accès à la justice pour tous. En réponse, nous avons lancé la campagne Justice pour tous, qui met l'accent sur le fait que le financement et la protection des défenseurs des droits humains sont les fondements nécessaires à la réalisation de l'objectif 16, et en fait de tous les ODD, et qu'il est donc nécessaire de promouvoir l'autonomisation juridique.
Les membres du réseau font la promotion de la campagne Justice pour tous de différentes manières dans leurs pays et régions et au niveau mondial. Certains membres ont organisé des réunions avec leurs gouvernements, d'autres acteurs de la société civile et d'autres parties prenantes pour discuter de ces questions et essayer de trouver des solutions de politique publique pour augmenter le financement et la protection des défenseurs de la justice sur le terrain. D'autres membres se sont concentrés sur l'arène mondiale, en contactant des donateurs internationaux et en participant à des événements mondiaux tels que le Forum politique de haut niveau sur les ODD (FPHN). Et d'autres membres se sont concentrés sur leurs régions respectives, en essayant d'influencer les organismes ou les accords régionaux.
En tant que membre du réseau doté de solides connexions mondiales, Namati relie les expériences des membres au niveau national à la sphère mondiale. Nous avons énormément travaillé pour mettre en lumière les expériences de base en matière de plaidoyer au sein du FPHN, de l'Assemblée générale des Nations unies et d'autres conférences et événements de haut niveau, et nous avons collaboré avec les principaux donateurs du monde entier pour les amener à reconnaître la valeur de l'autonomisation juridique et la nécessité d'un financement.
Avez-vous dû effectuer des changements en réponse à la pandémie de la COVID-19 ?
Pendant la pandémie, le Legal Empowerment Network a pris le parti de répondre directement et globalement aux besoins de ses membres générés par la crise. Pour comprendre quels étaient leurs besoins les plus urgents, nous avons mené une enquête. Nous avons demandé aux membres du Réseau comment la pandémie les affectait, comment ils s'adaptaient, de quels types de ressources ils avaient besoin pour continuer à faire leur travail, quels types d'interventions de politiques publiques ils estimaient nécessaires pour assurer une réponse juste, et comment nous pouvions les aider.
En ce qui concerne les défis auxquels sont confrontés les membres du réseau, nous avons classé les réponses à l'enquête en quatre catégories : défis du télétravail, défis financiers, défis de la logistique et de la mobilité, et défis de la sûreté, de la sécurité et de la santé. Le travail à distance s'est avéré être un défi majeur pour les membres du réseau, tout comme les finances, en raison à la fois de l'augmentation des dépenses et de la réduction des revenus.
En réaction à l'enquête, nous avons rassemblé des ressources qui correspondaient aux besoins. Tout d'abord, nous avons créé un centre virtuel qui offre des ressources multilingues pour aider les groupes d'autonomisation juridique à comprendre la pandémie, à obtenir des informations précises et fiables, et à identifier les moyens d'atténuer les dommages. Nous avons élaboré un document contenant des réponses aux questions fréquemment posées sur la COVID-19, avec des conseils utiles sur la manière dont les organisations de base d'accès à la justice peuvent se préparer et se protéger. Nous avons adapté ces informations pour répondre aux défis auxquels sont confrontés des sous-ensembles spécifiques de membres du réseau, par exemple, ceux qui vivent ou travaillent dans des zones à forte densité de population. Les informations ont été obtenues auprès des principales autorités de santé publique, telles que l'Organisation mondiale de la santé, et ont été compilées par des experts en santé publique.
Ensuite, nous avons publié un rapport intitulé « Grassroots Justice in the Pandemic : Ensuring a Just Response and Recovery » (Justice de base en pandémie : assurant une réponse et une reprise justes), qui formule des recommandations à l'intention des décideurs politiques, des donateurs et des institutions multilatérales sur la manière de financer et de protéger ceux qui favorisent l'accès à la justice sur le terrain pendant et après la pandémie. Nous le partageons largement avec diverses parties prenantes, telles que les donateurs gouvernementaux et philanthropiques.
Troisièmement, nous avons facilité une série de conversations entre les défenseurs de base, en examinant le travail d'autonomisation juridique pendant la pandémie, par une série de conférences téléphoniques et de webinaires. Ces derniers ont eu lieu au cours des derniers mois. Des centaines de membres ont participé à ces conversations. Les conversations thématiques et régionales qui ont suivi ont servi d'espaces de discussion sur les bonnes pratiques et ont permis de tirer des enseignements sur la manière dont les membres adaptent leurs efforts, surveillent et répondent aux violations des droits humains commises pendant la crise, et accèdent au soutien financier et aux autres ressources nécessaires. Dans ces conversations, nous explorons également ce que nous pouvons faire ensemble pour réussir à bien nous en sortir. Nous avons compilé les meilleures pratiques pour le travail à distance et préparons d'autres documents sur les ressources, les services et les techniques qui peuvent être utilisés pour travailler pendant la pandémie.
Nous nous sommes rendu compte que dans une crise comme celle-ci, nous ne pouvons plus agir comme d'habitude, alors nous nous sommes débarrassés de notre plan annuel et nous sommes partis de zéro afin de faire ce que nous devions faire.
Quels sont les résultats obtenus jusqu'à présent par la campagne Justice pour tous ?
La campagne a permis de mettre en place un discours commun qui met en lumière les perspectives de base lors d'événements mondiaux de haut niveau, favorise le dialogue et la compréhension du public et appelle à l'action sur deux questions clés, à savoir le financement et la protection des personnes qui promeuvent la justice sur le terrain.
Au niveau national, elle a aidé les gens à exprimer leurs besoins et à les traduire en efforts de sensibilisation à long terme. Les membres du réseau ont déclaré que le rapport produit par la campagne leur a été très utile dans leurs discussions avec leurs gouvernements nationaux sur les raisons pour lesquelles il devrait y avoir un financement local pour les groupes communautaires de soutien juridique.
Au niveau mondial, nous avons changé la conversation et les règles. Auparavant, il n'y avait pas de discussion sur ce qui devrait être fait pour promouvoir l'accès à la justice et atteindre l'objectif 16 ; on ne reconnaissait pas que les services de justice avaient besoin de financement et que ceux qui effectuaient ce travail nécessitaient une garantie de sécurité. Ces questions sont maintenant désormais traitées à un haut niveau et ont été intégrées dans les rapports et les programmes pertinents. Nous avons donc le sentiment d'avoir influencé le dialogue international autour des défenseurs de l'accès à la justice, et bien qu'il reste encore du travail à faire, c'est une victoire en soi.
Sur le plan financier, la campagne "Justice pour tous" a incité les donateurs à engager de nouvelles ressources pour l'accès à la justice et l'autonomisation juridique. Pendant la pandémie, la campagne a adapté son approche : elle a créé un Fonds COVID-19 pour la justice de base et a réussi à convaincre plusieurs donateurs de contribuer. Il s'agissait d’une réponse au besoin désespéré de financement de nos membres dans le cadre de la pandémie. Nous nous sommes rendu compte qu'ils n'avaient pas besoin de montants excessifs ; beaucoup pouvait être réalisé avec de petites injections de fonds, par exemple, sous la forme de subventions uniques de quelques milliers de dollars. Ces fonds relativement modestes pourraient faire une grande différence en termes de traitement des questions urgentes d'accès à la justice liées à la pandémie. Nous avons lancé ce fonds en juillet avec l'objectif de réunir un million de dollars, et nous sommes convaincus que nous y parviendrons. Nous avons reçu beaucoup de soutien ; nous avons déjà accepté les premières demandes, et l'argent devrait être distribué au cours du prochain mois. Il s'agit de petites sommes, entre 3 000 et 20 000 dollars, destinées à des groupes de base promouvant l'accès à la justice pour couvrir les frais de fournitures, de formation, de salaires et tout ce dont ils ont besoin pour se maintenir à flot. L'idée sous-jacente est que la pandémie n'est pas seulement une crise sanitaire, mais aussi une crise de justice, et que nous devons soutenir les défenseurs qui aident les communautés à y faire face.
De quel type de soutien de la société civile internationale auriez-vous besoin pour continuer à accomplir ce travail ?
Notre enquête a posé cette question à nos membres, et 58 % ont répondu qu'ils avaient besoin d'un soutien technologique. La nature du travail d'autonomisation juridique est en grande partie un exercice de construction de confiance qui nécessite généralement des interactions en face à face. La plupart des groupes de base avec lesquels nous travaillons ont l'habitude de sortir et de parler aux membres de la communauté, d'organiser des réunions communautaires en face à face et d'éduquer les gens. Ils ne sont pas habitués à travailler à distance ; ils ne sont pas familiarisés avec le travail avec des applications et n'ont pas assez d'appareils pour le faire. En outre, 67 % ont répondu qu'ils avaient besoin d'un soutien pour le renforcement des compétences. Ils ont besoin de ce soutien à la fois pour s'adapter à la technologie et pour imaginer de nouvelles façons de faire leur travail à distance ou avec une distanciation sociale. Enfin, 88 % des répondants ont répondu que ce dont ils ont besoin de la part de la société civile internationale est un soutien financier. Et ils ont clairement indiqué qu'il ne s'agit pas seulement d'obtenir plus de fonds ici et maintenant, mais plutôt de garantir un financement plus durable et plus fiable à long terme.
Contactez le Legal Empowerment Network via lesite web de Namati ou son profilFacebook, et suivez@GlobalNamati sur Twitter.
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COVID-19 : « On a besoin d’un nouveau contrat social fondé sur les droits et le principe de la prospérité partagée »
CIVICUS parle de l’impact de la pandémie de la COVID-19 et des mesures d’urgence sur les droits du travail, et de la réponse de la société civile, avec Owen Tudor, secrétaire général adjoint de la Confédération syndicale internationale (CSI). Reconnue comme la voix mondiale des travailleurs du monde entier, la CSI vise à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des travailleurs par le biais de la coopération internationale entre les syndicats, de campagnes mondiales et d’actions de sensibilisation au sein des grandes institutions mondiales. La CSI adhère aux principes de la démocratie et de l’indépendance syndicales et regroupe trois organisations régionales en Afrique, en Amérique et en Asie et le Pacifique, tout en coopérant avec la Confédération européenne des syndicats.
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DROITS DES MIGRANTS : « L’Europe instrumentalise la souffrance humaine pour dissuader les migrations »
CIVICUS s’entretient de la situation des migrants et des réfugiés en Grèce avec Maya Thomas-Davis, une des personnes chargée de plaidoyer et de communication au Centre Juridique de Lesbos, une organisation de la société civile grecque qui fournit gratuitement des informations juridiques et de l’assistance aux migrants arrivant par la mer à Lesbos, où le centre est basé. Le Centre juridique documente également les violations des droits des migrants, plaide en faveur de voies de migration sûres et légales, et mène des actions de plaidoyer et des litiges stratégiques pour tenir le gouvernement grec, les États membres de l’Union européenne (UE) et les institutions européennes responsables du traitement qu’ils réservent aux migrants.
Photo : Centre Juridique Lesbos @Instagram
Quel type de travail le Centre juridique réalise-t-il et comment a-t-il fait face à la pandémie ?
Le Centre Juridique de Lesbos (LCL) est une organisation civile, juridique et politique à but non lucratif basée sur des principes de solidarité et non de charité. Depuis août 2016, il donne accès à l’information, à l’assistance et à la représentation juridique aux migrants arrivant par la mer sur l’île grecque de Lesbos. Le LCL travaille également pour la justice collective et le changement structurel dans le cadre du mouvement de résistance à l’impérialisme des frontières de l’Europe sur plusieurs fronts, y compris le plaidoyer et les litiges stratégiques. Le LCL a été fondé en réponse à la déclaration UE-Turquie de mars 2016, un accord d’une légalité douteuse par lequel l’Union européenne a transformé des personnes en quête de liberté, de sécurité et de dignité en marchandises et en monnaie d’échange : dans cet acte, elle a accepté de verser 6 milliards d’euros au régime autoritaire d’Erdogan en échange du fait que la Turquie joue le rôle de garde-frontières pour la forteresse Europe. Cet « accord » a transformé l’île de Lesbos en un lieu de détention indéfinie pour les migrants. Le LCL offre de l’accès à l’information et de l’assistance juridique en solidarité avec les migrants pris au piège ici, sans perdre de vue le fait que la migration vers l’Europe est intimement liée au passé et au présent impérialistes du continent, et aux intérêts du capitalisme mondial ; que les violations brutales constatées ici sont toujours des choix politiques ; et que les personnes les plus touchées sont les acteurs politiques les plus importants pour contester le système et monter la résistance.
Le LCL a une politique de la porte ouverte, ce qui signifie que nous ne refusons à personne des informations ou de l’assistance juridique parce que son dossier n’est pas assez « solide » ou ne convient pas à un litige stratégique. Nous maintenons cette position car nous pensons que, au minimum, chacun a le droit de comprendre le cadre juridique auquel il est soumis, notamment dans le contexte du droit d’asile, où les conséquences peuvent être une question de vie ou de mort.
Pour faciliter l’accès à l’information, avant l’introduction des restrictions liées à la COVID-19, le LCL avait organisé régulièrement des sessions d’information de groupe sur les procédures d’asile, en plusieurs langues. C’est certainement un aspect de notre travail pour lequel la pandémie a créé des difficultés. Des mesures de confinement, avec des degrés d’intensité variables, sont en place à Lesbos depuis mars 2020. En raison des contraintes de capacité des bureaux imposées par ces restrictions, il nous a été impossible de continuer à organiser des briefings de groupe. Nous avons réussi à maintenir la politique de la porte ouverte avec des horaires stricts, beaucoup d’entre nous travaillant à domicile au moins une partie du temps, et nous essayons de continuer à fournir un accès plus large à l’information par d’autres moyens, tels que les mises à jour en plusieurs langues sur notre site web et les réseaux sociaux.
Comment la situation des migrants et des réfugiés a-t-elle évolué en 2020 à la suite de la pandémie ?
Alors que la pandémie de COVID-19 se propageait à travers l’Europe, le 1er mars 2020, l’État grec a illégalement suspendu le droit d’asile et a violemment renforcé les frontières. L’UE a fait l’éloge de la Grèce en tant que « bouclier » de l’Europe, et l’Agence européenne pour la gestion des frontières et des côtes, aussi connue sous le nom de Frontex, lui a fourni un soutien matériel croissant. Bien que l’UE se soit livrée pendant de nombreuses années à des violences contre les migrants à ses frontières, les refoulant et leur refusant l’entrée, il semble que les responsables grecs et européens aient cru que la pandémie leur donnerait la couverture parfaite pour intensifier leur attaque contre les migrants en mer Égée, en toute impunité.
Depuis mars 2020, le nombre officiel d’arrivées par la mer en Grèce a considérablement diminué : une baisse de 85% a été signalée par rapport à 2019. Dans le même temps, de nombreux rapports et enquêtes ont révélé que les autorités grecques ont systématiquement recours à la pratique des expulsions collectives, effectuées selon un modus operandi cohérent, avec la complicité avérée de Frontex. Selon tous les témoignages de survivants de ces expulsions, les autorités grecques ont expulsé sommairement des migrants du territoire grec sans enregistrer leur arrivée ni leur faciliter l’accès aux procédures d’asile. Que ce soit au milieu de la mer ou après avoir débarqué sur une île de la mer Égée, les autorités grecques transfèrent de force les migrants dans les eaux turques avant de les abandonner en mer dans des embarcations ou des radeaux de sauvetage inutilisables et en mauvais état, sans se soucier de savoir s’ils vivront ou mourront. Malgré de nombreux rapports, déclarations, enquêtes et dénonciations de cette attaque permanente contre les migrants, les expulsions hors de la frontière égéenne se poursuivent en toute impunité ; en fait, elles constituent la mise en œuvre officieuse des objectifs de l’accord UE-Turquie à un moment où la frontière turque reste officiellement fermée.
Pendant ce temps, à Lesbos, les restrictions liées à la pandémie n’ont fait qu’aggraver la situation de violence policière, de discrimination et de détention massive effective des migrants. Les restrictions liées à la COVID-19, telles que les couvre-feux et l’obligation d’avoir un permis de circuler, ont été appliquées d’une manière discriminatoire injustifiée. Plus récemment, le 15 février 2021, par exemple, le couvre-feu pour la population générale de Lesbos a été levé entre 18h00 et 21h00 ; cependant, pour les migrants vivant dans le camp, un régime de restrictions distinct a été maintenu, et ils ont été soumis à un couvre-feu plus strict à partir de 17h00. En dehors des rendez-vous médicaux ou juridiques, on n’a autorisé qu’un seul membre par famille à quitter le camp une fois par semaine. Même lorsqu’ils fournissent une justification écrite, l’autorisation de quitter le camp leur est souvent refusée arbitrairement. Lors du contrôle des documents et des permis de circulation, ainsi que lors de l’imposition d’amendes, la police cible de manière disproportionnée des personnes racialisées.
Entre-temps, les changements dans le fonctionnement du Bureau régional d’asile et du Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAMA) à Lesbos, qui menaient des entretiens à distance avec les demandeurs de protection internationale, ont entraîné de nouvelles violations de la procédure. Il s’agit notamment des obstacles à l’accès à l’assistance juridique en première instance et au dépôt de recours en temps utile en raison des restrictions de mouvement liées à la pandémie et de l’accès restreint aux bureaux du BEAMA ; de l’incapacité à garantir la confidentialité nécessaire en raison des entretiens téléphoniques ou vidéo à distance menés via des installations inadéquates ; et de l’incapacité à présenter de manière exhaustive les motifs de la demande en raison des interruptions pratiques et techniques des entretiens d’asile.
En ce qui concerne la situation sanitaire, l’État a systématiquement renoncé à évacuer les personnes à risque des camps surpeuplés et insalubres de Lesbos, où les mesures d’éloignement sont impossibles. Comme le précédent camp de Moria, qui a brûlé en septembre 2020, le nouveau centre d’accueil et d’identification de Mavrovouni/Karatepe - également connu sous le nom de « Moria 2.0 » - est impropre à l’habitation humaine. Comme si les conditions d’hébergement, de soins de santé, d’intimité, de nourriture, d’électricité, d’eau courante, de douches chaudes, de toilettes et autres installations hygiéniques n’étaient pas assez mauvaises, depuis 1926 et jusqu’à sa transformation précipitée en camp en septembre 2020, le site de Moria 2.0 était un champ de tir militaire, et le gouvernement grec a admis qu’une forte concentration de plomb avait été trouvée dans des échantillons prélevés sur le site. L’intoxication au plomb provoque des lésions aux organes, des cancers et des troubles du développement chez les fœtus et les enfants. Il n’y a pas de niveau connu d’exposition au plomb qui n’ait pas d’effets nocifs. Dans ces conditions, le fait que l’État grec ne transfère pas les personnes qui sont exposées de manière disproportionnée au danger de mort dans les conditions inhumaines de Moria 2.0 afin de leur offrir des conditions de vie adéquates, est une attaque contre la vie des migrants.
Quelles sont, selon vous, les principales violations des droits des migrants et des réfugiés à Lesbos ?
Le fait que des centaines de personnes ont été, et continuent d’être, enlevées de force puis abandonnées en pleine mer par les autorités grecques sans avoir les moyens d’appeler au secours, dans des embarcations et des radeaux de sauvetage inutilisables, est une forme spectaculaire de violence d’État contre les migrants. Au-delà des violations des droits, la position du LCL est que les éléments constitutifs du modus operandi systématique des expulsions collectives en mer Égée, associés à la nature généralisée et systématique de l’attaque, constituent des crimes contre l’humanité. La pratique des expulsions systématiques en toute impunité révèle à quel point la forteresse Europe traite la vie des migrants comme une chose jetable. C’est le genre de traitement qui a historiquement accompagné la commission de crimes odieux.
Le même mépris pour la vie des migrants est évident dans les conditions qu’ils sont obligés d’endurer dans les camps et les centres de détention de Lesbos. Celles-ci constituent des violations du droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants et à la torture, des droits à la liberté et à la sécurité, à la vie privée et familiale, à un recours effectif, à la non-discrimination et, en bref, à la vie. Ce mépris se révèle dans le fait que les gens sont contraints d’attendre dans les limbes pendant des années, coupés de leur famille, de leurs amis, de leur communauté et de leurs objectifs de vie, incapables d’avancer ou de reculer. On le voit également dans le fait que l’UE accorde de plus en plus de priorité et de fonds à la détention massive et efficace des migrants, par le biais de systèmes de « points chauds », de procédures accélérées aux frontières, d’expulsions forcées, de militarisation des frontières et d’externalisation du contrôle des frontières par le biais d’accords douteux avec des pays tiers, et de la subordination de l’aide et d’autres paquets financiers à la fortification des frontières.
Si la violence des expulsions en mer Égée est scandaleuse et doit être traitée comme telle, elle n’est en aucun cas une aberration dans la logique du régime frontalier européen, qui instrumentalise la souffrance humaine pour dissuader à tout prix les migrations. Même si les normes d’accueil et de procédure requises par le régime d’asile européen commun étaient respectées à Lesbos, de nombreuses personnes seraient encore exclues, et le système resterait violent et fondamentalement insuffisant pour garantir les conditions de développement humain que toutes les personnes méritent. C’est pour cela que, si le LCL continuera à documenter, dénoncer et demander réparation pour les violations systématiques des droits à Lesbos, nous sommes conscients que nous devons en même temps nous organiser pour un changement systémique : le cadre européen des droits humains ne peut pas laisser tomber les personnes qu’il n’a pas été conçu pour protéger.
Quelle est votre position sur les manifestations des réfugiés contre les conditions de vie dans les camps et la suspension des procédures d’asile ?
Le LCL a toujours organisé et agi en solidarité avec la résistance des migrants. Au fil des ans, cela a pris de nombreuses formes, notamment des manifestations, des grèves de la faim, des publications collectives, des assemblées et des occupations. L’État a réagi en tentant de punir collectivement la résistance organisée des migrants à Lesbos. Un exemple en a été celui des 35 de Moria il y a quelques années. Mais il existe de nombreux exemples plus récents. Bien sûr, cette résistance peut être comprise comme un exercice des droits humains, et plus particulièrement des droits aux libertés d’association, de réunion pacifique et d’expression, et en tant qu’organisation légale, c’est l’une des façons dont nous comprenons et soutenons de telles actions. Cependant, à Lesbos - où les droits sont systématiquement violés en toute impunité, où des conditions de misère sont délibérément imposées et où la situation semble toujours s’aggraver au moment même où il semble que rien de pire ne peut être –imaginé- la résistance organisée est aussi, à bien des égards, la seule option qui reste.
De quel type de soutien le LCL aurait-il besoin de la part de la société civile internationale pour continuer à faire son travail ?
L’année dernière, l’État grec a introduit une nouvelle législation sur l’enregistrement des organisations de la société civile, imposant des exigences d’enregistrement et de certification onéreuses et complexes qui constituent des obstacles inutiles et disproportionnés pour les organisations travaillant en solidarité avec les migrants en Grèce. Cela entravera sans aucun doute le travail du LCL, puisque cela a été conçu pour. Le Conseil d’experts en droit des ONG de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe a déjà exprimé son inquiétude face à ces nouvelles exigences, et en tant que forme de soutien de la société civile internationale, toute remise en cause de ces mesures serait la bienvenue.
Globalement, le soutien et la solidarité internationale sont nécessaires pour résister à l’environnement de plus en plus hostile aux migrants en Grèce, ainsi qu’à ceux qui travaillent en solidarité avec eux. Les campagnes de désinformation de l’extrême droite, formulant des allégations de criminalité contre les migrants et les organisations de solidarité avec les migrants se reflètent de plus en plus dans la pratique de l'État grec. Ainsi, la police grecque a identifié quatre groupes de défense des droits humains et de solidarité avec les migrants dans le cadre d’une enquête les accusant d’espionnage, de formation et d’appartenance à une organisation criminelle. On peut également citer la poursuite systématique par l’État grec des migrants au motif de facilitation d’entrée ou de sortie illégale ; ou encore sa décision perverse de poursuivre le père d’un garçon de six ans qui s’est tragiquement noyé dans un naufrage près de Samos en novembre 2020, pour avoir mis en danger la vie de son enfant. Autre exemple, sa décision d’engager des poursuites pénales contre une femme qui, en désespoir de cause, s’est immolée par le feu à Moria 2.0 en février 2021. Ces mesures, qui présentent les migrants et ceux qui agissent en solidarité avec eux comme des criminels et des menaces pour la nation, sont le produit d’une tactique délibérée et efficace visant à occulter le fait que ce sont les États qui ont le monopole de la violence, et à détourner l’attention des violations systématiques des droits des migrants qu’ils commettent.
Plus généralement, il ressort des propositions législatives contenues dans le « nouveau » pacte européen sur l’immigration et l’asile que l’UE va tenter d’étendre à toutes les frontières extérieures de l’Europe le modèle qu’elle a déjà testé au laboratoire de Lesbos et dans les autres îles grecques « difficiles ». Ce modèle comprend la détention à l’arrivée, l’accélération des procédures de détention aux frontières sur la base des taux de reconnaissance du droit d’asile basés sur la nationalité, l’utilisation de l’expulsion comme une forme de « solidarité » entre les États membres, et l’extension de l’utilisation des données personnelles et biométriques sur les migrants. Cette année, un nouveau camp « contrôlé » va être construit à Lesbos, dans une zone délibérément éloignée et connue pour le danger des feux de forêt. La solidarité internationale sera toujours notre meilleure arme pour organiser la résistance d’en bas contre toutes ces mesures.
L’espace civique en Grèce est classé « rétréci » par leCIVICUS Monitor.
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ENTREPRISES ET DROITS HUMAINS : « Ce traité ne doit pas être négocié à huis clos »
CIVICUS échange sur le rôle de la société civile dans le processus d’élaboration d’un traité international sur les entreprises et les droits humains avec Ivette Gonzalez, directrice de la liaison stratégique, du plaidoyer et des relations publiques du Projet sur l'organisation, le développement, l’éducation et la recherche (PODER).
PODER est une organisation de la société civile (OSC) régionale basée au Mexique qui se consacre à la promotion de la transparence et de la responsabilité des entreprises en Amérique latine du point de vue des droits humains, ainsi qu’au renforcement des acteurs de la société civile affectés par les pratiques commerciales afin qu’ils puissent agir en tant que garants de la redevabilité à long terme.
Pourquoi un traité sur les entreprises et les droits humains est-il si important ?
Nous vivons dans un monde pratiquement régi par le capital. Depuis que ce modèle économique hégémonique, capitaliste et patriarcal s’est imposé, il est clair que c’est celui qui possède le capital qui décide.
Lorsque les entreprises influencent directement les décisions des pouvoirs de l’État, qu’il s’agisse des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire, ou d’autres acteurs tels que les organisations internationales ou les institutions bancaires qui devraient fonctionner pour le bien public, en les mettant au contraire au service du bénéfice privé et exclusif de quelques personnes et en priorisant la génération et l’accumulation de richesses par-dessus les droits humains, il se produit un phénomène que nous appelons la « mainmise des entreprises ». Ce phénomène est observé sur tous les continents et se traduit par l’affaiblissement de l’État et de ses institutions. La force de l’État doit être restaurée et le traité sur les entreprises et les droits humains pourrait y contribuer.
L’instrument international juridiquement contraignant vise à réglementer, dans le cadre du droit international des droits humains, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales. Il cherche ainsi à mettre un frein aux violations de multiples droits humains par les entreprises, tels que les droits à la santé, à la liberté, à la vie privée ou à l’accès à l’information, ainsi qu’à l’impunité avec laquelle elles opèrent et qui leur permet de détruire l’environnement, des territoires, des familles et des communautés entières.
Toutes les entreprises doivent opérer avec une diligence raisonnable en matière de droits humains afin d’identifier, de prévenir, de traiter et de remédier aux abus et aux violations, et ce dans toutes les phases du cycle continu de gestion. Cela inclut aussi l'étape de conception du projet, l’investissement, les opérations, les fusions, les chaînes de valeur et d’approvisionnement, les relations avec les clients et les fournisseurs, et toute autre activité qui pourrait générer des impacts négatifs sur les droits, y compris des territoires. Le traité permet aux États, qui sont les premiers responsables de la protection des droits humains, de mettre les entreprises face à leurs responsabilités et de les surveiller.
Un tel traité international constituerait également un développement unique dans la mesure où il concernerait les activités extraterritoriales des entreprises, par exemple, les activités des entreprises dont le siège social peut se trouver dans un pays du Nord mais qui peuvent avoir des opérations dans le Sud. À l’heure actuelle, dans de nombreux cas et juridictions, les entreprises ne font que s’autoréguler et ne sont pas redevables de leurs abus et violations des droits humains, ni de la destruction de la vie et de la planète. Certains États progressent en matière de réglementations et de politiques, mais il existe encore des lacunes au niveau international. Nous voulons que ce traité comble l’énorme lacune du droit international qui permet aux crimes des entreprises de rester impunis.
Quels progrès ont été réalisés dans la négociation du traité ?
Lors de la huitième session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises commerciales dans le domaine des droits humains, qui s’est tenue du 24 au 28 octobre 2022, des développements intéressants ont eu lieu. Bien qu’il n’existe pas de calendrier et de date limite stricts pour la production de la version finale du traité, l’un des experts convoqués par le groupe de travail intergouvernemental pour l’élaboration de l’instrument a proposé 2025 comme année de conclusion des négociations. C’est le délai qui devrait être respecté si les États ont la volonté politique de parvenir à un consensus. Pour l’instant, certains États qui étaient réticents à participer dans le passé se montrent un peu plus intéressés.
Pour l’instant, le projet comporte 24 articles, dont les 13 premiers ont été discutés lors de la dernière session. Les discussions ont porté sur des questions centrales telles que la définition des droits des victimes et leur protection et la définition de l’objet et du champ d’application du traité, à savoir s’il doit inclure uniquement les sociétés transnationales ou également d’autres entreprises. L’État mexicain, par exemple, soutient que cet instrument devrait couvrir toutes les activités qui ont un caractère transnational. Des discussions ont également eu lieu sur la prévention des dommages et l’accès aux réparations, ainsi que sur la responsabilité juridique, la juridiction qui traitera la plainte, les délais de prescription et la coopération judiciaire internationale, entre autres questions.
Certains États ont apporté des contributions pour améliorer le contenu en cours de négociation. En revanche, d’autres États cherchent à minimiser la portée du traité sous certains aspects, par exemple en ce qui concerne la protection des peuples et des communautés autochtones, les garanties environnementales et les droits des femmes et des enfants, entre autres.
Certains États soutiennent les nouvelles propositions du président rapporteur, l’ambassadeur équatorien, mais une grande partie de la société civile considère que, pour la plupart, elles portent atteinte à ce qui a été réalisé au cours des sept années jusqu’en 2021, et affaiblissent le traité. Elles renforcent l’asymétrie de pouvoir entre les États du Nord et du Sud, ainsi qu’entre les entreprises et les individus et communautés titulaires de droits. Le troisième projet révisé est celui que nous reconnaissons comme légitime et sur lequel nous pensons que les négociations doivent se poursuivre.
Quelle est la contribution de la société civile ?
Des dizaines d’OSC font pression pour que le traité soit efficace. Il s’agit notamment de PODER, ainsi que du Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels (Réseau-DESC), qui relie plus de 280 OSC, mouvements sociaux et activistes de 75 pays, et de nombreuses autres alliances, mouvements et articulations tels que l’Alliance pour le traité, Féministes pour un traité contraignant et la Campagne mondiale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des sociétés transnationales et mettre fin à leur impunité.
Bien sûr, il existe une diversité d’opinions dans la société civile sur un certain nombre de questions, mais nous sommes d’accord sur la nécessité de réglementer l’activité des entreprises dans une perspective de droits humains. Nous avons identifié les éléments que ce traité devrait contenir et les conditions de sa mise en œuvre. En outre, nous cherchons à donner un caractère d’urgence à ce processus, qui avance trop lentement, alors que les violations des droits humains et les attaques contre les défenseurs des droits humains ne s’arrêtent pas, mais augmentent chaque année.
La société civile a plaidé auprès des décideurs pour qu’ils ouvrent des espaces de discussion avec la société civile. PODER, ainsi que Réseau-DESC, en particulier, ont insisté sur la participation constructive et proactive des États du Sud dans le processus, et plus particulièrement de l’Amérique latine. Nous travaillons également pour intégrer une perspective de genre et intersectionnelle à la fois dans le processus ainsi que dans le texte ; un exemple a été la proposition d’utiliser la politique étrangère féministe du Mexique.
La société civile part de la conviction qu’il n’est pas possible d’élaborer un traité légitime sans placer la participation des détenteurs de droits - personnes et communautés rurales concernées, peuples autochtones, syndicats indépendants, personnes LGBTQI+ et personnes en situation vulnérable, entre autres - au centre de l’ensemble du processus.
Quelles sont les chances que la version finale du traité réponde aux attentes de la société civile et tienne ses promesses ?
Nous espérons que le traité contribuera à mettre fin à l’impunité des entreprises et que les États assumeront leur obligation de protéger les droits humains face à l’activité des entreprises. Il permettra de prévenir les abus et les violations, de redresser les griefs et de veiller à ce que ces situations ne se reproduisent pas.
Bien qu’il existe des processus établis pour l’élaboration des traités internationaux, il s’agit d’un traité inhabituel qui doit être traité comme tel, et des changements doivent être apportés à la fois au processus et au contenu si nécessaire pour qu’il soit vraiment efficace.
Pour répondre pleinement aux attentes de la société civile, il faudrait un changement de paradigme fondé sur le principe selon lequel les entreprises ont une fonction sociale et que leurs activités ne doivent pas dépasser certaines limites pour une vie digne et un environnement propre, sain et durable. Nous savons que nous ne pourrons pas réaliser toutes nos aspirations avec un traité, ni avec des plans d’action nationaux, des règlements et des normes, même si ceux-ci sont correctement mis en œuvre. Mais toutes ces étapes sont importantes pour tenter de rééquilibrer les relations de pouvoir en limitant le pouvoir que le système économique mondial a donné aux sociétés commerciales.
Il est peu probable que le traité réponde à toutes nos attentes, mais en tant qu'OSC nous avons beaucoup d'exigences et nous demeurerons exigeantes jusqu’au bout. Nous continuerons à apporter des propositions d’experts et de communautés et groupes affectés qui luttent pour la justice et la réparation des préjudices qu’ils subissent de première main, en ouvrant des espaces pour que leurs voix soient entendues et restent au cœur des négociations à tout moment, et en incluant les défenseurs des droits humains et de l’environnement dans les consultations sur le texte.
Ce traité ne doit pas être négocié à huis clos ou exclusivement avec le secteur privé, car cela reviendrait à répéter le même cycle d’opacité et de privilèges qui nous a menés jusqu’ici, et ne ferait que contribuer à maintenir un statu quo insoutenable.
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ÉTHIOPIE : « Les élections de juin 2021 sont une question de vie ou de mort pour la démocratie »
CIVICUS s’entretient avec Mesud Gebeyehu sur le conflit politique dans la région du Tigré en Ethiopie et les controversées élections nationales éthiopiennes qui auront lieu en juin 2021, dans un contexte de pandémie et d’état d’urgence prolongé. Mesud est directeur exécutif du Consortium of Ethiopian Human Rights Organizations (CEHRO) et vice-président du comité exécutif du groupe d’affinité des associations nationales de CIVICUS. Mesud est également membre du comité exécutif du Conseil éthiopien des OSC, un organe statutaire établi pour coordonner l’autorégulation des organisations de la société civile (OSC) en Éthiopie.