HAÏTI : « La communauté internationale ne s’est jamais attaquée aux causes profondes de la crise »

NixonBoumbaCIVICUS s’entretient avec Nixon Boumba, militant des droits humains et membre du Kolektif Jistis Min nan Ayiti (Collectif pour la justice minière en Haïti), sur la situation politique en Haïti après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Formé en 2012, le Collectif pour la justice minière en Haïti est un mouvement d’organisations, d’individus et de partenaires de la société civile haïtienne qui font pression pour la transparence et la justice sociale et environnementale face à l’intérêt international croissant pour le secteur minier haïtien. Il sensibilise les communautés touchées aux conséquences de l’exploitation minière dans cinq domaines : l’environnement, l’eau, le travail, l’agriculture et la terre.

Quels ont été les principaux développements politiques depuis l’assassinat du président Moïse en juillet 2021 ?

Nous traversions des moments difficiles et vivions une crise profonde depuis des années avant l’assassinat du président Moïse, mais sa mort a constitué un point particulièrement critique. Nous avons assisté à l’effondrement de l’État et de toutes les institutions, et la situation des droits humains est devenue de plus en plus désespérée.

Nous avons également constaté que des organisations de la société civile (OSC), des groupes de femmes, de jeunes et de défense des droits humains, tentaient de trouver des solutions. Elles déploient de gros efforts pour élaborer des solutions de manière participative et inclusive. Depuis le début de l’année 2021, nous n’avons plus vraiment de système exécutif ou judiciaire en état de marche, c’est donc la seule société civile qui essaie d’instaurer un ordre démocratique et de reconstruire les institutions. Mais c’est difficile parce qu’il y a beaucoup d’hostilité envers la société civile de la part de personnes et de groupes puissants qui cherchent à maintenir un statu quo qui leur profite : des personnes et des entreprises très puissantes et riches, des politiciens traditionnels, entre autres.

Mais maintenant, nous semblons passer à la phase suivante de la crise, et ces derniers mois, nous avons constaté quelques progrès. Le 12 décembre 2021, un Conseil national de transition (CNT) comprenant des représentants des syndicats, des groupes de défense des droits humains, des groupes de paysans et d’autres OSC, ainsi que des représentants des partis politiques, a été mis en place. Il est chargé de désigner un président et un Premier ministre provisoires et de gérer la transition. Cela implique de renforcer la confiance dans les institutions et durera de trois à quatre ans. 

Quelles sont les principales questions auxquelles le gouvernement de transition devra faire face ?

Deux questions essentielles pour Haïti sont de garantir l’accès aux services et d’assurer la sécurité, car à l’heure actuelle, la moitié de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, est sous le contrôle de gangs qui enlèvent des personnes. Tout le monde connaît quelqu’un qui a été enlevé et sait où il a été emmené, mais le gouvernement n’a pris aucune mesure pour mettre fin à cette situation. Seize citoyens américains et un Canadien ont été enlevés à Port-au-Prince il y a près de deux mois ; quelques-uns ont été libérés mais d’autres sont toujours détenus.

Il n’est pas étonnant que tant d’Haïtiens émigrent, à la recherche d’un endroit où ils pourront avoir des possibilités de progresser et d’être à l’abri de la violence. La migration haïtienne vers l’Amérique latine et les États-Unis est un signe révélateur des crises majeures que nous connaissons depuis des années. Malheureusement, les gens constatent que leurs droits sont également violés pendant leur voyage et dans leur pays d’accueil.

Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés les migrants haïtiens, en particulier ceux qui se trouvent aux États-Unis ?

J’entends souvent des témoignages de migrants qui ont été expulsés vers Haïti. Les organisations de défense des droits humains devraient garder leur trace, agir par solidarité et leur fournir une assistance. Il est nécessaire de trouver un moyen de veiller à leur sécurité lorsqu’ils traversent les frontières de l’Amérique latine et des États-Unis.

La société civile doit plaider auprès du gouvernement américain et de ceux des autres pays pour qu’ils n’expulsent pas les migrants vers Haïti, car la situation y est épouvantable. Une fois que les migrants expulsés sont de retour en Haïti, ils n’ont rien et ne savent pas où aller. La grande majorité d’entre eux vivaient déjà dans des bidonvilles.

Quelles ont été les manifestations récentes, et comment le gouvernement a-t-il réagi ?

Haïti a connu d’énormes manifestations en 2018. Quatre-vingts villes et des milliers de personnes sont descendues dans la rue et ont exigé la transparence, la responsabilité et la fin de l’impunité. Il n’y a aucun moyen d’y parvenir sous un régime aussi corrompu, les demandes se sont donc orientées vers un changement systémique. La société civile a plaidé pour un système qui réponde au besoin de justice, qui remette en cause l’impunité et qui offre des espaces permettant aux gens de demander des comptes au gouvernement.

La réponse du gouvernement a été de criminaliser les manifestations et de les réprimer violemment, en frappant sans discernement et en tuant d’innombrables manifestants, et de laisser les gangs prendre le contrôle du pays. Tel est l’héritage de ces quatre dernières années. Il y a eu de nombreux massacres et une violence croissante envers les femmes. Les gens se méfient de tout le monde. Nous vivons dans un état de terreur auquel il est impossible d’échapper et dans lequel les gens se sentent prisonniers.

Il va sans dire que la société civile a réagi en documentant les violations des droits humains et les massacres, en rassemblant des preuves et en faisant pression sur le système judiciaire pour qu’il agisse. Les gens se sont battus contre la répression, la violence et les violations des droits humains, mais jusqu’à présent, nous ne voyons pas de progrès concernant ces revendications.

De quel type de soutien international la société civile haïtienne a-t-elle besoin ?

Premièrement, nous devons diffuser des informations sur la crise en Haïti afin que le monde comprenne mieux la situation. Deuxièmement, la communauté internationale doit utiliser ses réseaux et les médias sociaux pour défendre les droits humains et apporter de l’aide au peuple haïtien. Pendant la crise, nous avons reçu la visite de diverses missions des Nations unies, du Canada, des États-Unis et d’autres pays occidentaux, mais personne ne s’est jamais attaqué aux causes profondes de la crise. Et c’est quelque chose que nous devons faire comprendre à la communauté internationale.

L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.
Prenez contact avec le Collectif pour la justice minière en Haïti via son site web ou sa page Facebook.

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