THAILANDE : « Les jeunes remettent en question le fait que le gouvernement sape leurs droits et compromette leur avenir »

CIVICUS s’entretient avec la directrice exécutive d’Amnesty International Thaïlande, Piyanut Kotsan, sur le mouvement démocratique et la répression des manifestations en Thaïlande. Fondée à Bangkok en 1993, Amnesty International Thaïlande compte plus de 1 000 membres dans tout le pays. Son travail se concentre sur la promotion de la liberté d’expression en ligne et hors ligne, la liberté de réunion pacifique, l’éducation aux droits humains, le droit à l’avortement, les droits des migrants et des réfugiés, et la dénonciation de la torture, des disparitions forcées et de la peine de mort.

PiyanutKotsan

Quel est l’état des libertés civiques en Thaïlande ?

Depuis janvier 2020, la Thaïlande a connu des manifestations et des protestations de masse dans tout le pays. En réponse, un ensemble de lois nationales, et en particulier la loi sur les rassemblements publics de 2015, a été utilisé pour poursuivre les personnes impliquées dans les manifestations. La loi sur les rassemblements publics est délibérément vague et ambiguë. Elle donne aux policiers une trop grande marge d’interprétation et peut facilement être utilisée pour criminaliser toute participation à des manifestations.

En mars 2020, le gouvernement a invoqué le décret d’urgence pour déclarer l’état d’urgence à l’échelle nationale afin d’empêcher la transmission de COVID-19. Le gouvernement a prolongé l’état d’urgence à la fin du mois de mai, tandis qu’en octobre, compte tenu du fait que les manifestations ne faiblissaient pas, il a invoqué le décret d’urgence grave, censé protéger la sécurité nationale et l’ordre public de la Thaïlande. Suite à la mise en œuvre de ces décrets, des centaines de personnes ont été poursuivies.

En bref, la situation actuelle en Thaïlande ne s’est pas encore améliorée, bien que certains règlements, tels que les annonces du Conseil national pour la paix et l’ordre émises par la junte militaire qui a dirigé le pays entre 2014 et 2019, aient été abolis pour ouvrir la voie aux élections générales de mars 2019.

Qu’est-ce qui a déclenché les récentes manifestations en Thaïlande ?

Des manifestations ont eu lieu début 2020, principalement sur les campus universitaires, mais elles ont pris fin lorsque la pandémie a éclaté. Les protestations ont repris en juillet, en réaction aux impacts de la pandémie et à l’application du décret d’urgence qui a imposé le confinement, et se sont rapidement étendues à tout le pays.

En plus d’exprimer leur mécontentement face à la gestion de la pandémie et leur indignation face à l’utilisation de la pandémie comme excuse pour réprimer la dissidence, les manifestants ont remis en question la dissolution d’un parti pro-démocratie, le Forward Future Party. Les jeunes, en particulier, ont exprimé leur point de vue sur le contexte d’incertitude politique et ont remis en question le fait que le gouvernement sape leurs droits et compromette leur avenir. Les manifestants ont fait remarquer qu’après le premier décret d’urgence, censé protéger la vie des gens et limité à la restriction du droit à la libre circulation, d’autres règlements et annonces avaient été publiés qui ont révélé que le véritable objectif du gouvernement était de limiter l’exercice du droit aux libertés d’expression et de réunion pacifique. Ainsi, un large éventail de tactiques répressives a été déployé en 2020, une tendance qui semble se poursuivre en 2021, car la législation d’urgence n’a pas encore été levée, et les procédures judiciaires engagées suite à sa mise en œuvre n’ont pas été suspendues.

Parmi les manifestants figurent des personnes qui avaient participé aux manifestations précédentes, qui ont eu lieu après le coup d’État de 2014. Cependant, la plupart des leaders des manifestations actuelles sont de jeunes étudiants universitaires, et il y a même beaucoup d’enfants qui assistent aux manifestations. Ainsi, il y a quatre enfants parmi les personnes accusées d’avoir commis des crimes graves, dont la lèse-majesté, qui interdit de diffamer, d’insulter ou de menacer la famille royale, et la sédition, un crime vaguement défini qui peut être appliqué à toute personne partageant ses opinions politiques. Ces infractions sont passibles de longues peines de prison.

Les manifestants exigent la fin du harcèlement et du pouvoir arbitraire du gouvernement, et demandent la démission du premier ministre, la dissolution du parlement, l’élaboration d’une nouvelle Constitution et la réforme de la monarchie. La monarchie est protégée des critiques par des dispositions de lèse-majesté, ce sont donc des revendications assez radicales. Certains groupes ont même proposé une liste de 10 recommandations pour la réforme de la monarchie et ont demandé que ces dispositions soient incluses dans la nouvelle Constitution.

Comment les autorités ont-elles réagi aux manifestations ?

La réponse du gouvernement n’a pas été conforme à la loi. La plupart des actions du gouvernement visent à réprimer et à limiter les libertés d’expression et de réunion pacifique. Le harcèlement judiciaire et la violence physique sont tous deux utilisés pour empêcher les gens de participer aux manifestations et autres types de réunions.

Au 14 février 2021, au moins 358 personnes avaient été poursuivies dans 198 affaires judiciaires. La plupart d’entre elles étaient accusées d’avoir enfreint le décret d’urgence et d’autres dispositions du code pénal, comme les articles 112 (diffamation de la famille royale), 116 (sédition) et 215 et 216 (ordre public), en plus d’autres lois comme la loi sur les maladies transmissibles, la loi sur les rassemblements publics et la loi sur la circulation des véhicules.

De quel soutien les manifestants auraient-ils besoin de la part de la communauté internationale ?

Les manifestants sont assistés par un certain nombre d’organisations de la société civile thaïlandaise qui leur fournissent de l’assistance juridique et du financement d’urgence ou qui défendent auprès du gouvernement et dans les forums internationaux leurs droits à participer à des rassemblements pacifiques et à exprimer leurs opinions conformément aux normes internationales.

Pour contribuer à ce travail, la communauté internationale doit faire pression sur le gouvernement pour qu’il écoute les demandes des manifestants, notamment en garantissant un espace sûr pour que les gens puissent exercer leurs libertés d’expression et de réunion pacifique.

L’espace civique en Thaïlande est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.

Contactez Amnesty International Thaïlande via son site web ou sa page Facebook, et suivez @AmnestyThailand et @piyanute sur Twitter.

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