G20 : « La société civile est traitée comme un partenaire de seconde classe et n’est pas souvent écoutée »

Emilia BerazateguiCIVICUS s’entretient avec María Emilia Berazategui, coordinatrice du plaidoyer mondial à Transparency International, sur le rôle de la société civile dans les forums internationaux et intergouvernementaux, et l’influence qu’elle peut exercer sur les processus décisionnels, ainsi que sur les succès obtenus et les défis à relever en 2019 par le C20, le forum de la société civile au sein du G20. Avant de rejoindre Transparency International, María Emilia a dirigé le département des institutions politiques et du gouvernement d’une organisation de la société civile (OSC) argentine Poder Ciudadano. En 2018, elle a été nommée « Sherpa » du C20 sous la présidence de l’Argentine. En 2017 et 2019, elle a été membre du comité directeur du C20, et en 2018 et 2019, elle a été la coprésidente du groupe de travail anti-corruption du C20.

 

 

Qu’est-ce que le C20, et pourquoi est-il important ?

Le C20 (Civil-20) est l’un des groupes d’engagement officiels du G20, et constitue l’espace privilégié permettant aux OSC de défendre leurs intérêts au niveau du G20.

Les OSC peuvent participer aux processus du G20 de deux manières supplémentaires : en assistant aux réunions des groupes de travail du G20 en tant qu’invités pour présenter des recommandations thématiques, et par leur présence au sein du Centre international des médias du G20 (G20 International Media Center) lors des sommets, ce qui leur permet de s’engager directement avec les médias couvrant le sommet du G20 et de diffuser leurs messages relatifs aux thématiques clés.

Le C20 est un espace de la société civile mondiale, sans structure permanente et avec une présidence tournante annuelle, en accord avec celle du G20, pour que les OSC du monde entier - des groupes locaux et de la base aux grandes OSC internationales - exercent une influence collective sur le G20. Selon les principes du C20 récemment adoptés, son objectif est de veiller à ce que les dirigeants mondiaux écoutent non seulement les représentants des gouvernements et des entreprises, mais aussi les propositions et les revendications de la société civile, et qu’ils soient guidés par les valeurs fondamentales des droits humains, de l’inclusion et du développement durable.

L’engagement de la société civile auprès du G20 est primordial car il ne reste que 10 ans avant l’échéance de 2030 pour la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), et l’écart entre les actions entreprises par les gouvernements et les mesures nécessaires pour les atteindre est immense. La plupart des défis auxquels nous sommes confrontés - la polarisation et l’extrémisme politiques, les violations des droits humains et les restrictions de l’espace civique, les inégalités extrêmes, la corruption systémique, les disparités entre les sexes et la violence fondée sur le genre, la discrimination intersectionnelle, le manque d’emplois décents, la crise sanitaire et l’impact négatif de la digitalisation et de la technologie sur nos vies - demeurent non seulement sans réponse mais ne cessent de se renforcer.

Les gouvernements et les institutions multilatérales ont un rôle central à jouer dans la recherche de solutions communes à des défis communs. Les dirigeants du monde entier doivent se réunir de toute urgence pour trouver ces solutions et, en dépit de ses lacunes, le G20 est l’un des rares espaces qui leur en offre la possibilité.

Malheureusement, au cours des dernières années, nous n'avons pas vu de réels progrès de la part des dirigeants du G20. Ils prennent des engagements en présence des médias du monde entier, mais les oublient rapidement et ne les concrétisent que rarement à leur retour dans leur propre pays. Un récent rapport de Transparency International exposant les problèmes de blanchiment d’argent et de propriété anonyme des entreprises a révélé des faiblesses profondément troublantes dans presque tous les pays du G20.

Quelle peut être la contribution de la société civile ?

L'engagement de la société civile auprès du G20 peut être utile car celle-ci apporte un ensemble de compétences uniques.

Premièrement, en essayant de s'assurer que les résultats des politiques servent le bien commun, nous demandons des comptes aux gouvernements. Ainsi, lorsque les gouvernements s'engagent sur un sujet, nous leur demandons de tenir leurs promesses. Parfois ils résistent, mais d’autre fois nous parvenons à soutenir des représentants au sein des gouvernements qui sont réellement déterminés à faire avancer les choses.

Deuxièmement, nous mettons notre expérience à profit. Les groupes de la société civile ne sont pas seulement des agents de surveillance. Nous sommes des innovateurs, des spécialistes de la technologie, des chercheurs et des experts en politique publique, et nous pouvons contribuer à la mise en œuvre des politiques pour obtenir les meilleurs résultats possibles. La société civile peut également contribuer à une plus grande transparence et à une évaluation critique des résultats.

Troisièmement, la société civile fait office de passerelle, en aidant à traduire le jargon technique dans un langage que les gens emploient en pratique, en expliquant en quoi consiste le changement souhaité et en faisant part du point de vue des citoyens aux décideurs. Les gouvernements doivent communiquer avec la société civile au sujet de leurs initiatives, afin que nous puissions fournir un retour d’information sur l’impact de ces initiatives sur la vie des gens.

Enfin, et surtout, la société civile apporte un équilibre indispensable. L’une des plus grandes faiblesses du G20 est le manque d’ouverture à l'idée que la société civile soit représentée à la même table des négociations que les milieux d'affaires. Cela soulève la question de savoir si le G20 valorise davantage les intérêts des entreprises que ceux des citoyens. Cela ne favorise certainement pas la confiance, et permet de comprendre pourquoi les gens du monde entier pensent que les gouvernements sont trop proches des entreprises ou n'agissent qu'au profit de quelques intérêts privés.

Quel espace les forums internationaux tels que le G20 offrent-ils réellement à la société civile pour exercer une influence sur l’élaboration des politiques ?

Le G20 est souvent décrit comme élitiste, comme un groupe de puissances économiques - bien que les plus grandes économies n’y participent pas toutes - qui tente de réécrire les règles de la gouvernance économique mondiale, en opérant largement à huis clos et de manière opaque. Il n’est pas étonnant que de nombreux membres de la société civile estiment instinctivement que nous devrions nous opposer au G20 plutôt que de nous engager avec lui.

Le G20 invite divers invités à participer à ses réunions, notamment des représentants de différents groupes régionaux, des États invités et des organisations internationales. Toutefois, son bilan en matière d’engagement avec les groupes de citoyens et la société civile est, au mieux, mitigé. Malgré tout ce que nous avons à offrir, nous ne sommes pas admis autour de la table des négociations ; nous sommes traités comme des partenaires de seconde zone et nos recommandations et idées sur des questions pourtant cruciales ne sont pas souvent prises en compte.

Les expériences varient considérablement entre les différents groupes de travail qui composent le G20. Par exemple, malgré toutes les connaissances de la société civile en matière de problématiques financières, le groupe de travail sur l’architecture financière internationale du G20 a systématiquement fermé ses portes à la participation de la société civile. En revanche, nous avons la chance d'avoir un point permanent à l'ordre du jour du groupe de travail sur la lutte contre la corruption, au sein duquel les gouvernements s'adressent aux entreprises et à la société civile, les mettant sur un pied d'égalité. Bien que nous appréciions cette situation, nous pensons que ce groupe de travail et le G20 en général doivent améliorer de manière significative leur engagement envers la société civile.

Malgré toutes ces limites et ces défis, au cours de l’année 2019, alors que la présidence du G20 était entre les mains du Japon, la société civile a réussi à influencer le G20 dans certains domaines, notamment la protection des lanceurs d’alerte, la transparence concernant les dépenses d’infrastructures, et sur les questions relatives au genre et à la corruption.

En 2019, le groupe de travail du G20 sur la lutte contre la corruption a adopté deux documents majeurs : les principes directeurs du G20 pour la protection efficace des lanceurs d'alerte, qui correspondaient en grande partie aux recommandations de la société civile et comprenaient une reconnaissance sans précédent par le G20 des aspects sexo-spécifiques en matière de dénonciation. Le Compendium of Good Practices for Promoting Integrity and Transparency in Infrastructure Development (Compendium des bonnes pratiques pour la promotion de l'intégrité et de la transparence dans le développement des infrastructures) était également aligné sur les recommandations de la société civile.

Par le biais du Compendium, le G20 a également reconnu que la transparence concernant l’identité des propriétaires des entreprises est essentielle à la lutte contre la corruption. Conformément aux suggestions de la société civile, il a préconisé la mise en place de registres de propriété effective des entreprises afin de réduire la possibilité que des fonds publics soient utilisés pour favoriser certains individus ou entreprises, et d’identifier les conflits d’intérêts.

Globalement, quels ont été, selon vous, les principaux accomplissements réalisés grâce à l'engagement de la société civile auprès du G20 en 2019 ?

En un mot, le principal succès de l'engagement de la société civile en 2019 a été son caractère continu. La société civile a pu maintenir un degré d’engagement similaire à celui de 2018, lorsque le G20 était présidé par l’Argentine. En 2018, et pendant une courte période, la société civile a obtenu l’accès à certaines réunions des groupes de travail du G20, mais malheureusement pas aux groupes de travail qui font partie de ce qu’on appelle le G20 Finance Track, ni au Centre des médias du G20. Cela a rendu possible l'accès de la société civile, pour la première fois, à certaines sessions qui se tenaient auparavant à huis clos.  En outre, nous avons réussi à faire en sorte que les représentants locaux du G20, y compris le Sherpa, assistent aux réunions du C20 en personne.

L'appel lancé en 2018 par la société civile aux délégués du G20 afin de les inciter à passer des paroles aux actes est resté en vigueur depuis la présidence de l'Argentine jusqu'à celle du Japon. Elle a trouvé un écho dans les médias sociaux, à travers le hashtag #G20takeaction. Pour renforcer davantage l’engagement de la société civile et garantir un impact croissant au sein du G20, le C20 a convenu en 2019 d’un ensemble de principes qui consacrent la transparence, la collaboration, l’indépendance, l’internationalisme, l’inclusivité et le respect des droits humains et de l’égalité des sexes, comme des piliers centraux dans la pratique du groupe d'engagement. Il s’agit d’une étape très importante dans l’histoire du C20.

Quels ont été les défis, et qu’est-ce qui doit être amélioré ?

Malgré ces succès, il est urgent que le G20 change sa façon de s’engager avec la société civile. Au sein du G20, les gouvernements discutent de politiques qui ont un impact considérable sur nos vies. En tant que société civile, nous devons être autorisés à apporter les voix réelles et diverses des citoyens à la table. Ce sont eux qui seront affectées par les politiques publiques promues lors de ce forum.

Les rares fois où nous avons réussi à obtenir l’accès aux réunions du G20, l’expérience n’a guère été positive. Nous faisons de gros efforts pour être présents. Après avoir réuni les ressources nécessaires et voyagé pendant de nombreuses heures, nous attendons - parfois pendant longtemps - à l’extérieur de la salle de réunion jusqu’à ce que nous soyons enfin autorisés à entrer. Une fois à l’intérieur, nous partageons nos idées et nos recommandations aussi rapidement que possible, afin de nous assurer qu’il nous reste du temps pour dialoguer avec les délégations, bien qu’il ne s’agisse pas souvent d’une conversation ouverte et honnête. Après un court moment, on nous fait sortir diplomatiquement de la salle pour que les négociations puissent se poursuivre, puisque la case "participation de la société civile" a été cochée.

Le G20 a encore un long chemin à parcourir pour assurer une participation effective de la société civile. Les dirigeants du G20 doivent cesser de penser qu'en invitant des représentants de la société civile à quelques réunions, ils s'acquittent de leur obligation de procéder à de larges consultations et de s'ouvrir au contrôle. Ils doivent reconnaître les compétences uniques que peut offrir la société civile, et s’orienter vers un engagement plus significatif et soutenu avec elle.

Ils peuvent le faire de plusieurs manières. Tout d’abord, ils peuvent - et doivent - inviter les représentants de la société civile ainsi que ceux des entreprises à des sessions complémentaires des diverses réunions du groupe de travail, afin de présenter leurs points de vue et conseils sur chaque sujet, et pas seulement au cours d’une seule et brève session consacrée à l’écoute de toutes nos préoccupations. Ils devraient également partager avec nous l’ordre du jour de ces réunions. Cela peut sembler fou, mais la plupart du temps, nous sommes invités et nous nous rendons à des réunions sans savoir ce qui va être discuté, de sorte que nous ne déléguons pas nécessairement la personne la plus appropriée ou ne préparons pas la contribution la plus pertinente ou la plus détaillée.

Deuxièmement, les délégués du G20 doivent systématiquement rencontrer la société civile nationale tout au long de l’année, avant et après les réunions des groupes de travail du G20. C’est déjà le cas dans certains pays du G20, mais pas dans tous.

Troisièmement, les représentants du G20 doivent être plus ouverts et honnêtes dans leurs échanges avec la société civile. Lorsque les délégués du G20 discutent avec la société civile, ils ne partagent le plus souvent que des informations limitées sur ce qu’ils font pour relever les principaux défis mondiaux, ce qui s’apparente à de la propagande. Et s’ils nous demandaient de quoi nous voulons parler et quelles informations nous aimerions recevoir ? Ou encore, pourquoi ne pas nous faire part d'un retour d'information honnête et direct sur les propositions et les recommandations que nous avons partagées avec eux ?

Les dirigeants du G20 semblent ignorer qu’une bonne communication et l’accès à l’information sont essentiels. Il n’existe pas de site web permanent du G20. Au lieu de cela, chaque présidence crée le sien, qui devient ensuite obsolète. Le paysage numérique est jonché de sites web obsolètes du G20. Il est donc difficile pour la société civile, les médias et les chercheurs qui souhaitent s’informer sur les activités du G20 de trouver ce qu’ils veulent. En 2017, lorsque l’Allemagne a présidé le G20, le gouvernement allemand a pris une excellente initiative : il a compilé tous les engagements existants en matière de lutte contre la corruption en un seul endroit. Cela devrait être une pratique courante. Dans un souci de transparence et de responsabilité, tous les groupes de travail du G20 devraient publier les comptes rendus et les ordres du jour de leurs réunions. Et ils devraient systématiquement consulter la société civile afin que nous puissions apporter notre contribution aux projets de textes qu’ils prévoient d’adopter, et suggérer les sujets clés sur lesquels le G20 devrait se concentrer.

Qu’est-ce qui a changé en termes de participation de la société civile lorsque la présidence du G20 est passée à l’Arabie saoudite ?

Malgré ses limites et son faible engagement avec la société civile, le G20 a été un espace pertinent pour faire part de nos préoccupations directement aux gouvernements et plaider pour s’attaquer aux problèmes les plus critiques auxquels nous sommes confrontés. Malheureusement, en 2020, l’espace d’engagement de la société civile s’est considérablement réduit lorsque la présidence du G20 et de tous ses groupes d’engagement, y compris le C20, est passée à l’Arabie saoudite - une décision prise par les gouvernements du G20 en 2017 à Hambourg, en Allemagne.

L’Arabie saoudite est un État qui n’offre pratiquement aucun espace à la société civile et où les voix indépendantes de la société civile ne sont pas tolérées. Il réprime systématiquement les critiques des médias, arrête et poursuit régulièrement les défenseurs des droits humains, censure la liberté d’expression, limite la liberté de circulation et torture et maltraite les journalistes et les activistes détenus. Cela rend la participation de la société civile problématique.

En outre, les principes du C20 mettent l’accent sur une série d’éléments que la présidence saoudienne n’est pas en mesure de fournir, tels que l’inclusion d’une variété d’acteurs de la société civile véritablement indépendants, du niveau local au niveau mondial, la transparence des procédures de prise de décision et les valeurs directrices des droits humains, de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes. En participant à l’espace très limité que le gouvernement saoudien serait en mesure de fournir, nous ne ferions que contribuer à blanchir la réputation internationale de l’Arabie saoudite. Le gouvernement saoudien a déjà recruté de coûteux conseillers en relations publiques occidentaux et dépensé des millions de dollars pour polir son image ternie. 

En réponse, un nombre impressionnant d’OSC du monde entier ont uni leurs voix et décidé de boycotter le C20 accueilli par l’Arabie saoudite cette année. Transparency International se réjouit d’être à nouveau pleinement engagée dans le processus du C20 l’année prochaine, lorsque la présidence sera transmise à l’Italie.

L’espace civique de l’Arabie saoudite est classé « fermé » par le CIVICUS Monitor.
Contactez Transparency International via son site web ou sa page Facebook, et suivez @anticorruption et @meberazategui sur Twitter. 

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