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  • BURKINA FASO : ‘Pour une grande partie de la société civile, la sécurité est une préoccupation plus urgente que la démocratie’

    Kopep DabugatCIVICUS échange sur lecoup d’État militaire récent au Burkina Faso avec Kop’ep Dabugat, coordinateur du Réseau de Solidarité pour la Démocratie en Afrique de l’Ouest (WADEMOS).

    WADEMOS est une coalition d’organisations de la société civile (OSC) d’Afrique de l’Ouest qui mobilise la société civile afin de défendre la démocratie et de promouvoir des normes démocratiques dans la région.

    Qu’est-ce qui a conduit aucoup d’État récent au Burkina Faso, et que faut-il faire pour que la démocratie soit restaurée ?

    Le capitaine Ibrahim Traoré,actuel chef de la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso, a invoqué la dégradation continue de la situation sécuritaire pour justifier la prise de pouvoir par les militaires, tout comme l'avait fait son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Or il semblerait que les attaques de groupes armés ont fortement augmenté dans les mois qui ont suivile premier coup d’État mené par Damiba, en janvier 2022. Les analystes affirment que le Burkina Faso constitue le nouvel épicentre du conflit au Sahel. Depuis 2015, les violences perpétrées par des insurgés djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont entraîné la mort de milliers de personnes et déplacé deux millions d’autres.

    Le coup d’État a également révélé la présence d’un schisme au sein de la junte dirigée par Damiba. Le nouveau coup a été orchestré en partie par les mêmes officiers militaires qui avaient participé au coup d’État pour porter Damiba à la tête de l’État. Désormais, ces officiers affirment queDamiba n’a pas cherché à réorganiser l’armée pour mieux faire face aux menaces sécuritaires comme ils s’y attendaient. Au lieu de cela, il est resté fidèle à la structure militaire qui a conduit à la chute du gouvernement du président Roch Marc Christian Kaboré, et a commencé à révéler des ambitions politiques.

    La question de la sécurité reste le premier défi à relever pour faire du Burkina Faso un État démocratique. La fonction principale d’un Etat, et plus encore d’un Etat démocratique, est de garantir la sécurité de ses citoyens. Une armée burkinabè unie sera nécessaire pour atteindre cet objectif.

    Il reste aussi à mener à bien l’actuel programme de transition accepté par la nouvelle junte, qui vise à mettre en place un régime civil d’ici juillet 2024.

    Au-delà de la transition, la nécessité de construire un État et des institutions politiques solides doit être soulignée. Il convient de s’attaquer sérieusement aux problèmes de corruption et de marginalisation économique. La nécessité de renforcer les institutions n’est pas propre au Burkina Faso : elle est essentielle pour toute la région, et en particulier pour les pays qui ont récemment été soumis à un régime militaire, notammentla Guinée etle Mali.

    Quelle a été la réaction de la société civile face à ce dernier coup d’État militaire ?

    À l’image de la désunion qui caractérise la société civile au Burkina Faso, la réaction de la société civile au coup d’État a été mitigée. Mais une partie notable de la société civile a semblé accueillir favorablement le dernier coup d’État parce qu’elle considérait la junte dirigée parDamiba non seulement comme autoritaire mais aussi comme s'alignant avec les politiciens du régime du président au pouvoir de 1987 à 2014, Blaise Compaoré. Ils craignaient ainsi que ces politiciens reprennent le pouvoir et ferment toutes les portes à la justice pour les victimes du régime Compaoré, ce qui constituait bien entendu un scénario plausible.

    Par conséquent, ce dernier coup d'État n'est en aucun cas perçu unanimement par la société civile comme constituant un pas en arrière pour l’agenda de la transition démocratique. De plus, pour une grande partie de la société civile, la sécurité semble être une préoccupation plus urgente et prioritaire que la démocratie, de sorte que l’élément qui a prévalu est l’incapacité apparente de la junte dirigée par Damiba à faire face à la situation sécuritaire.

    L’effort des groupes traditionnels et religieux qui ont négocié un accord à sept conditions entre les factions militaires de Damiba et de Traoré, mettant fin à la violence et prévenant le carnage, mérite toutefois d’être salué. Cet effort semble avoir créé une base pour l'engagement constructif entre la junte dirigée par Traoré et la société civile, qui s'est poursuivi avec la participation notable de la société civile à la Conférence nationale du 14 octobre 2022. Celle-ci a approuvé une nouvelle Charte de transition pour le Burkina Faso et a officiellement nommé Traoré comme président de transition.

    Quelle est la situation des OSC de défense des droits humains ?

    Les OSC burkinabè actives dans le domaine des droits humains et civils sont de plus en plus préoccupées par les représailles contre les politiciens et les civils perçus comme étant pro-français, ainsi que par la recrudescence marquée des groupes pro-russes qui demandent que la France et tous ses intérêts soient chassés du pays.

    De plus, les OSC de défense des droits humains et des droits civils s'inquiètent de la stigmatisation et des représailles contre la communité peule, ce qui vient s'ajouter aux préoccupations concernant l’insurrection djihadiste qui sévit dans le pays. Cette stigmatisation découle du fait que de nombreux groupes terroristes recrutent des combattants burkinabés d’origine peule. Des arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires de Peuls en raison de présomptions sur leur complicité dans des actes de violence terroriste ont été signalées. En dehors de ceux-là, aucun autre cas notable de violation des droits humains menaçant les civils n’a été identifié. Par conséquent, même si on n'est qu'au début du mandat de Traoré, on peut du moins déjà affirmer qu'il ne s'agit pas d'une situation d’augmentation des violations systématiques des droits humains.

    Comment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a-t-elle réagi au coup d’État militaire ?

    Conformément à son Protocole additionnel de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, la réponse initiale de la CEDEAO a été de condamner fermement et sans réserve le coup d’État, le trouvant inopportun à un moment où des progrès avaient été réalisés par la junte dirigée par Damiba pour préparer le terrain aux élections et à la démocratie. La CEDEAO a également demandé à la junte de garantir les droits humains et d’assurer la stabilité.

    Malgré les sanctions en cours contre le pays, à la suite de sa rencontre avec M. Traoré, Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger et médiateur envoyé au Burkina Faso par la CEDEAO, s’est déclaré satisfait et a déclaré que la CEDEAO resterait aux côtés du peuple burkinabé. La CEDEAO, comme elle a tendance à le faire, travaillera en étroite collaboration avec la junte militaire pour rétablir l’ordre démocratique. Le calendrier est maintenu et l’échéance reste juillet 2024.

    Comment les autres institutions internationales ont-elles réagi, et que devraient-elles faire pour soutenir la société civile au Burkina Faso ?

    Les autres institutions internationales ont réagi de la même manière que la CEDEAO. L’Union africaine a condamné le coup d’Etat, le considérant un pas en arrière suite aux progrès déjà réalisés vers la restauration de la démocratie. Le coup d’Etat a également été condamné par les Nations Unies et le Parlement européen.

    Si la communauté internationale veut aider les OSC au Burkina Faso, elle doit avant tout soutenir les efforts de la junte pour éradiquer l’insurrection djihadiste qui continue de sévir dans le pays. Elle doit également aider les autorités à faire face non seulement à la crise actuelle des réfugiés, accentuée par les défis liés au changement climatique, mais aussi justement à la crise climatique qui contribue à la propagation de la violence terroriste.

    La communauté internationale doit également continuer à faire pression sur la junte pour qu’elle tienne son engagement et qu'elle adhère aux accords conclus par l’ancienne junte avec la CEDEAO, afin de mettre fin à la répression des personnes en raison de leur appartenance politique et ethnique et de libérer toute personne emprisonnée pour des motifs politiques.


     L’espace civique au Burkina Faso est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.

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  • BURKINA FASO : « La société civile prodémocratie est pratiquement paralysée par l’intensité et la férocité de la répression »

    OusmaneMiphalLankoandeCIVICUS échange avec Ousmane Miphal Lankoandé, Secrétaire exécutif et Coordonnateur du programme de gouvernance et mobilisation citoyenne au Balai Citoyen, sur les droits humains et l’espace civique au Burkina Faso.

    Fondé en 2013, le Balai Citoyen est une organisation de la société civile (OSC) qui mobilise l’action citoyenne pour promouvoir la démocratie, l’intégrité de la gouvernance, la justice et l’état de droit au Burkina Faso.

    Comment les droits humains et les libertés civiques se sont-ils détériorés sous la junte militaire du Burkina Faso ?

    Depuis l’arrivée des militaires en janvier 2022, il y a eu une dégradation manifeste des droits humains et des libertés civiques, un phénomène qui s’est accentué à la suite du second coup d’État survenu en septembre 2022. Toute voix dissidente, divergeant de la ligne officielle du régime militaire, est systématiquement réprimée.

    Pour ce faire, le régime a progressivement mis en place des mesures insidieuses. Initialement, il a suspendu les activités des partis politiques, même après le rétablissement de la Constitution après une suspension temporaire. De plus, certains médias internationaux sont proscrits de diffusion, tandis que certains médias nationaux ont subi des suspensions. Des journalistes et activistes sont soumis à des intimidations et menaces, certains ayant été enlevés. Le sort de certains, notamment deux militants du Balai citoyen, reste inconnu à ce jour.

  • HAÏTI : « Si la mission a du succès, les autorités n’auront pas à se tourner à nouveau vers la communauté internationale pour maintenir la paix »

    Rosy Auguste DucénaCIVICUS échange avec l’avocate haïtienne Rosy Auguste Ducéna sur la situation en Haïti et les perspectives d’une mission internationale nouvellement déployée.

    Rosy est responsable de programmes du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), une organisation de la société civile qui œuvre pour l’instauration d’un État de droit en Haïti.

    Suite à la démission du premier ministre de facto Ariel Henry en avril, un Conseil présidentiel de transition a été nommé pour tenter d’entamer le processus de rétablissement de la paix dans un pays assiégé par les gangs. En proie à des divisions internes, il a fallu attendre le mois de juin pour que le conseil nomme un nouveau premier ministre, l’universitaire et praticien du développement Garry Conille. Le même mois, le premier contingent de la Mission multinationale de soutien à la sécurité des Nations unies, dirigée par le Kenya et longtemps retardée, a commencé à arriver. Compte tenu de la longue histoire d’échecs des interventions internationales en Haïti, la société civile est sceptique et exige que la mission soit fortement axée sur les droits humains.

    Qu’est-ce qui a changé depuis la démission du premier ministre de facto Ariel Henry ?

    Après l’avoir soutenu tout au long de son gouvernement, la communauté internationale a finalement retiré son soutien à Henry, qui a démissionné dans la honte. Il était un prédateur des droits humains et nous étions donc heureux de le voir partir, même si ce n’était pas de la manière dont nous l’aurions souhaité.

    Un Conseil présidentiel de transition a été mis sur pied avec la participation de la communauté internationale via la Communauté caribéenne (CARICOM), l’organisation régionale. Il compte en son sein des personnalités issues de secteurs qui n’inspirent pas confiance à la population haïtienne. La seule femme qui fait partie du Conseil a un rôle d’observateur et tous les candidats au poste de premier ministre auditionnés étaient des hommes.

    Un mois après l’installation de ce conseil, avec le peuple haïtien dévasté par l’insécurité et les bandes armées, un premier ministre a enfin été élu : Garry Conille, lui aussi soutenu par la communauté internationale. La prochaine étape logique est la mise en place d’un gouvernement de transition.

    Qu’attend la société civile du nouveau premier ministre ?

    Nous attendons du nouveau Premier ministre qu’il tienne sa première promesse : celle d’établir un gouvernement dans lequel les femmes n’auront pas un rôle symbolique mais occuperont des postes de pouvoir. Et nous espérons que des femmes ayant un agenda de lutte pour les droits des femmes dans le contexte de la transition seront choisies. Il est important de respecter le quota minimal de 30% de femmes dans les organes de décision – sans pour autant s’y arrêter, puisque plus de la moitié de la population haïtienne sont des femmes –, mais il est également important que les femmes qui occupent ces postes s’impliquent dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, les discriminations et les injustices sociales subies par les femmes.

    Nous espérons aussi que les décisions qui seront prises par ce gouvernement à venir tiendront compte des priorités de la population : combattre l’insécurité, lutter contre l’impunité dont ont toujours bénéficié les bandits armés et mettre les victimes de l’insécurité au cœur des décisions, ainsi qu’organiser les élections.

    Et, sachant que cette transition a une obligation de résultat, tout doit être mis en œuvre pour que la feuille de route du Conseil et du premier ministre soit réalisée.

    Quelle est la situation en matière de sécurité et de droits humains ?

    La situation des droits humains sur le terrain est très préoccupante : les vols, assassinats, viols, viols collectifs, massacres, attaques armées et enlèvements contre rançon, et les incendies des maisons et des véhicules de la population sont monnaie courante.

    Deux grandes coalitions de gangs armés qui jadis se battaient entre elles, le « G-9 an Fanmi e Alye » dirigé par Jimmy Chérizier, alias Barbecue, et le « G-Pèp », dirigé par Gabriel Jean Pierre, alias Ti Gabriel ou Gabo, se sont regroupées autour d’une fédération et s’attaquent à la population civile pour asseoir leur pouvoir.

    Les conséquences sur la vie et la sécurité de la population haïtienne sont énormes : les bandits armés contrôlent la circulation des biens et des services ainsi que les approvisionnements en carburant et en médicaments et sèment la terreur. Certaines zones se sont complètement vidées de leur population. Des victimes de l’insécurité vivent dans des camps d’accueil surpeuplés, dans la promiscuité et exposés à toutes sortes d’exactions et de maladies contagieuses.

    Les écoles ne fonctionnent pas toutes. Des milliers d’enfants en âge d’être scolarisés et de jeunes qui devaient fréquenter l’université viennent de perdre une année académique. Des hôpitaux et centres de santé ont dû fermer leurs portes en raison de l’insécurité. Des alertes à la crise alimentaire aigüe ont été lancées : en Haïti, nous vivons une crise humanitaire sans précédent. Et, si aucune mesure n’est prise, elle s’aggravera.

    Dans un pays appauvri, où le système éducatif n’était déjà pas inclusif et où les droits sociaux ont toujours été considérés comme des produits à se procurer, le fossé de l’accès à l’éducation et à des soins de santé de qualité se creuse. Les femmes, les enfants et les personnes vivant avec une déficience physique, sensorielle ou même cognitive, ont été les premiers touchés par les conséquences néfastes du chaos instauré par les bandits armés, avec la complicité de l’institution policière et des autorités au pouvoir dirigé par Henry.

    Dans ce contexte de violation massive et continue des droits humains, le Conseil présidentiel de transition n’a pas encore prouvé qu’il comprend la nécessité d’agir vite.

    Comment la nouvelle mission internationale a-t-elle été créée et en quoi diffère-t-elle de ses prédécesseurs ?

    Le 6 octobre 2022, Henry avait sollicité l’envoi d’une « force robuste » en vue, selon ses dires, « de combattre l’insécurité, rétablir la paix et de réaliser les élections ». Près d’une année plus tard, le 2 octobre 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution autorisant le déploiement d’une force baptisée Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité, après que le Kenya eut accepté d’en assurer le leadership.

    La mission a mis du temps à se mettre en place. Elle est en train de commencer, mais nous restons sceptiques.

    Elle sera la onzième mission depuis 1993. Toutes ses prédécesseuses ont été impliquées dans la commission de violations des droits humains à l’encontre de la population haïtienne : exécutions sommaires, bastonnades et atteintes à l’intégrité physique et psychique, marchandage sexuel, viols sur mineurs.es et sur femmes. Et la seule sanction à laquelle s’exposaient les auteurs de ces violations était le rapatriement.

    L’Organisations des Nations Unis a apporté le choléra, dont la propagation a causé la mort de plus de 10.000 personnes, et n’a accepté ses responsabilités que du bout des lèvres. Les promesses de dédommagement n’ont jamais été tenues.

    Les résultats des différentes missions en Haïti, qui ont coûté des millions de dollars, sont maigres. Les institutions policières et judiciaires, ainsi que l’organe électoral qu’on leur a toujours demandé de renforcer, n’ont jamais été aussi dysfonctionnels. Le calcul coût-bénéfice et leur implication dans les violations des droits humains suggèrent qu’elles sont contre-productives.

    Il faut toutefois reconnaitre que la population, fatiguée de l’insécurité qui lui vole sa vie et son humanité et ayant perdu confiance dans le système pénal haïtien, place ses espoirs dans cette force internationale. Actuellement, la police ne traque pas les bandits notoires, les tribunaux ne les jugent pas, même par contumace, alors que plusieurs centaines de victimes de massacres, accompagnées par le RNDDH, ont porté plainte contre leurs agresseurs. Les rares fois où ils sont emprisonnés, ils s’évadent ou passent des années en détention, sans que les faits qui leur sont reprochés ne soient jamais élucidés et sans que les victimes ne reçoivent justice.

    Comment la mission internationale doit-elle agir pour contribuer à une paix durable ?

    Avec six autres organisations de la société civile haïtienne, nous avons réfléchi à cette question et formulé des recommandations. Celles-ci portent notamment sur la définition des objectifs de la mission et la prise en compte des préoccupations des organisations de défense des droits humains dans l’élaboration du cadre réglementaire et du plan stratégique de sécurité de la mission.

    La résolution étant restée muette ou ayant utilisé des termes sibyllins sur certaines questions importantes, nous insistons sur la nécessité d’aborder les obligations des agents.es relatives à la gestion des eaux, aux normes déontologiques et de transparence, ainsi qu’aux mécanismes de monitoring et de suivi des comportements des agents.

    Nous recommandons également l’établissement de mécanismes de prévention des actes de violations des droits humains et la mise en place d’un mécanisme de plaintes pour les éventuelles victimes. Il est essentiel que les pays pourvoyeurs d’agents.es s’engagent à tout mettre en œuvre pour que les exactions soient punies et que les garanties judiciaires des victimes soient protégées et respectées.

    Plus que toute autre chose, nous espérons que la mission mènera ses opérations sur le terrain avec la participation des policiers.ères haïtiens, qui y gagneront en formation et en tactiques de lutte contre les bandes armées, afin qu’au départ de cette mission, les autorités haïtiennes n’aient pas à se tourner à nouveau vers la communauté internationale pour maintenir la paix et la sécurité.

    L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez le RNDDH sur sonsite web ou sa pageFacebook, suivez@RnddhAyiti et@AugusteRosy sur Twitter, et contactez Rosy Auguste Ducéna sur son compte d’Instagram ou sa pageFacebook.


     

  • INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : « Il doit y avoir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des droits »

    NadiaBenaissaCIVICUS parle avec Nadia Benaissa, conseillère en politique juridique chez Bits of Freedom, sur les risques que l’intelligence artificielle (IA) fait peser sur les droits humains et sur le rôle que joue la société civile dans l’élaboration d’un cadre juridique pour la gouvernance de l’IA.

    Fondée en 2000, Bits of Freedom est une organisation de la société civile (OSC) néerlandaise qui vise à protéger les droits à la vie privée et à la liberté de communication en influençant la législation et la politique en matière de technologies, en donnant des conseils politiques, en sensibilisant et en entreprenant des actions en justice. Bits of Freedom a également participé aux négociations de la loi de l’Union européenne sur l’IA.

    Quels risques l’IA fait-elle peser sur les droits humains ?

    L’IA présente des risques importants car elle peut exacerber des inégalités sociales préexistantes et profondément ancrées. Les droits à l’égalité, à la liberté religieuse, à la liberté d’expression et à la présomption d’innocence figurent parmi les droits touchés.

    Aux Pays-Bas, nous avons recensé plusieurs cas de systèmes algorithmiques violant les droits humains. L’un de ces cas est le scandale des allocations familiales, dans lequel les parents recevant des allocations pour la garde de leurs enfants ont été injustement ciblés et profilés. Le profilage a surtout touché les personnes racisées, les personnes à faible revenu et les musulmans, que l’administration fiscale a faussement accusés de fraude. Cette situation a entraîné la suspension des allocations pour certains parents et prestataires de soins, ainsi que des enquêtes hostiles sur leurs cas, ce qui a eu de graves répercussions financières.

    Un autre exemple est le programme de prévention de la criminalité ‘Top400' mis en œuvre dans la municipalité d’Amsterdam, qui profile des mineurs et des jeunes afin d’identifier les 400 personnes les plus susceptibles de commettre des délits. Cette pratique affecte de manière disproportionnée les enfants des classes populaires et les enfants non-blancs, car le système se concentre géographiquement sur les quartiers à faibles revenus et les quartiers de migrants.

    Dans ces cas, le manque d’éthique dans l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle a entraîné une immense détresse pour les personnes concernées. Le manque de transparence dans la manière dont les décisions automatisées ont été prises n’a fait qu’accroître les difficultés dans la quête de justice et de redevabilité. De nombreuses victimes ont eu du mal à prouver les préjugés et les erreurs du système.

    Existe-t-il des tentatives en cours pour réglementer l’IA ?

    Un processus est en cours au niveau européen. En 2021, la Commission européenne (CE) a proposé un cadre législatif, la loi sur l’IA de l’Union européenne (UE), pour répondre aux défis éthiques et juridiques associés aux technologies de l’IA. L’objectif principal de la loi sur l’IA de l’UE est de créer un ensemble complet de règles régissant le développement, le déploiement et l’utilisation de l’IA dans les États membres de l’UE. Elle cherche à maintenir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des valeurs et des droits fondamentaux.

    Il s’agit d’une occasion unique pour l’Europe de se distinguer en donnant la priorité à la protection des droits humains dans la gouvernance de l’IA. Cependant, la loi n’a pas encore été approuvée. Une version a été adoptée par le Parlement européen en juin, mais il reste encore un débat final - un « trilogue » - à mener entre la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen. La Commission européenne s’efforce d’achever le processus d’ici la fin de l’année afin qu’il puisse être soumis à un vote avant les élections européennes de 2024.

    Ce trilogue a des défis considérables à relever pour parvenir à une loi sur l’IA complète et efficace. Les questions controversées abondent, y compris les définitions de l’IA et les catégories à haut risque, ainsi que les mécanismes de mise en œuvre et d’application.

    Qu’est-ce que la société civile, y compris Bits of Freedom, apporte à la table des négociations ?

    Alors que les négociations sur la loi se poursuivent, une coalition de 150 OSC, dont Bits of Freedom, demande instamment à la CE, au Conseil et au Parlement d’accorder la priorité aux personnes et à leurs droits fondamentaux.

    Aux côtés d’autres groupes de la société civile, nous avons activement collaboré à la rédaction d’amendements et participé à de nombreuses discussions avec des membres des parlements européen et néerlandais, des décideurs politiques et diverses parties prenantes. Nous avons fermement insisté sur des interdictions concrètes et solides, telles que celles concernant l’identification biométrique et la police prédictive. En outre, nous avons souligné l’importance de la transparence, de la redevabilité et d’un mécanisme de réparation efficace dans le contexte de l’utilisation des systèmes d’IA.

    Nous avons obtenu des résultats significatifs en matière de plaidoyer, notamment l’interdiction de l’identification biométrique en temps réel et a posteriori, une meilleure formulation des interdictions, des évaluations obligatoires de l’impact sur les droits fondamentaux, la reconnaissance de droits supplémentaires en matière de transparence, de redevabilité et de réparation, et la création d’une base de données obligatoire sur l’IA.

    Mais nous reconnaissons qu’il y a encore du travail à faire. Nous continuerons à faire pression pour obtenir la meilleure protection possible des droits humains et à nous concentrer sur les demandes formulées dans notre déclaration au trilogue de l’UE. Celles-ci tendent vers l’établissement d’un cadre de redevabilité, de transparence, d’accessibilité et de réparation pour les personnes touchées par ces enjeux, et à la fixation des limites à la surveillance préjudiciable et discriminatoire exercée par les autorités nationales chargées de la sécurité, de l’application de la loi et de l’immigration. Elles s’opposent ainsi au lobbying des grandes entreprises technologiques en supprimant les lacunes qui sapent la réglementation.

    Le chemin vers une réglementation complète et efficace de l’IA est en cours, et nous restons déterminés à poursuivre nos efforts pour faire en sorte que le cadre législatif final englobe nos demandes essentielles. Ensemble, nous visons à créer un environnement réglementaire en matière d’IA qui donne la priorité aux droits humains et protège les personnes.


    Contactez Bits of Freedom sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@bitsoffreedom sur Twitter.

  • RDC : « La mission de maintien de la paix des Nations Unies a échoué »

    CIVICUS échange avec les activistes sociaux Espoir Ngalukiye et Sankara Bin Kartumwa à propos des manifestations en cours contre la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

    Espoir et Sankara sont membres de LUCHA (Lutte Pour Le Changement), une organisation de la société civile (OSC) qui défend la dignité humaine et la justice sociale en RDC, et qui a joué un rôle dans les manifestations pacifiques contre la MONUSCO.

    LUCHA Lutte Pour Le Changement

    Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations anti-MONUSCO ?

    La région de l’est de la RDC est confrontée à des problèmes de sécurité depuis plus de trois décennies. Les gens réclament le départ de la MONUSCO car sa stratégie de maintien de la paix a échoué.

    La MONUSCO a été déployée pour restaurer la paix en RDC. A ce titre elle devait protéger les civils, faciliter des processus électoraux sûrs, et lutter contre les groupes rebelles. Mais elle est présente dans le pays depuis près de 20 ans et tout le contraire s’est produit : le nombre de groupes armés a augmenté, les gens continuent de vivre dans des conditions dangereuses et, malgré sa présence, des vies innocentes sont encore perdues.

    La mission de maintien de la paix avait pour mission d’empêcher tout cela, mais elle a manqué de diligence et s’est avéré inutile. À l’heure actuelle, les niveaux de violence extrêmement élevés poussent de nombreuses personnes à migrer en quête de sécurité. Ce seul fait suffit à prouver que la mission de maintien de la paix a échoué.

    De nombreuses personnes dans les communautés locales n’ont pas de bonnes relations avec la MONUSCO parce qu’elles pensent que la mission n’a pas assumé son rôle de protection. Le manque de confiance des civils, à son tour, rend difficile l’exécution du mandat de la MONUSCO. Mais si elle était efficace, les gens ne l’opposeraient pas par le biais de manifestations.

    Comment les autorités ont-elles répondu aux demandes des manifestants ?

    La réponse immédiate a été la violence, tant de la part de la MONUSCO comme des autorités congolaises. Nous avons vu des personnes blessées et tuées simplement parce qu’elles faisaient partie des manifestations. Les gens sont en colère parce que les problèmes de sécurité durent depuis des années, et la MONUSCO aurait dû s’en douter : ce n’était qu’une question de temps avant que les gens ne commencent à exprimer leur colère envers la mission. La MONUSCO aurait dû trouver des moyens de gérer la situation sans que des personnes perdent la vie. 

    Quant aux autorités congolaises, elles ont procédé à des arrestations illégales. La plupart des personnes sont détenues dans de terribles conditions. Nous nous soucions de ce qu’elles obtiennent toutes justice. Nous ne voulons pas qu’elles soient torturées pour s’être battues pour leurs droits.

    Le secrétaire général des Nations unies a condamné les violences et a demandé au gouvernement congolais de mener une enquête. Mais les demandes de départ de la MONUSCO n’ont pas été adressées, et les manifestants affirment qu’ils ne cesseront pas de manifester jusqu’au départ de la MONUSCO.

    Malheureusement, les autorités congolaises n’ont pas non plus répondu à nos préoccupations. Étant donné qu’elles sont élues et payées pour nous protéger, c’est à elles que nous nous adresserons prochainement. Si elles ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités elles seront tenues redevables. Elles doivent joindre leur voix à la nôtre et demander à la MONUSCO de partir.

    Que fait la société civile en général, et la LUCHA en particulier, pour contribuer à l’amélioration de la situation ?

    La LUCHA est une OSC qui plaide pour le changement de manière non violente. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de plaider pour le changement sans recourir à la violence. Nos membres ont participé à des manifestations contre la MONUSCO, que nous estimons légitimes et constitutionnelles, et nous exigeons donc également la non-violence et le respect de la loi de la part du gouvernement. Notre pays a une histoire violente, et nous voudrions changer cette trajectoire.

    Nous sommes une organisation dirigée par des jeunes qui ont connu la guerre et les conflits et qui veulent voir naitre une société meilleure, ainsi qu’un meilleur avenir pour tous. Nous luttons pour les Congolais et leur accès aux besoins fondamentaux, à commencer par leur droit à un environnement sûr. Nous avons des membres sur le terrain, dans les zones où se déroulent les manifestations, et leur rôle est de surveiller la situation et d’informer sur les événements qui se déroulent.

    LUCHA utilise ses réseaux sociaux pour informer les gens en RDC et à l’étranger sur la situation et son impact sur tant de vies innocentes. Nous espérons que cela créera une prise de conscience et poussera les autorités à répondre à nos demandes.

    Nos observateurs sur le terrain veillent également à ce que les manifestants ne recourent pas à la violence, mais cela s’est avéré difficile car la plupart des gens sont fatigués et, à ce stade, ils sont prêts à faire tout ce qu’il faut pour obtenir le départ de la MONUSCO, même si cela implique l’usage de la violence.

    Que devrait faire la communauté internationale ?

    La communauté internationale a été hypocrite et a toujours donné la priorité à leurs propres besoins. Il est regrettable que les événements récents se produisent dans une région de notre pays riche en minerais. De nombreuses personnes puissantes y ont des intérêts et sont prêtes à faire n’importe quoi pour s’assurer qu’ils soient protégés. C’est pour cette raison que si peu de pays se soulèvent contre ce qui se passe.

    La géographie nous place également dans une situation désavantageuse. Peut-être que si nous étions en Ukraine, nos voix auraient compté, mais nous sommes en RDC et les acteurs internationaux ne s’intéressent qu’à nos ressources et non à notre peuple. Mais les personnes tuées en RDC sont des êtres humains qui ont des familles, des vies et des rêves, tout comme ceux tués en Ukraine.

    La communauté internationale doit comprendre que nous avons besoin de paix et de sécurité, et que la MONUSCO n’a pas tenu ses promesses et doit quitter notre pays. Elle doit écouter la voix du peuple qui est souverain. Écouter le peuple sera le seul moyen de mettre fin aux manifestations. Essayer de les arrêter d’une autre manière conduira à plus de violence et plus de morts.

    L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec LUCHA via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@luchaRDC sur Twitter.

     

  • TRAITÉ DES NATIONS UNIES SUR LA CYBERCRIMINALITÉ : « Il ne s’agit pas de protéger les États, mais les personnes »

    StephaneDuguinCIVICUS s’entretient avecStéphane Duguin ausujet dela militarisation de la technologie et des progrès réalisés envue d’un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité.

    Stéphaneest un expert de l’utilisation des technologies perturbatrices, ce qui inclut les cyberattaques, les campagnes de désinformation et le terrorisme en ligne. Il est aussi le directeur général del’Institut CyberPeace,une organisation de la société civile (OSC) fondée en 2019 pour aider les OSC humanitaires et les communautés vulnérables àlimiter les dommages causés par les cyberattaques et àpromouvoir un comportement responsable dans le cyberespace. Elle mène des activités de recherche et de plaidoyer et fournit une expertise juridique et politique dans le cadre de négociations diplomatiques, notamment au sein duComité ad hoc des Nations Unies chargé d’élaborer la Convention sur la cybercriminalité.

    Pourquoi un nouveau traité des Nations Unies sur la cybercriminalité est-il nécessaire ?

    Plusieurs instruments juridiques portant sur la cybercriminalité existent déjà. Notamment, la Convention de Budapest sur la cybercriminalité duConseil de l’Europe de 2001 est le premier traité international visant à lutter contre la cybercriminalité et à harmoniser les législations pour renforcer la coopération dans le domaine de la cybersécurité. En avril 2023, il a été ratifié par 68 États dans le monde. Cette convention a été suivie par des outils régionaux tels que la Convention de l‘Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel de 2014, entre autres.

    Mais le problème de ces instruments réside dans leur application. La Convention de Budapest n’a même pas été ratifiée par la plupart des États, alors qu’elle est ouverte à tous. Et même lorsqu’ils ont été signés et ratifiés, ces instruments ne sont pas mis en œuvre. Cela signifie que les données ne sont pas accessibles au-delà des frontières, que la coopération internationale est compliquée à mettre en place et que les demandes d’extradition ne sont pas suivies d’effet.

    Il est urgent de remodeler la coopération transfrontalière pour prévenir et contrer les crimes, surtout d’un point de vue pratique. Les États qui ont plus d’expérience dans la lutte contre la cybercriminalité pourraient aider ceux qui ont moins de ressources en leur fournissant une assistance technique et en les aidant à renforcer leurs capacités.

    C’est cela qui rend si importantes les négociations actuelles de l’ONU tendant à une convention mondiale sur la cybercriminalité. En 2019, l’Assemblée générale des Nations Unies a créé le Comité spécial chargé d’élaborer une « Convention internationale globale sur la lutte contre l’utilisation des technologies d’information et de communication à des fins criminelles », en d’autres termes une Convention sur la cybercriminalité. Cela s’est fait dans un objectif de coordination des efforts entre des États membres, des OSC, dont l’Institut CyberPeace, des établissements universitaires et d’autres parties prenantes. Il s’agira du premier cadre international juridiquement contraignant pour le cyberespace.

    Les objectifs du nouveau traité sont de réduire la probabilité d’attaques et, lorsqu’elles se produisent, de limiter les dommages et de veiller à ce que les victimes aient accès à la justice et à des réparations. Il ne s’agit pas de protéger les États, mais les personnes.

    Quelles ont été les premières étapes de la négociation du traité ?

    La première étape a consisté à faire le point sur ce qui existait déjà et, surtout, sur ce qui manquait dans les instruments existants afin de comprendre ce qu’il restait à faire. Il était également important de mesurer l’efficacité des outils existants et de déterminer s’ils ne fonctionnaient pas en raison de leur conception ou parce qu’ils n’étaient pas correctement mis en œuvre. De plus, il était primordial de mesurer les dommages humains causés par la cybercriminalité afin de définir une base du problème que nous essayons d’aborder avec le nouveau traité.

    Il faudrait aussi un accord entre tous les États parties pour qu’ils cessent de se livrer eux-mêmes à la cybercriminalité. Curieusement, cela n’a pas été intégré dans les discussions. Il est pour le moins étrange d’être assis à la table des discussions sur les définitions des crimes cybernétiques et cyberdépendants avec des États qui mènent ou facilitent des cyberattaques. Les logiciels espions et la surveillance ciblée, par exemple, sont principalement financés et déployés par les États, qui financent également le secteur privé en achetant ces technologies avec l’argent des contribuables.

    Quels sont les principaux défis ?

    Le principal défi a été la définition du champ d’application du nouveau traité, c’est-à-dire de la liste des infractions à incriminer. Les infractions commises à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC) appartiennent généralement à deux catégories distinctes : les infractions cyberdépendantes et les infractions facilitées par la technologie. Les États s’accordent globalement sur le fait que le traité devrait inclure les infractions cyberdépendantes, c’est-à-dire les infractions qui ne peuvent être commises qu’à l’aide d’ordinateurs et de TIC, telles que l’accès illégal à des systèmes informatiques, les attaques par déni de service et la création et diffusion de logiciels malveillants. Si ces infractions ne faisaient pas partie du traité, il n’y aurait pas de traité à proprement parler.

    L’inclusion des crimes facilités par la technologie est toutefois plus controversée. Il s’agit d’infractions commises en ligne, mais qui pourraient être commises sans les TIC, comme la fraude bancaire et le vol de données. Il n’existe pas de définition internationalement reconnue des crimes facilités par la technologie. Certains États considèrent les infractions liées au contenu en ligne, telles que la désinformation ou l’incitation à l’extrémisme et au terrorisme, comme des crimes cybernétiques. Ces infractions sont fondées sur la parole et leur incrimination peut conduire à la criminalisation de discours ou de l’expression en ligne, ce qui aurait des conséquences négatives sur les droits humains et les libertés fondamentales.

    De nombreux États susceptibles d’être futurs signataires du traité utilisent ce type de langage pour faire taire les dissidents. Toutefois, il y a un soutien général pour l’inclusion d’un nombre limité d’exceptions concernant les crimes facilités par la technologie, tels que l’exploitation sexuelle des enfants et les abus sexuels en ligne, ainsi que la fraude informatique.

    Il est impossible de parvenir à une délimitation large des crimes cybernétiques si elle n’est pas accompagnée de garanties très strictes en matière de droits humains. En l’absence de garanties, le traité ne devrait porter que sur un nombre limité de crimes. Mais il n’y a pas d’accord sur les garanties et leur mise en place, en particulier en ce qui concerne la protection des données personnelles.

    Or tant pour les victimes comme pour les auteurs de crimes, il n’y a aucune différence entre les crimes cybernétiques et les crimes cyberdépendants. Une victime de l’un est victime des deux. De nombreux groupes criminels – tout comme des acteurs étatiques - utilisent les mêmes outils, infrastructures et processus pour mener les deux types d’attaques.

    Même s’il est nécessaire d’inclure davantage de crimes cybernétiques, la manière dont cela est fait n’est pas la bonne, car il n’y a pas de garde-fous ou de définitions claires. La plupart des États qui font pression en ce sens ont abondamment démontré qu’ils ne respectent ni ne protègent les droits humains, et certains - dont la Chine, l’Égypte, l’Inde, l’Iran, la Russie et la Syrie - ont même proposé de supprimer toute référence aux obligations internationales en matière de droits humains.

    Un autre défi est l’absence d’accord sur la manière dont les mécanismes de coopération internationale devraient assurer le suivi pour garantir la mise en œuvre pratique du traité. Les modalités de coopération entre les États et les types d’activités qu’ils mèneront ensemble pour lutter contre ces crimes restent floues.

    Pour éviter que les régimes répressifs n’abusent du traité, nous devrions nous concentrer à la fois sur la portée des infractions passibles d’être poursuivies et sur les conditions de la coopération internationale. Par exemple, les dispositions relatives à l’extradition devraient inclure le principe de la double incrimination, ce qui signifie qu’un acte ne peut donner lieu à extradition que s’il constitue un crime à la fois dans le pays qui fait la demande et dans celui qui la reçoit. Ce principe est essentiel pour empêcher les États autoritaires d’utiliser l’extradition pour poursuivre les dissidents et commettre d’autres violations des droits humains.

    Qu’apporte la société civile aux négociations ?

    L’élaboration du traité devrait être un effort collectif visant à prévenir et à réduire le nombre de cyberattaques. En tant qu’organes indépendants, les OSC y contribuent en fournissant des informations sur les incidences sur les droits humains et les menaces potentielles, et en plaidant en faveur de garanties pour les droits fondamentaux.

    Par exemple, l’Institut CyberPeace analyse depuis deux ans les cyberattaques perturbatrices contre les établissements de santé dans le cadre de la COVID-19. Nous avons découvert au moins 500 cyberattaques ayant entraîné le vol des données de plus de 20 millions de patients. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

    L’Institut CyberPeace soumet également au Comité des recommandations dont l’approche est centrée sur les victimes. Elles comprennent des mesures préventives, la redevabilité des auteurs sur la base de preuves, l’accès à la justice et à la réparation pour les victimes, et tendent à prévenir la revictimisation.

    Nous plaidons également en faveur d’une approche intrinsèquement fondée sur les droits humains, qui garantirait le plein respect des droits humains et des libertés fondamentales par le biais de protections et de garanties solides. Le langage de la Convention devrait faire référence à des cadres spécifiques de droits humains tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est important que la lutte contre la cybercriminalité n’oppose pas la sécurité nationale aux droits humains.

    Ce cadre est d’autant plus important que les gouvernements exploitent depuis longtemps les mesures de lutte contre la cybercriminalité pour étendre le contrôle de l’État, élargir les pouvoirs de surveillance, restreindre ou criminaliser les libertés d’expression et de réunion et cibler les défenseurs des droits humains, les journalistes et l’opposition politique au nom de la sécurité nationale ou de la lutte contre le terrorisme.

    Pour résumer, l’objectif de la société civile est de démontrer l’impact humain des cybercrimes et de s’assurer que les États en tiennent compte lors de la négociation du régime et des réglementations - qui doivent être créés pour protéger les citoyens. Nous faisons entendre la voix des victimes, les plus vulnérables, dont la cybersécurité quotidienne n’est pas correctement protégée par le cadre international actuel. En ce qui concerne l’Institut CyberPeace, nous plaidons pour l’inclusion d’un champ limité de cybercrimes avec des définitions claires et étroites afin d’empêcher la criminalisation de comportements qui constituent l’exercice des libertés fondamentales et des droits humains.

    Où en sommes-nous dans le processus de négociation du traité ?

    Un document de négociation consolidé a servi de base à la deuxième lecture effectuée lors des quatrième et cinquième sessions tenues en janvier et avril 2023. La prochaine étape consistera à publier un avant-projet à la fin du mois de juin, qui sera négocié lors de la sixième session qui se tiendra à New York entre août et septembre 2023.

    Le processus aboutit normalement à une consolidation par les États, ce qui va être difficile car il y a beaucoup de divergences et un délai serré : le traité devrait être soumis au vote lors de la 78ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2024.

    Il y a un bloc d’États qui souhaitent un traité au champ d’application le plus large possible, et un autre bloc qui penche pour une convention au champ d’application très limité et aux garanties solides. Mais même au sein de ce bloc, des désaccords subsistent en ce qui concerne la protection des données, l’approche en termes de sécurité, et des questions éthiques portant sur des technologies spécifiques telles que l’intelligence artificielle.

    Quelles sont les chances que la version finale du traité respecte les normes internationales en matière de droits humains tout en remplissant son objectif ?

    Compte tenu de la manière dont le processus s’est déroulé jusqu’à présent, je ne suis pas très optimiste, en particulier sur la question du respect des normes en matière de droits humains. Il manque encore les définitions cruciales des garanties en matière de droits humains. Nous ne devons pas oublier que les négociations se déroulent dans un contexte de confrontation géopolitique tendue. L’Institut CyberPeace a retracé les attaques déployées depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Nous avons témoigné de plus de 1 500 campagnes d’attaques avec près de 100 acteurs impliqués, dont de nombreux États, et des impacts sur plus de 45 pays. Cette réalité géopolitique complique encore les négociations.

    Le texte qui est actuellement sur la table ne permet pas d’améliorer la vie des victimes dans le cyberespace. C’est pour cette raison que l’Institut CyberPeace reste engagé dans le processus de rédaction, afin d’informer et de sensibiliser les discussions en vue d’un résultat plus positif.


    Contactez l’Institut CyberPeace sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@CyberpeaceInst et@DuguinStephane sur Twitter.

  • TRAITÉ DES NATIONS UNIES SUR LA CYBERCRIMINALITÉ : « La société civile vérifie la véracité des arguments avancés par les États »

    IanTennantCIVICUS s’entretient avec Ian Tennant sur l’importance de la sauvegarde des droits humains dans le processus en cours d’élaboration d’un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité.

    Ian estle président de l’Alliance des ONG pour la prévention du crime et la justice pénale, un vaste réseau d’organisations de la société civile (OSC) qui fait progresser les questions de prévention du crime et de justice pénale en s’engageant dans les programmes et processus pertinents de l’ONU. Il dirige la représentation multilatérale de Vienne et le Fonds de résilience de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, une OSC mondiale dont le siège se trouve à Genève et qui se consacre à la recherche, à l’analyse et à l’engagement sur toutes les formes de criminalité organisée et de marchés illicites. Les deux organisations participent en tant qu’observateurs aux négociations du traité des Nations Unies sur la cybercriminalité.

    Pourquoi un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité est-il nécessaire ?

    Il n’y a pas de consensus sur la nécessité d’un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité. Depuis que la question a été soulevée officiellement pour la première fois lors du Congrès des Nations Unies sur la criminalité en 2010, les organes de l’ONU qui prennent par consensus des décisions liées à la cybercriminalité, notamment la Commission des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale (CCPCJ), n’ont pas pu s’accorder sur la nécessité de ce traité. En 2019, cette question a fait l’objet d’un vote à l’Assemblée générale de l’ONU. La résolution lançant le processus vers un traité a été adoptée avec un soutien minoritaire, en raison d’un grand nombre d’abstentions. Néanmoins, le processus progresse maintenant et des États membres de tous bords participent au débat.

    La polarisation des positions sur la nécessité du traité s’est traduite par une polarisation des points de vue sur l’étendue du traité : les pays favorables au traité demandent l’inclusion d’un large éventail de crimes cybernétiques, tandis que les pays opposés au traité demandent un traité étroitement ciblé sur les crimes cyberdépendants.

    Comment faire pour que le traité ne soit pas utilisé par des régimes répressifs pour réprimer la dissidence ?

    L’équilibre entre les mesures efficaces contre la cybercriminalité et les garanties en matière de droits humains est la question fondamentale qui doit être résolue dans le cadre du processus de négociation de ce traité et, pour l’instant, on ne sait pas très bien comment on y parviendra. Le moyen le plus efficace de s’assurer que le traité ne soit pas utilisé pour réprimer la dissidence et d’autres activités légitimes est de veiller à ce qu’il porte sur un ensemble clair de crimes cyberdépendants avec des garanties adéquates et claires en matière de droits humains présentes dans l’ensemble du traité.

    En l’absence d’un traité sur les droits numériques, ce traité doit fournir ces garanties et sauvegardes. Sinon, il existe un risque réel qu’en établissant un vaste régime de coopération sans garanties adéquates, le traité soit utilisé par certains États comme un outil d’oppression et de suppression de l’activisme, du journalisme et d’autres activités de la société civile. Or, celles-ci sont essentielles dans toute stratégie efficace de réponse et de prévention de la criminalité.

    Dans quelle mesure la société civile peut-elle contribuer au processus de négociation ?

    Les négociations du traité ont été ouvertes aux OSC pour qu’elles puissent contribuer au processus par le biais d’une approche qui ne permet pas aux États d’opposer leur veto à des OSC individuelles. Les OSC ont la possibilité d’apporter leur contribution à chaque point de l’ordre du jour, ainsi qu’aux réunions intersessions lors desquelles elles peuvent présenter et mener des discussions avec les États membres. Ce processus est, d’une certaine manière, un modèle que d’autres négociations de l’ONU pourraient suivre comme meilleure pratique.

    Les OSC, ainsi que le secteur privé, apportent des perspectives essentielles sur les impacts potentiels des propositions faites dans le cadre des négociations du traité, sur les questions pratiques, sur la protection des données et sur les droits humains. Fondamentalement, les OSC vérifient les faits et fournissent des preuves pour étayer ou contester les arguments avancés par les États membres lorsque des propositions sont faites et que des compromis potentiels sont discutés.

    Quels sont les progrès réalisés jusqu’à présent et quels ont été les principaux obstacles aux négociations ?

    Officiellement, le comité ad hoc n’a plus que deux réunions à tenir avant l’adoption du traité : une réunion aura lieu en août et l’autre au début de 2024. Le Comité a déjà tenu cinq réunions, au cours desquelles l’ensemble des questions et des projets de dispositions à inclure dans le traité ont été discutés. La prochaine étape consistera en l’élaboration d’un projet de traité par le président, qui sera ensuite débattu et négocié lors des deux prochaines réunions.

    Le principal obstacle a été l’existence de différences assez fondamentales dans les visions du traité, qui vont d’un traité large permettant l’incrimination et la coopération pour une gamme variée d’infractions à un traité étroit axé sur les crimes cyberdépendants. À cause de ces différences d’objectifs, le Comité a jusqu’à présent manqué d’une vision commune. Dans les mois à venir, c’est à cette vision que les négociations devront parvenir.

    Quelles sont les chances que la version finale du traité respecte les normes internationales en matière de droits humains tout en remplissant son objectif ?

    Cela dépend des négociateurs de toutes les parties et de la distance qu’ils sont prêts à parcourir pour parvenir à un accord : c’est cela qui déterminera si le traité a un impact significatif sur la cybercriminalité tout en restant fidèle aux normes internationales en matière de droits humains et à l’éthique générale des Nations Unies en matière de droits humains. Ce serait le résultat optimal, mais compte tenu de l’atmosphère et des défis politiques actuels, il sera difficile à atteindre.

    Il est possible que le traité soit adopté sans garanties adéquates et que, par conséquent, seul un petit nombre de pays le ratifie. Cela non seulement diminuerait son utilité, mais également ferait porter les risques en matière de droits sur les seuls pays signataires. Il est également possible que le traité contienne des normes très élevées en matière de droits humains, mais que, là encore, peu de pays le ratifient, ce qui limiterait son utilité pour la coopération mais neutraliserait les risques qu’il présente pour les droits humains.


    Contactez l’Alliance des ONG pour la prévention du crime et la justice pénale sur sonsite web et suivez@GI_TOC et@IanTennant9 sur Twitter.

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