gouvernance

  • BURUNDI : « L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement »

    CarinaTertsakianCIVICUS s’entretient avecCarina Tertsakian, co-fondatrice de l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB), à proposde la répression au Burundi de la société civile et des défenseurs des droits humains, ainsi que des droits des personnes LGBTQI+.

    L’IDHB était une initiative indépendante qui, depuis la mi-2019 jusqu’en décembre 2023, travaillait en coopération avec un éventail de personnes à l’intérieur comme à l’extérieur du Burundi pourdocumenter la situation des droits humains et plaider en faveur des droits humains.

     

    La situation des droits humains au Burundi s’est-elle améliorée ?

    Le bilan global du Burundi en matière de droits humains n’a guère évolué depuis l’entrée en fonction du président Évariste Ndayishimiye en 2020. À l’époque, les gens avaient de grands espoirs parce que le nouveau président avait un passé moins sanglant que son prédécesseur. Mais la protection des droits civils et politiques n’a pas progressé. Les autorités ont continué d’arrêter, de poursuivre, de maltraiter et parfois de torturer des personnes pour des raisons politiques. Parmi les personnes arrêtées figurent des activistes, des journalistes et des membres de l’opposition.

    Alors même que les formes les plus graves de violations des droits, telles que les assassinats politiques et les disparitions forcées, ont diminué, des défenseurs des droits humains et des journalistes se font arrêter arbitrairement seulement en raison de leur participation à des activités de défense des droits humains ou de leur affiliation à des organisations de la société civile (OSC) indépendantes. Ils sont généralement accusés de porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou à l’intégrité territoriale, entre autres accusations sans fondement.

    Quelles sont les conditions de vie des personnes LGBTQI+ au Burundi ?

    En août 2023, 24 personnes ont été arrêtées pour leur présumée implication dans des organisations d’aide aux personnes LGBTQI+. Certaines ont été acquittées ou mises en liberté, tandis que d’autres ont été condamnées. Un des activistes acquittés est décédé avant d’être libéré. L’affaire est en cours et attire l’attention sur le problème sous-jacent plus large de la criminalisation de l’homosexualité au Burundi.

    Il est pratiquement impossible de s’identifier ouvertement en tant qu’activiste LGBTQI+ au Burundi. Si certaines organisations mènent des activités de soutien aux personnes LGBTQI+, elles évitent de s’identifier explicitement comme des organisations LGBTQI+. Les 24 personnes arrêtées, par exemple, avaient participé à une formation sur la sensibilisation et la prévention du VIH/sida.

    Dans son récent discours de fin d’année, le président Ndayishimiye a vilipendé les personnes LGBTQI+, qualifiant l’homosexualité de péché et encourageant la lapidation publique de ceux qui sont perçus comme des « homosexuels ». Cette horrible déclaration a alimenté la rhétorique de la haine en ligne mais, au moins, elle a été vivement critiquée par une OSC burundaise et plusieurs éminents activistes en exil – ce qui est extrêmement difficile à faire à l’intérieur du Burundi.

    Dans quelle mesure les organisations de défense des droits humains peuvent-elles effectuer leur travail au Burundi ?

    En 2015, une importante crise politique et des droits humains a éclaté au Burundi, marquée par une violente répression de la société civile, en particulier des détracteurs et des personnes soupçonnées de s’opposer au gouvernement. En conséquence, des dirigeants de grandes organisations de défense des droits humains ont fui le pays et demeurent en exil. Certains ont été inculpés et condamnés par contumace, notamment à l’emprisonnement à perpétuité.

    L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement au Burundi. Depuis 2015, les activistes qui s’attaquent à des questions politiquement sensibles font l’objet de menaces directes et ne peuvent pas travailler librement dans le pays. Même ceux qui étaient auparavant affiliés à des organisations de défense des droits humains qui n’opèrent plus au Burundi continuent de faire l’objet d’arrestations.

    Les activistes qui défendent les droits économiques et sociaux subissent comparativement moins de pressions. Certaines OSC travaillant sur les questions de lutte contre la corruption et de bonne gouvernance ont été plus ou moins autorisées à fonctionner, bien que le gouvernement ait parfois entravé leurs activités, par exemple en perturbant ou en interdisant les conférences de presse.

    Les activistes burundais ont-ils trouvé la sécurité dans l’exil ?

    Les activistes en exil basés en Europe ou au Canada sont relativement en sécurité, tandis que ceux qui se trouvent au Rwanda peuvent subir des pressions supplémentaires. En 2015, alors que de nombreux journalistes et défenseurs des droits humains ont fui, le gouvernement burundais a interdit ou suspendu leurs organisations et fermé plusieurs stations de radio indépendantes. Certains journalistes en exil ont créé des stations de radio à l’étranger, principalement au Rwanda.

    Le gouvernement burundais a profité de l’amélioration récente des relations avec le Rwanda pour faire pression sur le pays hôte afin qu’il fasse taire ces journalistes ou qu’il les renvoie. Le gouvernement rwandais a lancé un ultimatum à certains de ces journalistes, leur imposant de se taire ou de partir, ce qui a contraint certains d’entre eux à cesser leurs activités au Rwanda et à se réinstaller ailleurs. Certains de ces journalistes, comme d’autres défenseurs des droits humains plus largement, étaient entre ceux qui ont été jugés et condamnés par contumace.

    Quelles sont vos principales demandes au gouvernement burundais ?

    La société civile burundaise demande au gouvernement de lever les restrictions sur l’espace civique, afin de permettre aux défenseurs des droits humains, aux journalistes et aux autres voix indépendantes de s’exprimer librement sans harcèlement. Nous soutenons ces demandes.

    Tout d’abord, le gouvernement doit libérerFloriane Irangabiye, une journaliste condamnée à 10 ans de prison en mai 2023. Cinq autres défenseurs des droits humains avaient été inculpés et jugés avant cela, en avril. Ils avaient été ciblés par le gouvernement en raison de leur association avec une organisation internationale non approuvée par le régime, et accusés de recevoir illégalement des fonds. Bien qu’ils aient été mis en liberté au bout de deux mois grâce à la pression internationale, certains d’entre eux ont reçu des condamnations de peine avec sursis. On appelle donc à ce que toutes les poursuites à leur encontre soient abandonnées. 

    La sécurité des activistes exilés doit également être assurée avant qu’ils ne puissent rentrer, ce qui nécessite la levée de leur peine. Tant que les défenseurs des droits humains continueront à faire l’objet de condamnations par contumace, il y aura des obstacles importants à toute forme d’activisme en faveur des droits humains au Burundi. Nous demandons également au gouvernement de révoquer les interdictions et les suspensions imposées aux OSC depuis 2015.

    Bien que le gouvernement prétende que le Burundi est une démocratie, ce n’est certainement pas le cas. S’il l’était, les critiques seraient permises et les activités des défenseurs des droits humains ne seraient pas criminalisées.

    Quel soutien les activistes burundais des droits humains reçoivent-ils de la part de leurs alliés internationaux, et de quoi ont-ils encore besoin ?

    Lorsque les pays de l’Union européenne, les États-Unis et d’autres gouvernements font part de leurs préoccupations concernant les violations flagrantes des droits humains au Burundi, notamment par l’intermédiaire de leurs ambassades dans le pays, cela fait vraiment la différence. Bien qu’il faille parfois des années pour obtenir la libération d’un défenseur des droits humains, l’intensification de la pression internationale s’est avérée efficace.

    Il reste trop peu de groupes indépendants de défense des droits humains au Burundi, et il est difficile d’apporter un soutien international à des entités pratiquement inexistantes. Ceux qui sont encore actifs sont pour la plupart des activistes individuels, qui peuvent difficilement être soutenus par les donateurs. Une exception notable est le journal indépendant Iwacu, qui poursuit son travail malgré les contraintes qui lui sont imposées. Nous encourageons les donateurs à maintenir leur soutien à ce média, qui représente l’une des dernières voix indépendantes au Burundi.

    Les organisations de défense des droits humains opérant depuis l’exil ont besoin d’un soutien continu et pourraient développer leur travail si elles disposaient d’un financement plus durable. Il est difficile de travailler depuis l’étranger. Après plusieurs années d’exil, les activistes commencent à se sentir déconnectés et démotivés car ils ne voient pas les choses changer.


    L’espace civique au Burundi est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

  • HAÏTI : « La société civile doit s’impliquer car les acteurs politiques ne peuvent pas trouver de solution à nos problèmes »

    Monique ClescaCIVICUSéchange avec Monique Clesca, journaliste, défenseuse de la démocratie et membre de la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise (CRSC), à propos de la crise actuelle en Haïti et des appels à l’intervention étrangère.

    La CRSC, également connue sous le nom de Groupe Montana, est un groupe d’organisations et de leaders civiques, religieux et politiques qui se sont réunis au début de l’année 2021. Le groupe a promu l’Accord de Montana à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. Cet accord mettait en place un gouvernement provisoire de deux ans pour succéder à Ariel Henry, le Premier ministre par intérim. De plus, il prévoyait l’organisation d’élections dès que possible, ainsi qu’une feuille de route pour réduire l’insécurité, faire face à la crise humanitaire et répondre aux demandes de justice sociale. Le Bureau de suivi de l’Accord de Montana continue d’assurer le suivi de cette feuille de route.

    Quelles sont les causes de la crise actuelle en Haïti ?

    Les gens semblent associer la crise à l’assassinat du président Moïse, mais elle a commencé bien avant en raison de plusieurs problèmes sous-jacents. Il s'agit certes d'une crise politique, mais plus profondément on fait face à une crise sociale. Depuis de nombreuses décennies, la majorité de la population haïtienne subit les effets de profondes inégalités. Les écarts sont énormes en termes de santé et d’éducation, d’où la nécessité de justice sociale. Le problème va bien au-delà des questions politiques, constitutionnelles et humanitaires les plus visibles.

    Au cours de la dernière décennie, différents gouvernements ont tenté de saper les institutions de l’État afin de faire prévaloir un système corrompu : il n’y a pas eu d’élections transparentes ni d’alternance, avec trois gouvernements successifs du même parti politique. L’ancien président Michel Martelly a reporté à deux reprises les élections présidentielles, gouvernant par décret pendant plus d’un an. En 2016, des allégations de fraude ont été soulevées contre Moïse, son successeur, qui a dissous le Parlement pendant son mandat sans jamais organiser des élections. Il a aussi révoqué plusieurs juges de la Cour suprême et a politisé la police.

    Il a également proposé un référendum constitutionnel, qui a été reporté à plusieurs reprises et qui est clairement inconstitutionnel. La Constitution de 1987 énonce les modalités du droit d'amendement, donc en tentant de la réécrire, Moïse a choisi la voie anticonstitutionnelle.

    Lorsque Moïse a été tué, Haïti faisait déjà face à la faiblesse des institutions, à la corruption massive, et à l’absence d’élections et de renouvellement de la classe politique qu’il avait accentué.À la suite de son assassinat la situation s’est encore aggravée, car à l'absence du Président s'ajoutait le manque d’opérationnalité de l'organe judiciaire et législatif. Nous avons connu, et continuons de connaître, une véritable crise constitutionnelle.

    Ariel Henry, l’actuel Premier ministre par intérim, n’a clairement aucun mandat. Moïse l’a nommé Premier ministre successeur deux jours avant son décès, sans même laisser une lettre de nomination signée.

    Qu’a proposé le Groupe Montana pour sortir de cette crise ?

    En début 2021 le Groupe Montana s’est fondé sur l'idée que la société civile devait s’impliquer car les acteurs politiques ne pouvaient pas trouver de solution aux problèmes d’Haïti. Un forum de la société civile a donc formé une commission qui a travaillé pendant six mois pour créer un dialogue et tenter de dégager un consensus en s’adressant à tous les acteurs politiques, ainsi qu’aux organisations de la société civile. Grâce à toutes ces contributions, nous avons abouti à un projet d’accord qui a été finalisé et signé par près d’un millier d’organisations et de citoyens : l’Accord de Montana.

    Nous avons élaboré un plan composé de deux parties : d'une part un plan de gouvernance et d'autre part une feuille de route pour la justice sociale et l’aide humanitaire, qui a été signée dans le cadre de l’accord. Pour obtenir un consensus avec une participation plus large, nous avons proposé la création d’un organe de contrôle qui jouerait le rôle du pouvoir législatif et d’un pouvoir judiciaire intérimaire pendant la transition. Une fois qu’Haïti aura organisé des élections transparentes, il y aura un organe législatif dûment élu et le gouvernement pourra passer par le processus constitutionnel pour nommer le plus haute juridiction, la Cour suprême. Tel est le modèle de gouvernance que nous avons envisagé pour la transition, dans une tentative de rapprochement à l’esprit de la Constitution haïtienne.

    Au début de l’année, nous avions rencontré plusieurs fois Henry afin d’entamer des négociations avec lui et ses alliés. À un moment donné, il nous a dit qu’il n’avait pas l’autorité pour négocier. Il a donc fermé la porte aux négociations.

    Quels sont les défis à relever pour organiser des élections dans le contexte actuel ?

    Le principal défi est l’insécurité généralisée. Les gangs terrorisent la population. Les enlèvements ainsi que les assassinats sont monnaie courante. Les gens ne peuvent pas sortir de chez eux : ils ne peuvent pas aller à la banque, dans les magasins, ni même à l’hôpital. Les enfants ne peuvent pas aller à l’école : la rentrée était prévue pour septembre, puis a été reportée jusqu’à octobre, et maintenant le gouvernement n'annonce même pas quand elle aura lieu. En outre, il y a une situation humanitaire désastreuse en Haïti, qui s’est d'autant plus aggravée avec le blocage du Terminal Varreux, le principal terminal pétrolier de Port-au-Prince. Cet événement a eu un impact sur l’alimentation en électricité et la distribution d’eau, et donc sur l’accès de la population aux biens et services de base. Au milieu d’une épidémie de choléra, les établissements de santé ont été contraints de réduire leurs services ou bien de fermer leurs portes complètement.

    Il y a aussi une polarisation politique et une méfiance généralisée. Les gens se méfient non seulement des politiciens, mais aussi les uns des autres.

    En raison de la pression politique et de l’activité des gangs, les mobilisations citoyennes ont été inconstantes. Or depuis fin août, des manifestations massives ont été organisées pour demander la démission d’Ariel Henry. Les gens ont également manifesté contre la hausse des prix du carburant, les pénuries et la corruption. Ils ont aussi clairement rejeté toute intervention militaire étrangère.

    Quelle est votre position concernant l’appel du Premier ministre à une intervention étrangère ?

    Henry n’a aucune légitimité pour demander une intervention militaire. La communauté internationale peut aider, mais ne peut pas prendre la décision d’intervenir ou pas. Nous devons d’abord avoir une transition politique de deux ans avec un gouvernement crédible. Nous avons des idées, mais à ce stade nous avons besoin de voir cette transition.


    L’espace civique en Haïti est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise via sa pageFacebook, et suivez@moniclesca sur Twitter.

  • INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : « Il doit y avoir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des droits »

    NadiaBenaissaCIVICUS parle avec Nadia Benaissa, conseillère en politique juridique chez Bits of Freedom, sur les risques que l’intelligence artificielle (IA) fait peser sur les droits humains et sur le rôle que joue la société civile dans l’élaboration d’un cadre juridique pour la gouvernance de l’IA.

    Fondée en 2000, Bits of Freedom est une organisation de la société civile (OSC) néerlandaise qui vise à protéger les droits à la vie privée et à la liberté de communication en influençant la législation et la politique en matière de technologies, en donnant des conseils politiques, en sensibilisant et en entreprenant des actions en justice. Bits of Freedom a également participé aux négociations de la loi de l’Union européenne sur l’IA.

    Quels risques l’IA fait-elle peser sur les droits humains ?

    L’IA présente des risques importants car elle peut exacerber des inégalités sociales préexistantes et profondément ancrées. Les droits à l’égalité, à la liberté religieuse, à la liberté d’expression et à la présomption d’innocence figurent parmi les droits touchés.

    Aux Pays-Bas, nous avons recensé plusieurs cas de systèmes algorithmiques violant les droits humains. L’un de ces cas est le scandale des allocations familiales, dans lequel les parents recevant des allocations pour la garde de leurs enfants ont été injustement ciblés et profilés. Le profilage a surtout touché les personnes racisées, les personnes à faible revenu et les musulmans, que l’administration fiscale a faussement accusés de fraude. Cette situation a entraîné la suspension des allocations pour certains parents et prestataires de soins, ainsi que des enquêtes hostiles sur leurs cas, ce qui a eu de graves répercussions financières.

    Un autre exemple est le programme de prévention de la criminalité ‘Top400' mis en œuvre dans la municipalité d’Amsterdam, qui profile des mineurs et des jeunes afin d’identifier les 400 personnes les plus susceptibles de commettre des délits. Cette pratique affecte de manière disproportionnée les enfants des classes populaires et les enfants non-blancs, car le système se concentre géographiquement sur les quartiers à faibles revenus et les quartiers de migrants.

    Dans ces cas, le manque d’éthique dans l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle a entraîné une immense détresse pour les personnes concernées. Le manque de transparence dans la manière dont les décisions automatisées ont été prises n’a fait qu’accroître les difficultés dans la quête de justice et de redevabilité. De nombreuses victimes ont eu du mal à prouver les préjugés et les erreurs du système.

    Existe-t-il des tentatives en cours pour réglementer l’IA ?

    Un processus est en cours au niveau européen. En 2021, la Commission européenne (CE) a proposé un cadre législatif, la loi sur l’IA de l’Union européenne (UE), pour répondre aux défis éthiques et juridiques associés aux technologies de l’IA. L’objectif principal de la loi sur l’IA de l’UE est de créer un ensemble complet de règles régissant le développement, le déploiement et l’utilisation de l’IA dans les États membres de l’UE. Elle cherche à maintenir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des valeurs et des droits fondamentaux.

    Il s’agit d’une occasion unique pour l’Europe de se distinguer en donnant la priorité à la protection des droits humains dans la gouvernance de l’IA. Cependant, la loi n’a pas encore été approuvée. Une version a été adoptée par le Parlement européen en juin, mais il reste encore un débat final - un « trilogue » - à mener entre la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen. La Commission européenne s’efforce d’achever le processus d’ici la fin de l’année afin qu’il puisse être soumis à un vote avant les élections européennes de 2024.

    Ce trilogue a des défis considérables à relever pour parvenir à une loi sur l’IA complète et efficace. Les questions controversées abondent, y compris les définitions de l’IA et les catégories à haut risque, ainsi que les mécanismes de mise en œuvre et d’application.

    Qu’est-ce que la société civile, y compris Bits of Freedom, apporte à la table des négociations ?

    Alors que les négociations sur la loi se poursuivent, une coalition de 150 OSC, dont Bits of Freedom, demande instamment à la CE, au Conseil et au Parlement d’accorder la priorité aux personnes et à leurs droits fondamentaux.

    Aux côtés d’autres groupes de la société civile, nous avons activement collaboré à la rédaction d’amendements et participé à de nombreuses discussions avec des membres des parlements européen et néerlandais, des décideurs politiques et diverses parties prenantes. Nous avons fermement insisté sur des interdictions concrètes et solides, telles que celles concernant l’identification biométrique et la police prédictive. En outre, nous avons souligné l’importance de la transparence, de la redevabilité et d’un mécanisme de réparation efficace dans le contexte de l’utilisation des systèmes d’IA.

    Nous avons obtenu des résultats significatifs en matière de plaidoyer, notamment l’interdiction de l’identification biométrique en temps réel et a posteriori, une meilleure formulation des interdictions, des évaluations obligatoires de l’impact sur les droits fondamentaux, la reconnaissance de droits supplémentaires en matière de transparence, de redevabilité et de réparation, et la création d’une base de données obligatoire sur l’IA.

    Mais nous reconnaissons qu’il y a encore du travail à faire. Nous continuerons à faire pression pour obtenir la meilleure protection possible des droits humains et à nous concentrer sur les demandes formulées dans notre déclaration au trilogue de l’UE. Celles-ci tendent vers l’établissement d’un cadre de redevabilité, de transparence, d’accessibilité et de réparation pour les personnes touchées par ces enjeux, et à la fixation des limites à la surveillance préjudiciable et discriminatoire exercée par les autorités nationales chargées de la sécurité, de l’application de la loi et de l’immigration. Elles s’opposent ainsi au lobbying des grandes entreprises technologiques en supprimant les lacunes qui sapent la réglementation.

    Le chemin vers une réglementation complète et efficace de l’IA est en cours, et nous restons déterminés à poursuivre nos efforts pour faire en sorte que le cadre législatif final englobe nos demandes essentielles. Ensemble, nous visons à créer un environnement réglementaire en matière d’IA qui donne la priorité aux droits humains et protège les personnes.


    Contactez Bits of Freedom sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@bitsoffreedom sur Twitter.

  • TRAITÉ DES NATIONS UNIES SUR LA CYBERCRIMINALITÉ : « La société civile vérifie la véracité des arguments avancés par les États »

    IanTennantCIVICUS s’entretient avec Ian Tennant sur l’importance de la sauvegarde des droits humains dans le processus en cours d’élaboration d’un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité.

    Ian estle président de l’Alliance des ONG pour la prévention du crime et la justice pénale, un vaste réseau d’organisations de la société civile (OSC) qui fait progresser les questions de prévention du crime et de justice pénale en s’engageant dans les programmes et processus pertinents de l’ONU. Il dirige la représentation multilatérale de Vienne et le Fonds de résilience de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, une OSC mondiale dont le siège se trouve à Genève et qui se consacre à la recherche, à l’analyse et à l’engagement sur toutes les formes de criminalité organisée et de marchés illicites. Les deux organisations participent en tant qu’observateurs aux négociations du traité des Nations Unies sur la cybercriminalité.

    Pourquoi un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité est-il nécessaire ?

    Il n’y a pas de consensus sur la nécessité d’un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité. Depuis que la question a été soulevée officiellement pour la première fois lors du Congrès des Nations Unies sur la criminalité en 2010, les organes de l’ONU qui prennent par consensus des décisions liées à la cybercriminalité, notamment la Commission des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale (CCPCJ), n’ont pas pu s’accorder sur la nécessité de ce traité. En 2019, cette question a fait l’objet d’un vote à l’Assemblée générale de l’ONU. La résolution lançant le processus vers un traité a été adoptée avec un soutien minoritaire, en raison d’un grand nombre d’abstentions. Néanmoins, le processus progresse maintenant et des États membres de tous bords participent au débat.

    La polarisation des positions sur la nécessité du traité s’est traduite par une polarisation des points de vue sur l’étendue du traité : les pays favorables au traité demandent l’inclusion d’un large éventail de crimes cybernétiques, tandis que les pays opposés au traité demandent un traité étroitement ciblé sur les crimes cyberdépendants.

    Comment faire pour que le traité ne soit pas utilisé par des régimes répressifs pour réprimer la dissidence ?

    L’équilibre entre les mesures efficaces contre la cybercriminalité et les garanties en matière de droits humains est la question fondamentale qui doit être résolue dans le cadre du processus de négociation de ce traité et, pour l’instant, on ne sait pas très bien comment on y parviendra. Le moyen le plus efficace de s’assurer que le traité ne soit pas utilisé pour réprimer la dissidence et d’autres activités légitimes est de veiller à ce qu’il porte sur un ensemble clair de crimes cyberdépendants avec des garanties adéquates et claires en matière de droits humains présentes dans l’ensemble du traité.

    En l’absence d’un traité sur les droits numériques, ce traité doit fournir ces garanties et sauvegardes. Sinon, il existe un risque réel qu’en établissant un vaste régime de coopération sans garanties adéquates, le traité soit utilisé par certains États comme un outil d’oppression et de suppression de l’activisme, du journalisme et d’autres activités de la société civile. Or, celles-ci sont essentielles dans toute stratégie efficace de réponse et de prévention de la criminalité.

    Dans quelle mesure la société civile peut-elle contribuer au processus de négociation ?

    Les négociations du traité ont été ouvertes aux OSC pour qu’elles puissent contribuer au processus par le biais d’une approche qui ne permet pas aux États d’opposer leur veto à des OSC individuelles. Les OSC ont la possibilité d’apporter leur contribution à chaque point de l’ordre du jour, ainsi qu’aux réunions intersessions lors desquelles elles peuvent présenter et mener des discussions avec les États membres. Ce processus est, d’une certaine manière, un modèle que d’autres négociations de l’ONU pourraient suivre comme meilleure pratique.

    Les OSC, ainsi que le secteur privé, apportent des perspectives essentielles sur les impacts potentiels des propositions faites dans le cadre des négociations du traité, sur les questions pratiques, sur la protection des données et sur les droits humains. Fondamentalement, les OSC vérifient les faits et fournissent des preuves pour étayer ou contester les arguments avancés par les États membres lorsque des propositions sont faites et que des compromis potentiels sont discutés.

    Quels sont les progrès réalisés jusqu’à présent et quels ont été les principaux obstacles aux négociations ?

    Officiellement, le comité ad hoc n’a plus que deux réunions à tenir avant l’adoption du traité : une réunion aura lieu en août et l’autre au début de 2024. Le Comité a déjà tenu cinq réunions, au cours desquelles l’ensemble des questions et des projets de dispositions à inclure dans le traité ont été discutés. La prochaine étape consistera en l’élaboration d’un projet de traité par le président, qui sera ensuite débattu et négocié lors des deux prochaines réunions.

    Le principal obstacle a été l’existence de différences assez fondamentales dans les visions du traité, qui vont d’un traité large permettant l’incrimination et la coopération pour une gamme variée d’infractions à un traité étroit axé sur les crimes cyberdépendants. À cause de ces différences d’objectifs, le Comité a jusqu’à présent manqué d’une vision commune. Dans les mois à venir, c’est à cette vision que les négociations devront parvenir.

    Quelles sont les chances que la version finale du traité respecte les normes internationales en matière de droits humains tout en remplissant son objectif ?

    Cela dépend des négociateurs de toutes les parties et de la distance qu’ils sont prêts à parcourir pour parvenir à un accord : c’est cela qui déterminera si le traité a un impact significatif sur la cybercriminalité tout en restant fidèle aux normes internationales en matière de droits humains et à l’éthique générale des Nations Unies en matière de droits humains. Ce serait le résultat optimal, mais compte tenu de l’atmosphère et des défis politiques actuels, il sera difficile à atteindre.

    Il est possible que le traité soit adopté sans garanties adéquates et que, par conséquent, seul un petit nombre de pays le ratifie. Cela non seulement diminuerait son utilité, mais également ferait porter les risques en matière de droits sur les seuls pays signataires. Il est également possible que le traité contienne des normes très élevées en matière de droits humains, mais que, là encore, peu de pays le ratifient, ce qui limiterait son utilité pour la coopération mais neutraliserait les risques qu’il présente pour les droits humains.


    Contactez l’Alliance des ONG pour la prévention du crime et la justice pénale sur sonsite web et suivez@GI_TOC et@IanTennant9 sur Twitter.

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