À l’attention des Représentants permanents des États Membres et Observateurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Genève (Suisse)
Il faut renouveler le mandat de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud
Madame, Monsieur le Représentant permanent,
Nous, les organisations non gouvernementales soussignées, vous écrivons afin d’exhorter votre délégation à soutenir le renouvellement du mandat de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud (ci-après « la Commission ») dans son intégralité. Les débats à ce sujet auront lieu lors de la 49ème session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (« le CDH » ou « le Conseil »), qui se tiendra du 28 février au 1er avril 2022.
La Commission est le seul mécanisme ayant pour mandat de recueillir et de conserver des éléments de preuve concernant les violations du droit international humanitaire et des droits humains commises au Soudan du Sud, dans une perspective de reddition des comptes, et qui aborde les questions relatives aux droits humains et à la justice transitionnelle de façon globale. Son travail demeure crucial alors que le pays se prépare à des élections générales, prévues pour 2023, que les violences demeurent généralisées, et que la société civile sud-soudanaise fait face à une répression croissante.
En 2021, le Conseil a adopté deux résolutions sur le Soudan du Sud. Pour la première fois, la résolution renouvelant le mandat de la Commission[1] n’a pas fait l’objet d’un consensus. À la demande du Gouvernement sud-soudanais, un vote a été organisé. Le même jour, une seconde résolution, orientée vers l’assistance technique et le renforcement de capacités[2], a été adoptée. Si cet état de fait, qui a abouti à l’organisation de deux fois plus de débats lors des 48ème et 49ème sessions du Conseil, ne doit pas être considéré comme un précédent, nous soulignons qu’une fusion éventuelle ne devrait pas se produire aux dépens d’un mandat d’enquête robuste.
Les victimes devraient disposer de la possibilité d’obtenir justice pour les crimes de droit international commis. La poursuite du travail de la Commission est le meilleur moyen de préserver les chances de reddition des comptes en l’absence de poursuites pénales à l’heure actuelle, et au moins jusqu’à ce que le Tribunal mixte pour le Soudan du Sud (HCSS, selon l’acronyme anglais) soit fonctionnel.
Via sa résolution 46/23, le Conseil a réaffirmé l’importance du mandat de la Commission et reconnu qu’il est « essentiel de faire des progrès manifestes dans les principaux domaines de préoccupation relatifs aux droits de l’homme avant de procéder à toute modification du mandat de la Commission »[3]. Malheureusement, de tels progrès manifestes n’ont été rapportés ni par la Commission, ni par le Bureau de la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH), ni par d’autres acteurs indépendants, y compris dans le cadre de la seconde voie ouverte par le Conseil, liée à la résolution 46/29[4].
Nos organisations ont continué de suivre la situation avec inquiétude, alors que les autorités ont lancé une nouvelle vague de répression contre les manifestants pacifiques[5], continué de harceler la société civile[6], et perpétré au moins 52 exécutions extrajudiciaires[7]. Les droits économiques et sociaux sont gravement compromis, et le détournement de fonds publics alimente les violations de ces droits[8]. L’impunité et de hauts niveaux de violence persistent. Il peut notamment être fait état d’une attaque par des groupes armés à l’encontre de civils, longue de cinq mois, perpétrée dans l’État de l’Équatoria-Occidental et qui a tué des dizaines de personnes et mené au déplacement de milliers d’autres[9].
Lorsqu’elles ont signé l’Accord de paix de 2015, et plus récemment l’Accord revitalisé sur le règlement du conflit en République du Soudan du Sud de 2018 (R-ARCSS, selon l’acronyme anglais), les parties au conflit se sont engagées à garantir que justice soit rendue eu égard aux crimes de droit international et aux violations et atteintes aux droits humains. L’Union africaine et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) ont soutenu cette approche. Pour leur part, les organes africains de protection des droits humains ont appelé les parties à mettre en œuvre le Chapitre V de l’Accord de règlement du conflit[10], dans lequel les parties se sont engagées à mettre sur pied un Tribunal mixte, une commission vérité et une autorité en charge des réparations. En dépit de ces obligations et des nombreux engagements pris par les parties, aucun de ces mécanismes n’a vu le jour.
* * *
Le temps n’est pas venu pour le Conseil de modifier son approche ou de relâcher son attention. Le mandat de la Commission demeure crucial. Il devrait se prolonger jusqu’à ce que des progrès manifestes, mesurables par le biais d’indicateurs en termes de droits humains et de reddition des comptes, et sur la base d’une évaluation des facteurs de risque de violations supplémentaires, soit constatés. À cet égard, le Cadre d’analyse des atrocités criminelles[11], y compris ses facteurs de risque, est un outil essentiel.
Le Conseil devrait permettre à la Commission de poursuivre son travail en lien avec tous les aspects de son mandat : enquête, recueil et conservation de preuves, suivi et possibilité de faire rapport sur la situation, coopération technique, et formulation d’orientations sur les questions liées à la justice transitionnelle. Jusqu’à ce que le Tribunal mixte pour le Soudan du Sud soit opérationnel et fonctionnel, le Conseil devrait s’assurer du renouvellement du mandat de la Commission afin de garantir le recueil et la conservation de preuves concernant les graves crimes commis depuis 2013, au nom des victimes et en vue de communiquer les informations pertinentes à des mécanismes judiciaires compétents à l’avenir.
Toute demande d’assistance technique ou de renforcement de capacités formulée par le Soudan du Sud peut être – et est déjà – satisfaite dans le cadre de la résolution annuelle renouvelant le mandat de la Commission. Toutefois, une focalisation unique sur les aspects d’assistance technique et de renforcement des capacités, telle que formulée dans la résolution 46/29 adoptée en 2021, serait inadéquate, car inapte à relever les nombreux et graves défis rencontrés par le Soudan du Sud. Une telle focalisation risquerait en outre d’encourager les responsables des crimes les plus graves dans leur impunité.
Dans ce contexte, nous réitérons les recommandations précédemment formulées par la société civile[12] et exhortons le Conseil à poursuivre son action résolue concernant le Soudan du Sud en renouvelant le mandat de la Commission dans son intégralité, pour une année supplémentaire.
Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ces préoccupations et nous tenons prêts à fournir à votre délégation toute information supplémentaire. Nous vous prions de croire, Madame, Monsieur le Représentant permanent, en l’assurance de notre haute considération.
- Action 54, South Sudan
- Action for Community Education and Development (ACEDO South Sudan)
- African Child Care Network (ACCN)
- AfricanDefenders (Réseau panafricain des défenseurs des droits humains)
- Amnesty International
- Anika Women Association (AWA) – Soudan du Sud
- Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA)
- Assistance Mission for Africa (AMA)
- Center for Inclusive Governance Peace and Justice (CGPJ) – Soudan du Sud
- Center for Peace and Advocacy (CPA) – Soudan du Sud
- Center for Reproductive Rights
- Centre africain pour la démocratie et les études des droits de l’Homme (ACDHRS)
- Centre for Human Rights and Democracy (CHRD) – Soudan du Sud
- Centre mondial pour la responsabilité de protéger (GCR2P)
- Centre pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique (CHRDA) – Cameroun
- CIVICUS : Alliance mondiale pour la participation citoyenne
- Club national de la presse du Soudan du Sud (NPC-SS)
- Coalition béninoise des défenseurs des droits humains (CDDH-Bénin)
- Coalition burkinabè des défenseurs des droits humains (CBDDH)
- Coalition burundaise des défenseurs des droits de l’homme (CBDDH)
- Coalition ivoirienne des défenseurs des droits humains (CIDDH)
- Commission internationale de juristes
- Committee for Justice (CFJ)
- Community Empowerment for Progress Organization (CEPO) – Soudan du Sud
- Community Empowerment for Rehabilitation and Development (CEFoRD) – Soudan du Sud
- Community Initiative for Partnership and Development (CIPAD)
- Community Initiative Support Program (CISP) – Soudan du Sud
- Community Organization for Peer Educators (COPE) – Soudan du Sud
- DefendDefenders (Projet des défenseurs des droits humains de l’Est et de la Corne de l’Afrique)
- FIDH (Fédération internationale pour les droits humains)
- Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC) – Burundi
- Genève pour les Droits de l’Homme / Geneva for Human Rights
- Humanitarian Development Organization (HDO) – Soudan du Sud
- Human Rights Defenders Network – Sierra Leone
- Human Rights Defenders Solidarity Network Uganda – Ouganda
- Human Rights House Foundation
- Human Rights Watch
- Institut du Caire pour l’étude des droits de l’Homme (CIHRS)
- International Bar Association’s Human Rights Institute (IBAHRI)
- Islamic Development and Relief Agency (IDRA) – Soudan du Sud
- Itkwa Women Empowerment Organization (IWEO) – Soudan du Sud
- Joint Border Peace Development Agency (JBPDA) – Soudan du Sud
- Lawyers’ Rights Watch Canada
- Ma’Mara Sakit Village
- Men Engage Gender Equality Network (MEGEN) – Soudan du Sud
- Mouvement international contre toutes les formes de discrimination et de racisme (IMADR)
- Nile Initiative for Development (NID)
- Nile Sisters Development Initiative Organization (NSDIO)
- Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
- Pan African Peacemakers Alliance (PAPA)
- People’s Demands Organization (PEDO) – Soudan du Sud
- Protection International Africa
- Réseau burkinabè des femmes défenseures des droits humains (RB-FDDH)
- Réseau des citoyens probes (RCP) – Burundi
- Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC)
- Réseau des défenseurs des droits humains au Soudan du Sud (SSHRDN)
- Réseau de solidarité des défenseurs des droits humains – RDC
- Réseau nigérien des défenseurs des droits humains (RNDDH)
- Réseau ouest africain des défenseurs des droits humains (ROADDH)
- Rights for Peace
- Rural and Urban Development Agency (RUDA) – Soudan du Sud
- Safe Orphans Charity Organizations (SOCO) – Soudan du Sud
- Service international pour les droits humains (SIDH/ISHR)
- Southern Africa Human Rights Defenders Network (Southern Defenders)
- South Sudan Action Network on Small Arms (SSANSA)
- South Sudan Women Empowerment Network (SSWEN)
- SOWETO Community Based Organization
- Support Peace Initiative Development Organization (SPIDO) – Soudan du Sud
- The Advocates for Human Rights and Democracy (TAHURID)
- The Sentry
- Union des journalistes du Soudan du Sud (UJOSS)
- Voices in Advocacy for Development – Uganda
- War Widow and Orphans Association (WWOA) – Soudan du Sud
- Wider Aid and Development Agency (WADA) – Soudan du Sud
- Women Action for and with Society (WAS) – Soudan du Sud
- Women Empowerment Entrepreneurship Coaching (WEEC) – Soudan du Sud
- Women Training and Promotion (WOTAP) – Soudan du Sud
- Yei Women Peace Forum
- Youth Forum for Social Justice – Uganda
- Youth Vision South Sudan (YVSS)
[1] Résolution 46/23, disponible via : https://undocs.org/fr/A/HRC/RES/46/23
[2] Résolution 46/29, disponible via : https://undocs.org/fr/A/HRC/RES/46/29
[3] Résolution 46/23, paragraphe opérationnel 8.
[4] Voir en annexe.
[5] Amnesty International, « Soudan du Sud : Il faut mettre un terme à la nouvelle vague de répression contre les manifestations pacifiques », 6 septembre 2021, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/09/south-sudan-end-new-wave-of-repression-against-peaceful-protests (consulté le 25 janvier 2022).
[6] Amnesty International et al., « South Sudan : Unfreeze civil society and political activist’s bank accounts », 19 novembre 2021 (AFR 65/5017/2021), https://www.amnesty.org/en/documents/afr65/5017/2021/en/ (consulté le 25 janvier 2022).
[7] Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS), « UNMISS deeply concerned at spate of extra-judicial executions », 26 juillet 2021, peacekeeping.un.org/en/unmiss-deeply-concerned-spate-of-extra-judicial-executions ; Conseil de sécurité de l’ONU, « Situation au Soudan du Sud : Rapport du Secrétaire général », 9 septembre 2021, Doc. ONU S/2021/784, paragraphe 73, https://undocs.org/fr/S/2021/784 ; Conseil de sécurité de l’ONU, « Situation au Soudan du Sud : Rapport du Secrétaire général », 7 décembre 2021, Doc. ONU S/2021/1015, paragraphe 67, https://undocs.org/fr/S/2021/1015 ; Bureau de la Haute-Commissaire aux droits de l’homme (HCDH), « Disturbing wave of extrajudicial executions on the rise in South Sudan’s Warrap State – UN experts note », 29 juillet 2021, https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=27345&LangID=E (consultés le 11 janvier 2022). Au moment où cette lettre est rédigée, l’ONU a publiquement fait état de 52 exécutions extrajudiciaires. Il est probable que le chiffre réel soit supérieur.
[8] HCDH, « South Sudanese political elites illicitly diverting millions of US dollars, undermining core human rights and stability – UN experts note », 23 septembre 2021, https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/Pages/NewsDetail.aspx?NewsID=27519&LangID=E (consulté le 11 janvier 2022). Voir le Document de séance sur les violations des droits humains et les crimes économiques liés dans la République du Soudan du Sud publié le 23 septembre 2021, Doc. ONU A/HRC/48/CRP.3, disponible sur : https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/CoHSouthSudan/Pages/Index.aspx
[9] Amnesty International, « Soudan du Sud : Les victimes racontent les homicides, les déplacements de masse et la terreur lors des combats en Équatoria-Occidental », 9 décembre 2021, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/12/south-sudan-survivors-describe-killings-mass-displacement-and-terror-amid-fighting-in-western-equatoria/ (consulté le 25 janvier 2022).
[10] La Commission africaine des droits de l’homme et des peoples (CADHP) a fermement condamné les violations continues et souligné le besoin d’opérationnaliser les dispositions de l’Accord revitalisé de règlement du conflit, en particulier son chapitre V (voir CADHP, résolution ACHPR/Res.428 (LXV) 2019).
[11] Voir https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/publications-and-resources/Framework%20of%20Analysis%20for%20Atrocity%20Crimes_FR.pdf
[12] Voir en particulier DefendDefenders et al., « Extend the mandate of the Commission on Human Rights in South Sudan », 5 février 2021, https://defenddefenders.org/human-rights-council-extend-the-mandate-of-the-commission-on-human-rights-in-south-sudan/ (consulté le 25 janvier 2022).