réaction conservatrice

  • NATIONS UNIES : « Le pouvoir des groupes anti-droits s’accroît ; des temps difficiles nous attendent »

    CIVICUS échange avec Tamara Adrián, fondatrice et directrice de DIVERLEX-Diversité et égalité par le droit, au sujet de la fructueuse campagne de la société civile pour le renouvellement du mandat de la personne experte indépendante des Nations Unies (ONU) sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

    Tamara Adrián est avocate et professeure d’université, et la première femme transgenre à être élue dans un parlement national en Amérique latine.

    DIVERLEX est une organisation de la société civile vénézuélienne qui se consacre à la recherche, à la formation, au plaidoyer et aux litiges stratégiques sur la diversité sexuelle. En raison de la crise humanitaire complexe qui touche le Venezuela, la quasi-totalité de ses dirigeants se trouvent actuellement hors du pays, où ils continuent de travailler pour l’amélioration des conditions de vie des personnes LGBTQI+ en exil.

    Tamara Adrian

    Pourquoi le mandat de l’expert indépendant des Nations unies sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre est-il si important ?

    Il s’agit d’un mandat extrêmement important. L’arme préférée de toute intolérance est l’invisibilisation de certains groupes et la violation de leurs droits. C’est une constante en ce qui concerne les femmes, les peuples autochtones, les minorités raciales et les minorités religieuses. Tant que les intolérants peuvent dire que le problème n’existe pas, les relations de pouvoir restent penchées en leur faveur et rien ne change. Dans le système universel des droits humains, ce que les intolérants veulent garder invisible ne peut être rendu visible que grâce au travail des experts et des rapporteurs indépendants.

    Le premier expert indépendant, Vitit Muntarbhorn, a été en fonction pendant moins de deux ans et a produit un rapport sur la violence fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, qu’il a partagé avec le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Il a commencé à mettre en évidence les injustices, les inégalités et les violences dont sont victimes les personnes LGBTQI+ dans tout le monde.

    Les trois rapports de l’actuel expert indépendant, Victor Madrigal-Borloz, pointent du doigt de nombreux pays qui manquent à leur devoir de protéger tous leurs citoyens. La Haut-Commissaire aux droits de l’homme elle-même a souligné l’obligation positive des États de garantir l’égalité des droits pour tous et toutes.

    Nous sommes conscients qu’il reste beaucoup à faire et que les rapports - de l’expert indépendant, du Haut-Commissaire et des organismes régionaux tels que l’Organisation des États Américains - sont importants pour ce processus.

    Si importants sont-ils, en effet, que ces travaux ont suscité une forte réaction de la part de groupes fondamentalistes. Ceux-ci se sont réorganisés sous le format d’« organisations non gouvernementales » et ont cherché à obtenir un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies pour pouvoir intervenir dans ces processus.

    Comment ces groupes opèrent-ils au sein de l’ONU ?

    Les acteurs anti-droits ont changé de stratégie. Plutôt que de se montrer comme des organisations religieuses, ils ont cherché à se présenter comme des défenseurs de la liberté religieuse et, surtout, de la liberté d’expression. Ils ont promu des stratégies d’unité religieuse, réunissant des fondamentalistes catholiques et des représentants du Saint-Siège avec des fondamentalistes néo-évangéliques et les groupes musulmans les plus rétrogrades.

    Ils ont également affiné leurs arguments. Premièrement, ils affirment que le concept d’orientation sexuelle et d’identité de genre est un concept occidental et non universel, et qu’il ne peut donc pas être protégé par l’ONU. Deuxièmement, ils disent qu’il n’existe aucun traité ni instrument international qui protège contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Troisièmement, ils soutiennent que les pays ayant des valeurs traditionnelles devraient avoir la liberté de préserver leurs lois discriminatoires et criminaliser les relations homosexuelles ou les diverses identités de genre.

    Ces trois arguments ont été implicitement présents dans l’argumentation des pays qui se sont opposés au renouvellement du mandat de l’expert indépendant ou ont proposé des modifications, de même qu’un quatrième, qui soutient qu’aucun pays ne peut protéger des criminels. Selon cette vision, la détermination de ce qui constitue un acte criminel est soumise au droit pénal de chaque pays et non susceptible d’être vérifiée par le système international des droits humains.

    Historiquement, la réponse à ces questions a été fournie par la reconnaissance du fait que chacun a droit à ses propres croyances, et que personne ne peut imposer sa croyance ou priver les autres de leurs droits sur la base de leur foi. Les fondamentalistes cherchent à renverser cette situation afin que les croyants puissent discriminer et refuser des droits aux autres.

    Le pouvoir des acteurs anti-droits a-t-il augmenté ces dernières années ?

    Le pouvoir des acteurs anti-droits est en hausse, ce qui est peut-être lié à la régression qui a lieu aux États-Unis. En effet, lors du vote pour le renouvellement du mandat, nous avons vu deux groupes de pays qui ont résisté : d’une part, les pays qui n’ont jamais avancé dans la reconnaissance des droits et dans lesquels il y a beaucoup de résistance au changement, et d’autre part, les pays qui reculent, comme les États-Unis.

    Aux États-Unis, depuis au moins une décennie, les liens entre le suprémacisme blanc, les groupes néo-pentecôtistes et les secteurs les plus radicaux du parti républicain se sont resserrés. Les groupes anti-droits ont pris de l’espace dans les tribunaux, allant des plus bas à la Cour suprême, ainsi que dans les gouvernorats et les législatures des États, ce qui a donné lieu à de plus en plus de décisions, de lois et de politiques contre les personnes transgenre, l’éducation sexuelle et renforçant la liberté religieuse. Ils n’ont pas caché leur intention de revenir sur le droit à l’avortement, de combattre le concept de genre et de rejeter les droits à l’éducation sexuelle et reproductive et à la contraception, et même les droits des femmes, le mariage pour tous et les protections contre la discrimination raciale.

    Les États-Unis ont également joué un rôle clé dans le financement international du mouvement anti-droits et dans le développement de nouvelles églises néo-pentecôtistes dans le monde, notamment en Afrique et en Amérique latine. Ils ont également influencé la formation d’un phénomène auquel on n’a pas accordé suffisamment d’attention : les courant du féminisme fixés sur la biologie, qui nient le concept de genre avec les mêmes arguments que les églises les plus conservatrices.

    Cette communauté d’argumentation est très suspecte, d’autant plus lorsqu’on observe les flux de financement en provenance des États-Unis qui alimentent ces groupes au Brésil, en Amérique centrale, en Espagne, au Royaume-Uni ou en République dominicaine. Ces groupes ne ciblent plus les personnes LGBTQI+ en général, mais spécifiquement les personnes transgenre. En affirmant le caractère biologique et naturel des différences, ils cherchent à détruire toute la structure de protection fondée sur le genre.

    Honnêtement, il me semble qu’il s’agit d’un plan très réfléchi. Ils ont imité la stratégie que nous avions initialement adoptée pour rendre notre lutte visible, mais ils ont l’avantage d’être au pouvoir. Le nombre de pays qui ont signé une résolution « pro-vie » à l’ONU et se sont déclarés « pays pro-vie » montre que leur objectif n’est plus seulement de s’opposer aux droits des personnes LGBTQI+ mais à tous les droits fondés sur le concept de genre.

    Comment la campagne pour le renouvellement du mandat de l’expert indépendant a-t-elle été organisée ?

    Les organisations qui ont exercé de la pression pour le renouvellement du mandat sont celles qui travaillent ensemble depuis la campagne pour la nomination du premier expert indépendant. Chaque fois, le processus commence longtemps avant la nomination. Cette fois-ci, nous avons commencé il y a environ trois ans : l’année suivant le renouvellement du mandat, nous travaillions déjà à la création d’un groupe central qui travaillerait vers ce nouveau renouvellement.

    Pour les organisations latino-américaines, une limitation récurrente est le manque de connaissance de la langue anglaise, qui restreint la capacité des militants à internationaliser leurs luttes. Pour surmonter ce problème, notre groupe central est composé à la fois de militants hispanophones et de militants anglophones. Cela a été crucial car la coalition était principalement composée de groupes latino-américains.

    Le processus s’est avéré très difficile, et si bien le vote a fini par être favorable, les résultats des sessions au fil des mois ne suscitaient pas une grande confiance. Nous avons constaté une résistance croissante de la part des pays plus fondamentalistes, de plus en plus attachés à l’idée de supprimer des droits.

    Quelles sont les prochaines étapes après le renouvellement du mandat ?

    Je pense que nous ne devrions pas nous détendre. Des temps difficiles nous attendent. De nombreux droits qui semblaient être conquis risquent d’être annulés aux États-Unis, notamment ceux liés à l’égalité raciale. Il ne s’agit même plus de reculer vers une vision du XXe siècle, mais plutôt vers une vision du XVIe ou du XVIIe siècle.

    Cela aura un fort impact au niveau mondial, notamment dans les pays dont les institutions sont moins développées. Les pays dotés d’institutions plus fortes pourront certainement mieux résister aux tentatives de renversement des droits sexuels et reproductifs.

    Pour les prochaines étapes, je pense que les capacités d’organisation seront primordiales. Souvent et dans divers endroits les gens me disent : « ne vous inquiétez pas, cela n’arrivera jamais ici », mais j’insiste sur le fait que nous ne pouvons pas nous détendre. Nous devons nous concentrer sur la construction de coalitions et l’organisation d’alliances plus fortes pour mettre fin à l’avancée des groupes néoconservateurs et reconquérir les espaces de pouvoir qu’ils ont occupé. 

    Contactez Tamara Adrián sur sonsite web ou son profilFacebook et suivez@TamaraAdrian sur Twitter. 

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