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ALGÉRIE : « Les autorités arrêtent les défenseurs des droits humains pour étouffer la société civile »
CIVICUS évoque la situation des droits humains et des libertés civiques en Algérie avec Rachid Aouine, directeur de l’organisation SHOAA for Human Rights.
SHOAA for Human Rights est une organisation de la société civile (OSC) indépendante dont le but est de soutenir et de protéger les droits humains en Algérie. Fondée en 2020 et basée à Londres, au Royaume-Uni, elle fait un travail de sensibilisation à la question des droits humains et surveille, répertorie et dénonce les exactions commises contre les citoyens par les personnes au pouvoir.
Quelle est la situation actuelle en matière de droits humains et d’espace civique en Algérie ?
En raison de l’escalade des pratiques répressives de la part des autorités algériennes, la situation en matière des droits humains est extrêmement préoccupante. Les arrestations arbitraires se sont multipliées, ciblant des journalistes, des défenseurs des droits humains, des militants de la société civile et des militants politiques associés à des partis politiques liés au mouvement de protestation du Hirak. Tous se font arrêter pour avoir exercé leurs droits de liberté d’association, d’expression, de croyance et de réunion pacifique. Au cours des derniers mois, ils ont été incriminés comme jamais auparavant.
Les autorités poursuivent injustement des personnes pour leur association présumée avec les mouvements d’opposition politique, à savoir « Rachad » et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, qui ont été qualifiés en mai 2021 d’organisations terroristes par le Haut Conseil de sécurité, un organe consultatif présidé par le président algérien. Le Haut Conseil de sécurité a imputé à ces organisations la responsabilité des incendies de forêt dévastateurs qui ont ravagé le nord-est de l’Algérie en août 2021 et l’assassinat du militant et artiste Djamel Bensmaïl, alors qu’il était en garde à vue. Il a annoncé qu’il intensifierait ses efforts pour arrêter les membres de ces organisations jusqu’à leur « éradication totale ».
Depuis le début de l’année 2021, les poursuites sous de fausses accusations de terrorisme se sont multipliées de manière alarmante. Pour les personnes reconnues coupables de ces accusations, le code pénal dicte des peines allant d’un an de prison à l’emprisonnement à vie et à la peine de mort.
Bien entendu, les garanties de procédure et de procès équitable des personnes arrêtées et poursuivies ont systématiquement été violées.
Une nouvelle vague d’arrestations a commencé en février 2022. Pourquoi les autorités ciblent-elles les défenseurs des droits humains en si grand nombre ?
Les autorités algériennes arrêtent les défenseurs des droits humains pour étouffer la société civile. Les défenseurs des droits humains sont la seule limite à leur pouvoir, car ils sont les seuls à défendre et à promouvoir les droits humains en Algérie. Leur élimination permettrait de mettre fin dans la pratique aux flux d’informations concernant les violations des droits humains au reste du monde.
Plutôt que de résoudre les problèmes que la société civile dénonce, les autorités s’en prennent à ceux qui prônent le changement, car elles considèrent le changement comme une menace et une limite à leur pouvoir. Pour dissimuler les violations continues des droits humains, elles ont recours à une répression systématique, ciblant spécifiquement les défenseurs des droits humains et la liberté d’expression.
Trois ans après les manifestations du Hirak, les autorités continuent de restreindre les manifestations. Quelles tactiques de répression utilisent-elles ?
En effet, trois ans après que le Hirak (qui signifie « mouvement » en arabe) a fait pression de manière pacifique pour un changement politique et a contraint le président Abdelaziz Bouteflika à démissionner, au moins 300 militants, dont beaucoup sont associés au Hirak, sont détenus par les autorités.
Par le biais de décrets présidentiels, les autorités algériennes ont récemment promulgué une nouvelle législation hostile aux libertés d’expression et de réunion. En juin 2021, le code pénal a été modifié par décret présidentiel, ce qui a abouti à l’élargissement d’une définition déjà trop large de la notion de terrorisme. Des personnes sont désormais accusées d’infractions, telles que « l’offense aux organismes publics », « la diffusion de fausses informations », « l’appartenance à un groupe terroriste », « l’apologie du terrorisme » et « la conspiration contre la sécurité de l’État ». Une publication sur Facebook peut entraîner des accusations telles que « l’utilisation des technologies de l’information pour diffuser des idées terroristes » et « la diffusion d’informations susceptibles de nuire à l’intérêt national ». Même un simple envoi de fonds est considéré comme un acte de trahison.
Tous les défenseurs des droits humains et les avocats qui tombent sous le coup de ces nouvelles lois, en particulier les articles 87 bis et 95 bis du code pénal, sont automatiquement visés par des accusations vagues, telles que « l’atteinte à l’unité nationale », et par de fausses accusations liées au terrorisme. Malgré la présentation de preuves de leur innocence par leur défense, les autorités judiciaires imposent les verdicts souhaités par les autorités.
Les autorités accusent également les OSC pro-Hirak de mener des activités soi-disant contraires aux objectifs énumérés dans la loi sur les associations et dans leurs propres statuts. C’est ainsi que certaines de ces OSC ont été dissoutes, notamment le Rassemblement Action Jeunesse et l’association culturelle SOS Bab El Oued, dont le président a été condamné à un an de prison pour « atteinte à l’unité nationale et à l’intérêt national », en lien avec les activités de l’association.
Les militants politiques et les dirigeants des partis liés au Hirak sont également sanctionnés pour des « délits » tels que « l’appel à un rassemblement », et les partis sont accusés de ne pas respecter la loi sur les partis politiques en organisant « des activités en dehors des objectifs fixés dans ses statuts ». C’est ce qui s’est passé, par exemple, après que plusieurs militants se sont réunis pour discuter de la création d’un front uni contre la répression.
Que faut-il changer en Algérie ?
La société civile doit être préservée tant qu’il en reste quelque chose. Elle joue un rôle majeur dans tout mouvement en faveur du changement. Lorsque les OSC sont absentes ou dissoutes, les personnes se retrouvent sans protection ni conseils. Cela est particulièrement vrai s’agissant des efforts de lutte contre la violence et les violations des droits humains : lorsqu’il n’y a pas d’OSC, les personnes ne sont pas renseignées sur les mesures à suivre pour faire valoir leurs droits et les violations des droits humains ne sont pas comptabilisées. Les associations, centres et organismes de la société civile sont essentiels pour encadrer le mouvement de protestation - pour lui donner une structure, une stratégie et un objectif.
Si rien n’est fait, les autorités continueront à réprimer la société civile indépendante et la situation des droits humains s’aggravera. Si rien n’est fait, l’objectif de la démocratie et du respect des droits humains s’éloignera de plus en plus, jusqu’à devenir complètement hors de portée.
Comment la société civile internationale peut-elle soutenir la société civile algérienne dans sa lutte pour les droits humains et les libertés démocratiques ?
La société civile algérienne ne peut atteindre ses objectifs à elle seule ; elle a besoin de la coopération et du soutien de la communauté internationale. Pour lutter contre les violations des droits humains et promouvoir les libertés démocratiques en Algérie, la société civile nationale doit établir des rapports de coopération et travailler conjointement avec les organisations internationales.
La société civile algérienne peut développer une stratégie efficace en ouvrant des lignes de communication internationales et en devenant une source majeure d’informations sur la situation réelle des droits humains sur le terrain. En s’appuyant sur ces informations, les organisations internationales peuvent contribuer à activer les mécanismes internationaux de surveillance et faire pression sur les autorités algériennes pour qu’elles changent.
L’espace civique en Algérie est classé comme « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
Prenez contact avec l’organisation SHOAA for Human Rights via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@shoaa_org sur Twitter. -
RDC : « La mission de maintien de la paix des Nations Unies a échoué »
CIVICUS échange avec les activistes sociaux Espoir Ngalukiye et Sankara Bin Kartumwa à propos des manifestations en cours contre la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).
Espoir et Sankara sont membres de LUCHA (Lutte Pour Le Changement), une organisation de la société civile (OSC) qui défend la dignité humaine et la justice sociale en RDC, et qui a joué un rôle dans les manifestations pacifiques contre la MONUSCO.
Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations anti-MONUSCO ?
La région de l’est de la RDC est confrontée à des problèmes de sécurité depuis plus de trois décennies. Les gens réclament le départ de la MONUSCO car sa stratégie de maintien de la paix a échoué.
La MONUSCO a été déployée pour restaurer la paix en RDC. A ce titre elle devait protéger les civils, faciliter des processus électoraux sûrs, et lutter contre les groupes rebelles. Mais elle est présente dans le pays depuis près de 20 ans et tout le contraire s’est produit : le nombre de groupes armés a augmenté, les gens continuent de vivre dans des conditions dangereuses et, malgré sa présence, des vies innocentes sont encore perdues.
La mission de maintien de la paix avait pour mission d’empêcher tout cela, mais elle a manqué de diligence et s’est avéré inutile. À l’heure actuelle, les niveaux de violence extrêmement élevés poussent de nombreuses personnes à migrer en quête de sécurité. Ce seul fait suffit à prouver que la mission de maintien de la paix a échoué.
De nombreuses personnes dans les communautés locales n’ont pas de bonnes relations avec la MONUSCO parce qu’elles pensent que la mission n’a pas assumé son rôle de protection. Le manque de confiance des civils, à son tour, rend difficile l’exécution du mandat de la MONUSCO. Mais si elle était efficace, les gens ne l’opposeraient pas par le biais de manifestations.
Comment les autorités ont-elles répondu aux demandes des manifestants ?
La réponse immédiate a été la violence, tant de la part de la MONUSCO comme des autorités congolaises. Nous avons vu des personnes blessées et tuées simplement parce qu’elles faisaient partie des manifestations. Les gens sont en colère parce que les problèmes de sécurité durent depuis des années, et la MONUSCO aurait dû s’en douter : ce n’était qu’une question de temps avant que les gens ne commencent à exprimer leur colère envers la mission. La MONUSCO aurait dû trouver des moyens de gérer la situation sans que des personnes perdent la vie.
Quant aux autorités congolaises, elles ont procédé à des arrestations illégales. La plupart des personnes sont détenues dans de terribles conditions. Nous nous soucions de ce qu’elles obtiennent toutes justice. Nous ne voulons pas qu’elles soient torturées pour s’être battues pour leurs droits.
Le secrétaire général des Nations unies a condamné les violences et a demandé au gouvernement congolais de mener une enquête. Mais les demandes de départ de la MONUSCO n’ont pas été adressées, et les manifestants affirment qu’ils ne cesseront pas de manifester jusqu’au départ de la MONUSCO.
Malheureusement, les autorités congolaises n’ont pas non plus répondu à nos préoccupations. Étant donné qu’elles sont élues et payées pour nous protéger, c’est à elles que nous nous adresserons prochainement. Si elles ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités elles seront tenues redevables. Elles doivent joindre leur voix à la nôtre et demander à la MONUSCO de partir.
Que fait la société civile en général, et la LUCHA en particulier, pour contribuer à l’amélioration de la situation ?
La LUCHA est une OSC qui plaide pour le changement de manière non violente. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de plaider pour le changement sans recourir à la violence. Nos membres ont participé à des manifestations contre la MONUSCO, que nous estimons légitimes et constitutionnelles, et nous exigeons donc également la non-violence et le respect de la loi de la part du gouvernement. Notre pays a une histoire violente, et nous voudrions changer cette trajectoire.
Nous sommes une organisation dirigée par des jeunes qui ont connu la guerre et les conflits et qui veulent voir naitre une société meilleure, ainsi qu’un meilleur avenir pour tous. Nous luttons pour les Congolais et leur accès aux besoins fondamentaux, à commencer par leur droit à un environnement sûr. Nous avons des membres sur le terrain, dans les zones où se déroulent les manifestations, et leur rôle est de surveiller la situation et d’informer sur les événements qui se déroulent.
LUCHA utilise ses réseaux sociaux pour informer les gens en RDC et à l’étranger sur la situation et son impact sur tant de vies innocentes. Nous espérons que cela créera une prise de conscience et poussera les autorités à répondre à nos demandes.
Nos observateurs sur le terrain veillent également à ce que les manifestants ne recourent pas à la violence, mais cela s’est avéré difficile car la plupart des gens sont fatigués et, à ce stade, ils sont prêts à faire tout ce qu’il faut pour obtenir le départ de la MONUSCO, même si cela implique l’usage de la violence.
Que devrait faire la communauté internationale ?
La communauté internationale a été hypocrite et a toujours donné la priorité à leurs propres besoins. Il est regrettable que les événements récents se produisent dans une région de notre pays riche en minerais. De nombreuses personnes puissantes y ont des intérêts et sont prêtes à faire n’importe quoi pour s’assurer qu’ils soient protégés. C’est pour cette raison que si peu de pays se soulèvent contre ce qui se passe.
La géographie nous place également dans une situation désavantageuse. Peut-être que si nous étions en Ukraine, nos voix auraient compté, mais nous sommes en RDC et les acteurs internationaux ne s’intéressent qu’à nos ressources et non à notre peuple. Mais les personnes tuées en RDC sont des êtres humains qui ont des familles, des vies et des rêves, tout comme ceux tués en Ukraine.
La communauté internationale doit comprendre que nous avons besoin de paix et de sécurité, et que la MONUSCO n’a pas tenu ses promesses et doit quitter notre pays. Elle doit écouter la voix du peuple qui est souverain. Écouter le peuple sera le seul moyen de mettre fin aux manifestations. Essayer de les arrêter d’une autre manière conduira à plus de violence et plus de morts.
L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
Prenez contact avec LUCHA via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@luchaRDC sur Twitter.