Liban

  • LIBAN : « Cette crise doit être gérée avec une vision féministe »

    CIVICUS s'entretient avec Lina Abou Habib, une activiste féministe basée à Beyrouth, au Liban, sur la réponse de la société civile face à l'urgence provoquée par l’explosion du 4 août 2020. Lina enseigne les Féminismes Mondiaux à l'Université Américaine de Beyrouth, où elle est membre de l'Institut Asfari, et préside le Collectif pour la Recherche et la Formation sur l’Action pour le Développement, une organisation féministe régionale qui travaille au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Elle siège également au conseil d'administration de Gender at Work et en tant que conseillère stratégique du Fonds Mondial pour les Femmes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

    Lina Abou Habib

    Pourriez-vous nous parler du moment où l’explosion s’est produite ?

    L’explosion de Beyrouth s’est produite le 4 août 2020, vers 18 h 10, heure de Beyrouth. J'étais chez moi et je savais depuis une heure qu’il y avait eu un grand incendie dans le port de Beyrouth. Lorsque le feu a commencé à se propager, le ciel s’est assombri de fumée. Je regardais dehors, et la première chose que j’ai ressentie a été une sensation terrifiante, semblable à un tremblement de terre, et juste une fraction de seconde plus tard, une énorme explosion s’est produite. Les vitres autour de moi se sont brisées. Il m’a fallu quelques minutes pour comprendre ce qui venait de se passer. La première chose que nous avons tous faite a été de téléphoner à nos familles et à nos amis proches pour nous assurer qu’ils allaient bien. Tout le monde était dans un état d’incrédulité totale. L’explosion a été si puissante que chacun de nous a ressenti que cela se passait juste à côté de nous.

    Quelle a été la réponse immédiate de la société civile ?

    Il est important de souligner qu’en plus de la réponse de la société civile, il y a eu aussi une réponse individuelle. Les gens sont descendus dans la rue pour essayer d’aider les autres. Personne ne faisait confiance à l’État pour qu’il aide de quelque manière que ce soit ; en fait, l’État était responsable de ce qui s’était passé. Les gens ont pris la responsabilité de s’entraider, ce qui signifiait s’attaquer aux problèmes immédiats, comme nettoyer les rues des débris et parler à d’autres personnes pour savoir ce dont elles avaient besoin, comme de l’abri et de la nourriture. Environ 300 000 personnes se sont retrouvées sans abri et ont tout perdu en une fraction de seconde. Il y a eu une réaction extraordinaire de la part des gens ordinaires qui se sont mis à aider : des gens avec des balais et des pelles ont commencé à enlever les débris et d’autres ont distribué de la nourriture et de l’eau. L'indignation s'est transformée en solidarité.

    Ce fut un moment de grande autonomisation, qui continue toujours. En ce moment même, il y a des volontaires et des organisations de la société civile (OSC) qui prennent essentiellement en charge la situation et non seulement apportent de l’aide immédiate, mais offrent également toutes sortes de soutien aux personnes en difficulté.

    Cependant, ces actes de solidarité et de bienveillance ont aussi été critiqués. La principale critique a été de dire qu’ils sont contre-productifs car dispensent l’État de s’acquitter de ses obligations et de ses devoirs. Je comprends cette critique, mais je ne suis pas d’accord avec elle. Pour moi, les actes de solidarité menés par la société civile et les gens ordinaires ont été nos principales réussites, des histoires de pouvoir et de résistance dont il est bon de parler. Il faut souligner la réponse immédiate apportée individuellement par les mêmes personnes qui avaient subi des blessures ou avaient beaucoup perdu. Les communautés de travailleurs migrants elles-mêmes, vivant dans des conditions extrêmes d’exploitation, de racisme et d’abus, sont sorties pour nettoyer les décombres et aider les autres. Je ne pense pas qu’il faille ignorer le sens de ces actes de solidarité.

    Le Liban subissait déjà une crise économique profonde, qui a été encore exacerbée par la pandémie du COVID-19 et l’explosion. Quels ont été les groupes les plus touchés ?

    Les pires effets ont été ressentis par ceux qui se trouvaient déjà dans les situations les plus vulnérables. Un exemple clair de multiples formes de discrimination qui se chevauchent et se renforcent réciproquement est la situation des travailleuses migrantes au Liban. Ce n’est pas une situation nouvelle, cela fait déjà des décennies. Premièrement, les femmes migrantes travaillent dans la sphère privée, ce qui les rend encore plus invisibles et vulnérables. Deuxièmement, il n'y a absolument aucune règle à suivre pour les embaucher, alors elles sont essentiellement à la merci de leurs employeurs. Elles sont maintenues dans des conditions de quasi-esclavage sur la base des soi-disant « contrats de parrainage ». Même l’air qu’elles respirent dépend de la volonté de leurs employeurs, donc elles sont complètement liées à eux. En bref, c’est une population de femmes des pays pauvres du sud global qui sont employées comme travailleuses domestiques et soignantes, des postes qui les rendent incroyablement vulnérables aux abus. Il n’y a pas de lois que les protègent, et il en a toujours été ainsi. Par conséquent, ce sont elles qui sont laissées pour compte en cas de crise sécuritaire ou politique.

    Trois événements consécutifs ont affecté leur situation. Le premier a été la révolution commencée le 17 octobre 2019, un moment incroyablement important qui a été le point culminant d’années d’activisme, et auquel ont également participé des travailleuses migrantes, qui ont été appuyées, soutenues et guidées par de jeunes féministes libanaises. En conséquence, il y a eu des travailleuses migrantes au sein de la révolution, qui se sont rebellées contre le système de parrainage qui les prive de leur humanité et les expose à des conditions de travail équivalentes à l'esclavage, et ont exigé un travail décent et une vie digne.

    À cela s’ajoute l’effondrement économique et la pandémie du COVID-19, qui se sont produits alors que les manifestations se poursuivaient. En raison de la crise économique, certaines personnes ont choisi de ne pas payer les salaires des travailleuses domestiques et des travailleurs migrants, ou pire, ces personnes se sont simplement débarrassées d’eux en les laissant dans la rue pendant la pandémie.

    Et puis l’explosion du port de Beyrouth s’est produite, frappant à nouveau particulièrement durement les travailleurs migrants. Il a eu une succession de crises qui ont touché avant tout les travailleurs migrants, et les femmes en particulier, car ils se trouvaient déjà dans des conditions précaires dans lesquelles ils subissaient des abus, leur travail était tenu pour acquis et ils ont ensuite été jetés dans la rue, oubliés par leurs ambassades et ignorés par le gouvernement libanais.

    En tant qu’activiste et féministe, comment évaluez-vous la réponse du gouvernement à l'explosion ?

    Il n’y a pas eu de réponse responsable du gouvernement. Je n’appellerais même pas ce que nous avons « gouvernement », mais plutôt « régime ». C'est une dictature corrompue, un régime autoritaire qui continue de se faire passer pour démocratique et même progressiste. Le régime dit qu’il incarne les réformes, mais ne les met jamais en œuvre. Par exemple, dix jours après la révolution, en octobre 2019, le président s’est adressé à la nation et nous a promis une loi civile égalitaire sur la famille, ce que les activistes féministes réclament depuis des décennies. C’était assez surprenant, mais il s’est avéré que ce n’était pas vrai, car rien n’a été fait à ce sujet. Les autorités disent simplement ce qu’elles pensent que les gens veulent entendre et elles semblent convaincues que le public est trop ignorant pour le remarquer.

    Il faut donc replacer la réponse à l’explosion dans le contexte du récent soulèvement. La réponse du gouvernement à la révolution a été de ne pas reconnaître les problèmes que les gens signalaient : qu’il avait vidé les coffres publics, qu’il continuait à exercer le népotisme et la corruption et, pire que tout, qu’il démantelait les institutions publiques. La seule réponse du gouvernement a été de fermer l’espace de la société civile et d’attaquer les libertés d’association et d’expression et le droit de réunion. J’ai habité dans ce pays la plupart de ma vie, j’ai donc traversé une guerre civile et je crois que nous n’avons jamais connu une répression des libertés de l’ampleur que nous constatons actuellement sous ce régime. Nous n’avions jamais vu des personnes citées par la police ou les institutions de sécurité pour ce qu’elles ont dit ou publié sur les réseaux sociaux. C’est exactement ce que ce régime fait et continue de faire. Le président agit comme si nous avions une loi de lèse-majesté et n’accepte aucune critique ; ceux qui le critiquent le paient de leur liberté. C’est la première fois que nous voyons des activistes arrêtés pour cette cause.

    Bref, le régime n’a rien fait de significatif en réponse à l’explosion. Le fait qu’il ait envoyé l’armée pour distribuer des colis d’aide alimentaire n’a pas une grande importance. En fait, ils ont refusé de livrer des articles d’aide alimentaire aux personnes non libanaises qui étaient touchées. Cela met en évidence la manière dont les couches successives de corruption, d’intolérance et de mauvaise gestion interagissent dans ce processus.

    Après l'explosion, les gens sont descendus dans la rue à nouveau pour protester. Pensez-vous que les manifestations ont eu un impact ?

    Le samedi après l’explosion, des gens manifestaient dans les rues. J’étais là-bas et j’ai eu peur du déploiement de la violence par les forces de sécurité.

    Face à tant de calamités, la seule raison pour laquelle les gens ne sont pas descendus en masse dans la rue est la pandémie de COVID-19. En ce sens, la pandémie a été une aubaine pour le régime. Il a imposé un couvre-feu, détruit les tentes que les révolutionnaires avaient installées sur la Place des Martyrs et procédé à des arrestations et des détentions, le tout sous prétexte de protéger les gens du virus. Mais, bien sûr, cela ne trompe personne. Les niveaux de contagion augmentent plutôt qu’ils ne diminuent. Le fait que le régime soit tellement corrompu que nous n’avons fondamentalement pas de service de santé vraiment fonctionnel n’aide pas.

    Les limites créées par la pandémie et les craintes des gens pour leur propre santé limitent sérieusement les actions contre le régime ; cependant, je ne pense pas que cela arrêtera la révolution. Les gens en ont assez. Beaucoup de gens ont tout perdu. Et quand ils vous mettent contre le mur, vous n’avez nulle part où aller d’autre que de l’avant. Le régime continuera à utiliser la force brutale, il continuera à mentir et à mal gérer les fonds et les ressources, mais cela devient totalement inacceptable pour une partie croissante de la population.

    Je pense que la mobilisation de rue a été un succès à plusieurs niveaux. On peut ne pas être d'accord et faire remarquer que le régime est toujours au pouvoir, et il est vrai qu’il faudra encore beaucoup de temps pour qu’il tombe. Mais le succès immédiat des manifestations a été de briser un tabou. Il y avait une sorte de halo ou de sainteté autour de certains dirigeants considérés comme intouchables. Maintenant, il est évident qu’ils ne bénéficient plus de cette protection. Bien que le régime ne soit pas disposé à céder, il ne fait que gagner du temps.

    À mon avis, une réalisation importante a été le rôle de leadership joué par les groupes féministes lorsqu’il s’agit de réfléchir au pays que nous voulons, aux droits et prérogatives que nous exigeons et à la forme de gouvernement que nous voulons. Avec 40 organisations féministes, nous avons lancé une liste de revendications. Nous avons réfléchi ensemble et établi à quoi devrait ressembler une reconstruction humanitaire dans une perspective féministe et nous l’utilisons comme un outil de plaidoyer devant la communauté internationale. La manière dont nous intervenons indique que cette crise doit être gérée avec une vision féministe.

    De plus, pour la première fois, la communauté LGBTQI+ a joué un rôle essentiel dans le façonnement du processus de réforme, du processus de transition et du façonnement du pays que nous voulons, à la fois en termes de forme de l'État et en termes de relations humaines. La voix de la communauté des migrants a également été amplifiée. Pour moi, ces réalisations sont irréversibles.

    De quel soutien de la part de la communauté internationale a besoin la société civile de Beyrouth et du Liban ?

    Il y a plusieurs choses à faire. Tout d'abord, nous avons besoin de formes tangibles de solidarité dans le domaine des communications, pour amplifier notre voix. Deuxièmement, nous devons faire pression sur la communauté internationale, au nom du mouvement féministe libanais, pour qu’elle tienne le régime libanais responsable de chaque centime qu’il reçoit. Pour donner un exemple : nous avons reçu environ 1,700 kilos de thé du Sri Lanka, mais le thé a disparu ; il semble que le président l’ait distribué aux gardes présidentiels. Nous avons besoin de l’influence et de la pression de la communauté internationale pour demander des comptes à ce régime. Troisièmement, il faut que les principaux médias internationaux amplifient ces voix.

    Je tiens à souligner le fait que l’aide internationale ne doit pas être sans conditions, car le régime en place n’opère pas avec transparence et responsabilité. Bien entendu, il n’appartient pas à la société civile de reconstruire ce qui a été endommagé ou de remettre l’infrastructure sur pied. Mais chaque centime qui va au régime pour ces tâches doit être livré dans des conditions de transparence, de responsabilité et de diligence raisonnable. La société civile doit être habilitée à exercer des fonctions de contrôle. Cela signifie que les OSC doivent avoir la voix et les outils pour surveiller. Sinon, rien ne changera. L’aide internationale s’évanouira ; cela ne fera qu’aider le régime à prolonger son règne tant que la ville reste en ruine.

    L’espace civique au Liban est classé comme « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
    Entrez en contact avec le Collectif pour la Recherche et la Formation sur l’Action pour le Développement à travers sonsite Web et suivez@LinaAH1 sur Twitter.

  • LIBAN : « Le changement commence lorsque la parole est donnée aux organisations féministes à la base »

    À l’occasion du 25e anniversaire duProgramme d’action de Beijing, célébré en septembre 2020, CIVICUS s’entretient avec des militants, des dirigeants et des experts de la société civile pour évaluer les progrès accomplis et les défis qui restent à surmonter. Adopté en 1995 lors de la quatrièmeConférence mondiale sur les femmes aux Nations Unies, le Programme d’action de Beijing a pour objectif d’éliminer la violence contre les femmes, de garantir l’accès au planning familial et à la santé reproductive, d’éliminer les obstacles à la participation des femmes à la prise de décision, et de garantir un emploi décent et le respect du principe « à travail égal, salaire égal ». Vingt-cinq ans plus tard, des progrès importants mais inégaux ont été faits, en grande partie grâce aux efforts sans relâche de la société civile, mais aucun pays n’a encore atteint l’égalité des genres.

    CIVICUS et l’organisation Arab NGO Network for Development(ANND) s’entretiennent avec Hayat Mirshad, journaliste et militante féministe, responsable des communications et des campagnes au sein du Rassemblement des femmes démocrates libanaises (RDFL), une organisation de la société civile (OSC) féministe laïque qui défend les droits des femmes. Fondé en 1976 et basé sur le volontariat, le RDFL est l’une des plus anciennes organisations féministes du Liban. Il lutte pour l’élimination de la violence sexiste et de toutes les formes de discrimination et cherche à faire reconnaître la pleine citoyenneté des femmes. Il a lancé plusieurs campagnes réussies, dont la campagne #NotBefore18 en 2017, qui a abouti au dépôt d’un projet de loi, actuellement en cours d’examen au Parlement, visant à fixer l’âge minimum du mariage à 18 ans.

    HayatMirshad

    Quelle est la situation des droits des femmes au Liban ? Quels progrès ont été réalisés jusqu’à présent et quels défis reste-t-il à relever ?

    En raison du contexte fortement religieux, le Liban ne dispose pas d’un code civil régissant des questions telles que le divorce, les droits de propriété et la garde des enfants. Au lieu de cela, il existe 15 lois distinctes relatives au statut personnel pour les différentes communautés religieuses du pays, qui sont appliquées par des tribunaux religieux séparés. Les lois relatives au statut personnel sont discriminatoires envers les femmes et ne garantissent pas leurs droits fondamentaux. 

    Les changements juridiques sont souvent longs à effectuer car les femmes restent largement sous-représentées en politique : moins de 5 % des membres actuels du parlement sont des femmes. Dans certains cas, les médias locaux jouent également un rôle dans la marginalisation des femmes dans l’arène politique. Ce constat a été prouvé par des études récentes menées après les élections législatives de 2018. Les femmes sont également très peu présentes dans les syndicats de travailleurs.

    Dans le cadre de notre plan stratégique visant à atteindre l’égalité des sexes, le RDFL s’est efforcé d’informer les femmes de leurs droits et de leur fournir une assistance juridique pour résoudre les problèmes auxquels elles sont exposées, que ce soit au travail, dans leur famille ou dans tout autre espace. Le RDFL a également introduit et contribué à la rédaction de plusieurs projets de loi envoyés au parlement et a demandé l’abrogation des lois relatives au statut personnel.

    Nous avons remporté quelques victoires. Le Liban a adopté des accords internationaux qui interdisent la discrimination entre les sexes dans des domaines très importants, et dans notre pays, les accords internationaux priment sur les lois nationales. Ces dernières années, certaines lois sur les droits des femmes ont été partiellement modifiées, tandis que d’autres ont été abrogées. Des décisions de justice ont également contribué à l’avancement des droits des femmes.

    Par exemple, en 2002, le pouvoir judiciaire libanais a décidé que les hommes et les femmes devaient bénéficier d’une couverture sociale égale, indépendamment des droits spécifiques dont bénéficient les femmes, comme le congé de maternité, et a apporté quelques modifications au droit du travail libanais. La convention n° 111 de l’Organisation internationale du travail, qui interdit la discrimination en matière d’emploi et de profession, a joué un rôle décisif dans l’adoption de cet arrêt.

    En 2011, l’article 562 du code pénal libanais, relatif aux crimes dits « d’honneur », a été aboli. En vertu de cet article, si une personne trouve sa femme ou une autre parente, par exemple une sœur, en train de commettre un adultère et qu’elle la tue ou la blesse sans préméditation, elle sera exemptée de peine, car elle aura commis un « crime d’honneur ». Bien que cet article ait été supprimé, les « crimes d’honneur » restent une pratique établie et sont largement acceptés dans la société patriarcale libanaise ainsi que dans la culture et le discours de certains représentants du gouvernement, même s’ils prétendent représenter le progrès et la modernité.

    Un autre changement a été obtenu en 2014, lorsque le parlement a adopté la loi sur la violence domestique. Cette loi promeut les droits des femmes et vise à protéger leur sécurité. Toutefois, elle présente de nombreuses lacunes. Bien qu’elle introduise certaines mesures pour protéger les femmes, elle contient toujours des articles discriminatoires ; par exemple, elle expose les femmes au risque de viol conjugal. Les OSC qui défendent les droits des femmes se sont efforcées de suivre les cas de violence domestique. Dans ce contexte, le RDFL fournit des services d’assistance sociale, psychologique et juridique pour tous les types d’abus par le biais de sa ligne d’assistance téléphonique.

    En 2017, l’article 522 du code pénal a été supprimé. Cet article approuvait la pratique consistant à gracier les violeurs et à les exempter de prison s’ils épousaient leurs victimes. La loi a été modifiée grâce à la pression des OSC, mais nous nous efforçons toujours d’abolir ces pratiques, notamment dans certains endroits où le concept d’honneur prévaut encore.

    Malgré la suppression de l’article 522, la loi libanaise continue de légaliser le viol sous diverses formes. Les articles 50 et 518 sont restés intacts, de sorte que le code pénal peut toujours être utilisé pour exempter de poursuites ou de sanctions les violeurs ayant abusé de mineurs âgés de 15 à 18 ans lorsque les parents des victimes leur ont promis d’épouser le violeur. En outre, le viol conjugal n’est pas encore considéré comme un crime par la loi libanaise. Il n’existe aucune loi visant à protéger les femmes et leur permettre de poursuivre plus facilement leurs agresseurs.

    Bien que de nombreuses lois aient été modifiées ou supprimées, il reste beaucoup à faire, car les femmes au Liban continuent d’être confrontées à la violence et à l’application de lois arbitraires. Elles sont toujours victimes des lois, des traditions et des normes patriarcales.

    Quels sont les principaux obstacles à la réalisation du Programme d’action de Beijing et de l’Agenda 2030 en ce qui concerne les droits des femmes au Liban ? La situation a-t-elle changé pendant la pandémie de COVID-19 ?

    Nous continuons à faire face au défi des possibilités de financement limitées pour les questions relatives aux femmes et pour les organisations féministes à la base. La sous-déclaration des crimes commis à l’encontre des femmes pose également problème. Pour de nombreuses raisons, la plupart des femmes ne peuvent pas ou hésitent à dénoncer les violences dont elles sont victimes. La discrimination à l’égard des femmes reste très répandue.

    La pandémie de COVID-19 n’a fait qu’empirer les choses. Elle a atteint le Liban à un moment de crise économique dévastatrice et a entraîné une dégradation des systèmes de protection sociale et une augmentation du chômage. La situation, tant sur le plan de la sécurité que de la crise socio-économique, a eu des effets négatifs sur notre travail.

    Parmi les mesures imposées pour freiner la pandémie figurait la quarantaine, pendant laquelle des centaines de femmes et d’enfants se sont retrouvés enfermés. Leurs témoignages révèlent les souffrances, les violences et les craintes auxquels ils ont dû faire face pendant la période de quarantaine obligatoire, aboutissant dans certains cas à des suicides et à des meurtres. La pandémie a entraîné une augmentation des signalements de violences domestiques. En mars 2020, les appels pour violence domestique adressés aux forces de sécurité intérieure ont augmenté de 100 %, et les appels à la ligne d’urgence du RDFL ont augmenté de 180 % par rapport aux deux mois précédents. Il s’agissait de nouveaux cas. Douze pour cent des cas étaient très graves, et 13 % des personnes concernées ont quitté leur domicile et ont eu besoin d’un abri.

    Alors que les cas de violence ont augmenté pendant le confinement, les centres de développement social (qui font partie d’un vaste réseau sous l’égide du ministère des affaires sociales et fournissent des services sociaux aux communautés vulnérables) ont fermé leurs portes pour empêcher la propagation du virus, de sorte que nous manquons aujourd’hui de refuges suffisants pour accueillir les victimes de la violence sexiste et que nous n’avons pas la capacité pour veiller à ce que leurs besoins fondamentaux soient satisfaits. À ce problème s’ajoute le fait que de nombreuses femmes sont au chômage en raison de la crise sanitaire mondiale et de la crise économique nationale et ont besoin d’un soutien supplémentaire.

    La pandémie a également accru le travail domestique et les soins de santé fournis à titre gracieux par les femmes et les filles. En outre, les femmes représentent la majorité des professionnels des soins de santé et du travail social de première ligne, et sont donc plus vulnérables que les autres aux infections.

    Nous sommes également préoccupés par les communautés les plus marginalisées, notamment la communauté LGBTQI+, les travailleurs domestiques migrants et les réfugiés. Pendant cette crise, le système a révélé son incapacité à protéger les personnes les plus vulnérables et marginalisées sur le plan social, économique et sanitaire, comme les femmes, les enfants, les personnes âgées, les travailleurs domestiques et les réfugiés.

    Comment le RDFL et la société civile en général ont-ils réagi à la situation ?

    La société civile et les organisations de défense des droits des femmes jouent un rôle essentiel en apportant un soutien psychologique et juridique aux femmes et aux filles qui ont survécu à la violence sexiste. À cette fin, elles sensibilisent le public à l’impact de la crise actuelle sur les femmes, notamment par le biais d’Internet et des réseaux sociaux, en plaidant pour des mesures plus performantes et en essayant d’inciter le gouvernement et ses fonctionnaires à protéger les droits des femmes, et en soutenant la distribution et la fourniture de nourriture et d’autres biens ainsi que le soutien financier aux familles et aux femmes dans le besoin.

    Le RDFL a poursuivi ses efforts visant à soutenir les femmes et les filles. Il continue à fournir un soutien psychologique, social et juridique aux survivants et décèle les actes de violence dans diverses régions du pays pendant la pandémie. Nous avons également intégré une campagne de sensibilisation contre la violence à l’égard des femmes, lancée par l’Autorité nationale de la condition féminine, afin de rejeter la violence et de soutenir les personnes qui cherchent protection et assistance. Nous avons entamé une campagne de distribution pour les femmes bénéficiaires des services de soutien psychologique qui ont demandé de l’aide par le biais de la ligne d’assistance téléphonique du RDFL. Pour sensibiliser davantage à la violence sexiste, nous avons également organisé une session interactive de formation sur les droits des femmes et des filles.

    Nous continuons à recenser les appels téléphoniques reçus sur notre ligne d’assistance et à plaider directement sur nos plateformes en ligne par le biais de déclarations, de publications et d’une coordination directe avec des organismes officiels tels que le Conseil national libanais pour les femmes et d’autres acteurs, afin de prendre des mesures sans tarder pour garantir la protection des droits des femmes et des filles pendant la pandémie.

    Cependant, à cause de la crise sanitaire, nous avons également été confrontés à des restrictions supplémentaires dans notre travail. Par exemple, nous avons éprouvé des difficultés à accéder à nos centres d’aide aux femmes et aux jeunes filles. Toutes nos activités en présentiel ont été suspendues, ce qui a constitué un grand défi pour gérer tous les signalements, car tout le soutien doit être fourni à distance par le biais d’outils de communication en ligne. Nous sommes préoccupés par les femmes particulièrement exposées qui ont besoin d’un abri, car de nombreux refuges ne peuvent pas les recevoir à cause du virus, tandis que d’autres sont saturés. Nous sommes également confrontés à des contraintes d’ordre financière : il nous est devenu difficile d’accéder à nos fonds et à nos comptes bancaires, un problème que les citoyens libanais dans leur ensemble ont connu récemment.

    De quel type de soutien la société civile libanaise a-t-elle besoin de la part de la communauté internationale ?

    Pour que Beijing+25 permette de réaliser de réels progrès en matière d’égalité des sexes dans des contextes de crise tels que le Liban, les donateurs doivent adopter des approches plus féministes pour financer les organisations à la base. 

    Au Liban, les mécanismes traditionnels de financement des organisations féministes à la base adoptent trop souvent une approche dite « descendante » et sont trop rigides et patriarcaux dans leur manière de répondre à la crise. Par exemple, le manque de flexibilité dans les dates limites pour les donateurs et les limitations strictes sur les retraits en espèces ont limité notre capacité à accéder aux ressources. Dans la situation actuelle de crise politique et économique, nous devons adapter nos programmes pour répondre aux nouveaux besoins. Selon une perspective féministe sur le financement des mouvements à la base, il faudrait que les donateurs écoutent et apprennent des OSC lorsque celles-ci expriment ce dont elles ont besoin pour autonomiser leurs communautés et apporter des changements. Il s’agit également de fournir le financement de base nécessaire pour soutenir pleinement notre personnel et l’aider à faire face aux problèmes qu’il rencontre dans des situations difficiles. Dans des contextes de crise comme celle que traverse le Liban, les conditions politiques et économiques changent constamment. Il est donc nécessaire de mettre en place des mécanismes de financement plus flexibles afin de pouvoir s’adapter plus facilement à un environnement en constante évolution.

    Les médias dans le monde ont beaucoup couvert les mouvements féministes dans le monde, de #MeToo à #NiUnaMenos, et ont mis l’accent sur le rôle de leader joué par les femmes pendant la révolution libanaise. Cependant, cette importante couverture médiatique ne s’est pas encore traduite par les actions concrètes dont nous avons besoin pour améliorer la santé, les droits et le leadership des femmes et des filles dans nos communautés. Le changement commence en donnant la parole aux organisations féministes à la base dans toute leur diversité et leur intersectionnalité, y compris les personnes LGBTQI+, les travailleurs migrants et d’autres groupes marginalisés, et en leur garantissant une place dans les débats.

    Nous demandons instamment aux acteurs internationaux de prêcher par l’exemple et d’exprimer une véritable solidarité avec les mouvements féministes à la base dans le monde entier. Dans cette optique, ils peuvent par exemple faire pression sur les gouvernements pour que ceux-ci fassent de l’égalité des sexes et des droits fondamentaux des femmes et des filles une priorité absolue. Les accords bilatéraux et les financements humanitaires, tels que ceux administrés par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, doivent être conditionnés au respect des principes féministes fondamentaux. Il faut donner plus de pouvoir, de ressources et d’influence aux organisations féministes à la base pour nous aider à atteindre nos objectifs collectifs en matière d’égalité des sexes. 

    L’espace civique au Liban est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor. Le pays figure également sur notre liste de surveillance de l’espace civique.
    Contactez leRassemblement des femmes démocrates libanaises via sonsite web etsapageFacebook, ou suivez@RDFLwomen et@HayatMirshad sur Twitter, et@RDFLwomen sur Instagram.

     

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