Érythrée

  • Érythrée : il est indispensable de renouveler le mandat du Rapporteur spécial de l’ONU

    Aux Représentants permanents des États Membres et Observateurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (Genève, Suisse)

    Madame, Monsieur le Représentant permanent, 

    En 2020, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a maintenu sa surveillance étroite de la situation des droits humains en Érythrée. Comme il ne pouvait être fait état d’aucun progrès dans le pays, le Conseil a considéré que le suivi de la situation et la fourniture de rapports demeuraient nécessaires. 

    Alors que l’Érythrée achève son premier mandat de Membre du Conseil (2019-2021), son Gouvernement ne montre aucune volonté de mettre un terme aux graves violations des droits humains que les organes et mécanismes onusiens ont identifiées ou de s’engager sur la voie d’un dialogue sérieux avec la communauté internationale, notamment sur la base des « critères pour l’évaluation des progrès accomplis » établis par la Rapporteuse spéciale en 2019. En outre, les forces érythréennes sont accusées de façon crédible d’avoir commis de graves violations dans la région éthiopienne du Tigré depuis le début du conflit dans cette région, en novembre 2020. Certaines de ces violations pourraient être constitutives de crimes de droit international. 

    La surveillance de l’Érythrée demeure indispensable. Lors de la 47ème session du Conseil (21 juin-15 juillet 2021), nous exhortons votre délégation à soutenir l’adoption d’une résolution renouvelant le mandat du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans le pays pour une année supplémentaire. En plus de garantir que la situation interne de l’Érythrée reste soumise à un suivi et à des rapports publics réguliers, la résolution devrait prier la Haute-Commissaire aux droits de l’homme de faire rapport sur le rôle et les possibles violations commises par les forces érythréennes dans la région éthiopienne du Tigré depuis novembre 2020. 

    Tout en saluant l’adoption des résolutions 41/1 et 44/1 dans le cadre du point 2 de l’ordre du jour du Conseil, de nombreuses organisations non gouvernementales ont appelé à la prudence, rappelant que tout changement d’approche du Conseil devrait refléter des changements équivalents concernant la situation des droits humains dans le pays. 

    Malheureusement, les inquiétudes exprimées dans une lettre commune de la société civile publiée l’an dernier demeurent pertinentes. Les problèmes clefs en termes de droits humains en Érythrée incluent : 

    • Une impunité généralisée pour les violations des droits humains passées et actuelles. Les arrestations arbitraires et les détentions au secret se poursuivent, de même que les violations du droit à un procès équitable, à l’accès à la justice et aux garanties et procédures légales, les disparitions forcées et le manque d’informations sur les personnes disparues. Ainsi, le sort réservé à Ciham Ali Ahmed, une citoyenne américano-érythréenne qui, en 2012, à l’âge de 15 ans, a été placée en détention à durée indéterminée pour avoir tenté de fuir le pays après que son père, un responsable gouvernemental, eut fait défection, demeure inconnu ; 
    • La conscription au sein du système abusif de service national du pays. Les élèves du secondaire, dont certains sont toujours des enfants, continuent à être recrutés par milliers chaque année, y compris pendant la pandémie. Le service national à durée indéterminée, qui implique des actes de torture, des violences sexuelles à l’encontre des femmes et des filles et du travail forcé, se poursuit. En dépit de l’accord de paix signé en 2018 avec l’Éthiopie, des milliers de personnes demeurent en état de conscription indéterminée. Ceux qui ont rejoint le service national en 1994 n’ont pas été démobilisés et demeurent à l’état de conscrits 27 ans plus tard. 
    • Des restrictions à l’égard des médias et des professionnels des médias. Une presse libre et indépendante est toujours absente du pays. 16 journalistes demeurent en détention sans procès, dont nombre depuis 2001.  
    • De graves restrictions à l’espace civique. Ces restrictions aboutissent à une situation où les citoyens érythréens sont globalement dans l’incapacité de jouir de leurs droits à la liberté d’opinion et d’expression, de réunion pacifique, d’association et de religion ou de croyance. 

    Le 24 février 2021, dans son adresse inaugurale au Conseil, le Rapporteur spécial sur l’Érythrée, Dr. Mohamed Abdelsalam Babiker, a indiqué qu’il n’avait vu « aucune preuve concrète de progrès ou d’amélioration de la situation des droits humains dans le pays ». Il a ajouté que « l’Érythrée n’a[vait] pas encore mis en place de cadre institutionnel et juridique permettant de garantir des normes minimales de respect pour les droits humains dans une société démocratique. Le pays ne dispose pas d’un État de droit, d’une constitution et d’un système judiciaire indépendant pour mettre en œuvre la protection et le respect des droits humains […] ».

    Le 26 octobre 2020, sa prédécesseure, Mme Daniela Kravetz, a souligné que deux ans après l’accord de paix avec l’Éthiopie et la levée des sanctions onusiennes, elle ne pouvait que se borner à prendre note des graves restrictions aux libertés civiles demeurant en place et à regretter une « absence d’avancées concrètes et substantielles » en lien avec les critères pour l’évaluation des progrès accomplis qu’elle a identifiés. 

    Le 26 février 2021, la Haute-Commissaire, Michelle Bachelet, a souligné qu’elle « demeurait inquiète quant à l’absence de progrès tangibles » dans le pays et qu’elle était « troublée par les informations faisant état d’enlèvements et de retours forcés de réfugiés érythréens vivant au Tigré – dont certains par les forces érythréennes ». 

    Depuis novembre 2020, ces experts, ainsi que d’autres experts indépendants et des responsables onusiens, ont exprimé leurs vives inquiétudes quant à l’implication des forces érythréennes dans le conflit affectant la région du Tigré, en Éthiopie. Les violations dont il a été fait état comprennent des violations des droits des réfugiés érythréens, y compris de possibles assassinats, des enlèvements et des retours forcés en Érythrée, ainsi que des atrocités commises à l’encontre de civils. 

    Au début de l’année 2021, Amnesty International a publié un rapport faisant état du fait que, les 28 et 29 novembre 2020, les troupes érythréennes combattant au Tigré ont systématiquement tué des centaines de civils non armés dans la ville d’Aksoum, ouvrant le feu dans les rues et menant des descentes dans les habitations – un massacre qui pourrait être constitutif d’un crime contre l’humanité. 

    Human Rights Watch a également publié un rapport sur les tirs d’artillerie sans distinction menés par les forces érythréennes et éthiopiennes à Aksoum, tirs qui ont tué et blessé des civils, mais également sur les tueries de civils et les pillages et destructions de biens avant que les forces érythréennes n’abattent et n’exécutent sommairement des centaines de résidents, pour la plupart des hommes et des garçons, sur une période de 24 heures.

    Des responsables onusiens, notamment le Secrétaire général, M. António Guterres, et le chef du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH/OCHA), M. Mark Lowcock, ont exhorté les troupes érythréennes à quitter le Tigré. M. Lowcock a ajouté qu’« un grand nombre de rapports corroborés indiqu[ai]ent que [les forces érythréennes] étaient coupables d’atrocités ». Le Haut-Commissaire aux réfugiés, M. Filippo Grandi, a aussi exprimé publiquement son inquiétude à propos de la sûreté des réfugiés érythréens au Tigré, mentionnant particulièrement l’infiltration d’acteurs armés dans les camps de réfugiés. 

    En 2018, le Conseil a invité la Rapporteuse spéciale à « évaluer la situation des droits de l’homme et les échanges et la coopération que le Gouvernement érythréen entretient avec le Conseil des droits de l’homme et ses mécanismes ainsi qu’avec le Haut-Commissariat (HCDH), et d’en rendre compte, et, lorsqu’il y a lieu, à établir des critères pour l’évaluation des progrès accomplis en ce qui concerne la situation des droits de l’homme et un plan d’action assorti de délais pour leur mise en œuvre ».  

    En tant que Membre du Conseil, l’Érythrée est dans l’obligation d’« [observer] les normes les plus strictes en matière de promotion et de défense des droits de l’homme » et  de « [coopérer] pleinement avec le Conseil ». Or, le Gouvernement érythréen refuse de coopérer avec le Rapporteur spécial. Il continue de rejeter les conclusions faisant état de graves violations et les appels aux réformes. 

    Le Conseil devrait garantir une suite appropriée à son action en permettant au Rapporteur spécial de poursuivre son travail et au HCDH d’approfondir son dialogue avec le Gouvernement érythréen. Il devrait en outre exhorter l’Érythrée à remplir ses obligations de Membre avant la fin de son mandat (31 décembre 2021) et à s’engager dans un dialogue constructif avec le système onusien de protection des droits humains. Lors de sa 46ème session, tenue récemment, l’Érythrée a annoncé son intention de concourir pour un second mandat de trois ans en tant que Membre du Conseil. Le Conseil ne devrait pas récompenser la non-coopération ; au contraire, il devrait maintenir sa surveillance étroite de l’Érythrée et faire pression pour que celle-ci respecte ses obligations de Membre et dialogue de bonne foi avec les mécanismes nommés par le Conseil. Cela implique notamment de prendre des mesures concrètes et mesurables pour mettre un terme aux graves problèmes liés aux droits humains qui ont été identifiés de façon récurrente par les Rapporteurs spéciaux successifs et la Haute-Commissaire. 


    Lors de sa prochaine 47ème session, le Conseil devrait adopter une résolution : 

    • Renouvelant le mandat du Rapporteur spécial sur l’Érythrée pour une année ;
    • Exhortant l’Érythrée à coopérer pleinement avec le Rapporteur spécial en lui permettant un accès au pays, conformément à ses obligations de Membre du Conseil ; 
    • Appelant l’Érythrée à développer un plan de mise en œuvre concernant les critères pour l’évaluation des progrès accomplis, en consultation avec le Rapporteur spécial et le HCDH ; 
    • Priant la Haute-Commissaire de présenter une mise à jour orale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée lors de la 49ème session du Conseil ; 
    • Priant le Rapporteur spécial de présenter une mise à jour orale lors de la 49ème session du Conseil, au cours d’un dialogue interactif, et de présenter un rapport sur la mise en œuvre de son mandat lors de la 50ème session du Conseil et lors de la 77ème session de l’Assemblée générale ; et 
    • Priant la Haute-Commissaire de présenter un rapport oral sur le rôle et les possibles violations commises par les forces érythréennes dans la région éthiopienne du Tigré depuis novembre 2020, lors de la 48ème session du Conseil. 

    Nous restons à votre disposition pour fournir à votre délégation de plus amples informations. Dans l’attente, nous vous prions de croire, Madame, Monsieur le Représentant permanent, en l’assurance de notre haute considération.

    1. Africa Monitors 
    2. AfricanDefenders (Réseau panafricain des défenseurs des droits humains)
    3. Amnesty International 
    4. Article 19 Afrique de l’Est 
    5. Botswana Watch Organization 
    6. Center for Civil Liberties (Ukraine) 
    7. Center for Reproductive Rights 
    8. Centre africain pour la démocratie et l’étude des droits de l’Homme (ACDHRS) 
    9. Centre for Constitutional Governance (Uganda) 
    10. Centre mondial pour la responsabilité de protéger (GCR2P) 
    11. CIVICUS 
    12. Civil Rights Defenders 
    13. Commission internationale de juristes 
    14. DefendDefenders (Projet des défenseurs des droits humains de l’Est et de la Corne de l’Afrique)
    15. ERISAT 
    16. Eritrea Focus 
    17. Eritrean Law Society (ELS) 
    18. Eritrean Movement for Democracy and Human Rights (EMDHR) 
    19. Ethiopian Human Rights Center 
    20. Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) 
    21. Freedom House 
    22. Genève pour les Droits de l’Homme 
    23. Human Rights Concern - Eritrea (HRCE) 
    24. Human Rights Watch
    25. Initiative égyptienne pour les droits individuels (EIPR) 
    26. Institut du Caire pour l’étude des droits de l’Homme (CIHRS)  
    27. Mouvement international contre toutes les formes de discrimination et de racisme (IMADR) 
    28. Odhikar (Bangladesh)
    29. One Day Seyoum 
    30. Organisation mondiale contre la torture (OMCT) 
    31. Réseau ouest-africain des défenseurs des droits humains (ROADDH/WAHRDN) 
    32. Robert F. Kennedy Human Rights 
    33. Service international pour les droits de l’Homme (ISHR) 
    34. Solidarité chrétienne dans le monde (CSW) 
    35. Southern Africa Human Rights Defenders Network (SAHRDN) 
  • Érythrée : La résolution annuelle du Conseil devrait décrire la situation des droits humains dans le pays et proroger le mandat du Rapporteur spécial

    À l’attention des Représentants permanents des États Membres et Observateurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Genève (Suisse)

    Madame, Monsieur le Représentant permanent,

    En amont de la 53ème session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (19 juin-14 juillet 2023), nous, les organisations non gouvernementales soussignées, vous écrivons afin d’exhorter vo­tre délé­gation à soutenir le développement et l’adoption d’une résolution qui proroge le mandat du Rap­por­teur spécial sur la situation des droits de l’homme en Érythrée pour une année.

    En outre, nous soulignons le besoin pour le Conseil de proposer une résolution forte, qui décrive et condamne les violations continues des droits humains commises par les autorités érythréennes au sein et à l’extérieur du pays, dans un contexte d’impunité totale.

    *     *     *

    Nous sommes d’avis que le Conseil ne peut plus suivre une approche standard. Il est temps pour lui d’aller au-delà de résolutions purement procédurales qui prorogent le mandat du Rapporteur spécial. Ainsi, le Conseil devrait produire une évaluation substantielle de la situation des droits humains en Érythrée et adop­­ter des résolutions fortes sur le pays. Ces résolutions devraient faire référence aux « critères pour l’é­va­luation des progrès accomplis » identifiés par le Rapporteur spécial[1] et aux recommandations émises par les autres organes et mécanismes onusiens et africains. Elles devraient également inclure des para­gra­phes substan­tiels traitant des violations commises par les autorités érythréennes au sein du pays et à l’étranger[2].

    À cet égard, la prochaine résolution annuelle devrait au minimum mentionner les éléments clefs suivants se rapportant à la situation des droits humains en Érythrée[3] :

    • Des arrestations et détentions arbitraires, y compris la détention au secret de journalistes et d’au­tres voix dissidentes, ainsi que la détention prolongée de prisonniers de guerre djiboutiens[4];
    • Des violations des droits à un procès équitable, à l’accès à la justice et au respect des garanties pro­cédurales ;
    • Des disparitions forcées[5];
    • La conscription au sein du système abusif de service national du pays[6], y compris pour un service national à durée indéterminée, accompagnée d’actes de torture, de violences sexuelles contre les femmes et les filles, et de travail forcé. Depuis que le Conseil a adopté la résolution 50/2[7], en juil­l­et 2022, le Gouvernement érythréen a mené une campagne intensive de conscription forcée au cours de laquelle les forces de sécurité ont fait du porte-à-porte afin d’identifier les réfractaires ou déserteurs présumés, punissant les proches de ceux qui cherchaient à échapper à la cons­crip­tion ou à un rappel dans les rangs de l’armée. Les punitions ont consisté notamment en des déten­tions arbitraires et des expulsions de domicile[8];
    • Des restrictions à l’encontre des médias et de leurs travailleurs, de graves restrictions à l’espace civique, notamment aux droits à la liberté d’opinion et d’expression, de réunion paci­fique et d’asso­ciation, de mouvement et à la non-discrimination[9], ainsi que de graves restrictions à la liberté de religion ou de croyance[10];
    • Une impunité généralisée pour les violations des droits humains passées et actuelles ; et
    • Le refus, par le Gouvernement érythréen, de s’engager dans la voie d’un dialogue sérieux avec la communauté internationale, notamment en coopérant avec le Conseil, en dépit de sa réélection comme Membre du Conseil pour la période 2022-2024. Depuis des décennies, les autorités éryth­réennes nient de façon éhontée avoir commis de graves violations des droits hu­mains, y compris récemment en lien avec la présence de forces érythréennes dans la région éthiopienne du Tigré[11].

    Les forces érythréennes sont accusées de façon crédible de graves violations du droit internatio­nal au Tigré, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre et de crimes contre l’huma­nité, commises depuis que le conflit a débuté en novembre 2020. Ces violations, ainsi que l’absence complète de redeva­bilité qui y est associée, méritent l’attention du Conseil.

    *     *     *

    En juillet 2022, le Conseil a franchi une étape modeste pour répondre de façon robuste aux problèmes rela­tifs aux droits humains en Érythrée. En effet, pour la première fois depuis 2018, il est allé au-delà d’une résolution d’une page visant à renouveler le mandat du Rapporteur spécial. Il a ainsi fait référence aux critères pour l’é­va­luation des progrès accomplis identifiés par les Rapporteurs spéciaux. Ce faisant, le Conseil a dessiné un chemin vers des réformes en matière de droits humains. Ces critères pour l’é­va­luation des progrès accomplis incluent la promotion de l’état de droit, la réforme du service na­tio­nal/ militaire, la garantie des libertés fondamentales, la lutte contre les violences sexuel­les et fondées sur le genre et, enfin, le renforcement de la coopération avec les organes internationaux et africains.

    La résolution 50/2 a aussi prorogé le mandat du Rapporteur spécial pour une année, ce qui était l’objectif principal des résolutions sur l’Érythrée adoptées en 2019, 2020 et 2021.

    Bien qu’elle soit allée plus loin que ces trois résolutions, qui étaient purement procédurales en ce sens qu’elles ne contenaient aucune évaluation substantielle de la situation en Érythrée, la résolution 50/2 n’a pas clairement décrit et condamné les violations des droits humains dont les autorités érythréennes sont responsables. Partant, elle a échoué à refléter la situation dans le pays d’une manière similaire à celle dont les résolutions du Conseil antérieures à 2019 reflétaient cette situation. Elle a aussi échoué à mettre en exergue les atrocités que les forces érythréennes ont commises dans la région éthiopienne du Tigré depuis que le conflit armé a débuté, en novembre 2020. Or, les violations que les autorités érythréennes com­met­tent au sein du pays et à l’étranger sont les deux faces d’une même pièce : c’est la fermeture totale de l’espace civique qui permet à ces violations de se perpétuer en toute impunité.

    En amont de la 50ème session du Conseil, plus de 40 organisations de la société civile ont exhorté le Conseil à poursuivre son examen de la situation des droits humains en Érythrée et à renforcer sa résolution annuelle en vue de la rapprocher des résolutions antérieures à 2019[12]. Nous nous félicitons de l’inclusion, dans la résolution 50/2, d’un appel au Gouvernement érythréen à « [s’engager à] faire des progrès dans l’application des recommandations [formulées par le Rapporteur spécial] dans ses rapports ainsi que des progrès au regard des critères et des indicateurs connexes proposés en 2019 ». Néanmoins, nous souli­gnons que les résolutions sur l’Érythrée devraient pleinement refléter la situation des droits hu­mains qui prévaut dans le pays.

    En 2016, la Commission d’enquête sur l’Érythrée[13] a conclu qu’il existait des « motifs raisonnables de croire » que des crimes contre l’humanité avaient été commis dans le pays depuis 1991 et que les res­pon­sables érythréens avaient commis et continuaient de commettre les crimes de réduction en escla­vage, d’emprisonnement, de disparitions forcées, de torture, de persécution, de viol et de meurtre. La commu­nau­té internationale et l’Union africaine ont échoué à assurer un suivi adéquat à ces conclusions. Depuis 2019, le Conseil des droits de l’homme a donné aux victimes, aux survivants et à leurs fa­mil­les l’im­pres­sion qu’il avait abandonné la promotion de la redevabilité.

    Or, à ce jour, aucun responsable érythréen n’a été tenu pour pénalement responsable de ces violations. La situation des droits humains en Érythrée n’a pas fondamentalement changé. Tous les problèmes clefs identifiés dans les résolutions antérieures à 2019 et par les experts et organisations indépendantes demeu­rent d’actualité. Par exemple, dans son rapport 2022, le Rapporteur spécial, le Dr. Mohamed Abdelsalam Babiker, a noté « qu’il n’a pas encore été donné suite à la grande majorité des recommandations formulées par les mécanismes relatifs aux droits de l’homme […], ainsi qu’aux recommandations formulées à l’issue de l’Examen périodique universel du pays, en 2019 ». Il a ajouté que « la crise qui continue de sévir en Érythrée sur le plan des droits de l’homme s’est aggravée au cours de la période considérée », et constaté différentes tendances préoccupantes[14].

    De la même façon, dans une déclaration lue durant le dialogue interactif renforcé sur l’Érythrée qui s’est tenu le 6 mars 2023, la Haute‑Commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l’homme, Mme Nada Al-Nashif, a souligné que « la situation des droits humains en Érythrée demeure terrible et ne mon­tre aucun signe d’amélioration. Elle continue d’être caractérisée par de graves violations »[15]. Elle a ajouté que « le fait que toutes ces violations des droits humains sont commises dans le contexte d’une impunité totale est alarmant. L’Érythrée n’a pris aucune mesure à même de démontrer le moindre progrès en vue de garantir la reddition des comptes pour les violations des droits humains passées et actuelles ».

    *     *     *

    Le Conseil des droits de l’homme devrait permettre au Rapporteur spécial de poursuivre son tra­vail et au Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH)d’ap­­profondir son dialogue avec l’Érythrée.

    Lors de sa 53ème session, le Conseil devrait adopter une résolution :

    • Prorogeant le mandat du Rapporteur spécial sur l’Érythrée pour une année ;
    • Exhortant l’Érythrée à coopérer pleinement avec le Rapporteur spécial en lui permettant un accès au pays, conformément à ses obligations de Membre du Conseil ;
    • Condamnant les violations continues des droits humains commises par les autorités éry­thré­en­nes au sein du pays et à l’étranger dans un contexte d’impunité totale ;
    • Accueillant avec satisfaction les critères pour l’évaluation des progrès accomplis en ce qui concerne la situation des droits de l’homme et les indicateurs et recommandations asso­ciés, ainsi que les recommandations formulées par les autres organes et mécanismes onusiens et africains relatifs à la protection des droits humains, et appe­lant l’Érythrée à développer un plan de mise en œuvre relatif à ces critères pour l’éva­lua­tion des progrès, en consultation avec le Rapporteur spécial et le HCDH ; et
    • Priant le Haut-Commissaire et le Rapporteur spécial de présenter des mises à jour sur la situ­ation des droits de l’homme en Érythrée et sur les possibilités de reddition des comptes en ce qui concerne les violations graves lors de la 55ème session du Conseil, au cours d’un dia­logue interactif renforcé incluant la participation de la société civile, et priant le Rap­por­teur spécial de présenter un rapport écrit exhaustif au Conseil lors de sa 56ème session et à l’Assemblée générale lors de sa 78ème session.

    Nous vous remercions et restons à votre disposition pour fournir à votre délégation de plus amples infor­ma­tions. Dans l’at­tente, nous vous prions de croire, Madame, Mon­sieur le Représentant permanent, en l’assu­ran­ce de notre haute considération.

    1. Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et de la peine de mort en République centrafricaine (ACAT-RCA)
    2. AfricanDefenders (Réseau panafricain des défenseurs des droits humains)
    3. The America Team for Displaced Eritreans
    4. Amnesty International
    5. Centre mondial pour la responsabilité de protéger (GCR2P)
    6. CIVICUS
    7. Clinique libyenne des droits humains (LHRC)
    8. Coalition burkinabè des défenseurs des droits humains (CBDDH)
    9. Coalition burundaise des défenseurs des droits de l’Homme (CBDDH)
    10. Coalition des défenseurs des droits humains – Bénin (CDDH-Bénin)
    11. Coalition ivoirienne des défenseurs des droits humains (CIDDH)
    12. Coalition togolaise des défenseurs des droits humains (CTDDH)
    13. Coordination des organisations de défense des droits humains (CODDH) de Guinée
    14. CSW (Christian Solidarity Worldwide)
    15. DefendDefenders (Projet des défenseurs des droits humains de l’Est et de la Corne de l’Afrique)
    16. Eritrean Afar National Congress
    17. Eritrea Focus
    18. Eritrean Coordination for Human Rights
    19. Eritrean Law Society
    20. Genève pour les Droits de l’Homme – Formation internationale (GHR)
    21. Global Initiative to Empower Eritrea Grassroot Movement
    22. The Horn of Africa Civil Society Forum (HoACSF)
    23. Human Rights Concern - Eritrea (HRCE)
    24. Human Rights Defenders Network – Sierra Léone
    25. Human Rights Watch
    26. Institut des médias pour la démocratie et les droits de l’Homme (IM2DH) – Togo
    27. Institut de Hawai’i pour les droits humains (Hawai’i Institute for Human Rights)
    28. Lawyers’ Rights Watch Canada
    29. One Day Seyoum
    30. Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
    31. Réseau capverdien des défenseurs des droits de l’homme (RECADDH)
    32. Réseau nigérien des défenseurs des droits humains (RNDDH)
    33. Réseau des ONG de promotion et de défense des droits de l’homme (RONGDH) – République Centrafricaine
    34. Service international pour les droits de l’homme (SIDH)
    35. Vision Ethiopian Congress for Democracy (VECOD)

    [1] Voir la résolution 38/15 du Conseil des droits de l’homme, disponible sur : https://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/RES/38/15. Voir aussi les rapports du Rapporteur spécial au Conseil, Documents ONU A/HRC/41/53, A/HRC/44/23 et A/HRC/47/21.

    [2] Voir l’Annexe pour un examen des éléments contenus dans les résolutions successives du Conseil sur l’Érythrée (2012-2022).

    [3] Voir DefendDefenders et al., « Érythrée : Il faut proroger le mandat du Rapporteur spécial et consacrer ses ‘critères pour l’évaluation des progrès accomplis’ », 20 mai 2022, https://defenddefenders.org/the-human-rights-council-should-strengthen-its-action-on-eritrea/ (consulté le 12 avril 2023), ainsi que les lettres précédentes de la société civile, à savoir DefendDefenders et al., « Eritrea : maintain Human Rights Council scrutiny and engagement », 5 mai 2020, https://defenddefenders.org/eritrea-maintain-human-rights-council-scrutiny-and-engagement/ ; DefendDefenders et al., « Érythrée : il est indispensable de renouveler le mandat du Rapporteur spécial de l’ONU », 10 mai 2021, https://defenddefenders.org/eritrea-renew-vital-mandate-of-un-special-rapporteur/. Voir en outre CSW, « Eritrea : General Briefing », 22 mars 2022, https://www.csw.org.uk/2022/03/22/report/5629/article.htm (consulté le 11 avril 2023).

    [4] Voir par exemple One Day Seyoum, « About Eritrea », https://onedayseyoum.org/about-eritrea (consulté le 12 avril 2023).

    [5] Voir entre autres Amnesty International, « Eritrea : Ten years on, Ciham Ali’s ongoing enforced disappearance ‘a disgrace’ », 7 décembre 2022, https://www.amnesty.org/en/latest/news/2022/12/eritrea-ten-years-on-ciham-alis-ongoing-enforced-disappearance-a-disgrace/ (consulté le 11 avril 2023).

    [6] Human Rights Concern - Eritrea, « Eritrea Hunts Down its Young People for Enforced Military Service », 6 septembre 2022, https://hrc-eritrea.org/eritrea-hunts-down-its-young-people-for-enforced-military-service/ (consulté le 11 avril 2023). Voir aussi Human Rights Watch, « Érythrée : Sévère répression à l’encontre des familles de réfractaires », 9 février 2023, https://www.hrw.org/fr/news/2023/02/09/erythree-severe-repression-lencontre-des-familles-de-refractaires (consulté le 12 avril 2023).

    [7] Disponible sur : https://www.ohchr.org/en/hr-bodies/hrc/regular-sessions/session50/res-dec-stat

    [8] Human Rights Watch, « Érythrée : Sévère répression à l’encontre des familles de réfractaires », op. cit.

    [9] CIVICUS, Civic Space Monitor, « Eritrea », https://monitor.civicus.org/country/eritrea/

    [10] CSW – FoRB in Full blog, « Let Us Honour The Memory of Patriarch Antonios By Bringing an End to the Violations of the Eritrean Regime », 9 février 2023, https://forbinfull.org/category/sub-saharan-africa/eritrea/ ; CSW, « Eritrean Church Leader Denied Burial Site in His Hometown », 21 avril 2023, https://www.csw.org.uk/2023/04/21/press/5988/article.htm ; « HRC52 : Oral statement on the situation of human rights in Eritrea », 6 mars 2023, https://www.csw.org.uk/2023/03/06/report/5948/article.htm (consultés le 24 avril 2023).

    [11] En dépit de ses obligations de Membre du Conseil d’« [observer] les normes les plus strictes en matière de promotion et de défense des droits de l’homme » et de « [coopérer] pleinement avec le Conseil », le Gouvernement refuse de coopérer avec le Rapporteur spécial ou les autres titulaires de mandat au titre des procédures spéciales. En 2023, l’Érythrée demeure l’un des très rares pays à n’avoir jamais reçu la moindre visite d’une procédure spéciale (voir https://spinternet.ohchr.org/ViewCountryVisits.aspx?visitType=all&Lang=en).

    Le 9 février 2023, le president Afeworki a déclaré que les forces de son pays n’avaient « jamais commis de violations des droits humains ou interféré avec la guerre » au Tigré. Il s’est référé aux allégations de crimes de droit international, qui ont pourtant été documentées de façon sérieuse, comme à une « campagne de désinformation » (Anadolu, « Eritrean leader denies rights violations by his forces in Ethiopian war », 10 février 2023, https://www.aa.com.tr/en/africa/eritrean-leader-denies-rights-violations-by-his-forces-in-ethiopian-war/2814756 (consulté le 27 avril 2023)).

    [12] Voir la note de bas de page n°3, ci-dessus.

    [13] Voir https://www.ohchr.org/en/hr-bodies/hrc/co-i-eritrea/commissioninquiryonhrin-eritrea (consulté le 12 avril 2023).

    [14] A/HRC/50/20, disponible sur : https://www.ohchr.org/en/hr-bodies/hrc/regular-sessions/session50/list-reports. Voir en particulier les paragraphes 75 et 76. Ces tendances incluent notamment la militarisation accrue du pays et la durée, toujours indéterminée, du service militaire, le fait que l’Érythrée reste impliquée dans la commission de violations des droits de l’homme et du droit humanitaire dans le contexte du conflit en Éthiopie, l’augmentation des rafles (giffas), l’enrôlement d’enfants soldats et l’enlèvement et la conscription forcée de réfugiés érythréens, qu’on oblige à combattre, le fait que l’espace civique reste « hermétiquement fermé », les Érythréens ne pouvant pas exprimer d’opinions dissidentes ni participer à la prise de décisions, la détention arbitraire et prolongée de centaines d’Érythréens en raison de leur opposition, réelle ou perçue, au Gouvernement, l’augmentation des pressions exercées sur les groupes religieux et sur les communautés de la diaspora, et l’augmentation des tensions ethniques et politiques en Érythrée et pour les Érythréens de la diaspora en raison des clivages créés par la guerre au Tigré.

    [15] Elle a en outre souligné : “Notre Bureau continue de recevoir des allégations crédibles d’actes de torture, de détentions arbitraires, de conditions inhumaines de détention, de disparitions forcées, et de restrictions aux droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Des milliers de prisonniers politiques et de prisonniers de conscience sont, selon les rapports reçus, détenus depuis des décennies. De plus, le harcèlement et la détention arbitraire de personnes en raison de leur foi continue, et l’on estime que des centaines de leaders religieux et de leurs adeptes sont concernés ».

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