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  • ALGÉRIE : « L’Etat doit respecter les libertés de ceux qui réclament la vérité et la justice sur les disparitions forcées »

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    CIVICUS échange sur la répression de la société civile en Algérie avec Nassera Dutour, militante franco-algérienne des droits humains, présidente du Collectif des Familles de Disparu.e.s en Algérie (CFDA) et de la Fédération Euro-Méditerranéenne contre les Disparitions Forcées.

    Le CFDA a été fondé à Paris en mai 1998, sous l’impulsion de mères algériennes vivant en France dont des proches avaient disparu en Algérie. Il défend le droit à la vérité et à la justice des familles de disparu.e.s et s’emploie depuis sa création à sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale à l’ampleur des violations des droits humains en Algérie.

     

    Quelle est la raison de l’augmentation récente de la répression en Algérie ?

    En février 2019, la population en Algérie s’est mobilisée de manière spontanée et pacifique pour exiger un changement démocratique. Elle est descendue dans les rues d’Alger et d’autres villes pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, président en exercice, à un cinquième mandat. Même après sa démission, le mouvement de contestation, appelé « Hirak », n’a pas perdu de son élan, élargissant ses revendications pour la refonte profonde du régime, en quête d’un gouvernement civil ainsi que d’une « Algérie libre et démocratique ».

    Bien que la pandémie de Covid-19 ait mis un frein aux manifestations à partir de mars 2020, la mobilisation a repris en février 2021 avant de connaître un déclin définitif, en partie dû aux pressions concertées des autorités pour réprimer le mouvement. Le harcèlement et l’intimidation des militants des droits humains, en particulier de celles et ceux qui osent critiquer les discours et politiques du gouvernement, sont incessants. Les forces de sécurité les surveillent et les menacent, créant ainsi un climat de peur qui devient progressivement fatal à l’action pour la défense des droits humains. Dans certains cas extrêmes, des militants sont même confronté.e.s à des violences physiques, compromettant leur sécurité et leur capacité à poursuivre leur travail essentiel.

    Les tribunaux algériens se sont appuyés sur de nombreuses dispositions du Code pénal afin de bâillonner les voix critiques aussi bien en ligne qu’hors ligne. Des journalistes tels que Mustapha Bendjama, Khaled Drareni, Ihsane El-Kadi et Rabah Karèche ont été ciblés et condamnés à des peines de prison lourdes pour avoir dénoncé la corruption et les abus. Les autorités ont également arbitrairement restreint, voire bloquer l’accès à des sites d’information indépendants, minant davantage l’accès à une information plurielle.

    Entre autres tactiques, les autorités ont souvent invoqué l’atteinte à l’« intérêt national » pour restreindre la liberté d’action des défenseurs des droits humains. C’est ainsi que le président de l’association SOS Bab El Oued, Nacer Meghnine, a été condamné en 2021 pour des publications trouvées au siège de son association dénonçant la répression, les arrestations arbitraires et la torture. Les juges avaient en effet considéré que ces écrits ternissaient l’image de l’Algérie à l’international, et qu’en épinglant l’Algérie pour n’avoir pas appliqué la Convention des Nations Unies contre la torture, il incitait à l’ingérence étrangère. Nacer Meghnine a, par ailleurs, été condamné pour incitation directe à attroupement non armé, pour des tracts affichant des portraits de détenus d’opinion. L’un des outils les plus redoutables employés par les autorités pour réprimer la dissidence est la législation contre le terrorisme avec une définition du terrorisme élargie.

    Les organisations de la société civile indépendantes peuvent-elles toujours opérer en Algérie ?

    Le CFDA demeure une association clandestine malgré les nombreuses relances réalisées pour la légaliser auprès du ministère de l’Intérieur et de la préfecture. Il n’y a jamais eu de justification de la part de l’Etat expliquant ce refus d’autoriser l’enregistrement.

    De 2001 à 2013 le CFDA a dû déménager chaque année ses bureaux en Algérie, en raison de l’intimidation exercée sur les propriétaires par les autorités algériennes. En France, il y a eu deux intrusions particulièrement violentes dans les bureaux, qui ont été complètement saccagés. L’Etat algérien exerce une très forte pression psychologique chez les membres de l’organisation tant en Algérie qu’en France.

    En 2023, des policiers sont venus dans les bureaux d’Alger en menaçant les membres de l’association. Il n’y a pas eu de suites alors que l’avocate de l’association a cherché à déterminer l’existence d’un dossier d’enquête sur le CFDA ou sur le propriétaire des lieux.

    Lors de l’organisation d’une conférence qui devait se dérouler à Alger, les autorités sont venues à l’hôtel en nous « suggérant » de ne pas tenir la conférence. Les équipes du CFDA de ses partenaires ont essayé pendant des heures de tenir tête aux autorités policières et de gendarmerie, mais ils nous ont obligé à quitter les lieux. Ce séminaire international qui devait se tenir sur deux jours sous l’intitulé « vérité, justice et conciliation » a été tout simplement interdit.

    Le téléphone ainsi qu’internet ont été régulièrement coupés sans aucune explication et le site internet ainsi que les réseaux sociaux se sont fait piratés à deux reprises. La radio du CFDA crée en 2016 a été immédiatement censuré dans la mesure où il n’était plus accessible en Algérie. Six ans plus tard, le site a été piraté et le CFDA a été dans l’obligation de créer un autre site sous une autre enseigne.

    Les membres du CFDA ont subi un harcèlement psychologique allant jusqu’aux menaces de mort à répétition. En 2002, les autorités françaises m’ont prévenu que l’Algérie avait donné l’ordre de me tuer.

    En outre, le recours aux financements étrangers est drastiquement limité alors qu’il est quasiment impossible d’avoir accès à des financements de la part de l’Etat, dont seules les organisations « affiliées » à l’Etat algérien bénéficient.

    Depuis le Hirak, la dissolution des associations s’est intensifiée de manière exponentielle. En effet, une association peut être suspendue « en cas d’ingérence dans les affaires internes du pays ou d’atteinte à la souveraineté nationale ». Le Rassemblement Actions Jeunesse ainsi que la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme ont été dissoutes.

    Les manifestations organisées en Algérie pour défendre les droits humains sont souvent réprimées par la police, avec des nombreuses arrestations et détentions arbitraires, de cas de disparitions forcées de court et longue durée, et de cas de torture.

    En raison de cette répression, plusieurs défenseurs et défenseures des droits humains, avocates et journalistes ont dû quitter l’Algérie vers la France ou d’autres pays Européens. Mais la diaspora continue de faire front uni en menant des actions communes telles que des manifestations à Paris tous les dimanches, des missions de plaidoyer auprès des institutions nationales, européennes et internationales, la documentation et la rédaction de rapports à l’attention des organes décisionnels, d’investigation et judiciaires, la publication d’articles de presse et de communiqués officiels, des conférences et tables-rondes et des campagnes de plaidoyer sur les réseaux sociaux.

    Comment travaille le CFDA pour protéger et promouvoir les droits humains en Algérie ?

    Le CFDA mené des actions de plaidoyer auprès des instances internationales et invite des militants des droits humains et des membres de la société civile en Algérie à participer.

    Le CFDA informe immédiatement le grand public, dès qu’il a connaissance d’une violation des droits humains en Algérie. Cependant, on ne s’arrête pas à des dénonciations : on interpelle les États par des écrits ainsi que les instances internationales par des appels urgent adressées aux différentes procédures spéciales des Nations Unies et auprès des commissaires de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.

    Le CFDA a produit plusieurs rapports sur les droits humains en Algérie, sur la non-indépendance de la justice, sur le droit des femmes, sur les détentions arbitraires et les disparitions forcées.

    En 2014, on a inauguré le Centre pour la Préservation de la Mémoire et l’Etude des Droits de l’Homme à Oran. Il s’agit d’un espace de documentation, de rencontre et de réflexion sur des thématiques liées aux droits humains ouvert à tout public. Il dispose d’un vaste panel de publications concernant les disparitions forcées et la justice transitionnelle.

    Le CFDA forme et informe. En effet, on informe par nos réseaux sociaux et notre site internet, mais aussi par notre radio en ligne, « La radio des sans voix ». Depuis 2016, la radio aborde, dans des podcasts et interviews réguliers, des sujets liés aux droits humains. Elle fait partie intégrante de notre travail de mémoire, parce qu’elle offre un espace d’expression aux personnes qui ont été mises sous silence. Depuis 2019, la radio suit et commente également le Hirak et les dérives autoritaires du régime algérien.

    Le CFDA forme les militants des droits humains sur les mécanismes internationaux et africains de protection des droits humains, sur la communication interne et externe ainsi que sur la gestion des conflits. Il s’investit énormément sur l’indépendance de la justice car il estime que l’Etat de droit et la démocratie ne peuvent exister sans indépendance de la justice et que sans Etat de droit, la vérité sur les disparitions forcées en Algérie ne sera jamais établie.

    Quelles sont vos demandes au gouvernement algérien ?

    En ce qui concerne la recherche de la vérité, nous exigeons une enquête exhaustive et impartiale sur tous les cas de disparitions afin que la victime, si elle est vivante, soit placée sous la protection de la loi, et si elle ne l’est pas, que sa dépouille soit restituée à sa famille. Toutes les personnes concernées par la disparition doivent avoir accès aux résultats finaux de l’enquête.

    Les autorités doivent utiliser tous les moyens techniques et légaux pour localiser les charniers et tombes anonymes, identifier les corps, clarifier les circonstances dans lesquelles ils ont été enterrés et restituer les dépouilles aux familles. Elles doivent mettre en place une base de données ADN à des fins d’identification.

    Pour mettre fin à l’impunité, les autorités doivent mener des enquêtes immédiates et impartiales sur chaque cas présumé de disparition dont le commanditaire, auteur ou complice aurait la qualité d’agent de l’Etat. Toute plainte pénale contre un inconnu ou un agent public doit être déclarée recevable et faire l’objet d’une enquête immédiate. L’État doit également prendre des mesures urgentes pour garantir l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

    En outre, des réparations appropriées et adéquates doivent être accordées aux victimes, incluant une indemnisation financière appropriée, une réhabilitation morale et psychologique, et un travail de mémoire le plus exhaustif et visible possible.

    Pour s’assurer que les crimes du passé ne se répètent pas, l’État doit respecter, protéger, garantir et promouvoir les libertés d’opinion, d’expression, d’association et de réunion pacifique de ceux qui réclament la vérité et la justice. Il doit protéger toutes les victimes et leurs familles contre les atteintes potentielles à leur intégrité physique et morale qu’elles pourraient subir en raison de leurs revendications.

    Quel soutien la société civile algérienne reçoit-elle de ses alliés internationaux, et de quel autre soutien international auriez-vous besoin ?

    Les organisations non-gouvernementales internationales telles que Amnesty International et la Fédération Internationale pour les Droits Humains sont constamment en alerte quant à la répression du gouvernement algérien.

    De plus, les organisations ainsi que le CFDA et d’autres organisations algériennes ont mené et participé à des missions de plaidoyer auprès des instances internationales et notamment européennes concernant la libération des détenus d’opinions. Nous avons obtenu trois résolutions du Parlement européen concernant les violations des droits humains en Algérie.

    Malgré ces actions, à nos connaissances et à notre grand désespoir, aucun Etat ne s’est prononcé ou dénoncé la répression en Algérie.

    Dans ce contexte, il est nécessaire de renforcer la solidarité internationale pour montrer un front uni pour créer rapport de force qui amènerait les États à demander à l’Algérie de respecter ses obligations internationales et de ce fait, respecter le droit de toutes les libertés collectives et individuelles et l’instauration d’un Etat de droit en Algérie en commençant par l’indépendance de la justice. 

    Quant aux disparitions forcées, il est nécessaire de sensibiliser l’opinion internationale sur le fait que cette pratique peut arriver sous n’importe quel gouvernement répressif, et concerne de fait toutes les sociétés – d’autant plus dans un monde globalisé où les traumas intergénérationnels et les pratiques sont particulièrement mobiles. Apparue dans les dictatures d’Amérique latine dans les années 70 et 80, cette pratique est désormais utilisée sur tous les continents par des régimes autoritaires de tous bords politiques. Pourtant, les décideur.euses et différentes parties prenantes se sont montrées désengagées. Nous devons absolument mobiliser un large public et s’organiser à l’internationale pour combattre et prévenir ce crime. 


    L’espace civique en Algérie est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

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  • BURKINA FASO : ‘Pour une grande partie de la société civile, la sécurité est une préoccupation plus urgente que la démocratie’

    Kopep DabugatCIVICUS échange sur lecoup d’État militaire récent au Burkina Faso avec Kop’ep Dabugat, coordinateur du Réseau de Solidarité pour la Démocratie en Afrique de l’Ouest (WADEMOS).

    WADEMOS est une coalition d’organisations de la société civile (OSC) d’Afrique de l’Ouest qui mobilise la société civile afin de défendre la démocratie et de promouvoir des normes démocratiques dans la région.

    Qu’est-ce qui a conduit aucoup d’État récent au Burkina Faso, et que faut-il faire pour que la démocratie soit restaurée ?

    Le capitaine Ibrahim Traoré,actuel chef de la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso, a invoqué la dégradation continue de la situation sécuritaire pour justifier la prise de pouvoir par les militaires, tout comme l'avait fait son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Or il semblerait que les attaques de groupes armés ont fortement augmenté dans les mois qui ont suivile premier coup d’État mené par Damiba, en janvier 2022. Les analystes affirment que le Burkina Faso constitue le nouvel épicentre du conflit au Sahel. Depuis 2015, les violences perpétrées par des insurgés djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont entraîné la mort de milliers de personnes et déplacé deux millions d’autres.

    Le coup d’État a également révélé la présence d’un schisme au sein de la junte dirigée par Damiba. Le nouveau coup a été orchestré en partie par les mêmes officiers militaires qui avaient participé au coup d’État pour porter Damiba à la tête de l’État. Désormais, ces officiers affirment queDamiba n’a pas cherché à réorganiser l’armée pour mieux faire face aux menaces sécuritaires comme ils s’y attendaient. Au lieu de cela, il est resté fidèle à la structure militaire qui a conduit à la chute du gouvernement du président Roch Marc Christian Kaboré, et a commencé à révéler des ambitions politiques.

    La question de la sécurité reste le premier défi à relever pour faire du Burkina Faso un État démocratique. La fonction principale d’un Etat, et plus encore d’un Etat démocratique, est de garantir la sécurité de ses citoyens. Une armée burkinabè unie sera nécessaire pour atteindre cet objectif.

    Il reste aussi à mener à bien l’actuel programme de transition accepté par la nouvelle junte, qui vise à mettre en place un régime civil d’ici juillet 2024.

    Au-delà de la transition, la nécessité de construire un État et des institutions politiques solides doit être soulignée. Il convient de s’attaquer sérieusement aux problèmes de corruption et de marginalisation économique. La nécessité de renforcer les institutions n’est pas propre au Burkina Faso : elle est essentielle pour toute la région, et en particulier pour les pays qui ont récemment été soumis à un régime militaire, notammentla Guinée etle Mali.

    Quelle a été la réaction de la société civile face à ce dernier coup d’État militaire ?

    À l’image de la désunion qui caractérise la société civile au Burkina Faso, la réaction de la société civile au coup d’État a été mitigée. Mais une partie notable de la société civile a semblé accueillir favorablement le dernier coup d’État parce qu’elle considérait la junte dirigée parDamiba non seulement comme autoritaire mais aussi comme s'alignant avec les politiciens du régime du président au pouvoir de 1987 à 2014, Blaise Compaoré. Ils craignaient ainsi que ces politiciens reprennent le pouvoir et ferment toutes les portes à la justice pour les victimes du régime Compaoré, ce qui constituait bien entendu un scénario plausible.

    Par conséquent, ce dernier coup d'État n'est en aucun cas perçu unanimement par la société civile comme constituant un pas en arrière pour l’agenda de la transition démocratique. De plus, pour une grande partie de la société civile, la sécurité semble être une préoccupation plus urgente et prioritaire que la démocratie, de sorte que l’élément qui a prévalu est l’incapacité apparente de la junte dirigée par Damiba à faire face à la situation sécuritaire.

    L’effort des groupes traditionnels et religieux qui ont négocié un accord à sept conditions entre les factions militaires de Damiba et de Traoré, mettant fin à la violence et prévenant le carnage, mérite toutefois d’être salué. Cet effort semble avoir créé une base pour l'engagement constructif entre la junte dirigée par Traoré et la société civile, qui s'est poursuivi avec la participation notable de la société civile à la Conférence nationale du 14 octobre 2022. Celle-ci a approuvé une nouvelle Charte de transition pour le Burkina Faso et a officiellement nommé Traoré comme président de transition.

    Quelle est la situation des OSC de défense des droits humains ?

    Les OSC burkinabè actives dans le domaine des droits humains et civils sont de plus en plus préoccupées par les représailles contre les politiciens et les civils perçus comme étant pro-français, ainsi que par la recrudescence marquée des groupes pro-russes qui demandent que la France et tous ses intérêts soient chassés du pays.

    De plus, les OSC de défense des droits humains et des droits civils s'inquiètent de la stigmatisation et des représailles contre la communité peule, ce qui vient s'ajouter aux préoccupations concernant l’insurrection djihadiste qui sévit dans le pays. Cette stigmatisation découle du fait que de nombreux groupes terroristes recrutent des combattants burkinabés d’origine peule. Des arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires de Peuls en raison de présomptions sur leur complicité dans des actes de violence terroriste ont été signalées. En dehors de ceux-là, aucun autre cas notable de violation des droits humains menaçant les civils n’a été identifié. Par conséquent, même si on n'est qu'au début du mandat de Traoré, on peut du moins déjà affirmer qu'il ne s'agit pas d'une situation d’augmentation des violations systématiques des droits humains.

    Comment la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a-t-elle réagi au coup d’État militaire ?

    Conformément à son Protocole additionnel de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance, la réponse initiale de la CEDEAO a été de condamner fermement et sans réserve le coup d’État, le trouvant inopportun à un moment où des progrès avaient été réalisés par la junte dirigée par Damiba pour préparer le terrain aux élections et à la démocratie. La CEDEAO a également demandé à la junte de garantir les droits humains et d’assurer la stabilité.

    Malgré les sanctions en cours contre le pays, à la suite de sa rencontre avec M. Traoré, Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger et médiateur envoyé au Burkina Faso par la CEDEAO, s’est déclaré satisfait et a déclaré que la CEDEAO resterait aux côtés du peuple burkinabé. La CEDEAO, comme elle a tendance à le faire, travaillera en étroite collaboration avec la junte militaire pour rétablir l’ordre démocratique. Le calendrier est maintenu et l’échéance reste juillet 2024.

    Comment les autres institutions internationales ont-elles réagi, et que devraient-elles faire pour soutenir la société civile au Burkina Faso ?

    Les autres institutions internationales ont réagi de la même manière que la CEDEAO. L’Union africaine a condamné le coup d’Etat, le considérant un pas en arrière suite aux progrès déjà réalisés vers la restauration de la démocratie. Le coup d’Etat a également été condamné par les Nations Unies et le Parlement européen.

    Si la communauté internationale veut aider les OSC au Burkina Faso, elle doit avant tout soutenir les efforts de la junte pour éradiquer l’insurrection djihadiste qui continue de sévir dans le pays. Elle doit également aider les autorités à faire face non seulement à la crise actuelle des réfugiés, accentuée par les défis liés au changement climatique, mais aussi justement à la crise climatique qui contribue à la propagation de la violence terroriste.

    La communauté internationale doit également continuer à faire pression sur la junte pour qu’elle tienne son engagement et qu'elle adhère aux accords conclus par l’ancienne junte avec la CEDEAO, afin de mettre fin à la répression des personnes en raison de leur appartenance politique et ethnique et de libérer toute personne emprisonnée pour des motifs politiques.


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  • COP26 : « De fausses solutions sont utilisées pour détourner notre attention des responsables »

    Lia Mai TorresÀ la veille de la 26ème Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26), qui se tiendra à Glasgow, au Royaume-Uni, du 31 octobre au 12 novembre 2021, CIVICUS a interrogé des militants, des dirigeants et des experts de la société civile sur les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés dans leur contexte, les actions qu’ils entreprennent pour y faire face et leurs attentes pour le sommet à venir.

    CIVICUS s’entretient avec Lia Mai Torres, directrice exécutive du Center for Environmental Concerns (CEC) - Philippines, une organisation de la société civile (OSC) qui aide les communautés philippines à relever les défis environnementaux. Fondée en 1989 à l’initiative d’organisations représentant les pêcheurs, les agriculteurs, les peuples autochtones, les femmes, les personnes en situation de pauvreté urbaine et les secteurs professionnels, le CEC s’engage dans la recherche environnementale, l’éducation, le plaidoyer et les campagnes. Elle est également membre du secrétariat du Réseau Asie-Pacifique des défenseurs de l’environnement (APNED), une coalition d’organisations travaillant de manière solidaire pour protéger l’environnement et ses défenseurs.

    Quel est le principal problème climatique dans votre pays ?

    Le principal problème environnemental auquel les Philippines sont confrontées aujourd’hui est la prolifération de projets et de programmes destructeurs de l’environnement. Cette situation a persisté et s’est même aggravée pendant la pandémie.

    Le gouvernement actuel a récemment levé un moratoire sur l’exploitation minière, arguant que cela aiderait l’économie à se redresser après avoir été durement touchée par la mauvaise réponse à la pandémie. Cela permettra de réaliser une centaine d’opérations minières dans différentes régions du pays. De nombreuses communautés se sont opposées à cette démarche en raison des impacts négatifs des projets miniers déjà en cours. Un exemple est le village de Didipio, Nueva Vizcaya, dans le nord des Philippines, où un accord minier avec la société australo-canadienne OceanaGold a été renouvelé pour 25 années supplémentaires. Les communautés autochtones de Bugkalot et Tuwali souffrent déjà du manque d’approvisionnement en eau dû à l’activité minière et craignent que cette situation ne s’aggrave si l’activité minière se poursuit.

    Les projets d’infrastructure sont également une priorité pour le gouvernement, qui affirme qu’ils contribueront à améliorer l’état de l’économie. Cependant, il existe des projets financés par des prêts étrangers coûteux qui ne feront qu’aggraver la situation de la population locale. Un exemple est le barrage de Kaliwa, financé par la Chine, dans la province de Rizal, dans le sud de l’île de Luzon. Le réservoir empiètera sur les territoires ancestraux du peuple autochtone Dumagat, y compris sur leurs sites sacrés, ainsi que sur une zone protégée.

    Un autre exemple est celui des plantations en monoculture que l’on retrouve principalement dans les provinces de Mindanao. Les terres ancestrales des peuples autochtones Lumad ont été converties en plantations de bananes et d’ananas. Certains résidents font état de maladies causées par les produits chimiques de synthèse utilisés dans les plantations, et beaucoup sont déplacés de leurs terres agricoles.

    Ce sont là quelques exemples de projets prioritaires promus par le gouvernement pour nous conduire à ce que l’on appelle le développement. Cependant, il est clair qu’ils n’améliorent pas vraiment la situation des communautés locales, dont la plupart sont déjà en situation de pauvreté. En outre, la plupart des ressources naturelles du pays ne sont pas exploitées au profit de ses citoyens, les produits extraits étant destinés à l’exportation. Quelques entreprises locales et internationales en bénéficient. Les ressources naturelles sont utilisées pour le profit et non pour le développement national.

    Avez-vous été confrontée à des réactions négatives pour le travail que vous faites ?

    Le CEC travaille avec les communautés locales, car nous croyons que les luttes environnementales ne peuvent être gagnées sans les efforts conjoints de ceux qui subissent les impacts environnementaux. Le vrai pouvoir provient des organisations de base. Les OSC comme la nôtre et d’autres secteurs doivent soutenir leurs efforts, en reliant les luttes locales pour construire un mouvement environnemental national et international fort.

    En raison de notre soutien aux communautés locales, nous avons subi des représailles. En 2007, Lafayette Mining Ltd, une société minière australienne, a intenté un procès en diffamation contre le directeur exécutif du CEC de l’époque parce qu’il avait dénoncé les impacts des activités de la société. En 2019 et 2021, notre organisation a été victime d’une pratique courante par laquelle le gouvernement déclare des individus et des organisations comme étant terroristes ou communistes. Il l’a fait en représailles aux missions humanitaires que nous avons menées à la suite d’un typhon et pendant la pandémie. 

    Nous avons également été menacés d’une descente de police dans nos bureaux, en représailles au fait que nous avions offert un refuge aux enfants autochtones Lumad qui avaient été contraints de quitter leurs communautés en raison de la militarisation, des menaces et du harcèlement. Nos actions de protestation pacifiques sont souvent violemment dispersées par la police et les forces de sécurité privées, et en 2019, un membre du personnel de notre organisation a été arrêté.

    Derrière toutes ces attaques se cachent les forces de sécurité de l’État ainsi que les forces de sécurité privées des entreprises. La police et l’armée sont clairement devenues des forces de sécurité des entreprises, utilisant des mesures répressives pour assurer le bon déroulement de leurs opérations.

    Quel lien entretenez-vous avec le mouvement international pour le climat ?

    Étant donné que de nombreux pays, notamment dans le sud du monde, connaissent des problèmes environnementaux similaires, nous reconnaissons la nécessité d’établir des liens avec des organisations d’autres pays. En 2015, le CEC a fait partie des organisateurs de la Conférence internationale des peuples sur l’exploitation minière, qui a offert aux défenseurs de l’environnement la possibilité d’apprendre de leurs expériences respectives et de coordonner des campagnes locales.

    Le CEC a également contribué à la création de l’APNED, un réseau de campagnes de solidarité qui fournit un soutien mutuel pour les campagnes, soulève des questions au niveau international, plaide pour une plus grande protection des défenseurs, organise des formations et facilite les services. Nous pensons que la solidarité entre défenseurs est importante pour aider à renforcer les mouvements locaux ainsi que la lutte internationale pour nos droits environnementaux.

    Quels sont vos espoirs que la COP26 débouche sur des progrès, et quelle utilité voyez-vous à de tels processus internationaux ?

    Même avant la pandémie, l’inclusion des défenseurs de l’environnement de la base ou de première ligne dans les processus internationaux tels que les négociations sur le climat suscitait des inquiétudes. Le manque d’inclusion est devenu plus évident avec la pandémie, car de nombreuses OSC ont trouvé difficile d’y participer en raison des exigences et des dépenses supplémentaires. En outre, seules les organisations accréditées peuvent participer aux événements officiels, et très peu sont accréditées. Et les rapports gouvernementaux sont souvent très éloignés de la réalité. L’aggravation de la crise climatique est la preuve que les gouvernements n’en font pas assez.

    Malgré cela, nous continuerons à participer aux événements officiels et parallèles de la COP26, dans le but d’attirer l’attention sur la manière dont de nombreux pays développés et les grandes entreprises aggravent la crise climatique en s’emparant des ressources et en exploitant les ressources naturelles des pays pauvres, exacerbant ainsi la pauvreté existante, et sur la manière dont de fausses solutions sont utilisées pour détourner notre attention de leur responsabilité et de leur manque de responsabilisation. Nous souhaitons également souligner l’importance des défenseurs de l’environnement dans la protection de notre environnement et la défense de nos droits environnementaux, et donc la nécessité de veiller à ce qu’ils ne subissent pas de nouvelles violations de leurs droits humains pour des raisons politiques qui les empêchent de mener à bien leur important travail.

    Quels changements souhaiteriez-vous voir se produire pour commencer à résoudre la crise climatique ?

    Nous espérons que le cadre capitaliste axé sur le profit changera aux Philippines. Cela permettrait de s’assurer que les conflits liés aux ressources sont réglés, que la protection de l’environnement est maintenue pour assurer l’équilibre écologique, que de véritables programmes d’adaptation au changement climatique sont mis en place et que les groupes vulnérables reçoivent l’attention dont ils ont besoin. Il s’agit également de demander des comptes aux pays et aux entreprises qui aggravent la crise climatique, et d’aider les pays pauvres à s’adapter.

    L’espace civique aux Philippines est classé « réprimé »par leCIVICUS Monitor.
    Contactez le Center for Environmental Concerns - Philippines via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@CEC_Phils sur Twitter.

  • COP26 : « Nous devons nous régénérer et régénérer ce que nous avons détruit »

    Daniel Gutierrez GovinoAlors que la 26ème Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26) débute à Glasgow, au Royaume-Uni, CIVICUS continue d’interviewer des activistes, des dirigeants et des experts de la société civile sur les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés dans leurs contextes, les actions qu’ils entreprennent pour y faire face et leurs attentes pour le sommet.

    CIVICUS s’entretient avec Daniel Gutiérrez Govino, fondateur de la Brigade des incendies d’Alter do Chão, un groupe qui s’emploie à prévenir, combattre et promouvoir la coordination sociopolitique contre les incendies dans la forêt amazonienne de l’État du Pará, au Brésil. Daniel est également cofondateur de l’Instituto Aquífero Alter do Chão, une institution qui promeut des projets sociaux dans la ville d’Alter do Chão, municipalité de Santarém, État du Pará.

    Qu’est-ce qui vous a amené à devenir un défenseur de l’environnement ?

    J’ai ressenti l’urgence de travailler pour que la planète reste viable pour les humains et les autres espèces. J’ai été ému, et je le suis encore aujourd’hui, par la possibilité pour les humains d’inverser leurs actions et leur réflexion sur notre rôle dans la nature. Nous devons nous régénérer et régénérer ce que nous avons détruit.

    Que fait la Brigade Alter do Chão ?

    Nous travaillons depuis 2017 à la prévention et à la lutte contre les feux de forêt à Alter do Chão, dans la municipalité de Santarém, au nord du Brésil. Nous avons réuni un groupe de volontaires communautaires qui, avec beaucoup de courage, a œuvré pour protéger la biodiversité, la population d’Alter do Chão et la région contre les feux de forêt. À cette fin, nous avons reçu une formation de la part du corps des pompiers militaires, de la défense civile et du secrétariat municipal de l’environnement et du tourisme de Belterra. Nous avons formé de nouveaux brigadistas et promu la coordination sociopolitique et la communication avec les communautés locales.

    Quelles sont les restrictions auxquelles vous avez été confronté en réponse à votre activisme environnemental ?

    Dans le cas de la brigade d’Alter do Chão, trois brigadistas et moi-même avons été arrêtés en 2019 sur la base d’accusations infondées, soi-disant pour avoir allumé des feux dans une zone de protection environnementale. Notre travail a été criminalisé parce qu’il propose des solutions et exige une transformation du contexte politique local.

    En outre, le contexte national actuel est hostile à la société civile organisée. Nous avons servi de bouc émissaire dans un récit qui visait à criminaliser les organisations de la société civile, à un moment où le président du pays et ses partisans tentaient de rendre la société civile responsable de l’augmentation spectaculaire des feux de forêt.

    J’ai également rencontré des résistances lorsque j’ai essayé de promouvoir des changements dans les politiques publiques actuelles dans le microcosme de Santarém. Le conservatisme politique et social sape tout mouvement qui cherche à faire avancer les programmes progressistes. Le gouvernement, la police civile et l’élite locale rejettent l’activisme environnemental en attaquant notre travail. Nous avons eu de la chance et nos privilèges nous ont permis de rester en vie, mais les militants en Amazonie sont constamment menacés de violence et de mort. Ce n’est pas une région sûre pour ceux qui luttent pour la liberté et la justice.

     

    Quel type de soutien avez-vous reçu lorsque vous avez été criminalisés ?

    Lorsque nous avons été arrêtés, nous avons reçu toutes sortes de soutiens, tant au niveau national qu’international. Le principal soutien est venu des avocats pénalistes pro-bono de Projeto Liberdade (Projet Liberté), qui nous accompagnent jusqu’à aujourd’hui. Mais nous avons également reçu le soutien d’institutions nationales telles que Projeto Saúde e Alegria (Projet Santé et Joie) et Conectas, ainsi que d’organisations internationales telles que WWF Brésil, Article 19, Front Line Defenders et bien d’autres.

    Nous avons été libérés de prison quelques jours plus tard grâce à l’action de ces réseaux de défense et de protection. Cependant, la procédure pénale à notre encontre s’est poursuivie et dure depuis deux ans maintenant, bien qu’il n’y ait aucune preuve à l’appui des accusations portées contre nous. Au niveau fédéral, l’enquête de police a été classée; cependant, les autorités de l’État du Pará ont insisté sur leurs accusations. Récemment, le bureau du procureur fédéral a contesté la compétence du tribunal, mais depuis des mois, la procédure se poursuit dans le système judiciaire brésilien. Certains de nos équipements sont encore confisqués à ce jour. Je n’ai plus aucun espoir que justice soit faite.

    Malgré tout, je pense que la société civile brésilienne en sort renforcée. Notre partenaire Caetano Scannavino, du Projeto Saúde e Alegria, qui travaille également à Alter do Chão, affirme qu’il s’agit d’une sorte d’effet boomerang. Je pense que c’est brillant. Ils nous attaquent, et leurs attaques nous rendent plus forts.

    Quels sont les moyens dont disposent les militants de votre région pour demander protection et soutien ? De quel type de soutien avez-vous besoin de la part de la société civile et de la communauté internationale ?

    L’essentiel est de connaître les réseaux de soutien disponibles et de se coordonner avec eux avant que quelque chose de grave ne se produise, c’est-à-dire de se coordonner de manière préventive. Cela inclut les institutions nationales et internationales telles que celles qui nous ont soutenus. Mais surtout, il est essentiel de connaître les réseaux de soutien locaux.

    Les types de soutien nécessaires sont spécifiques et dépendent beaucoup de chaque région. Le Brésil est de la taille d’un continent et les besoins du sud, par exemple, ne sont pas les mêmes que ceux de l’Amazonie. On ne peut même pas dire que l’Amazonie soit une région, car il s’agit en fait d’un continent avec des particularités dans chaque région. Mais ce sont ces réseaux qui mettront en relation ceux qui ont besoin de soutien et ceux qui peuvent les aider.

    L’espace civique au Brésil est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
    Contactez la Brigade des incendies d’Alter do Chão via sonsite web ou sa pageFacebook.

  • COP26 : « On investit beaucoup plus d’argent pour détruire la planète que pour la sauver »

    La 26ème Conférence des Parties des Nations Unies sur le changement climatique (COP26) vient de se terminer à Glasgow, au Royaume-Uni, et CIVICUS continue d’interviewer des militants de la société civile, des dirigeants et des experts sur les résultats du sommet, son potentiel pour résoudre les défis environnementaux auxquels ils sont confrontés et les actions qu’ils entreprennent pour y faire face.

    CIVICUS s’entretient avec Ruth Alipaz Cuqui, leader autochtone de l’Amazonie bolivienne et coordinatrice générale de la Coordination nationale pour la défense des territoires paysans indigènes et des aires protégées (CONTIOCAP). Cette organisation est née fin 2018 de la convergence de plusieurs mouvements de résistance contre la destruction des territoires autochtones et des zones protégées par les projets extractifs et la cooptation des organisations traditionnelles représentant les peuples autochtones. Initialement composée de 12 mouvements, elle en compte désormais 35, issus de toute la Bolivie.

    RuthAlipaz

    Sur quelles questions environnementales travaillez-vous ?

    En tant que défenseure des territoires autochtones, des droits des autochtones et des droits de la nature, je travaille à trois niveaux différents. Tout d’abord, à titre personnel, je travaille dans ma communauté du peuple autochtone Uchupiamona, qui se trouve dans l’une des zones protégées les plus diversifiées au monde, le parc national Madidi.

    En 2009, mon peuple était sur le point d’accorder une concession forestière qui dévasterait 31 000 hectares de forêt, dans une zone sensible pour la préservation de l’eau et particulièrement riche en diversité d’oiseaux. Pour empêcher cette concession, j’ai fait une proposition alternative, axée sur le tourisme ornithologique. Bien qu’actuellement, en raison de la pandémie, le tourisme se soit avéré ne pas être le pari le plus sûr, le fait est que nous avons encore les forêts grâce à cette activité - bien qu’elles restent toujours menacées en raison de la pression exercée par les personnes de la communauté qui ont besoin d’argent immédiatement.

    Ma communauté est actuellement confrontée à de graves problèmes d’approvisionnement en eau, mais nous nous sommes organisées avec des jeunes femmes pour restaurer nos sources d’eau en reboisant la zone avec des plantes fruitières autochtones, et en transmettant les connaissances sur ces plantes fruitières et médicinales de nos aînés aux femmes et aux enfants.

    Deuxièmement, je suis membre du Commonwealth des communautés autochtones des fleuves Beni, Tuichi et Quiquibey, une organisation de base de la région amazonienne de Bolivie qui, depuis 2016, mène la défense des territoires de six nations autochtones - Ese Ejja, Leco, Moseten, Tacana, Tsiman et Uchupiamona - contre la menace de la construction de deux centrales hydroélectriques, Chepete et El Bala, qui inonderaient nos territoires, déplaceraient plus de cinq mille autochtones, obstrueraient trois rivières pour toujours et dévasteraient deux zones protégées, le parc national Madidi et la réserve de biosphère Pilón Lajas. Le 16 août 2021, les organisations autochtones soutenant le gouvernement ont autorisé le lancement de ces projets hydroélectriques.

    La rivière Tuichi, qui se trouve dans la zone protégée de Madidi et qui est essentielle à l’activité d’écotourisme communautaire de mon peuple Uchupiamona, a également été concédée dans sa totalité à des tiers extérieurs à la communauté pour le développement de l’exploitation de l’or alluvial. La loi sur l’exploitation minière et la métallurgie est discriminatoire envers les peuples autochtones en permettant à tout acteur extérieur d’acquérir des droits sur nos territoires.

    Enfin, je suis la coordinatrice générale de CONTIOCAP, une organisation qui a dénoncé les violations systématiques de nos droits dans les territoires autochtones des quatre macro-régions de Bolivie : le Chaco, les vallées, l’Altiplano et l’Amazonie. Ces violations vont de pair avec l’exploration et l’exploitation pétrolières, le brûlage des forêts et la déforestation pour libérer des terres pour l’agrobusiness, la construction de routes et de centrales hydroélectriques et l’activité d’extraction d’or alluvial qui empoisonne les populations vulnérables.

    Avez-vous été confrontée à des réactions négatives pour le travail que vous faites ?

    Nous avons été confrontés à des réactions négatives, principalement de la part de l’État, par le biais d’organismes décentralisés tels que l’Agence nationale des impôts et l’Agence nationale des migrations. J’ai récemment découvert que ces deux agences avaient ordonné la rétention de mes comptes bancaires.

    Lors d’une marche menée par la nation Qhara Qhara en 2019, j’ai été constamment suivie et physiquement harcelée par deux personnes, alors que j’étais en ville pour soumettre nos propositions aux côtés des leaders de la marche.

    Et récemment, lorsque des organisations autochtones favorables au gouvernement ont autorisé les centrales hydroélectriques, nos dénonciations ont donné lieu à des actions visant à nous disqualifier et à nous discréditer, ce que le gouvernement bolivien fait depuis des années. Ils disent, par exemple, que ceux d’entre nous qui s’opposent aux mégaprojets hydroélectriques ne sont pas des représentants légitimes des peuples autochtones, mais des activistes financés par des organisations non gouvernementales internationales.

    Comment vos actions s’inscrivent-elles dans le cadre du mouvement mondial pour le climat ?

    Nos actions convergent avec celles du mouvement mondial, car en défendant nos territoires et nos zones protégées, nous contribuons non seulement à éviter la poursuite de la déforestation et de la pollution des rivières et des sources d’eau, et à préserver les sols pour maintenir notre souveraineté alimentaire, mais aussi à conserver les connaissances ancestrales qui contribuent à notre résilience face à la crise climatique.

    Les peuples autochtones se sont avérés être les protecteurs les plus efficaces des écosystèmes et de la biodiversité, ainsi que des ressources fondamentales pour la vie telles que l’eau, les rivières et les territoires, face à la position de l’État dont les lois servent plutôt à violer nos espaces de vie.

    Avez-vous utilisé les forums et les espaces de participation des organisations internationales ?

    Oui, nous le faisons régulièrement, par exemple en demandant à la Commission interaméricaine des droits de l’homme d’assurer un suivi de la criminalisation et de la violence à l’encontre des défenseurs des droits des peuples autochtones en Bolivie et en participant à la production collective d’un rapport alternatif de la société civile pour l’Examen Périodique Universel de la Bolivie par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, que nous avons présenté lors des pré-sessions du Conseil en octobre 2019.

    Récemment, lors d’une audience dans la ville de La Paz, nous avons présenté un rapport sur les violations de nos droits au rapporteur spécial des Nations unies sur les peuples autochtones.

    Que pensez-vous des espaces de participation de la société civile aux COP, et comment évaluez-vous les résultats de la COP26 qui vient de se terminer ?

    Une fois de plus, lors de la COP26, les États ont montré leur totale inefficacité à agir en conformité avec leurs propres décisions. J’ai déclaré à plus d’une occasion que 2030 était à portée de main et aujourd’hui, nous ne sommes qu’à huit ans de cette date et nous discutons encore des mesures les plus efficaces pour atteindre les objectifs fixés à cette date.

    On investit beaucoup plus d’argent pour détruire la planète que pour la sauver. C’est le résultat des actions et décisions des Etats en faveur d’un capitalisme sauvage qui détruit la planète par son extractivisme prédateur de la vie.

    Voyons les progrès accomplis depuis le protocole de Kyoto, adopté en 2005 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces dernières années, les entreprises ont utilisé le prétendu concept de « droit au développement » pour poursuivre leurs activités au détriment de la planète et, surtout, au détriment des populations les plus vulnérables, comme les peuples autochtones. C’est nous qui payons les coûts, pas ceux qui provoquent les catastrophes.

    Les résultats de la COP26 ne me satisfont pas car nous voulons voir des actions tangibles. L’État bolivien n’a même pas signé la déclaration, même s’il a utilisé l’espace de la COP26 pour prononcer un discours trompeur selon lequel il faut changer le modèle capitaliste pour un modèle plus respectueux de la nature. Mais en Bolivie, nous avons déjà déforesté environ 10 millions d’hectares, de la manière la plus brutale qui soit, par des incendies qui, pendant plus d’une décennie et demie, ont été légalisés par le gouvernement.

    Je pense que tant que ces forums ne discuteront pas de sanctions à l’égard des États qui ne respectent pas les accords, ou qui ne signent même pas les déclarations, il n’y aura pas de résultats concrets.

    L’espace civique en Bolivie est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
    Entrez en contact avec CONTIOCAP via sa pageFacebook et suivez@contiocap et@CuquiRuth sur Twitter.

  • MALI : « La répression réelle ou perçue a créé un climat d’autocensure parmi les citoyens »

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    CIVICUS échange avec Nafissatou Maiga, coordonnatrice de l’Association des Jeunes pour le Développement de Sangarebougou/Femmes et Initiatives pour le Développement (AJDS/FID-MALI) sur l’état de l’espace civique au Mali depuis le coup d’état militaire de 2021.

    AJDS/FID-MALI représente la convergence de deux organisations de la société civile (OSC) maliennes engagées dans la défense des droits humains et de la liberté d’expression, avec un accent particulier sur les femmes et les jeunes.

    Dans quelle mesure les libertés civiques ont-elles été respectées depuis le coup d’État militaire de 2021 ?

    Après le coup d’État de 2021, en théorie, les libertés d’association, d’expression et de réunion pacifique n’ont pas été formellement interdites par les autorités. Dans la pratique, cependant, on constate une atmosphère de crainte et de répression qui dissuade de nombreux citoyens de s’exprimer librement.

    Bien que les associations ne soient pas officiellement interdites, la peur de représailles et de répression a conduit de nombreuses personnes à hésiter à rejoindre ou à s’engager activement dans des OSC ou des groupes politiques. Les membres de ces associations peuvent craindre d’être surveillés ou ciblés par les autorités.

    Bien que la liberté d’expression soit garantie par la loi, la réalité sur le terrain est souvent très différente. Les citoyens ont souvent peur de s’exprimer ouvertement, en particulier sur les réseaux sociaux, de peur de représailles. L’application souvent abusive de la loi sur la cybercriminalité, qui criminalise certains types de discours en ligne, a contribué à renforcer cette culture de la peur.

    Bien que les manifestations et les rassemblements pacifiques ne soient pas explicitement interdits, les autorités ont souvent recours à l’état d’urgence ou d’autres prétextes pour restreindre ou dissuader certains rassemblements.

    Dans l’ensemble, bien que les libertés civiques ne soient pas officiellement restreintes, la peur des représailles et la répression réelle ou perçue ont créé un climat d’autocensure parmi les citoyens, compromettant ainsi l’exercice de ces droits fondamentaux.

     

    Quelle est la situation des médias et des journalistes ?

    La situation des médias et des journalistes s’est fortement détériorée, en particulier pour ceux qui expriment des opinions divergentes de celles des autorités. Bien qu’il n’ait pas de chiffres précis, plusieurs journalistes et chroniqueurs ont été emprisonnés pour avoir exprimé des opinions considérées comme des infractions contre l’État. Un exemple frappant est celui du célèbre chroniqueur Mohamed Youssouf Bathily, qui a été placé en détention préventive et reste incarcéré à ce jour. Cette répression contre les voix dissidentes crée un climat de peur et d’insécurité pour les journalistes indépendants et compromet sérieusement la liberté de la presse au Mali.

    Parmi les développements récents, il convient de mentionner la suspension par la Haute Autorité de la Communication de nombreux médias, en particulier des médias internationaux tels que RFI et France 24. En outre, des médias nationaux tels que Djoliba TV ont également été temporairement suspendus. En conséquence, l’accès à l’information et la diversité des opinions ont été restreintes.

    Au moment où les médias et les journalistes et ont le plus besoin de s’organiser et de travailler ensemble pour se protéger, il leur est de plus en plus difficile de le faire. Les restrictions imposées par les autorités rendent difficile la coordination. Les pressions exercées sur les voix dissidentes et les menaces de répression limitent leur capacité à se réunir et à agir collectivement pour défendre leurs droits.

    La suppression de fonds provenant de pays comme la France, destinés à soutenir la société civile, affaiblit également la capacité des médias et des journalistes à bénéficier d’un soutien financier et technique extérieur. Cela limite leur capacité à mener des actions de plaidoyer et de sensibilisation, ainsi qu’à renforcer leurs capacités pour faire face à la répression.

    L’absence de soutien international adéquat, tant financier que diplomatique, contribue à isoler davantage les médias et les journalistes maliens dans leur lutte pour la liberté de la presse et la protection des droits humains. Le manque de solidarité internationale peut également renforcer le sentiment d’impunité des autorités et aggraver la situation des médias et des journalistes.

    Que faut-il faire pour que les libertés civiques et démocratiques soient rétablies ?

    Face aux défis décrits, il est crucial que la communauté internationale intensifie ses efforts pour soutenir les médias indépendants et les journalistes maliens en difficulté, en leur fournissant du soutien financier, technique et diplomatique pour renforcer leur résilience et leur capacité à défendre la liberté de la presse et les droits humains.

    Les organisations internationales doivent également accroître leur soutien financier et technique aux OSC qui défendent la liberté d’expression et les droits humains au Mali. Ce soutien renforcera leur capacité à documenter les violations des droits humains, à fournir assistance juridique aux victimes et à plaider en faveur de réformes démocratiques.

    Pensez-vous que la transition démocratique promise aura lieu en 2024 ?

    Concernant la transition promise, les récents événements, notamment l’absence de mention de l’organisation des élections dans le projet de loi de finances et les discussions sur la sortie du Mali de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’organisation politique et économique régionale, suscitent des préoccupations quant à la volonté des autorités maliennes de respecter leurs engagements démocratiques. C’est pour cela que je suis pessimiste quant à la tenue d’élections démocratiques en 2024.

    Dans ce contexte, il est essentiel que la communauté internationale reste vigilante et continue d’exercer des pressions diplomatiques pour que les autorités maliennes respectent leur engagement à restaurer la démocratie et les droits humains.


    L’espace civique en Mali est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez l’AJDS/FID-MALI sur son siteFacebook et suivez@Ajdsang sur Twitter.

  • RDC : « La mission de maintien de la paix des Nations Unies a échoué »

    CIVICUS échange avec les activistes sociaux Espoir Ngalukiye et Sankara Bin Kartumwa à propos des manifestations en cours contre la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

    Espoir et Sankara sont membres de LUCHA (Lutte Pour Le Changement), une organisation de la société civile (OSC) qui défend la dignité humaine et la justice sociale en RDC, et qui a joué un rôle dans les manifestations pacifiques contre la MONUSCO.

    LUCHA Lutte Pour Le Changement

    Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations anti-MONUSCO ?

    La région de l’est de la RDC est confrontée à des problèmes de sécurité depuis plus de trois décennies. Les gens réclament le départ de la MONUSCO car sa stratégie de maintien de la paix a échoué.

    La MONUSCO a été déployée pour restaurer la paix en RDC. A ce titre elle devait protéger les civils, faciliter des processus électoraux sûrs, et lutter contre les groupes rebelles. Mais elle est présente dans le pays depuis près de 20 ans et tout le contraire s’est produit : le nombre de groupes armés a augmenté, les gens continuent de vivre dans des conditions dangereuses et, malgré sa présence, des vies innocentes sont encore perdues.

    La mission de maintien de la paix avait pour mission d’empêcher tout cela, mais elle a manqué de diligence et s’est avéré inutile. À l’heure actuelle, les niveaux de violence extrêmement élevés poussent de nombreuses personnes à migrer en quête de sécurité. Ce seul fait suffit à prouver que la mission de maintien de la paix a échoué.

    De nombreuses personnes dans les communautés locales n’ont pas de bonnes relations avec la MONUSCO parce qu’elles pensent que la mission n’a pas assumé son rôle de protection. Le manque de confiance des civils, à son tour, rend difficile l’exécution du mandat de la MONUSCO. Mais si elle était efficace, les gens ne l’opposeraient pas par le biais de manifestations.

    Comment les autorités ont-elles répondu aux demandes des manifestants ?

    La réponse immédiate a été la violence, tant de la part de la MONUSCO comme des autorités congolaises. Nous avons vu des personnes blessées et tuées simplement parce qu’elles faisaient partie des manifestations. Les gens sont en colère parce que les problèmes de sécurité durent depuis des années, et la MONUSCO aurait dû s’en douter : ce n’était qu’une question de temps avant que les gens ne commencent à exprimer leur colère envers la mission. La MONUSCO aurait dû trouver des moyens de gérer la situation sans que des personnes perdent la vie. 

    Quant aux autorités congolaises, elles ont procédé à des arrestations illégales. La plupart des personnes sont détenues dans de terribles conditions. Nous nous soucions de ce qu’elles obtiennent toutes justice. Nous ne voulons pas qu’elles soient torturées pour s’être battues pour leurs droits.

    Le secrétaire général des Nations unies a condamné les violences et a demandé au gouvernement congolais de mener une enquête. Mais les demandes de départ de la MONUSCO n’ont pas été adressées, et les manifestants affirment qu’ils ne cesseront pas de manifester jusqu’au départ de la MONUSCO.

    Malheureusement, les autorités congolaises n’ont pas non plus répondu à nos préoccupations. Étant donné qu’elles sont élues et payées pour nous protéger, c’est à elles que nous nous adresserons prochainement. Si elles ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités elles seront tenues redevables. Elles doivent joindre leur voix à la nôtre et demander à la MONUSCO de partir.

    Que fait la société civile en général, et la LUCHA en particulier, pour contribuer à l’amélioration de la situation ?

    La LUCHA est une OSC qui plaide pour le changement de manière non violente. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de plaider pour le changement sans recourir à la violence. Nos membres ont participé à des manifestations contre la MONUSCO, que nous estimons légitimes et constitutionnelles, et nous exigeons donc également la non-violence et le respect de la loi de la part du gouvernement. Notre pays a une histoire violente, et nous voudrions changer cette trajectoire.

    Nous sommes une organisation dirigée par des jeunes qui ont connu la guerre et les conflits et qui veulent voir naitre une société meilleure, ainsi qu’un meilleur avenir pour tous. Nous luttons pour les Congolais et leur accès aux besoins fondamentaux, à commencer par leur droit à un environnement sûr. Nous avons des membres sur le terrain, dans les zones où se déroulent les manifestations, et leur rôle est de surveiller la situation et d’informer sur les événements qui se déroulent.

    LUCHA utilise ses réseaux sociaux pour informer les gens en RDC et à l’étranger sur la situation et son impact sur tant de vies innocentes. Nous espérons que cela créera une prise de conscience et poussera les autorités à répondre à nos demandes.

    Nos observateurs sur le terrain veillent également à ce que les manifestants ne recourent pas à la violence, mais cela s’est avéré difficile car la plupart des gens sont fatigués et, à ce stade, ils sont prêts à faire tout ce qu’il faut pour obtenir le départ de la MONUSCO, même si cela implique l’usage de la violence.

    Que devrait faire la communauté internationale ?

    La communauté internationale a été hypocrite et a toujours donné la priorité à leurs propres besoins. Il est regrettable que les événements récents se produisent dans une région de notre pays riche en minerais. De nombreuses personnes puissantes y ont des intérêts et sont prêtes à faire n’importe quoi pour s’assurer qu’ils soient protégés. C’est pour cette raison que si peu de pays se soulèvent contre ce qui se passe.

    La géographie nous place également dans une situation désavantageuse. Peut-être que si nous étions en Ukraine, nos voix auraient compté, mais nous sommes en RDC et les acteurs internationaux ne s’intéressent qu’à nos ressources et non à notre peuple. Mais les personnes tuées en RDC sont des êtres humains qui ont des familles, des vies et des rêves, tout comme ceux tués en Ukraine.

    La communauté internationale doit comprendre que nous avons besoin de paix et de sécurité, et que la MONUSCO n’a pas tenu ses promesses et doit quitter notre pays. Elle doit écouter la voix du peuple qui est souverain. Écouter le peuple sera le seul moyen de mettre fin aux manifestations. Essayer de les arrêter d’une autre manière conduira à plus de violence et plus de morts.

    L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec LUCHA via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@luchaRDC sur Twitter.

     

  • RDC : « La société civile est ciblée par certains politiciens qui trouvent en elle un obstacle à leur pouvoir »

    JonathanMagomaCIVICUS échange sur la récente élection présidentielle en République Démocratique du Congo (RDC) avec le journaliste et activiste des droits humains Jonathan Magoma.

    Jonathan Magoma est le Directeur des Programmes Pays et Directeur Exécutif ad intérim de Partenariat pour la Protection Intégrée (PPI), une organisation de la société civile qui œuvre pour la paix et la protection des défenseurs des droits humains en RDC et dans la région.

    Dans quelle mesure les récentes élections en RDC ont-elles été libres et équitables ?

    L’élection présidentielle du 20 décembre 2023 a été organisée pour montrer à la face du monde que le pouvoir en place l’organisait dans le délai constitutionnel, mais a été émaillée de fraudes et d’irrégularités.

    Le processus électoral n’a pas été libre et moins encore équitable. Dans plusieurs circonscriptions, les groupes rebelles ont imposé leurs choix. Dans la province de l’Ituri, au Nord-Est du pays, le groupe armé Chini ya Tuna a contraint la population de voter pour un candidat de leur communauté. Les milices ont même ravi deux machines à voter pour procéder, eux-mêmes, au vote.

    Vers le centre du pays, dans la province du Sankuru, le frère d’un dignitaire congolais a mis en place une milice pour perturber les élections et molester les agents de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), tout simplement parce qu’il n’a pas été aligné comme candidat député national quand son parti n’est pas parvenu à atteindre le seuil exigé. Ses hommes armés ont emporté des kits électoraux en toute quiétude, sous les regards impuissants des observateurs.

    Par ailleurs, des candidats ont distribué des présents dans des centres de vote pour influencer le vote en leur faveur. Certains, et/ou leurs représentants, ont été attrapés en train de distribuer de l’argent aux électeurs le jour de vote, ce qui est illégal. Certains ont été interpelés par les éléments de l’ordre dans quelques centres, tandis que d’autres n’ont pas été inquiétés.

    Dans la circonscription de Kabare, au Sud-Kivu, par exemple, des matériels électoraux, pour être remis au centre de vote, ont été transportés dans les véhicules d’un parti politique membre du présidium de l’Union Sacrée pour la Nation (USN), la coalition qui a porté la candidature du président Félix Tshisekedi. Voyant cela, les observateurs et les électeurs dans ce centre ont crié à la tricherie.

    Sur quoi se fondent les allégations de fraude formulées par l’opposition ?

    Les allégations de fraude formulées par l’opposition congolaise sont légitimes. Elles se fondent sur le fait que plusieurs politiciens proches du pouvoir ont eu dans leurs domiciles des kits électoraux complets pour y effectuer des votes de manière frauduleuse. Des machines à voter ont été découvertes dans des maisons de particuliers avec des bulletins de vote déjà signés et complétés. C’est ainsi que dans la plupart de centres de vote, il y a eu carence en machines à voter, conduisant la population dans certaines circonscriptions au soulèvement.

    Le 31 décembre, la CENI avait rendu publics les résultats provisoires de l’élection présidentielle, proclamant ainsi Tshisekedi, candidat à sa propre succession, comme vainqueur. Mais cinq jours après cette publication, soit le 5 janvier, la CENI a procédé à l’invalidation des suffrages de 82 candidats députés ayant postulé aux législatives nationales, provinciales et à l’élection municipale du 20 décembre. Ces députés ont été invalidés après nombreuses accusations de détention illégale des machines à voter, fraudes, destruction du matériel électoral, bourrage des urnes et incitation à commettre des actes de violence contre les agents de la CENI. Parmi les invalidés figurent trois ministres en fonction, quatre gouverneurs de province, six sénateurs et un membre du bureau de l’Assemblée nationale. La quasi-totalité des personnes sur la liste étaient membres de l’USN.

    La centrale électorale avait, à la même occasion, annoncé l’annulation des résultats des élections dans les circonscriptions de Masimanimba dans la province du Kwilu et de Yakoma dans la province du Nord-Ubangi pour « fraudes massives et exagérées ». Malheureusement, la décision a laissé intacte l’élection présidentielle hautement contestée. Mais comment ces irrégularités ont pu se produire seulement à d’autres niveaux des scrutins et non à l’élection présidentielle tenue le même jour et avec les mêmes bulletins de vote ?

    Cette question a suscité du débat au sein de la société civile et, dans l’opposition politique, elle a suscité plusieurs manifestations pour contester ce « simulacre » d’élection et en exiger l’annulation. En vain : le 20 janvier, Tshisekedi a été investi Président de la RDC par « sa » Cour Constitutionnelle.

    Comment la société civile, et PPI en particulier, a-t-elle tenté de rendre les élections libres, équitables et pacifiques ?

    En période préélectorale, nous avons entamé des campagnes de sensibilisation pour promouvoir des élections apaisées. Nous avons tenu des actions de plaidoyer avec des parties prenantes aux élections, les amenant à adhérer aux valeurs démocratiques garantissant les élections équitables, libres, transparentes, inclusives et à la nécessité de garantir l’espace civique, avant, pendant et après les élections. Nous avons également formé des acteurs de la société civile et des journalistes sur l’observation électorale et la couverture médiatique des élections.

    En outre, nous avons observé le déroulement des scrutins et contribué au rapport de la société civile qui en a résulté. Ce rapport n’a toutefois pas été pris en compte par les entités compétentes.

    J’ai personnellement fait l’observation dans un village situé à environ 35 km au Nord de la ville de Bukavu, où les « observateurs en gilet » sont plus ou moins respectés et la plupart des agents de la CENI me connaissaient. Mais sans motif, il m’a été interdit de passer plus de 15 minutes dans un bureau de vote. Dans des centres environnants, les gens se sont plaints du manque d’accès aux bureaux de vote. Certains observateurs se sont également plaints. Dans mon bureau de vote, la machine à voter devait ouvrir à 6 heures du matin mais n’a été mise en marche qu’après midi, aux mécontentements des électeurs et électrices.

    Enfin, nous continuons à suivre de près la situation et assistons les défenseurs des droits humains, les journalistes et d’autres personnes menacés ou poursuivis pour avoir joué un rôle important ou pour avoir dénoncé des irrégularités lors des élections. PPI assiste actuellement deux journalistes et un activiste de la société civile poursuivis en justice par le parquet général de la province du Sud-Kivu pour avoir dénoncé les fraudes électorales perpétrés par un politicien proche du pouvoir. Les activistes sous menaces bénéficient de l’assistance juridique et judiciaire de PPI, de l’accompagnement psychosocial et des conseils sur la sécurité physique et numérique. Le cas échéant, la prise en charge médicale ou l’assistance financière, voire la délocalisation, est offerte à l’activiste en danger.

    Il sied de rappeler que nous sommes toujours en période électorale car les élections des sénateurs et des gouverneurs n’ont pas encore eu lieu. Initialement prévues en février, elles ont été reportées par la CENI et auront lieu fin mars et début avril. Pendant ce temps, les acteurs de la société civile continueront à être la cible de certains politiciens qui trouvent en eux un obstacle à leur pouvoir.

    Quelles étaient les revendications des manifestants le jour des élections, et comment le gouvernement a-t-il répondu ?

    Le 20 décembre, certains habitants de Beni et de Goma n’ont pas supporté l’attente. Arrivés tôt le matin aux bureaux de vote, ils n’ont pas retrouvé leurs noms sur les listes affichées à l’extérieur. De plus, certains bureaux de vote n’étaient pas ouverts. Dans certains centres, seuls deux bureaux de vote sur dix étaient ouverts, ou un sur huit. Des rumeurs ont circulé sur la possession illégale de machines à voter par certains candidats. Tout cela a donné lieu à des manifestations spontanées, notamment à Beni, où un centre a été vandalisé.

    Dans plusieurs circonscriptions, le vote s’est poursuivi au-delà du délai prévu. Le gouvernement a reconnu des « difficultés logistiques » mais a loué la CENI pour l’organisation « réussie » des élections. Evidemment la CENI n’était pas prête à gérer la logistique des élections. Il a ensuite été annoncé que les électeurs pourraient voter le lendemain, et le vote a repris dans presque tous les centres du pays. Dans la province du Bas Uélé, il a duré trois jours, du 20 au 22 décembre.

    Quelles sont vos attentes pour la période post-électorale ?

    Je reste pessimiste car je suis convaincu que les élections n’ont pas été transparentes, libres, crédibles et indépendantes. En outre, moins de la moitié des électeurs potentiels se sont rendus aux urnes. C’est un message fort pour un président censé avoir été élu avec plus de 73% de ceux qui sont dits avoir voté.

    Dans un tel contexte, la légitimité du pouvoir en place sera toujours remise en cause. D’ailleurs, l’ancien président de la CENI, Corneille Nanga, a initié en décembre un mouvement politico-militaire allié au mouvement terroriste M23, soutenu par le gouvernement du Rwanda et qui fait la guerre dans l’Est du pays.

    En période post-électorale, il se passerait plutôt de violations graves des droits humains comme ça a été documenté au cours du premier quinquennat de Tshisekedi qui avait, pourtant, promis faire du respect des droits humains et de la démocratie son cheval de bataille.

    Alors que la coalition au pouvoir s’est arrogée la majorité absolue des parlementaires, il est fort possible que pour son intérêt, cette majorité se mette à changer des lois, voire certains articles verrouillés de la constitution. Cela créerait le chaos et torpillerait la démocratie chèrement acquise.

    Que faudrait-il faire pour renforcer la démocratie en RDC ?

    Actuellement, l’espace civique est réprimé ou presque fermé en RDC. Les discours politiques se contredisent avec les actes sur terrain. Des opposants sont poursuivis et d’autres emprisonnés pour leurs opinions. Des manifestations sont réprimées de manière sanglante. Des journalistes tel que Stanis Bujakera, Blaise Mabala, Philémon Mutula et Rubenga Shasha et de nombreux activistes sont persécutés et jetés en prison pour avoir fait leur travail. Nous sommes intimidés et parfois menacés et même assassinés.

    Pour espérer renforcer la démocratie en RDC, il va falloir appeler le gouvernement devant ses responsabilités et engagements internes et externes pris. Le quatrième cycle de l’Examen Périodique Universel au Conseil des droits de l’homme des Nations unies est une grande opportunité au cours de laquelle les dirigeants congolais doivent renouveler leur engagement en faveur de la démocratie et du respect des droits fondamentaux.

    La société civile mondiale et la communauté des défenseurs des droits humains devront rester aux côtés des activistes congolais dans la quête de démocratie. Cela se passera par des actions conjointes de plaidoyer et de lobby ainsi que celles de renforcement des capacités et d’échanges d’expérience.


    L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez PPI sur sonsite web, et suivez@PPIREGIONALE et@JonathanMagoma sur Twitter.

  • SUISSE : « Il était temps que tout le monde ait les mêmes droits, sans discrimination »

    RetoWyssCIVICUS s’entretient avec Reto Wyss, responsable desaffaires internationalesde Pink Cross, au sujet du récentréférendum sur le mariage homosexuelen Suisse et des défis à venir.

    Pink Cross est l’organisation faîtière nationale des hommes homosexuels et bisexuels de Suisse. Depuis 28 ans, elle défend leurs droits dans les quatre régions linguistiques du pays. Elle s’oppose à la discrimination, aux préjugés et à la violence fondés sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la séropositivité, et se bat pour l’acceptation et l’égalité des droits de toutes les personnes homosexuelles, tant au niveau national qu’international. Elle mène son action par le biais d’une présence médiatique active, d’un plaidoyer, de campagnes et d’efforts visant à renforcer la communauté LGBTQI+.

    Quel a été le processus menant à la légalisation du mariage homosexuel en Suisse, et quels rôles Pink Cross a-t-elle joués ?

    Le projet de loi sur le mariage homosexuel a été soumis au parlement en 2013 et il a fait plusieurs allers-retours entre les deux chambres législatives jusqu’à ce qu’il soit finalement adopté en décembre 2020. Pink Cross a mené un travail intensif et assez traditionnel de plaidoyer, de lobbying et de campagne publique tout au long du processus.

    Nous avons beaucoup discuté avec des politiciens du Parti démocratique libre de Suisse (conservateur-libéral) ainsi que du Parti démocrate-chrétien. Nous avons commandé un avis juridique qui indiquait clairement que, contrairement à ce que disaient les opposants à la loi, il n’était pas nécessaire de modifier la Constitution suisse pour ouvrir le mariage à toutes et tous. Si tel avait été le cas, la légalisation du mariage homosexuel aurait nécessité un vote populaire positif dans la majorité des cantons suisses, ce qui aurait rendu les choses beaucoup plus compliquées.

    Pour consacrer le mariage homosexuel, il suffisait d’une loi comme celle que le Parlement a votée, modifiant le code civil pour étendre le mariage à tous les couples au-delà de ceux composés d’un homme et d’une femme.

    Aucun référendum n’était nécessaire : celui du 26 septembre était un référendum facultatif lancé par les opposants à la loi, qui entendaient montrer que la décision du Parlement n’était pas bien accueillie par le peuple suisse, et l’annuler. Pour que ce référendum soit lancé, ils ont mené une campagne active pour réunir les 50 000 signatures requises. Les organisations LGBTQI+ auraient été largement satisfaites de laisser la décision prise par le Parlement s’appliquer, plutôt que de demander à tout le monde son accord pour nous accorder les mêmes droits qu’aux autres.

    La campagne de la société civile a été officiellement lancée le 27 juin, avec des événements dans 23 villes et villages de Suisse. Au cours des 100 jours suivants, la communauté queer s’est mobilisée dans tout le pays avec des dizaines d’actions pour réclamer le droit à l’égalité. La campagne a été soutenue par plusieurs organisations LGBTQI+, dont Pink Cross, l’Organisation Suisse des Lesbiennes - LOS, Network-Gay Leadership, WyberNet gay professionnal women, l’association faîtière Familles arc-en-ciel et la Fédération romande des associations LGBTIQ.

    Nous voulions gagner autant de visibilité que possible, nous avons donc fait campagne avec des milliers de drapeaux arc-en-ciel accrochés aux balcons dans tout le pays et nous avons mis en ligne de nombreuses vidéos formidables. Il s’agissait d’une campagne de base très large, à laquelle de nombreux militants ont participé, en ligne et en personne. Notre message principal était que les mêmes droits doivent être reconnus à tous, sans discrimination, et qu’en Suisse, il était temps que cela arrive.

    Qui a fait campagne pour et contre le mariage homosexuel pendant la période précédant le vote ? Comment les groupes opposés au mariage entre personnes de même sexe se sont-ils mobilisés ?

    Les partis et organisations de gauche et libéraux ont fait campagne en faveur de la loi, tandis que l’Union démocratique du centre (UDC), populiste et de droite - mais pas tous ses représentants élus - a fait campagne contre la loi, ainsi que toute une série d’organisations conservatrices et ecclésiastiques, y compris le Parti populaire évangélique, plutôt petit. L’Église catholique était contre la loi, mais tous ses représentants ou institutions n’avaient pas la même position. L’Église protestante a soutenu la loi, mais pas à l’unanimité.

    La mobilisation contre la loi a eu lieu principalement dans les campagnes et - évidemment - en ligne. Leurs arguments portaient essentiellement sur le prétendu bien-être des enfants, et se concentraient sur le fait que la loi permettait aux couples mariés de même sexe d’accéder à l’adoption et à la conception par don de sperme.

    Quels seront les effets immédiats de la nouvelle loi ?

    Le 26 septembre, par 64 % des voix, le peuple suisse a exprimé son accord avec la loi accordant le mariage égal pour tous. La loi entrera en vigueur le 1er juillet 2022 et aura des effets pratiques très importants et immédiats, car le statut juridique du mariage présente plusieurs différences importantes par rapport au régime du partenariat enregistré (PE) dont bénéficient déjà les couples de même sexe.

    La reconnaissance du mariage à tous les couples éliminera les inégalités de traitement juridique qui existent encore en matière de naturalisation facilitée, d’adoption conjointe, de propriété conjointe, d’accès à la procréation médicalement assistée et de reconnaissance légale des relations parents-enfants dans les cas de procréation médicalement assistée.

    S’ils veulent être reconnus comme légalement mariés, les couples de même sexe actuellement en PE devront demander la conversion de leur PE en mariage légal à l’office d’état civil au moyen d’une « déclaration simplifiée », qui n’entraînera pas de coûts excessifs, bien que la procédure exacte reste à déterminer et puisse varier d’un canton à l’autre.

    Les personnes qui se sont mariées à l’étranger mais dont le mariage a été reconnu en Suisse comme PE verront leur PE automatiquement et rétroactivement converti en mariage. 

    Quels sont les autres défis auxquels sont confrontées les personnes LGBTQI+ en Suisse, et qu’est-ce qui doit encore changer pour faire progresser les droits des LGBTQI+ ?

    Il reste encore beaucoup à faire en termes de prévention, d’enregistrement et de condamnation des crimes de haine de manière adéquate. Pink Cross fait actuellement avancer cette question dans tous les cantons, car cela relève de leur compétence. De même, nous préparons un premier « précédent » pour obtenir une décision sur le paragraphe « agitation anti-LGBT » qui a été introduit dans le droit pénal l’année dernière.

    Enfin, l’ancrage institutionnel de la défense des droits des LGBTQI+ doit certainement encore être renforcé au niveau national, notamment au sein de l’administration fédérale, soit par le biais d’une commission spécifique, soit par l’extension du mandat du Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous travaillons donc également pour avancer sur ce point.

    L’espace civique en Suisse est classé « ouvert » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec Pink Cross via sonsite web ou ses pagesFacebook etInstagram, et suivez@pinkcross_ch sur Twitter. 

  • SUISSE : « La victoire du mariage entre personnes de même sexe va stimuler nos efforts pour les prochaines étapes »

    JessicaZuberCIVICUS s’entretient avec Jessica Zuber, coleader de la campagne « mariage pour tous » d’Opération Libero, à propos du récentréférendum sur le mariage homosexuelen Suisse. Opération Libero est un mouvement de la société civile non partisan fondé pour faire campagne contre les initiatives populistes. Son travail se concentre sur la préservation et le développement de la démocratie libérale, la promotion de relations fortes entre la Suisse et l’Europe, la promotion d’une loi libérale sur la citoyenneté, le soutien d’une transformation numérique renforçant la démocratie et la promotion d’une politique plus transparente, responsable et inclusive.

    Quel rôle Opération Libero a-t-il joué dans le processus qui a conduit à la récente légalisation du mariage homosexuel ?

    Depuis sa fondation, Opération Libero se bat pour l’égalité de traitement juridique. Nous avons accompagné le processus parlementaire et fait du lobbying pour que la loi soit adoptée, ce qui est arrivé en décembre 2020, après presque sept ans. Quelques jours avant que les opposants à la loi ne déposent leur demande de référendum, nous avons lancé notre pétition, qui est devenue virale et a reçu plus de 60 000 signatures en ligne en un seul week-end. Pour nous, c’était un signal très fort sur l’état de l’opinion publique.

    Nous avons lancé notre campagne six semaines avant le vote. Elle était axée sur la devise « même amour, mêmes droits ». Notre campagne a complété celle du comité « officiel » mené par la communauté LGBTQI+, qui montrait de vrais couples de même sexe sur leurs affiches. Pour nous démarquer et attirer une cible plus conservatrice, nous avons montré des couples de même sexe aux côtés de couples hétérosexuels.

    Pour le lancement de notre campagne, nous avons mis en scène un mariage et les images de cette cérémonie ont servi de supports visuels pour la couverture médiatique de la campagne. Certains de nos principaux concepts étaient que les droits fondamentaux doivent s’appliquer à tous, et que personne ne perd lorsque l’amour gagne. Il s’agissait d’une campagne de bien-être, car nous nous sommes volontairement abstenus de susciter trop de controverse - par exemple, en soulignant que l’homophobie est encore un phénomène très présent dans la société suisse.

    Pendant la campagne, environ 150 000 de nos dépliants ont été distribués, 13 000 sous-verres ont été commandés et 10 000 autocollants ont été distribués. Notre principale source de financement a été la vente de nos chaussettes spéciales, dont nous avons vendu près de 10 000 paires. Nous avons organisé des ateliers d’entraînement pour préparer les électeurs aux débats et lancé une campagne d’affichage dans les gares et les bus publics. L'événement conjoint de distribution de tracts avec des membres du parti populiste de droite - qui, contre la ligne officielle du parti, soutenaient le mariage pour tous - a attiré l’attention des médias et a réussi à montrer l’ampleur du soutien à la loi.

    Enfin et surtout, une semaine avant le vote, nous avons organisé un événement au cours duquel 400 personnes se sont alignées de part et d’autre pour applaudir les couples de jeunes mariés - de même sexe ou non - lors de leur passage. C’était un événement très inspirant, le plus grand de ce type en Suisse.

    Nous sommes très heureux d’avoir remporté le référendum, 64 % des électeurs ayant soutenu la loi. Le 26 septembre marque un grand pas pour la Suisse : après une attente bien trop longue, l’accès au mariage s’applique enfin à tous les couples, indépendamment du sexe ou de l’orientation sexuelle. Cela élimine les principales inégalités juridiques dont souffrent les couples de même sexe, par exemple en matière de naturalisation facilitée, de perception des pensions de veuve, d’adoption et de médecine reproductive.

    Pourquoi un référendum a-t-il été organisé alors que le Parlement avait déjà légalisé le mariage homosexuel ?

    Les opposants à la loi ont lancé le référendum pour tenter de l’annuler. Leurs arguments étaient centrés sur la vision traditionnelle du mariage en tant qu’union « naturelle » entre un homme et une femme, et sur son rôle central dans la société. Selon eux, l’introduction du mariage universel constitue une rupture sociale et politique qui annule la définition historique du mariage, entendu comme une union durable entre un homme et une femme. Ils ont été particulièrement choqués par le fait que la loi permette l’accès au don de sperme pour les couples de femmes, car ils estiment que cela prive l’enfant de son intérêt supérieur. Ils craignent également que ces changements ne conduisent à la légalisation de la maternité de substitution.

    Sur un plan plus technique, ils ont fait valoir que le mariage universel ne pouvait être introduit par un simple amendement législatif, mais nécessitait une modification de la Constitution.

    Qui était dans le camp du « oui » et du « non » lors du référendum ?

    Après l’adoption de la loi par le Parlement, un comité interpartis - composé principalement de représentants de l’Union démocratique du centre, un parti de droite, et de l’Union démocratique fédérale, un parti chrétien ultra-conservateur - a lancé une pétition en faveur d’un référendum. Ils ont réussi à réunir plus de 50 000 signatures nécessaires pour faire passer leur proposition et obtenir un vote national. Le droit d’opposer son veto à une décision parlementaire fait partie du système suisse de démocratie directe.

    Pendant la campagne, ces groupes ont diffusé des affiches et des publicités en ligne et ont participé à des débats publics dans les médias. Leur principal argument était que le bien-être des enfants était en danger. Ils ont donc placé le débat public sous le signe de l’adoption et des droits reproductifs.

    Heureusement, le mariage civil pour les couples de même sexe bénéficie d’un large soutien politique, comme on a pu le constater le 26 septembre. À l’exception de l’Union démocratique du centre, tous les partis au pouvoir ont soutenu le projet de loi, de même que les Verts et les Verts libéraux, qui ne font pas partie du gouvernement.

    Les groupes religieux ont même fait preuve d’une certaine ouverture. En novembre 2019, la Fédération des Églises protestantes de Suisse s’est prononcée en faveur du mariage civil entre personnes de même sexe ; en revanche, la Conférence des évêques suisses et le Réseau évangélique suisse y restent opposés.

    L’agressivité avec laquelle la loi accordant le mariage pour tous a été combattue et le fait qu’environ un tiers des électeurs l’ont rejetée, en partie pour des raisons homophobes, montre que l’homophobie est encore très répandue et encore bien trop largement acceptée.

    Nous avons également dû relever le défi suivant : les sondages prévoyant une victoire relativement nette dès le départ, il nous a été plus difficile de mobiliser les gens. Nous craignions que les gens considèrent la victoire comme acquise et ne se rendent pas aux urnes. Mais nous avons réussi à faire passer le message qu’une victoire plus large était un signe encore plus fort pour l’égalité en Suisse.

    Quels sont les autres défis auxquels les personnes LGBTQI+ sont confrontées en Suisse, et que faut-il encore changer pour faire progresser l’égalité des droits ?

    Les groupes LGBTQI+ continueront à se battre, notamment contre les crimes haineux. Le mariage pour tous n’offre pas une égalité absolue aux couples de femmes qui reçoivent un don de sperme d’un ami ou choisissent une banque de sperme à l’étranger, auquel cas seule la mère biologique sera reconnue. Ces débats auront toujours lieu, et la communauté LGBTQI+ continuera à se battre pour l’égalité.

    Le « oui » clair au mariage pour tous est un signal fort indiquant que la majorité de notre société est beaucoup plus progressiste et ouverte à des choix de vie diversifiés que notre système juridique, fortement fondé sur un modèle familial conservateur, pourrait le suggérer. En effet, le mariage pour tous n’est qu’un petit pas vers l’adaptation des conditions politiques et juridiques aux réalités sociales dans lesquelles nous vivons. Le « oui » au mariage entre personnes de même sexe stimulera nos efforts pour les étapes suivantes.

    Nous demandons que toutes les formes consensuelles de relations et de modèles familiaux - qu’ils soient de même sexe ou de sexe opposé, mariés ou non - soient reconnues de manière égale. Le mariage, avec sa longue histoire en tant qu’instrument central du pouvoir patriarcal, ne doit plus être considéré comme le modèle standard. Il ne doit pas être privilégié, ni juridiquement ni financièrement, par rapport aux autres formes de cohabitation. Dans les mois et les années à venir, Opération Libero fera campagne pour l’imposition individuelle, la cohabitation réglementée, la parentalité simplifiée et un droit pénal sexuel moderne.

    L’espace civique en Suisse est classé « ouvert » par leCIVICUS Monitor.
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