La nécessité de la revalorisation de la liberté d’expression dans la République Démocratique du Congo

Réponse à l’appel ouvert par Diamena-Lema Matundu, activiste pour un Congo Libre

Cette note est composée des extraits de mon livre en voie de publication intitulé : « La reprise de notre identité congolaise ». Extraits exposant certains actes barbares et oppressifs du régime de la République Démocratique du Congo (RDC), principalement ceux des deux dernières années.

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La liberté d’expression, telle que formulée à l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, est un droit humain fondamental, la base même de tous les autres droits de l’homme, pilier de toutes les libertés civiques, et par excellence le fondement de toute démocratie. La liberté d’expression est aussi le premier des droits que tout aspirant ou système totalitaire supprime en vue d’asseoir ou maintenir son règne, à travers la persécution systématiquement organisée des populations, l’intimidation, les arrestations arbitraires, les tueries ciblées, les massacres, et l’instauration d’un climat d’insécurité générale.

Dès le 30 juin 1960, lors de la cérémonie officielle postcoloniale, la RDC se voit privée du droit d'exprimer librement ses opinions par son élite, qui avait pourtant combattu pendant plus de 5 décennies un système d’esclavagisme sauvage. Il s’est mis en place, en effet, un ‘pouvoir marionnette’ dépendant des maîtres impérialistes en échange du sacrifice de Patrice Emery Lumumba, pour motif que ce dernier avait pu récapituler fidèlement les atrocités affligées aux siens durant la période coloniale. Depuis lors, la RDC tâtonne pour s’adapter à la liberté d’expression et à la démocratie - et cela dans tous les organes tant publics, privés que sociaux. Lumumba avait dit :

« Il suffisait de dire la vérité pour que l'on fût vite taxé de révolutionnaire dangereux, xénophobe, meneur, élément à surveiller, etc. Ces manœuvres d'intimidation et de corruption morale doivent prendre fin. »

Pour assurer le statut quo de son règne, Joseph Kabila depuis son accession au pouvoir en 2001 procède, comme ses deux prédécesseurs, à la suppression de la liberté d’expression dans son pays, à travers le musèlement des médias et la répression sanglante de toute manifestation pacifique, ainsi qu’à la persécution systématique des activistes, y compris des journalistes d’opinion qui dénoncent ses dérives et revendiquent la réinstauration d’un Etat de droit où règnent paix, justice et prospérité pour tous.

L’environnement répressif des activistes dans la RDC se dégrade depuis 2015, et plus spécifiquement depuis la veille de la fin des deux mandats constitutionnels de Joseph Kabila. A cause d’une part de la léthargie du gouvernement à organiser les élections avant la fin de l’année 2016 telles que prévues par la constitution, et de l’autre part, du fait de la non-application intentionnelle de l’accord de la Saint Sylvestre[1] (relatif à la résolution 2348 du Conseil de Sécurité de l’ONU), il s’est installé un blocage politique en RDC, ainsi qu’une dégradation multiforme de la crise. Suite à quoi, la société civile congolaise s’est regroupée autour d’un organe de l’église catholique, le Comité Laïc de Coordination (CLC) en vue de revendiquer la passation pacifique du pouvoir d’ici au 31 décembre 2017, suivant le cahier des charges des séances de toutes les forces du changement, tenues à Paris du 15 au 17 août 2017, sous l’égide de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO).

Les résolutions de ces séances de travail sont compilées dans un document appelé ‘Manifeste du Citoyen Congolais’, s’inspirant de l’article 64 de la Constitution congolaise qui stipule que « [t]out Congolais a le devoir de faire échec à tout individu, ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution ». Le Manifeste du Citoyen Congolais stipule entre autres qu’il faut :

  • Ne pas entrer dans un troisième dialogue de négociations avec Joseph Kabila, mais
  • Engager une campagne d’actions pacifiques et non violentes,
  • Organiser une Concertation Nationale pour désigner les animateurs de la transition,
  • Organiser des élections crédibles, transparentes, ouvertes et libres, et enfin
  • Retourner à l’ordre constitutionnel avec de nouveaux dirigeants élus.

Avec un processus innovant pour réinventer la démocratie en RDC et sortir du conflit, la société civile a montré l’exemple au pouvoir en place. En effet, sans moyens financiers importants et uniquement avec le travail de bénévoles, il a été organisé des élections pour mener la Concertation Nationale afin de désigner les animateurs de la transition, chargés de diriger une transition sans Joseph Kabila. Les élections ont eu lieu sur toute l’étendue du pays ainsi que dans toute la diaspora dès le 26 novembre 2017, sous la direction de l’organisation Paix et Justice. Des églises et des écoles ont servi de bureaux de vote, tandis qu’à l’étranger, des salles ont été louées pour y installer des bureaux de vote, voire même dans des parcs publics. Les résultats de ces élections peuvent être consultés en ligne et ont servi à démontrer qu’il était possible d’organiser des élections, contrairement à ce que disaient Kabila et son gouvernement à l’époque.

Malgré tout, les vraies élections n’ont toujours pas été organisées jusqu’à présent et la tension est restée vive avec une forte incertitude quant à savoir si Kabila allait briguer un troisième mandat. Finalement, le 8 août 2018, il a désigné son dauphin Emmanuel Shadari Ramazani comme candidat pour son parti, 2 heures avant la clôture officielle des dépôts des candidatures pour les élections présidentielles de décembre 2018.

C’est du fait de cette tension que le Comité Laïc de Coordination a convoqué, de concours avec la société civile, toute une série de manifestations pacifiques, du 19 septembre 2017 à ce jour, afin de revendiquer le droit de vote sur toute l’étendue du pays. Toutes ces manifestations ont été réprimées par les forces de sécurités renforcées par des mercenaires en tenue et en civil, avec l’utilisation constatée de balles réelles et de gaz lacrymogène contre les manifestants ciblés même dans des églises.

De plus, le bureau des Droits de l’Homme des Nations Unies et Human Rights Watch (HRW) en RDC ont comptabilisé dans un rapport commun que 1 176 personnes ont été exécutées de manière extrajudiciaire par des « agents de l’État » congolais en 2017. Le régime de Kinshasa s’attaque aussi aux prêtres, aux personnes de troisième âge, et aux enfants.

Tableau 1 : Bilan des répressions du 19 janvier 2016 au 25 février 2018

Victimes

Manifestations

Total

19-09-16

19-12-16

31-12-17

21-01-18

25-02-18

Morts

49

28

8

7

2

94

Blessés

143

147

300

127

32

749

Incarcérés ou porté disparus

398

917

160

210

76

1 716

Source : Rapports mensuelles de BCNUDH sur les principales tendances des violations des droits de l’homme en RDC

Le 15 novembre 2017, à Idjwi dans la Province du Sud Kivu, où le mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA) avait organisé un sit-in pour revendiquer pacifiquement le départ de Joseph Kabila, s’est trouvée parmi les activistes une fille de 15 ans au nom de Binja Yalala, qui a été persécutée par la suite par au moins huit policiers comme le montrent les images ci-dessus. Celle-ci ne défendait qu’une cause juste et noble, qu’elle l’exprima avec toute bravoure :

« Je lutte pour que moi et les autres enfants de ma génération puissions avoir une vie meilleure. Je ne peux rester les bras croisés devant la misère et les humiliations que subit mon peuple. ».

Binja Yalala et Ombeni Bashomeka, arrêtées à Idjwi, RDC, en novembre 2017 pour avoir pris part à des manifestations contre un troisième mandat de Kabila

Dans sa stratégie d’étouffer la liberté d’expression à travers la répression policière sanglante, le pouvoir de Kinshasa procède en ciblant les leaders-activistes de la société civile, en l’occurrence ceux du mouvement citoyen LUCHA. Le 21 janvier 2018, Thérèse Mwanza Kapangala a été touchée par balle réelle dans l’enceinte de l’église Saint-François de Kitambo à Kinshasa, de même le 25 février 2018, Rossy Mukendi Tshimanga était abattu à bout portant dans l’enclos de l’église Saint Benoit de Lemba à Kinshasa. Rossy était connu pour son slogan « Le peuple gagne toujours ». Dernièrement, dans la nuit de samedi à dimanche 10 juin 2018, Luc Nkulula meurt dans l’incendie de sa maison à Goma.

Thérèse Kapangala, Rossy Mukendi, et Luc kulula, au moment de son arrestation lors de la manifestation début 2018 à Goma

La société civile de la RDC lutte, comme jamais avant, à la revalorisation de la liberté d’expression comme la pierre angulaire de la démocratie dans le pays, et ce surtout ces deux dernières années. Elle s’est rangée autour du CLC et a convergé pour lutter ensemble contre un troisième mandat de Kabila, et rester debout contre toutes les répressions policières sanglantes. Grâce à ce nouvel élan et cette détermination de la société civile à restaurer le droit fondamental de chaque citoyen congolais, tôt ou tard, la RDC deviendra un état démocratique.

 

[1] L’accord de la Saint Sylvestre est la conclusion du dialogue pour la démocratie entre le Rassemblement (partis politiques du changement), la société civile, et la plateforme de la mouvance dénommée la Majorité Présidentiel (MP), sous l’égide de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), un organe de l’église Catholique. Il a été initialement signé le 31 décembre 2016.