CIVICUS s’entretient avec Michael Kaiyatsa, directeur exécutif par intérim du Centre for Human Rights and Rehabilitation (CHRR), au sujet des récentes élections présidentielles au Malawi, qui se sont déroulées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et ont abouti à un changement de gouvernement. Le CHRR est une organisation de la société civile (OSC) qui soutient et promeut la démocratie et les droits humains au Malawi. Sa mission est de contribuer à la protection, la promotion et la consolidation de la bonne gouvernance en donnant aux communautés rurales et urbaines les moyens d’exercer leurs droits. Fondée en 1995 par d’anciens étudiants exilés qui sont rentrés dans le pays, attirés par la promesse d’une nouvelle démocratie, elle opère à travers deux programmes principaux : la mobilisation et l’autonomisation des communautés et la surveillance et la formation en matière de droits humains.
L’élection présidentielle a eu lieu au Malawi en juin 2020, en pleine pandémie de COVID-19 et en pleine crise politique. Quels rôles ont joué la société civile et le système judiciaire dans la réalisation de l’élection ?
Je pense qu’il est juste de dire que les manifestations menées par les avocats et la société civile ont ouvert la voie à la tenue d’une nouvelle élection présidentielle. L’élection qui s’est tenue le 23 juin 2020 était un nouveau scrutin ordonné par la Cour constitutionnelle du Malawi le 3 février 2020, lorsqu’elle a décidé d’annuler l’élection présidentielle du 21 mai 2019, en invoquant des irrégularités massives.
Lors de la présidentielle de mai 2019, le président sortant Peter Mutharika a été déclaré vainqueur au scrutin majoritaire à un tour, avec 38,57 % des voix. Cependant, l’opposition a affirmé que l’élection était frauduleuse. Elle a cité, entre autres, l’utilisation présumée de liquide correcteur Tippex pour modifier les chiffres sur les bulletins de vote. Le Dr Lazarus Chakwera, du Malawi Congress Party (MCP), et le Dr Saulos Chilima, du United Transformation Movement, ont demandé à la Cour constitutionnelle d’annuler les résultats de l’élection présidentielle. Tous deux ont invoqué des irrégularités généralisées, notamment l’utilisation de Tippex et des signatures manquantes sur certaines listes de résultats.
L’arrêt historique de la Cour constitutionnelle, validé ensuite par la Cour suprême, constitue une illustration remarquable de l’indépendance du pouvoir judiciaire dans la démocratie naissante du Malawi. Cependant, la clé de cet arrêt n’est pas seulement l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais aussi les mois de manifestations de masse menées par la société civile. Les protestations étaient si soutenues et vigoureuses qu'elles ne pouvaient être ignorées par les institutions démocratiques majeures comme le pouvoir judiciaire. La Human Rights Defenders Coalition, un groupement influent de la société civile, a courageusement conduit des milliers de personnes dans les rues à maintes reprises pour protester contre les résultats erronés des élections de mai 2019. Cette action a été particulièrement importante car elle a considérablement augmenté la pression sur le pouvoir judiciaire et d'autres institutions démocratiques incontournables pour qu'ils agissent comme il se doit. Il ne s’agit pas de sous-estimer le rôle joué par le pouvoir judiciaire. Les juges se sont vraiment levés pour défendre la démocratie. Avant l'arrêt de la Cour constitutionnelle, il y a eu plusieurs tentatives de corruption des juges pour que l'arrêt soit favorable à l’ancien président Mutharika ; un banquier de premier plan a d’ailleurs été arrêté dans le cadre de cette affaire de corruption. De nombreuses menaces ont également pesé sur l’indépendance du pouvoir judiciaire avant la tenue de la nouvelle élection, notamment une tentative du gouvernement de mettre à la retraite anticipée des juges de haut rang de la Cour suprême quelques jours avant l’élection. Les juges auraient pu facilement succomber à cette intimidation et statuer en faveur de Mutharika, mais ils ne l’ont pas fait. Au contraire, ils ont tenu bon et ont rendu un jugement qui a radicalement changé la façon dont le Malawi est gouverné.
La société civile a contesté avec succès la décision du gouvernement précédent d’imposer un confinement. Pourquoi l’a-t-elle fait, alors que d’autres pays dans le monde mettaient en œuvre des mesures similaires ?
La société civile voulait que le confinement soit suspendu jusqu’à ce que le gouvernement trouve un moyen de protéger les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables. Les groupes de la société civile étaient mécontents que le gouvernement n’ait pas mis en place un filet de sécurité sociale pour les personnes les plus vulnérables pendant le confinement, ce qui a conduit la Human Rights Defenders Coalition et d’autres OSC à demander une décision de justice pour la suspendre. Il s’agit d’un instantané de la réalité que vivent de nombreuses personnes au Malawi au quotidien.
Il est également important de noter que la demande de la société civile est intervenue après que des milliers de commerçants informels dans les villes de Blantyre et de Mzuzu et dans des districts tels que Thyolo soient descendus dans la rue pour protester contre le confinement avec des banderoles sur lesquelles était écrit « nous préférons mourir du coronavirus plutôt que de mourir de faim ». Beaucoup de ces vendeurs sont des gens qui gagnent leur vie au jour le jour et un confinement aurait pu les affecter gravement. La société civile et les citoyens soupçonnaient de plus en plus le gouvernement d’essayer d’utiliser le confinement pour justifier l’annulation ou le report des élections.
Quel a été le taux de participation aux élections ? A-t-on craint que les citoyens ne se déplacent pas pour voter par peur de contracter le virus ?
On craignait que les gens ne se rendent pas aux urnes en grand nombre par peur de la contagion dans le contexte de la pandémie. On craignait, par exemple, qu’étant donné la nécessité de ne pas se réunir en grands groupes et de maintenir une distance sociale, les citoyens préfèrent ne pas quitter leur domicile pour voter, par souci de leur propre santé et de celle de leur famille. Il y avait également un risque important que les personnes dissuadées de voter appartiennent de manière disproportionnée aux groupes d’âge plus élevés ou aux personnes souffrant de maladies préexistantes. Ainsi, la légitimité de l’élection pouvait être sapée par des restrictions injustes imposées à certains segments de la société et donc par leur participation inégale.
Ces craintes se sont en partie concrétisées. La participation des électeurs a été plus faible que lors des élections précédentes. Sur les 6 859 570 Malawites inscrits pour voter en 2020, 64,8 % ont voté. Ce chiffre est inférieur à celui de mai 2019, lorsque 74,4 % des électeurs inscrits avaient participé. Mais le faible taux de participation pourrait également être attribué à l’insuffisance des campagnes d’éducation civique et électorale. Contrairement aux élections précédentes, la plupart des OSC n’ont pas été en mesure de mener à bien ces campagnes en raison d’un manque de ressources. L’incertitude quant à la date des élections a rendu difficile la mobilisation des ressources par les OSC. La précédente Commission électorale du Malawi (MEC) n’a pas donné suffisamment confiance à la population pour que les élections aient lieu dans le délai imparti de 150 jours. La date officielle de l’élection a été fixée à peine deux semaines à l’avance, et il n’a pas été facile de mobiliser des ressources pour mener une éducation civique et électorale dans un délai aussi court.
Cependant, il est également possible que certains Malawites aient évité de se rendre aux urnes à cause de la pandémie de COVID-19. Le jour de l’élection, on comptait déjà 803 cas documentés et 11 décès dus au COVID-19 au Malawi. Il est donc possible que certaines personnes - en particulier les personnes âgées ou celles ayant des problèmes de santé préexistants - se soient abstenues de se rendre aux urnes.
Quels ont été les défis de l’organisation d’élections pendant une pandémie ?
L’expérience du Malawi a montré que l’organisation d’élections pendant une pandémie peut être très difficile. Les mesures de précaution émises par le gouvernement n’autorisent pas les rassemblements de plus de 100 personnes. Cependant, la plupart des partis politiques ont ignoré cette restriction et ont organisé des événements de campagne qui dépassaient ce nombre.
L’un des principaux défis auxquels la MEC a été confrontée lors de ces nouvelles élections était la nécessité de donner la priorité à la santé et à la sécurité des électeurs tout en garantissant l’intégrité des élections. La MEC dispose généralement d’un budget pour l’éducation des électeurs qui est utilisé avant chaque élection. Cependant, comme cette nouvelle élection n’a pas été budgétisée à l’avance, la MEC a dû faire face à des difficultés financières, qui ont été aggravées par la pandémie de COVID-19, car elle a nécessité l’achat d’équipements de protection individuelle, ajoutant des contraintes budgétaires supplémentaires.
La MEC a également rencontré des difficultés importantes en ce qui concerne la production et la distribution du matériel de vote. Le Malawi importe beaucoup de matériel électoral d’autres pays. Alors que le Malawi se préparait aux nouvelles élections, de nombreux pays étaient en confinement total ou partiel en raison de la pandémie. Cela a eu des répercussions sur les préparatifs des élections, car certains fournisseurs ont eu des difficultés à transporter des matériaux au-delà des frontières internationales. En conséquence, l’impression des bulletins de vote, qui a eu lieu à Dubaï, a connu des retards importants.
Un autre défi a été que les partis politiques n’ont pas pu surveiller le processus d’impression des bulletins de vote, comme cela a toujours été le cas, en raison des restrictions de voyage liées à la COVID-19. Une autre conséquence importante de la pandémie a été l’absence d’observateurs électoraux internationaux. Compte tenu des restrictions de voyage imposées dans le monde entier, la capacité des observateurs internationaux à contrôler les élections a été considérablement réduite. Et comme mentionné ci-dessus, la pandémie a également affecté la participation électorale.
Maintenant que l’élection a abouti à la nomination d’un nouveau président, qu’attend la société civile du nouveau gouvernement ?
La société civile attend beaucoup du nouveau gouvernement. Principalement, elle attend que le programme du nouveau gouvernement donne la priorité aux droits humains et renforce les libertés fondamentales de tous les Malawites, conformément aux normes internationales en la matière. On attend également du gouvernement qu’il agisse pour protéger l’espace de la société civile. La nouvelle élection présidentielle s’est déroulée dans un contexte d’attaques concertées du gouvernement contre la société civile et le pouvoir judiciaire. Nous attendons du nouveau gouvernement qu’il tienne sa promesse électorale de protéger l’espace civique et de permettre aux OSC de fonctionner librement.
Dans son manifeste électoral de 2019, le MCP, qui dirige l’Alliance Tonse (un mot qui signifie « nous tous »), une coalition de neuf partis politiques formée quelques semaines avant la nouvelle élection pour déloger Mutharika, a promis de soutenir le fonctionnement des OSC locales et internationales de défense des droits humains grâce à un cadre politique, institutionnel et législatif permissif et habilitant, et de faciliter le développement progressif d’une société civile pleinement capable de demander des comptes au gouvernement et de faire respecter les droits des citoyens. Nous espérons que le nouveau gouvernement donnera suite à cette promesse et retirera le projet de loi oppressif sur les ONG de 2018, qui contient un certain nombre de dispositions susceptibles de constituer une menace pour la capacité des OSC à fonctionner. Le projet de loi augmenterait le montant de la pénalité imposée à une OSC en infraction avec la loi, qui passerait de 70 dollars US actuellement à 20 000 dollars US. Il prévoit également une peine de sept ans de prison pour les dirigeants d’OSC reconnus coupables de violation de la loi. Ainsi, par exemple, si vous tardez à envoyer un rapport à l’Autorité des ONG, vous risquez une amende de 20 000 dollars US. En outre, les directeurs de l’organisation pourraient être envoyés en prison pour sept ans. Il s'agit d'une disposition ridicule. C’est le genre de disposition que l’on ne trouve que dans les États autoritaires. Nous espérons également que le nouveau gouvernement supprimera le nouveau régime de cotisation, qui est répressif et impose une lourde charge aux OSC, et rétablira l’ancien système de cotisation. Les nouveaux frais que les OSC doivent payer au Conseil des ONG ont été augmentés en janvier 2018, passant de 70 dollars US à 1 400 dollars US.
De quel soutien la société civile malawite aura-t-elle besoin de la part des partenaires internationaux pour aider à soutenir la démocratie au Malawi ?
Maintenant que les élections sont terminées, il est urgent que la société civile se réunisse et élabore une feuille de route et des plans d’action comprenant un mécanisme solide de contrôle des actions du gouvernement. Pour ce faire, et en particulier pour développer leurs capacités à demander au nouveau gouvernement de rendre compte de ses engagements, les OSC ont besoin du soutien des OSC internationales. Les OSC ont également besoin d’un soutien financier pour renforcer leur rôle en tant qu’acteurs de la gouvernance et de la responsabilité locales. La viabilité financière est essentielle pour que les OSC locales deviennent des organisations résilientes et efficaces. Les OSC et les donateurs internationaux ont un rôle clé à jouer pour contribuer à la durabilité des OSC locales. Enfin, les OSC ont besoin du soutien moral des OSC internationales pour être plus efficaces. Pendant la campagne pour l’intégrité des élections, les OSC locales ont reçu un soutien massif de la société civile internationale par le biais de déclarations dans les médias et de lettres aux autorités. Nous espérons que ce soutien se poursuivra tandis que nous nous lançons dans la tâche ardue de surveiller les actions du nouveau gouvernement, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption et la fin de la culture d’impunité qui prévaut depuis longtemps en ce qui concerne les violations des droits humains.
L’espace civique au Malawi est classé « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
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