CIVICUS s’entretient avec Nelson Olanipekun, avocat spécialisé dans les droits humains et fondateur et chef d’équipe de Citizens’ Gavelle (« le maillet des citoyens »), une organisation nigériane de technologie civique qui s’efforce d’accélérer l’administration de la justice en favorisant l’accès à la justice, la participation des citoyens et l’utilisation des technologies numériques. Citizens’ Gavel a été fondé en 2017, en réaction au manque de transparence et de responsabilité dans le secteur de la justice.
Quel genre de travail fait Citizens’ Gavel ?
Citizens’ Gavel est une organisation de la société civile (OSC) basée au Nigeria. Elle a été créée il y a trois ans pour remédier à la lenteur des procédures judiciaires, promouvoir la responsabilisation et fournir un soutien juridique. Notre principal objectif est d’accroître l’efficacité de l’administration de la justice grâce à la technologie, au plaidoyer et au lobbying stratégique, et de réduire les violations des droits humains par le biais d’un plaidoyer politique et juridique. Nous travaillons actuellement avec d’autres OSC sur la réforme juridique. En ce sens, nous essayons de devenir un acteur pertinent dans les processus de formulation des politiques qui affectent les droits fondamentaux des citoyens nigérians.
Nous travaillons sur des dossiers qui vont de l’incarcération de masse au manque de processus numérisés dans le secteur de la justice. Le processus d’administration de la justice au Nigeria est l’un des plus lents d’Afrique ; en conséquence, nous avons une forte proportion de personnes en prison, en attente de jugement. Environ 70% du nombre total de personnes incarcérées sont en attente de jugement ; à peine 30% ont été condamnées. En 2017, nous avons intenté une action collective au nom de plus de 500 personnes en attente de jugement dans la prison de l’État d’Oyo. Ces personnes avaient déjà passé plusieurs années en prison, alors que la loi prévoit que les prévenus peuvent être détenus jusqu’à 28 jours avant d’être traduits en justice. Nous avons également numérisé les dossiers de plus de 30 tribunaux au Nigeria et nous nous sommes concentrés sur l’amélioration de la coopération entre les acteurs du secteur de la justice.
Nous offrons une représentation juridique gratuite aux personnes en détention provisoire qui n’ont pas les moyens de payer un avocat. Nous avons développé des programmes et des applications pour faciliter l’accès des victimes de violations des droits humains et de leurs familles à l’aide juridique. Parmi eux, Podus, une plateforme technologique qui permet aux détenus provisoires de se mettre en relation avec l’avocat pro bono le plus proche. Cette plateforme a été créée spécifiquement pour les jeunes qui n’ont pas facilement accès à des avocats ou à des programmes de justice. Nous avons plus de 160 avocats dans 24 États du Nigeria et une équipe juridique d’intervention rapide de sept avocats. Jusqu’à présent, nous avons résolu 1 500 cas. Une autre application technologique que nous avons développée pour le secteur de la justice est le Justice Clock (« l’horloge de la justice »), une plateforme technologique qui calcule le temps passé par les détenus en détention et le nombre de jours passés par les suspects au tribunal par rapport aux dispositions de la loi sur l’administration des affaires pénales et d’autres lois. La plateforme offre également un espace où les acteurs du secteur de la justice - le pouvoir judiciaire, la police, les procureurs et les responsables de l’administration pénitentiaire - peuvent s’informer des meilleures pratiques internationales et améliorer leur travail. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec l’État d’Ogun pour mettre en œuvre avec succès Justice Clock afin que le secteur de la justice, et plus particulièrement le directeur des poursuites publiques et le commissaire à la justice de l’État d’Ogun, veille à ce que les délais constitutionnels pendant lesquels les accusés en attente de jugement peuvent rester incarcérés soient respectés.
Nous suivons les cas de violence sexuelle et sexiste (VSS), nous nous occupons des cas de brutalité policière, nous surveillons les campagnes de lutte contre la corruption et les affaires de corruption afin de fournir des informations pertinentes au public, et nous défendons les personnes en situation d’extrême pauvreté et les mettons en relation grâce à la technologie. Notre préoccupation pour cette population est née de la constatation que le nombre de personnes pauvres détenues en prison en attente de jugement est en augmentation. Sans aucune assistance, les accusés sans moyens financiers passent beaucoup de temps en prison pour des délits mineurs, simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer une caution ou de soudoyer la police. Ils sont également vulnérables et peuvent être contraints d’avouer des crimes qu’ils n’ont pas commis et, par conséquent, peuvent se retrouver en prison pour des périodes encore plus longues.
Citizens’ Gavel travaille également sur la question des abus policiers. Quelle est la situation au Nigeria, et comment les manifestations mondiales déclenchées par la mort de George Floyd aux États-Unis ont-elles trouvé un écho au niveau local ?
La brutalité policière est un gros problème au Nigeria et nous travaillons sur cette question depuis un certain temps. En avril 2019, par exemple, nous avons demandé à la police nigériane de procéder à une évaluation de la santé mentale des agents qui avaient commis des abus ou des meurtres, faute de quoi nous engagerions des poursuites judiciaires.
Au Nigeria, le tollé mondial suscité par la mort de George Floyd a de nouveau incité les citoyens à demander à ce que la police réponde de ses actes, et à partager leurs propres expériences avec les policiers. La tragédie qui a eu lieu aux États-Unis et son retentissement mondial se sont ajoutés aux problèmes préexistants à l’échelle locale, ce qui a permis de faire entendre de nouvelles voix s’élever contre la violence policière. Nous avons eu l’occasion d’apporter notre pierre à l’édifice en traitant les plaintes que les citoyens ont portées à notre attention et en poursuivant notre travail pour que les policiers coupables soient tenus responsables de leurs actes.
Comment les problèmes de droits humains se sont-ils aggravés pendant la pandémie de COVID-19 ?
Dès le début de la pandémie, le nombre de cas de violence policière liés à la mise en œuvre de mesures de confinement et à l’application des protocoles sanitaires a augmenté. Les interactions entre les citoyens et les agents de police se sont intensifiées et, par conséquent, davantage de plaintes contre les agents de police ont été enregistrées. En avril 2020, le nombre de personnes tuées par la police s’est avéré supérieur à celui des décès dus à la pandémie de COVID-19. En outre, les violences commises par la SARS se sont poursuivies pendant la pandémie, et les policiers ayant commis des actes de torture et des crimes violents (principalement contre des hommes jeunes et à faible revenu) n’étaient toujours pas traduits en justice.
Une autre épidémie de longue date, la violence sexuelle et sexiste (VSS), a également prospéré sous la pandémie. Avant la pandémie, environ 30% des femmes et des jeunes filles âgées de 15 à 49 ans avaient été victimes d’abus sexuels. Tout en prévenant les épidémies du virus, les mesures d’enfermement constituent une menace croissante pour la sécurité des femmes et des jeunes filles en obligeant les victimes de VSS à rester enfermées avec leurs agresseurs. Entre mars et avril 2020, les signalements de VSS ont augmenté de 149%. Le confinement a également compromis la disponibilité et l’accès aux services, car de nombreux centres et refuges pour les victimes de VSS ont fermé ou réduit la gamme de services qu’ils offraient. En conséquence, ces services essentiels ont fait défaut au moment précis où les survivants en avaient le plus besoin.
En réponse à cette situation, Citizens’ Gavel a augmenté le nombre de cas de VSS qu’il traite. Nous faisons tout notre possible étant donné que les réunions physiques et les interventions juridiques ont été suspendues et que les membres de notre équipe travaillent à distance depuis plusieurs mois. Heureusement, il nous a été relativement facile de gérer la situation car nous sommes une organisation de technologie civique et notre personnel a déjà été formé à l’utilisation d’outils virtuels.
Comment la société civile internationale pourrait-elle soutenir votre travail ?
Nous accueillerons avec plaisir toute possibilité de formation qui nous permettrait de mieux servir les communautés locales avec lesquelles nous travaillons. Nous aimerions également connaître les stratégies qui ont le mieux fonctionné pour mettre fin aux violations des droits humains dans d’autres contextes.
Citizens’ Gavel met beaucoup l’accent sur l’utilisation de la technologie pour résoudre certains des problèmes de justice dans le pays et a pu développer certains outils technologiques à cet égard ; cependant, nous aimerions en savoir plus sur les technologies qui fonctionnent dans d’autres contextes. L’accès à des plateformes internationales par lesquelles nous pouvons demander des comptes à notre gouvernement est également un élément clé de notre stratégie.
L’espace civique au Nigeria est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.
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