CIVICUS s'entretient avec le journaliste lauréat Cape Diamond (Pyae Sone Win) au sujet des prochaines élections au Myanmar. Cape est un journaliste multimédia basé au Myanmar qui s’intéresse au domaine des droits humains, des crises et des conflits. Il travaille actuellement de manière indépendante pour l'Associated Press (AP). Il a assuré une couverture critique de la crise des réfugiés rohingyas et a travaillé avec de nombreux médias internationaux, dont Al Jazeera, ABC News et CBS. Il a également contribué au documentaire lauréat du BAFTA, Myanmar’s Killing Fields, et au film The Rohingya Exodus, médaillé d'or au Festival du film de New York.
Prévues pour le 8 novembre 2020, ces élections seront les premières depuis 2015, date à laquelle elles ont abouti à une victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), et ne seront que les deuxièmes élections compétitives depuis 1990, date à laquelle la victoire écrasante de la LND a été annulée par l’armée.
Quel est l'état des libertés civiles et de la société civile à l'approche des élections ?
La situation de la liberté d'expression est très préoccupante. Au fil des années, des journalistes et des militants des droits de l'homme au Myanmar ont fait l'objet d'accusations pénales en raison de leur travail. Des lois restrictives, telles que la loi sur les télécommunications, la loi sur les associations illicites, la loi sur les secrets officiels et les dispositions du code pénal relatives à la diffamation, continuent d'être utilisées pour poursuivre les militants et les journalistes. La loi sur les défilés et rassemblements pacifiques a également été utilisée contre les manifestants.
De nombreux partis politiques se sont plaints du fait que la Commission électorale de l'Union (CEU), l'organe électoral, a censuré des messages devant être diffusés à la télévision nationale avant les élections. Par exemple, Ko Ko Gyi, président du parti populaire, a déclaré que les changements apportés par la CEU dans son discours de campagne l'empêchaient d'exprimer pleinement la position politique de son parti sur les élections. Deux partis, le Parti démocratique pour une nouvelle société et la Force démocratique nationale, ont annulé leurs émissions électorales pour protester contre la censure.
En même temps, les adversaires disent que le corps électoral est biaisé en faveur du parti au pouvoir, la LND, dirigé par Aung San Suu Kyi. C'est une question à laquelle nous devons être attentifs et dont nous devons parler afin de garantir des élections crédibles.
Le corps électoral s’est-il rapproché de la société civile ?
J'ai entendu dire que l'actuel CEU n'a pas cherché activement à établir un lien avec la société civile. Le CEU a d'abord interdit à l'Alliance du peuple pour des élections crédibles (APEC), l'un des plus grands groupes de surveillance des élections du pays, de surveiller les élections. La CEU a accusé l'APEC de ne pas être enregistrée en vertu de la loi régissant les organisations de la société civile et de recevoir des fonds de sources internationales. Bien que la CEU l'ait finalement autorisée à fonctionner, l'organisation éprouve des difficultés à le faire en raison des restrictions récemment imposées à cause de la COVID-19.
Quelles sont les principales questions autour desquelles la campagne s'articulera ?
La pandémie de la COVID-19 et la guerre civile en cours dans le pays sont nos principaux problèmes pour le moment. Il est très clair que le parti au pouvoir et le gouvernement ne prêtent pas suffisamment attention à la situation des minorités dans les régions qui souffrent de la guerre civile.
Il est inquiétant que le pays traverse une pandémie, dont je pense qu'il n'a pas la capacité suffisante pour y faire face. Au 29 septembre 2020, nous avons eu un total de 11 000 cas signalés et 284 décès dus à la COVID-19. L'augmentation des infections au cours des dernières semaines est inquiétante, puisque nous n'avions eu qu'environ 400 cas confirmés en août. Je crains que la situation ne permette aux gens d'aller voter aux élections en toute sécurité.
Plus de 20 partis politiques ont envoyé des demandes au corps électoral pour reporter les élections en raison de la pandémie, mais celles-ci ont été rejetées. Le parti au pouvoir n'est pas prêt à reporter les élections.
Est-il possible de développer une campagne « normale » dans ce contexte ?
Je ne pense pas qu'il soit possible d'avoir des rassemblements de campagne normaux comme ceux des dernières élections, celles de 2015, car nous sommes en pleine pandémie. Le gouvernement a pris plusieurs mesures pour lutter contre la propagation de la maladie, notamment l'interdiction de se réunir. Les partis politiques ne peuvent pas faire campagne dans des zones qui sont en situation de semi-confinement.
Les grandes villes, telles que Yangon et sa région métropolitaine, ainsi que certaines municipalités de Mandalay, sont en semi-confinement, dans le cadre d'un programme que le gouvernement a appelé « Restez à la maison ». Au même temps, l'ensemble de l'État de Rakhine, qui connaît une guerre civile, est également en semi-confinement. J'ai bien peur que les habitants de la zone de guerre civile ne puissent pas aller voter.
Pour s'adresser à leur public, les candidats utilisent à la fois les réseaux sociaux et les médias traditionnels. Toutefois, comme je l'ai déjà souligné, certains partis de l'opposition ont été censurés par la CSU. Certains membres de l'opposition ont dénoncé le traitement inéquitable de la CEU et du gouvernement, tandis que le parti au pouvoir utilise son pouvoir pour accroître sa popularité. Cela va clairement nuire aux chances électorales de l'opposition.
Quels sont les défis spécifiques auxquels sont confrontés les candidats dans l'État de Rakhine ?
Étant donné que tout l'État de Rakhine est soumis à des restrictions en raison de la COVID-19, les candidats ne peuvent pas faire campagne personnellement. C'est pourquoi ils font généralement campagne sur les réseaux sociaux. En même temps, dans de nombreuses municipalités de l'État de Rakhine, une coupure du service Internet a été imposée de façon prolongée en raison des combats continus entre l'armée arakanienne et les forces militaires. Je crains que les gens là-bas ne puissent pas obtenir suffisamment d'informations sur les élections.
Le gouvernement du Myanmar utilise également la loi discriminatoire de 1982 sur la citoyenneté et la loi électorale pour priver les Rohingyas de leurs droits et les empêcher de se présenter aux élections. Les autorités électorales ont empêché le leader du Parti de la démocratie et des droits humains (PDDH) dirigé par les Rohingyas, Kyaw Min, de se présenter aux élections. Kyaw Min a été disqualifié avec deux autres candidats du PDDH parce que ses parents n'auraient pas été citoyens, comme l'exige la loi électorale. C'est l'un des nombreux outils utilisés pour opprimer le peuple Rohingya.
En octobre, la CEU a lancé une application pour smartphone qui a été critiquée pour l'utilisation d'un label dérogatoire en référence aux musulmans rohingyas. L'application mVoter2020, qui vise à sensibiliser les électeurs, désigne au moins deux candidats de l'ethnie rohingya comme des « Bengalis », ce qui laisse entendre qu'ils sont des immigrants du Bangladesh, même si la plupart des Rohingyas vivent au Myanmar depuis des générations. Ce label est rejeté par de nombreux Rohingyas. De plus, aucun des plus d'un million de réfugiés Rohingyas au Bangladesh, ni des centaines de milliers de personnes dispersées dans d'autres pays, ne pourra voter.
L'espace civique au Myanmar est décrit comme « répressif » par le CIVICUS Monitor.
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