Quelle « résilience » face aux menaces contre l’espace civique ?

Par Soulayma Mardam Bey (CIVICUS)

Avez-vous déjà pensé à mesurer la résilience de votre organisation ? La question peut sembler saugrenue tant ce terme paraît avoir été vidé de sa substance pour devenir l’un des mots les plus en vogue dans le domaine du développement international. Pourtant, les réalités qu’il recouvre méritent que l’on s’y attarde plus longuement.

Dans le cadre de l’initiative Resilient Roots, nous entendons en particulier mieux comprendre les liens qui existent entre une plus grande redevabilité des organisations de la société civile (OSC) envers leurs principales parties prenantes (PPP) - soit envers les personnes les plus affectées par leur travail - et une meilleure résilience organisationnelle.

Mais d’abord, qu’entendons-nous par « résilience » ?

Dans le contexte de la société civile, elle peut être décrite comme la capacité d’une organisation à répondre aux menaces[1] pour poursuivre son travail en vue de réaliser ses objectifs. Notre initiative s'intéresse en particulier à la résilience dans le cadre des menaces contre « l’espace civique[2] ».

Afin de tester la résilience de chacune des organisations, nous avons décidé d’impliquer plusieurs membres du personnel à chaque fois. Pour ce faire, nous leur avons soumis un questionnaire en ligne leur permettant d’identifier les types de menaces liées à l’espace civique auxquels ils ont été confrontés ou qu’ils ont perçus, et d’évaluer leur sévérité sur une échelle de 0 à 10. Ces questions concernaient des menaces d’ordre bureaucratique, telles que des difficultés pour enregistrer un matricule, recevoir des fonds ou critiquer le gouvernement, et des menaces d’ordre répressif, telles que des interdictions de voyager, du harcèlement ou de la détention.

Pour approfondir les raisons ayant guidé leurs réponses, nous avons ensuite conduit des entretiens avec eux. Nous leur avons aussi soumis une typologie des menaces (« résister[3] », « s’adapter[4]», «se désister[5] », «se dissoudre [6] » et N/A), afin de leur permettre d’auto-évaluer la manière dont leurs organisations y répondent.

Il est à noter que la question de la confidentialité et de la sécurité des informations recueillies a été au cœur du processus de mesure de la résilience. Cela nous a amenés à utiliser des plates-formes cryptées, telles que Jit.si Meet et Protonmail, pour communiquer et partager des informations avec les organisations.

Suite à ce processus, nous avons tiré un certain nombre d’enseignements initiaux pour l’amélioration de notre méthodologie et la poursuite de notre aventure :

  • L’une des premières tendances qui s’est dégagée met en lumière la prépondérance des menaces bureaucratiques dans tous les contextes, qu’il s’agisse d’espaces civiques ouverts, rétrécis, obstrués ou répressifs, en comparaison des menaces de répression. Ainsi, par exemple, l'étiquetage d’« agent de l’étranger » constitue une menace bureaucratique courante que l’on retrouve dans des environnements extrêmement différents et qui vise à saper les activités des organisations de la société civile.  
  • En outre, les organisations peuvent déployer un arsenal de moyens d’actions divers pour réagir aux menaces ou limitations. Ainsi, pour ce qui est de l’auto-censure, certains partenaires se sentent suffisamment en sécurité pour dénoncer ceux qui sont en position de pouvoir sur des sujets jugés moins controversés, tout en atténuant leur discours sur des questions plus sensibles telles l’avortement, la sexualité ou les droits des communautés LGBTQI+. Dans ces cas-là, ces organisations résistent et s’adaptent à fois.
  • Parfois les organisations répondent de la même manière à certaines menaces ou limitations, quand bien même elles travaillent dans des espaces différents. Ainsi, quand les gouvernements font de la rétention d’information, certaines organisations s’adaptent pour obtenir l’information désirée. Pour ce faire, elles peuvent par exemple s’organiser en réseaux ou effectuer leurs propres recherches pour recueillir les données dont elles ont besoin.

Durant l’atelier fermé spécifiquement dédié à Resilient Roots en amont de la Semaine Internationale de la Société Civile les organisations des projets pilotes de l’initiative ont réfléchi à leurs forces, faiblesses, opportunités et risques pour faire face aux menaces, et aux manières dont elles pouvaient cultiver les facteurs positifs et atténuer l’impact des facteurs négatifs dans leurs contextes respectifs.

Cette séance a également ouvert la voie à une réflexion en petits groupes sur la faisabilité et la pertinence d’exploitation de mécanismes de redevabilité pour contrer les menaces. Parmi les suggestions émises, certains ont affirmé qu’une plus grande redevabilité envers les principales parties prenantes permettrait une meilleure connexion à leur base, renforçant ainsi la légitimité de leur travail et, a fortiori, entraînant un éventuel rapprochement entre les organisations et les mouvements sociaux. D’autres ont également évoqué qu’une plus grande redevabilité permettrait de renforcer leurs relations et de construire des partenariats plus solides afin d'atténuer une partie des pressions émanant des menaces. Ces premières remarques que nous partageons avec vous ici n’offrent qu’un aperçu de nos apprentissages et doivent, bien sûr, être développées et affinées.

Restez connectés pour de plus amples analyses sur les effets de la redevabilité sur la résilience des organisations partenaires dans les semaines à venir !

[1] De manière générale, les menaces sont les facteurs qui ont un impact négatif sur la capacité d’une organisation à fonctionner.

[2] L’espace physique, juridique et virtuel dans lequel la société civile mène ses activités. Selon les politiques et pratiques des acteurs hostiles (gouvernement, non-étatiques, etc) ayant du pouvoir, l’espace civique peut habiliter ou inhiber les acteurs de la société civile dans la revendication de leurs droits et dans leur capacité à influencer les réalités politiques et sociales.

[3] Vous continuez et augmentez la pression en poursuivant votre activité interdite, en ne tenant pas compte de la restriction / de la menace.

[4] Vous continuez à contester la menace, mais vous le faites en adoptant une stratégie ou une approche alternative, au vu des restrictions.

[5] Vous cessez de défendre ou de travailler sur une question sensible en particulier, réorientant vos activités suite à ces restrictions.

[6] Vous décidez la dissolution de votre organisation et cessez complètement vos activités en raison des restrictions.

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