plaidoyer

  • BURUNDI : « L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement »

    CarinaTertsakianCIVICUS s’entretient avecCarina Tertsakian, co-fondatrice de l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB), à proposde la répression au Burundi de la société civile et des défenseurs des droits humains, ainsi que des droits des personnes LGBTQI+.

    L’IDHB était une initiative indépendante qui, depuis la mi-2019 jusqu’en décembre 2023, travaillait en coopération avec un éventail de personnes à l’intérieur comme à l’extérieur du Burundi pourdocumenter la situation des droits humains et plaider en faveur des droits humains.

     

    La situation des droits humains au Burundi s’est-elle améliorée ?

    Le bilan global du Burundi en matière de droits humains n’a guère évolué depuis l’entrée en fonction du président Évariste Ndayishimiye en 2020. À l’époque, les gens avaient de grands espoirs parce que le nouveau président avait un passé moins sanglant que son prédécesseur. Mais la protection des droits civils et politiques n’a pas progressé. Les autorités ont continué d’arrêter, de poursuivre, de maltraiter et parfois de torturer des personnes pour des raisons politiques. Parmi les personnes arrêtées figurent des activistes, des journalistes et des membres de l’opposition.

    Alors même que les formes les plus graves de violations des droits, telles que les assassinats politiques et les disparitions forcées, ont diminué, des défenseurs des droits humains et des journalistes se font arrêter arbitrairement seulement en raison de leur participation à des activités de défense des droits humains ou de leur affiliation à des organisations de la société civile (OSC) indépendantes. Ils sont généralement accusés de porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou à l’intégrité territoriale, entre autres accusations sans fondement.

    Quelles sont les conditions de vie des personnes LGBTQI+ au Burundi ?

    En août 2023, 24 personnes ont été arrêtées pour leur présumée implication dans des organisations d’aide aux personnes LGBTQI+. Certaines ont été acquittées ou mises en liberté, tandis que d’autres ont été condamnées. Un des activistes acquittés est décédé avant d’être libéré. L’affaire est en cours et attire l’attention sur le problème sous-jacent plus large de la criminalisation de l’homosexualité au Burundi.

    Il est pratiquement impossible de s’identifier ouvertement en tant qu’activiste LGBTQI+ au Burundi. Si certaines organisations mènent des activités de soutien aux personnes LGBTQI+, elles évitent de s’identifier explicitement comme des organisations LGBTQI+. Les 24 personnes arrêtées, par exemple, avaient participé à une formation sur la sensibilisation et la prévention du VIH/sida.

    Dans son récent discours de fin d’année, le président Ndayishimiye a vilipendé les personnes LGBTQI+, qualifiant l’homosexualité de péché et encourageant la lapidation publique de ceux qui sont perçus comme des « homosexuels ». Cette horrible déclaration a alimenté la rhétorique de la haine en ligne mais, au moins, elle a été vivement critiquée par une OSC burundaise et plusieurs éminents activistes en exil – ce qui est extrêmement difficile à faire à l’intérieur du Burundi.

    Dans quelle mesure les organisations de défense des droits humains peuvent-elles effectuer leur travail au Burundi ?

    En 2015, une importante crise politique et des droits humains a éclaté au Burundi, marquée par une violente répression de la société civile, en particulier des détracteurs et des personnes soupçonnées de s’opposer au gouvernement. En conséquence, des dirigeants de grandes organisations de défense des droits humains ont fui le pays et demeurent en exil. Certains ont été inculpés et condamnés par contumace, notamment à l’emprisonnement à perpétuité.

    L’activisme en faveur des droits humains ne peut pratiquement plus être mené ouvertement au Burundi. Depuis 2015, les activistes qui s’attaquent à des questions politiquement sensibles font l’objet de menaces directes et ne peuvent pas travailler librement dans le pays. Même ceux qui étaient auparavant affiliés à des organisations de défense des droits humains qui n’opèrent plus au Burundi continuent de faire l’objet d’arrestations.

    Les activistes qui défendent les droits économiques et sociaux subissent comparativement moins de pressions. Certaines OSC travaillant sur les questions de lutte contre la corruption et de bonne gouvernance ont été plus ou moins autorisées à fonctionner, bien que le gouvernement ait parfois entravé leurs activités, par exemple en perturbant ou en interdisant les conférences de presse.

    Les activistes burundais ont-ils trouvé la sécurité dans l’exil ?

    Les activistes en exil basés en Europe ou au Canada sont relativement en sécurité, tandis que ceux qui se trouvent au Rwanda peuvent subir des pressions supplémentaires. En 2015, alors que de nombreux journalistes et défenseurs des droits humains ont fui, le gouvernement burundais a interdit ou suspendu leurs organisations et fermé plusieurs stations de radio indépendantes. Certains journalistes en exil ont créé des stations de radio à l’étranger, principalement au Rwanda.

    Le gouvernement burundais a profité de l’amélioration récente des relations avec le Rwanda pour faire pression sur le pays hôte afin qu’il fasse taire ces journalistes ou qu’il les renvoie. Le gouvernement rwandais a lancé un ultimatum à certains de ces journalistes, leur imposant de se taire ou de partir, ce qui a contraint certains d’entre eux à cesser leurs activités au Rwanda et à se réinstaller ailleurs. Certains de ces journalistes, comme d’autres défenseurs des droits humains plus largement, étaient entre ceux qui ont été jugés et condamnés par contumace.

    Quelles sont vos principales demandes au gouvernement burundais ?

    La société civile burundaise demande au gouvernement de lever les restrictions sur l’espace civique, afin de permettre aux défenseurs des droits humains, aux journalistes et aux autres voix indépendantes de s’exprimer librement sans harcèlement. Nous soutenons ces demandes.

    Tout d’abord, le gouvernement doit libérerFloriane Irangabiye, une journaliste condamnée à 10 ans de prison en mai 2023. Cinq autres défenseurs des droits humains avaient été inculpés et jugés avant cela, en avril. Ils avaient été ciblés par le gouvernement en raison de leur association avec une organisation internationale non approuvée par le régime, et accusés de recevoir illégalement des fonds. Bien qu’ils aient été mis en liberté au bout de deux mois grâce à la pression internationale, certains d’entre eux ont reçu des condamnations de peine avec sursis. On appelle donc à ce que toutes les poursuites à leur encontre soient abandonnées. 

    La sécurité des activistes exilés doit également être assurée avant qu’ils ne puissent rentrer, ce qui nécessite la levée de leur peine. Tant que les défenseurs des droits humains continueront à faire l’objet de condamnations par contumace, il y aura des obstacles importants à toute forme d’activisme en faveur des droits humains au Burundi. Nous demandons également au gouvernement de révoquer les interdictions et les suspensions imposées aux OSC depuis 2015.

    Bien que le gouvernement prétende que le Burundi est une démocratie, ce n’est certainement pas le cas. S’il l’était, les critiques seraient permises et les activités des défenseurs des droits humains ne seraient pas criminalisées.

    Quel soutien les activistes burundais des droits humains reçoivent-ils de la part de leurs alliés internationaux, et de quoi ont-ils encore besoin ?

    Lorsque les pays de l’Union européenne, les États-Unis et d’autres gouvernements font part de leurs préoccupations concernant les violations flagrantes des droits humains au Burundi, notamment par l’intermédiaire de leurs ambassades dans le pays, cela fait vraiment la différence. Bien qu’il faille parfois des années pour obtenir la libération d’un défenseur des droits humains, l’intensification de la pression internationale s’est avérée efficace.

    Il reste trop peu de groupes indépendants de défense des droits humains au Burundi, et il est difficile d’apporter un soutien international à des entités pratiquement inexistantes. Ceux qui sont encore actifs sont pour la plupart des activistes individuels, qui peuvent difficilement être soutenus par les donateurs. Une exception notable est le journal indépendant Iwacu, qui poursuit son travail malgré les contraintes qui lui sont imposées. Nous encourageons les donateurs à maintenir leur soutien à ce média, qui représente l’une des dernières voix indépendantes au Burundi.

    Les organisations de défense des droits humains opérant depuis l’exil ont besoin d’un soutien continu et pourraient développer leur travail si elles disposaient d’un financement plus durable. Il est difficile de travailler depuis l’étranger. Après plusieurs années d’exil, les activistes commencent à se sentir déconnectés et démotivés car ils ne voient pas les choses changer.


    L’espace civique au Burundi est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

  • CAMEROUN : « Il faut que les communautés bénéficient de ce qui provient de leurs terres »

    EstelleEwouleLobeCIVICUS échange sur les aspirations et les rôles de la société civile dans le prochain sommet sur le climat COP28 avec Estelle Ewoule Lobé, cofondatrice de l’organisation de la société civile (OSC) camérounaise l’Action pour la protection en Afrique des déplacés internes et des migrants environnementaux (APADIME).

    Quelles sont les questions environnementales sur lesquelles vous travaillez ?

    Notre organisation, APADIME, travaille sur plusieurs questions interconnectées de droits humains et l’environnement. On travaille dans la protection des droits des peuples autochtones et des communautés locales, en mettant l’accent sur les femmes autochtones et les déplacés environnementaux. Nous contribuons à la lutte contre les crimes environnementaux transnationaux tels que l’exploitation illégale des ressources forestières et le trafic illicite d’espèces protégées. Nous travaillons à renforcer la résilience des peuples autochtones et des communautés locales et à sensibiliser l’opinion publique à la protection des forêts. Enfin, on met en œuvre des activités génératrices de revenus pour les peuples autochtones et les communautés locales.

    Quand on travaille sur le crime organisé, on ne laisse pas de côté la défense des droits fondamentaux des personnes. Notre zone de travail se situe dans le Bassin du Congo, avec un ancrage sur le Cameroun. L’Afrique centrale abrite une des plus vastes forêts tropicales humides du monde. Elle regorge d’énormes ressources dont dépendent des millions d’individus pour leur subsistance, notamment des peuples autochtones et des communautés locales. Cette forêt offre également un habitat à d’innombrables espèces animales, et est d’une importance cruciale pour le climat planétaire.

    Malgré tout le dispositif juridique qui vise la protection des forêts au Cameroun, l’on constate que l’exploitation des forêts, qui se fait souvent en partenariat avec des entreprises privées, donne lieu à de nombreuses dérives entrainant de graves violations des droits humains alimentés par des réseaux criminels bien organisés, et conduit généralement à la spoliation des terres de ces peuples et communautés. C’est à ce niveau que le travail de l’association intervient.

    Nous avons d’abord un volet recherche qui vise, d’une part, à faire des recherches sur le cadre juridique et institutionnel afin d’appuyer nos actions de plaidoyer au niveau national et international, et d’autre part, à faire des études et publier des articles et des livres, le dernier étant A la recherche d’un statut pour les déplacés environnementaux.

    Ensuite nous avons un volet terrain où nous descendons dans les communautés pour les rencontrer, organiser des réunions de concertation, organiser des focus groups, des enquêtes et des observations afin de collecter des données sur les difficultés qu’elles rencontrent et leurs besoins.

    Le troisième volet de l’association est celui lié à l’éducation, où nous renforçons la résilience des peuples autochtones et des communautés locales sur la base de leurs droits intrinsèques, les droits procéduraux, la gestion durable des sols, la préservation des espèces protégées et la législation forestière en vigueur. Nous organisons aussi des campagnes de sensibilisation pour l’éducation des communautés.

    Le quatrième volet est l’accès aux droits. Nous organisons les communautés en mettant en place des réseaux d’acteurs institutionnels et locaux afin de faciliter cet accès pour ces communautés donc les droits humains et fonciers sont constamment violés.

    Le dernier volet concerne le relèvement économique par la mise en œuvre des activités génératrices de revenus dans certaines communautés à travers notamment des champs communautaires.

    Avez-vous fait l’objet de restrictions ou de représailles en raison de votre travail ?

    Nous sommes des défenseurs des droits humains travaillant dans un environnement toujours pas souvent réceptif au type de travail que l’on fait. Nous sommes confrontés à des intérêts puissants tels que ceux des sociétés forestières qui exploitent souvent abusivement les forêts. Notre présence fait souvent tâche et nous sommes sujets à des menaces qui nous contraignent à limiter généralement notre champ d’action pour éviter que la situation ne dégénère et devienne trop risquée.

    Au niveau administratif, le principal obstacle est l’absence de réactions positives ou de collaboration venant des responsables administratifs. Certains responsables rencontrés refusent d’être parties prenantes à nos projets, se contentant de la seule séance de discussion générale avec nous. D’autres refusent de rendre public les contacts de leurs membres.

    Quels types de liens entretenez-vous avec le mouvement climatique mondial ?

    L’APADIME collabore avec plusieurs organisations internationales de renom dans le monde notamment le Centre international de droit comparé de l’environnement, une OSC internationale à caractère scientifique basée en France, qui travaille sur la protection de l’environnement à travers la promotion des instruments juridiques internationaux. On travaille aussi avec l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC).

    Avec le support et l’accompagnement de la GI-TOC, nous sommes actuellement engagés avec un réseau d’acteurs en République du Congo et au Gabon, dans le but de lutter contre le crime organisé environnemental dans le Bassin du Congo et protéger les droits des peuples autochtones pour parvenir à une justice climatique centrée sur les droits humains.

    Nous sommes impliqués avec des acteurs internationaux dans la construction du Sommet des Peuples pour la justice sociale et environnementale, contre la marchandisation de la vie et de la nature, et pour la défense des biens communs. Notre association participe aussi activement comme orateur et observateur à des grandes rencontres internationales donc la plus récente est la 11ème Conférence des Parties à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC), qui s’est tenue à Vienne en octobre 2022, et à l’issue de laquelle a été produite un appel à l’action de la société civile.

    Quelles questions prioritaires devraient être abordées lors de la COP28 ?

    Les enjeux prioritaires de la COP28 sont les mêmes que ceux que nous défendons depuis longtemps : l’appui aux peuples autochtones et aux communautés locales pour garantir la protection de leurs droits, notamment à travers le financement des activités de conservation et des activités génératrices de revenus pour relever leur niveau de vie, et le partage équitables des avantages de la nature tel que définis par le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, qui reconnaît qu’en plus du besoin urgent d’utiliser durablement la nature, il faut que les communautés bénéficient de ce qui provient de leurs terres.

    Il s’agit en particulier d’examiner comment les communautés marginalisées, y compris les peuples autochtones, peuvent bénéficier des produits thérapeutiques et cosmétiques souvent lucratifs dérivés des ressources de leurs terres.

    Pensez-vous que la COP28 offrira suffisamment d’espace à la société civile ? Quelles sont vos attentes quant à ses résultats ?

    La participation de la société civile aux négociations sur le climat est extrêmement importante car nous sommes des participants actifs et lorsque nous sommes en mesure d’influencer les négociations, nous sommes un facteur clé de progrès en matière de développement durable. Nos actions sont complémentaires au dialogue politique, d’où la nécessité voire même l’obligation de participer à ces négociations.

    Comme d’habitude, la COP28 sera officiellement bien ouverte à la société civile en tant que participants et observateurs, mais les difficultés d’accès résideront dans le financement pour se rendre et séjourner aux Émirats arabes unis, où se tiendra cet événement mondial.

    Mais nous espérons que malgré toutes ces difficultés, des progrès seront réalisés sur les questions qui sont au cœur de notre travail, à savoir le financement direct des communautés pour garantir des actions d’adaptation et renforcer leur résilience.


    L’espace civique au Cameroun est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.

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  • CANADA : « Le pape n’a pas présenté d’excuses claires aux peuples autochtones au nom de l’Église catholique »

    Virginie LadischCIVICUSéchange avec Virginie Ladisch du International Center for Transitional Justice (ICTJ : le Centre international pour la justice transitionnelle) au sujet des récentes excuses du pape François aux peuples autochtones canadiens et de l’empreinte laissée par la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

    L’ICTJ est une organisation de la société civile (OSC) qui travaille en partenariat avec des victimes et survivants afin d’obtenir la reconnaissance et la réparation des violations massives de droits humains, d’obliger les responsables à rendre des comptes, de réformer et de construire des institutions démocratiques et de prévenir que la violence et la répression ne resurviennent.

     

    Quelles violations des droits humains commises à l’encontre des peuples autochtones la Commission de vérité et réconciliation a-t-elle révélées ?

    Lerapport final de laCommission de vérité et réconciliation du Canada décrit très clairement les violations des droits humains et le génocide culturel résultant du système des « pensionnats indiens », qui a fait l’objet des récentes excuses du pape François.

    Les pensionnats indiens et les abus qui y ont été commis sont parmi de nombreuses autres violations des droits humains subies par les populations autochtones au Canada, notamment les violations sexuelles et sexistes à l’encontre des femmes et des filles autochtones, la dépossession des terres, la violation du droit à l’eau potable, les taux d’incarcération disproportionnés, le recours excessif à la force contre les manifestants pour les droits fonciers, les pratiques discriminatoires et le manque d’accès aux services de base, y compris les soins de santé.

    Quelle est l’importance des excuses du pape ?

    Lesexcuses du pape constituent une première étape importante dans le processus de reconnaissance et de réparation des torts du passé. Dans ses excuses, le pape a reconnu l’intention assimilationniste du système des pensionnats et les dommages causés en marginalisant systématiquement les populations autochtones, en dénigrant et en supprimant leurs langues et leurs cultures, en arrachant les jeunes enfants de leur foyer, en affectant de manière indélébile leur relation avec leurs parents et leurs grands-parents et en les soumettant à des violences physiques, verbales, psychologiques et spirituelles.

    Les derniers pensionnats ayant fermé dans les années 1990, il était important qu’il reconnaisse le préjudice intergénérationnel causé, qui persiste encore aujourd’hui. Cependant, plusieurs survivants ont été déçus de constater que le pape a omis les abus sexuels, très répandus dans les pensionnats indiens, dont les effets demeurent nuisibles pour les survivants et leurs familles.

    Bien que le pape ait souligné la nature systématique des préjudices commisà l’encontre des populations autochtones du Canada, ses excuses ont tu le rôle de l’Église catholique dans le système visant à« tuer l’Indien dans l’enfant ». Il a déclaré : « Je suis affligé. Je demande pardon, en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré,mêmeà travers l’indifférence, aux projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée promus par les gouvernements de l’époque, qui ontabouti au système des pensionnats ».

    Les paroles du Pape reflètent des excuses personnelles et des excuses au nom des catholiques individuels, mais pas d’excuses claires au nom de l’Église catholique en tant qu’institution. Certes, il est possible d’interpréter ces excuses personnelles comme des excuses au nom de l’Église en tant que le pape est lui-même représentant de l’Église catholique. Cependant, les violations de l’Église catholique à l’encontre des peuples autochtones ont représenté des atteintes systémiques et se sont ancré profondément, d’où il est nécessaire de reconnaître clairement que le système était en faute et qu’il y a eu un effort institutionnel concerté pour assimiler de force les enfants autochtones. Il ne s’agissait pas de l’œuvre de quelques individus malavisés.

    Il faut un effort concerté pour démêler les idées colonialistes sous-jacentes du système des pensionnats. qui demeurentà l’origine du racisme persistant aujourd’hui.

    Quels devraient être les prochains pas pour l’Église catholique et le gouvernement canadien ?

    L’ICTJreconnaît que les excuses constituent un élément important du processus de justice transitionnelle en raison de leur valeur morale et symbolique significative. Mais pour qu’elles soient significatives, elles doivent être suivies d’actions réelles et de réparations matérielles. Le pape a reconnu cela dans ses excuses et a noté qu’« une enquête sérieuse sur les faits » et des efforts « pour aider les survivants des pensionnats à guérir des traumatismes qu’ils ont subis » seraient essentiels pour éviter que de telles situations ne se reproduisent. En fin de compte, l’importance des excuses du pape dépendra de la manière dont il conduira l’Église catholique à traduire ces paroles en actes.

    En ce qui concerne les prochaines étapes, l’Église catholique et le gouvernement du Canada devraient suivre les94 appels à laction de la Commission de vérité et réconciliation, qui traitent des préjudices durables causés par les pensionnats et appellent tous les secteurs de la société à investir dans des moyens nouveaux et respectueux d’avancer ensemble. Lorsque des informations supplémentaires sont nécessaires, par exemple au sujet des enfants disparus et des tombes non marquées, l’Église catholique devrait ouvrir ses archives et entreprendre une enquête rigoureuse.

    Comment l’ICTJ travaille-t-il pour faire avancer les droits des peuples autochtones ?

    L’ICTJ travaille aux côtés des victimes et des survivants dans leur quête de justice et veille à ce qu’ils aient leur mot à dire dans les politiques qui les concernent. Nous sensibilisons les gens à leurs droits et soutenons les efforts déployés pour que les auteurs de ces crimes soient tenus responsables, pour découvrir la vérité sur les violations qu’eux-mêmes et leurs communautés ont subies et pour obtenir reconnaissance et réparation.

    Nous collaboronségalementavec des groupes de la société civile, notamment des groupes de femmes, de jeunes et de minorités, qui ont intérêt à construire une société plus juste, plus pacifique et plus démocratique. Ensemble, nous faisons avancer les réformes institutionnelles et les garanties nécessaires pour éviter que ces violations ne se reproduisent.

    Au cours des trois dernières décennies, les processus de justice transitionnelle ont représenté un moyen de remédier aux injustices historiques de longue date commises à l’encontre des peuples autochtones dans le monde entier. Les processus et institutions spécifiques associés à la justice transitionnelle, tels que les commissions de vérité, les organes spéciaux de poursuites, la commémoration et les réparations, peuvent ainsi catalyser des changements politiques, sociaux, institutionnels et culturels qui contribuent à la reconnaissance et à la concrétisation des droits des peuples autochtones, tel que souligné dans unrapport que nous avons publié en 2012.

    L’ICTJ a œuvré pour faire progresser les droits des peuples autochtones dans différents pays, notamment en Australie, au Canada, en Colombie, au Guatemala, au Pérou et aux États-Unis. Au Canada, il a accompagné la Commission de vérité et réconciliation depuis avant sa création en 2008 jusqu’à la fin de son mandat en 2015.

    Reconnaissant l’importance d’impliquer les jeunes dans ce processus de vérité et de réconciliation au Canada, l’ICTJsest associé à la Commission pour mener des activités d’engagement des jeunes. Les initiatives comprenaient une série derassemblements pour les jeunes au cours desquelles les participants ont développé les compétences techniques et de communication nécessaires pour mieux engager avec leurs pairs sur les questions autochtones, ainsi qu’un projetvidéo dirigé par des jeunes. Celui-ci concernait l’histoire des pensionnats et la connaissance, ou le manque de connaissance, des jeunes de cette histoire, ainsi que la situation contemporaine des peuples autochtones au Canada.

    Comme l’a dit un lycéen d’Edmonton qui a participé à l’un des événements de l’ICTJ, « Nous sommes la prochaine génération. Dans dix ans, nous serons les adultes - les avocats, les premiers ministres. Nous devons nous informer lorsque nous sommes jeunes, et quand nous serons plus âgés, nous pourrons faire en sorte que cela ne se produise plus ».

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  • CANADA : « Les peuples autochtones les plus marginalisés subissent de sévères violations de leurs droits humains »

    Melanie OmenihoCIVICUS parle des droits des peuples autochtones au Canada avec Melanie Omeniho, présidente de Les Femmes Michif Otipemisiwak/Femmes de la Nation Métisse (LFMO).

    Fondée en 1999 et constituée en société en 2010, LFMO est une organisation de la société civile qui défend les droits des peuples autochtones au Canada. Cela inclut notamment le droit à l’égalité de traitement, à la santé et au bien-être des femmes, et les droits des personnes de diverses identités de genre et des minorités sexuelles de la Nation Métisse.

    Quelle est la situation actuelle des peuples autochtones au Canada ?

    D’après notre expérience au LFMO, les personnes autochtones les plus marginalisées subissent d’importantes violations de leurs droits humains. Beaucoup d’entre elles tentent de surmonter des traumatismes et n’ont ni le temps, ni les ressources nécessaires pour faire face au racisme systémique responsable de la violation persistante de leurs droits.

    Par exemple, nous avons entendu de nombreuses expériences concernant les difficultés d’accès au système canadien de services d’assistance aux victimes. Dans certaines régions si une personne a déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale, même des décennies auparavant, et que cela reste dans son casier judiciaire, elle peut ne pas être admissible à des services aux victimes. Cette politique a de graves répercussions sur les personnes autochtones qui sont victimes de crimes, y inclus d’agressions sexuelles, et représente une violation de leurs droits.

    Au LFMO, nous sommes très conscients de l’expérience du racisme anti-autochtone. Certains d’entre nous sommes attaqués sur la base de notre apparence ou de nos propos dans notre vie quotidienne. Ce qui nous concerne particulièrement est le manque de volonté de catégoriser comme des crimes de haine les attaques physiques contre les femmes autochtones.

    Nous encourageons un changement de politiques et de pratiques dans toutes les facettes du système de justice pénale, afin d’identifier les crimes de haine contre les personnes autochtones au lieu de les classer comme des agressions ordinaires. Pour créer un changement et tenir les agresseurs dûment responsables, nous devons faire en sorte que le racisme anti-autochtone soit reconnu comme un crime de haine.

    Comment la LMFO travaille-t-elle pour faire avancer les droits des peuples autochtones au Canada ?

    La LMFO est l’organisation nationale qui représente les femmes Métisses dans toute la mère patrie de la Nation Métisse. Les Métis sont l’un des trois peuples autochtones reconnus du Canada, avec les Premières Nations et les Inuits. Selon le recensement de 2016, près de 600 000 Canadiens s’identifient comme Métis.

    La LMFO défend l’égalité des femmes Métisses, des personnes bispirituelles et des personnes Métisses de diverses identités de genre dans toute la mère patrie de la Nation Métisse – notre mère patrie Métisse. Le terme « bispirituel » a été repris dans les années 1990 pour désigner les personnes autochtones LGBTQI+. Il correspond à un concept ancien dans les communautés autochtones qui désigne une personne qui incarne à la fois un esprit masculin et féminin.

    Le LFMO joue un rôle important dans l’amélioration de l’espace social, culturel, économique, environnemental et de leadership (rôles de dirigeance) occupé par les femmes Métisses et les minorités de genre. Notre mission primordiale est d’assurer l’égalité de traitement, la santé et le bien-être de tous les Métis, en mettant l’accent sur les femmes, les jeunes et les personnes bispirituelles et de genre diverse.

    Dans le cadre de notre plan stratégique, nous avons 10 objectifs : défendre les priorités et les besoins des femmes de la Nation Métisse, du Canada et du monde entier ; prendre soin de la terre et des eaux ; préserver le savoir traditionnel des femmes Métisses ; promouvoir la justice sociale et l’égalité ; créer des occasions pour les femmes Métisses de développer leurs compétences en leadership ; aider les Métis à mener une vie plus saine et soutenir des communautés saines et dynamiques ; veiller à ce que les perspectives et les priorités des femmes Métisses soient prises en compte dans les initiatives de développement économique, et qu’un soutien soit apporté à leur esprit d’entreprise ; favoriser des espaces d’apprentissage culturellement adéquats, dès la jeunesse et tout au long de la vie, afin d’améliorer les résultats éducationnels pour les enfants, les femmes et tous les apprenants Métis ; élaborer une stratégie de recherche d’informations spécifique aux Métis afin de produire des données désagrégées ; et bâtir une organisation forte, prospère, inclusive, responsable et transparente.

    Nous faisons partie d’un mouvement global de groupes de peuples autochtones du monde entier qui luttent et plaident collectivement pour être vus, entendus et reconnus. Plus nous prenons la parole, partageons nos histoires et luttons pour préserver nos traditions et nos cultures, plus nous aurons de chances d’obtenir la reconnaissance de nos droits et la création de politiques qui nous soutiennent et nous protègent.

    Comment le gouvernement devrait-il contribuer à l’avancement des droits des peuples autochtones du Canada ?

    Nous espérons qu’en transposant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans son droit interne, le gouvernement mettra en œuvre des politiques visant à concrétiser les droits des peuples autochtones, et que les femmes autochtones participeront à ces conversations. C’est en vue de cet objectif que LFMO préconise une approche fondée sur le genre avec une optique intersectionnelle dans l’élaboration des politiques et la co-création de la législation.

    L’espace civique au Canada est classé « ouvert » par leCIVICUS Monitor.
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  • CONVENTION FISCALE DE L’ONU : « Le pouvoir populaire est notre arme principale pour lutter contre les inégalités »

    JennyRicksCIVICUS échange sur le travail de la société civile pour lutter contre les inégalités en adoptant une approche ascendante, et discute des perspectives d’une convention fiscale des Nations Unies avec JennyRicks, coordinatrice mondiale de l’Alliance contre les inégalités.

    L’Alliance contre les inégalités est une coalition mondiale en plein essor qui rassemble un large éventail de mouvements sociaux, d’organisations de base et communautaires, d’organisations de la société civile, de syndicats, d’artistes, et d’activistes individuels qui s’organisent et se mobilisent du bas vers le haut. Leur objectif est de trouver et promouvoir des solutions aux causes structurelles des inégalités afin de rééquilibrer le pouvoir et la richesse dans nos sociétés.

    Existe-t-il un consensus mondial sur le fait que l’inégalité est un problème qu’il faut adresser ?

    Depuis quelques années, il semble avoir un consensus sur le fait que l’inégalité a atteint de nouveaux extrêmes et qu’elle est préjudiciable à tous les membres de la société ainsi qu’à l’environnement. À l’heure actuelle, ce ne sont pas seulement les personnes les plus touchées par les inégalités qui s’y opposent, affirmant que c’est grotesque et que cela doit changer, mais même des organisations comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale l’envisagent comme un problème. Le pape dit que c’est un problème. Les gouvernements se sont engagés à réduire les inégalités dans le cadre de l’un des objectifs de développement durable.

    En apparence, il existe un large consensus : tout le monde semble penser que la concentration du pouvoir et des richesses au sommet des sociétés est allée trop loin, que le fossé est trop profond et qu’il affecte la vie quotidienne et les moyens de subsistance des gens au point où c’est une question de vie ou de mort. Et ce n’est pas tout : les inégalités érodent aussi les démocraties. Lorsque les oligarques contrôlent les médias, achètent des votes, répriment les défenseurs des droits de l’homme et l’espace civique et saccagent l’environnement, tout le monde est concerné.

    Mais sous ce consensus superficiel, je pense qu’il existe encore un profond désaccord sur ce que signifie réellement la lutte contre les inégalités. À l’Alliance contre les inégalités, nous travaillons pour démanteler les systèmes d’oppression à l’origine des inégalités, notamment le néolibéralisme, le patriarcat, le racisme et l’héritage colonial. Ce sont les racines structurelles profondes des inégalités qui expliquent pourquoi des milliards de personnes ont lutté pour survivre à une pandémie mondiale tandis que les plus riches du monde continuaient à s’amuser. C’est pour cela que notre plan d’action se centre sur la transformation de la nature de nos économies et de nos sociétés, et nous ne nous contentons pas d’apporter des modifications mineures au statu quo pour éviter les émeutes.

    Comment s’attaquer à l’inégalité structurelle ?

    Depuis le début de la formation de l’Alliance contre les inégalités, nous savions que le problème ne résidait pas dans le manque de solutions politiques. Nous connaissons déjà les solutions politiques pour lutter contre les inégalités : cela comprend notamment des mesures de lutte contre le changement climatique, des politiques fiscales redistributives, des politiques visant à garantir un travail décent.

    Le problème était que la concentration écrasante de pouvoir et de richesse au sommet ne s’accompagnait pas d’une force compensatrice en bas de l’échelle. Les plus riches et les plus puissants sont organisés et bien financés. Ils poursuivent leurs intérêts et leur avidité de manière agressive et avec succès. Or, nous avons le pouvoir du peuple. Mais dans la société civile et au-delà, les groupes étaient très fragmentés, très cloisonnés, concentrés sur leurs agendas individuels et absorbés par les questions les plus cruciales pour leurs partie-prenantes. Il n’y avait pas assez de liens entre les luttes.

    Le fait de s’organiser autour des inégalités permet de comprendre à quel point les luttes différentes sont interconnectées : sous les luttes quotidiennes, il y a des racines communes, et donc aussi des solutions communes à promouvoir. C’est là, ainsi que dans la transformation des discours sur l’inégalité, que nous avons trouvé notre mission. Nous devons changer ce que nous considérons comme nécessaire et possible dans nos sociétés et renforcer le pouvoir des visions alternatives pour lesquelles nous nous battons. Lorsque nous sommes limités par ce qui est perçu comme naturel ou normal selon le courant dominant, telle que l’idée fausse que les milliardaires sont des génies qui travaillent dur et méritent donc une richesse illimitée, cela limite nos énergies et nos capacités d’organisation pour un changement structurel.

    Les personnes à la base connaissent bien leurs problèmes et leurs solutions. Les inégalités ne sont pas un problème à résoudre pour les économistes et les technocrates : il s’agit avant tout d’un combat qui doit être mené par les gens. Surtout, les voix des personnes qui subissent le pire des inégalités doivent être entendues. Ces personnes sont les véritables experts de cette lutte. Le pouvoir populaire est donc la plus grande arme que nous puissions utiliser dans ce combat. Les gouvernements et les institutions internationales veulent ramener ces débats dans les arènes techniques des organes de décision et des salles de conférence, en les enveloppant d’un langage technique qui les rend intentionnellement inaccessibles à la plupart des gens. Les inégalités, comme de nombreuses autres questions qui requièrent des changements structurels, sont vues dans les cercles économiques comme des éléments à mesurer, à rapporter et à discuter. 

    Mais l’inégalité est une tragédie humaine, pas une question technique. C’est une question de pouvoir. Et les solutions doivent venir des personnes dont la vie est la plus affectée par ces inégalités. Nous devons modifier l’équilibre des pouvoirs, dans nos sociétés et sur la scène mondiale, au lieu de discuter à huis clos sur la formulation d’un document technique. Cela passe par une organisation à grande échelle : le pouvoir du peuple est notre arme principale pour lutter contre les inégalités.

    Pourquoi le régime fiscal est-il important dans la lutte contre les inégalités ?

    La lutte contre les inégalités passe par une redistribution du pouvoir et des richesses, et les impôts constituent un outil majeur de redistribution.

    Au cours des dix ou vingt dernières années, la société civile a fourni des efforts considérables pour remettre en question le fait que les personnes les plus riches et les plus grandes entreprises du monde ne paient pas leur juste part d’impôts. Le modèle économique est exploiteur, injuste et non durable, basé sur l’extraction de ressources, principalement du Sud, sur des pratiques de travail abusives, sur des travailleurs sous-payés et sur des dommages environnementaux considérables.

    Lorsqu’il s’agit de budgets nationaux ou locaux, les gouvernements augmentent souvent les impôts indirects tels que la taxe sur la valeur ajoutée. Or celui-ci est le type d’impôt le plus régressif car au lieu de taxer davantage les riches ou les multinationales, il s’applique à tous les biens achetés, y compris les produits de première nécessité. Une industrie mondiale avec des systèmes d’évitement et d’évasion fiscale à grande échelle a été mise en place.

    La redistribution actuelle se base sur l’extraction aux dépens des plus pauvres et la distribution aux personnes les plus riches du monde – milliardaires, actionnaires d’entreprises, etc. C’est ce que nous nous efforçons d’inverser, tant au niveau local comme au niveau mondial.

    Comment une convention fiscale des Nations Unies pourrait-elle être utile ?

    Le niveau actuel de concentration des richesses est tellement grotesque qu’il nécessite des solutions et des actions à tous les niveaux. Nous devons nous battre sur le front local, là où se trouvent les difficultés, tout en faisant pression pour un changement systémique dans des espaces tels que les Nations Unies. La discussion sur les règles fiscales mondiales semble assez éloignée des luttes quotidiennes pour lesquelles la plupart des gens, au sein de notre alliance et au-delà, font campagne. Mais les décisions prises à ce sujet ont des répercussions sur ces luttes.

    Jusqu’à présent, les règles fiscales ont été fixées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une organisation intergouvernementale comptant 38 États membres : un club de pays riches. Comment les décisions sur les règles fiscales mondiales qui concernent tout le monde pourraient-elles être prises ailleurs qu’à l’ONU, qui, malgré tous ses défauts et toutes ses lacunes, est le seul organisme multilatéral où tous les États ont un siège ?

    Néanmoins, comme nous l’avons vu avec les négociations sur le climat, il y a une énorme lutte de pouvoir qui doit être menée à l’ONU. Il faudra encore mener un énorme combat pour obtenir le type de règles fiscales mondiales que nous souhaitons. Mais si les règles fiscales mondiales sont élaborées au sein de l’OCDE, la majorité du monde n’a aucune chance. Ce n’est pas en demandant aux pays riches de mieux se comporter que l’on obtiendra le type de transformation que nous souhaitons.

    En novembre 2022, une première étape positive a été franchie lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution appelant à une coopération fiscale internationale plus inclusive et plus efficace et exhortant les États membres à entamer des négociations sur une convention fiscale mondiale. La résolution fait écho à un appel lancé par le Groupe des 77 (G77), le plus grand bloc de pays en développement au sein des Nations Unies, ainsi que par le Groupe africain. Elle donne aux Nations Unies le mandat de contrôler, d’évaluer et de déterminer les règles fiscales mondiales et de soutenir la création d’un organisme fiscal mondial.

    Une convention fiscale mondiale mettrait les États du Sud sur un pied d’égalité avec les États du Nord, de sorte que la proposition s’est heurtée à des résistances. Les dynamiques de pouvoir mondiales étaient clairement en jeu. Il fallait s’attendre à de telles réactions : en effet, ce processus sera à long terme et à durée indéterminée. Rien ne garantit qu’il aboutira au cadre mondial solide dont nous avons besoin. Mais c’est un combat qui vaut la peine d’être mené, et les Nations Unies sont l’enceinte idéale pour cela, tout simplement parce qu’il n’existe pas d’autre espace pour mener ces négociations. Où d’autre le G77 ou le Groupe africain pourraient-ils renégocier les règles fiscales mondiales ?

    Comment faites-vous campagne à la lumière de la résolution ?

    Nous ne faisons pas directement campagne pour la convention fiscale des Nations Unies, mais nous essayons d’amener les gens à s’intéresser à cet agenda différemment. Nous avons beaucoup fait campagne sur la taxation des riches et l’abolition des milliardaires, ce qui est une manière plus attrayante de présenter le problème et de mobiliser les gens. Nous ne pouvons pas imaginer à ce stade que des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour soutenir la convention fiscale des Nations Unies. Au lieu de cela, nous nous sommes organisés autour de la nécessité de taxer les riches, au niveau national et mondial, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises.

    Cet appel a une grande résonance populaire parce qu’il est plus facile de le relier aux luttes principales individuelles telles que la recherche d’emploi, les dépenses en matière de santé, l’efficacité des services publics, le revenu de base, ou encore à la lutte contre les mesures d’austérité, les hausses d’impôts régressives ou les réductions de subventions. Grâce à notre organisation ces dernières années, cet appel a en effet été intégré à des campagnes d’un nombre croissant de mouvements à travers le monde. Cela a permis à de nombreux mouvements de base du Sud global de s’engager dans l’agenda fiscal, ce qui a le potentiel d’attirer l’attention des gens sur l’agenda plus large de justice fiscale. On ne peut pas commencer par l’organisation d’une réunion communautaire sur la Convention fiscale des Nations Unies : il faut partir des inégalités quotidiennes auxquelles les gens sont confrontés.


    Contactez l’Alliance contre les inégalités sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@jenny_ricks et@FightInequality sur Twitter.

  • CORÉE DU SUD : « Les activistes et déserteurs nord-coréens subissent une pression croissante pour les faire taire »

    Ethan Hee Seok ShinCIVICUS s'entretient avec Ethan Hee-Seok Shin, analyste juridique pour le Transitional Justice Working Group (TJWG), une organisation de la société civile (OSC) basée à Séoul et fondée par des défenseurs des droits humains et des chercheurs de cinq pays. Créée en 2014, elle est la première OSC basée en Corée qui se concentre sur les mécanismes de justice transitionnelle dans les régimes les plus répressifs du monde, y compris la Corée du Nord. Le TJWG poursuit l'objectif de développer des méthodes pratiques pour lutter contre les violations massives des droits humains et promouvoir la justice pour les victimes avant et après la transition. Ethan travaille au Central Repository Project du TJWG, qui utilise une plate-forme sécurisée pour documenter et faire connaître les cas de disparitions forcées en Corée du Nord. Il utilise des actions législatives et juridiques pour sensibiliser à la situation des droits humains en Corée du Nord.

     

    Pouvez-vous nous parler du travail que font les groupes de la société civile sud-coréenne sur les droits humains en Corée du Nord ?

    Il existe un éventail assez large d'OSC travaillant sur les questions des droits humains en Corée du Nord. TJWG a travaillé pour ouvrir la voie à la justice transitionnelle en Corée du Nord, remplissant sa mission principale, la documentation des droits humains.

    Le projet phare du TJWG a abouti à la publication d'une série de rapports sur les exécutions publiques en Corée du Nord, sur la base d'entretiens avec des personnes en fuite vivant maintenant en Corée du Sud. Nous enregistrons les informations géo-spatiales des sites de tuerie, des lieux de sépulture et des lieux de stockage des enregistrements, tels que les tribunaux et les établissements chargés de l'application de la loi, en demandant à nos personnes interrogées d'identifier les emplacements sur Google Earth. La première édition du rapport a été publiée en juillet 2017 et reposait sur 375 entretiens, et la deuxième édition a été lancée en juin 2019, à la suite de 610 entretiens.

    Nous sommes également en train de constituer une base de données en ligne, FOOTPRINTS, qui enregistre les enlèvements et les disparitions forcées commis en Corée du Nord et par la Corée du Nord. La plateforme utilise Uwazi, une technologie gratuite et open source qui permet d'organiser, d'analyser et de publier des documents, développée par l'OSC HURIDOCS. Une fois rendu public, FOOTPRINTS offrira une plate-forme facilement accessible et de recherche simple pour retrouver les personnes capturées et disparues en Corée du Nord.

    Outre le travail de documentation et d'établissement de rapports, nous avons été activement impliqués dans des initiatives de plaidoyer nationales et internationales. En collaboration avec d'autres OSC des droits humains, le TJWG a rédigé et présenté une lettre ouverte exhortant l'Union européenne à renforcer le libellé et les recommandations des résolutions annuelles sur les droits humains adoptées par l'Assemblée générale des Nations Unies (ONU) et le Conseil des droits de l’Homme sur la Corée du Nord. Nous avons également présenté des cas au Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires et à d'autres experts des droits humains des Nations Unies.

    En juillet 2020, le gouvernement sud-coréen a révoqué l'enregistrement de deux OSC et a publié un avis d'examen administratif et d'inspection aux groupes « dirigés par des fugitifs » axés sur les droits humains en Corée du Nord. Pourquoi ces groupes sont-ils ciblés ?

    Le catalyseur direct a été les provocations nord-coréennes de juin 2020. Le 4 juin, Kim Yo-Jong, sœur du guide suprême Kim Jong-Un et premier directeur adjoint du département du Comité central du Parti des travailleurs de Corée, a critiqué les « brochures anti-RPDC » [République populaire démocratique de Corée] distribuées en Corée du Nord par des « fugitifs de Corée du Nord » et a menacé d’arrêter le tourisme sur le mont Kumgang, de démolir complètement la région industrielle de Kaesong, de fermer le bureau de liaison intercoréen, et de résilier l'accord militaire de 2018 qui créait des zones tampons démilitarisées, tout ce à moins que les autorités sud-coréennes ne prennent « des mesures appropriées ».

    Quatre heures seulement après le bombardement matinal de Kim Yo-Jong, le Ministère sud-coréen de l'Unification (MOU) a annoncé qu'il préparerait un projet de loi interdisant la distribution de tracts en Corée du Nord. C'était un changement radical dans la position de longue date du gouvernement, qui avait constamment contourné une telle législation par crainte de violer la liberté d'expression.

    Le 10 juin 2020, le MOU a annoncé qu'il déposerait des accusations criminelles contre Park Sang-Hak et Park Jung-Oh, deux fugitifs nord-coréens, pour violation de l'article 13 de la loi sur l'échange et la coopération intercoréennes, qui doit être approuvée avant tout échange intercoréen de marchandises, et qu'il révoquerait la reconnaissance juridique de leurs organisations, Fighters For Free North Korea (FFNK) et KuenSaem, pour l'envoi de brochures en Corée du Nord par l'utilisation de montgolfières et des bouteilles en PET pleines de riz jetées dans les courants océaniques, tel qu’ils l’ont fait le 31 mai 2020.

    Alors que le gouvernement nord-coréen a finalement atténué sa rhétorique, le gouvernement sud-coréen a commencé à sévir contre les organisations de défense des droits humains et les groupes de déserteurs nord-coréens, considérés comme un obstacle à la paix intercoréenne.

    Le 29 juin 2020, le MOU a tenu une audience et le 17 juillet il s'est appuyé sur l'article 38 du Code civil, vestige de l'époque autoritaire, pour annoncer la révocation de la reconnaissance légale de la FFNK et de KuenSaem pour avoir enfreint les conditions d’obtenir un statut juridique en entravant gravement la politique de réunification du gouvernement, en distribuant des brochures et des articles en Corée du Nord au-delà des objectifs déclarés de sa charte et en fomentant des tensions dans la péninsule coréenne.

    Le protocole d'entente a également lancé des « inspections commerciales » d'autres groupes nord-coréens de défense des droits humains et de transfert et de réinstallation, parmi les plus de 400 associations reconnues avec l'autorisation du protocole d'accord, peut-être en vue de révoquer leur reconnaissance légale. Le 15 juillet 2020, la North Korean Defectors Association a reçu un avis du MOU lui indiquant qu'elle serait inspectée pour la première fois depuis sa reconnaissance en 2010. Le lendemain, les autorités du MOU ont informé les journalistes qu'elles procéderaient d'abord à des inspections commerciales sur 25 groupes nord-coréens de soutien et d'implantation et de défense des droits humains, 13 d'entre eux dirigés par des transfuges nord-coréens, et que d'autres seraient inspectés à l'avenir. Tout en reconnaissant que la question des brochures avait déclenché les inspections, le protocole d'entente a ajouté que les inspections commerciales ne seraient pas limitées aux personnes impliquées dans la campagne de distribution de brochures.

    Combien de groupes ont été inspectés après les annonces ?

    En raison du tollé national et international sur la nature manifestement discriminatoire des inspections des groupes de défense des droits humains et des personnes évadées de Corée du Nord, le mémorandum d'accord a quelque peu modéré son approche et a commencé tardivement à faire valoir qu'il vérifiait toutes les OSC enregistrées dans le cadre du PE.

    Le 6 octobre 2020, le protocole d'entente a déclaré aux journalistes qu'il avait décidé d'inspecter 109 OSC, sur un total de 433, en raison qu’elles n’avaient pas soumis leurs rapports annuels, ou que les documents soumis étaient incomplets. Selon les informations fournies, 13 des 109 groupes à inspecter sont dirigés par des personnes qui ont fui la Corée du Nord; 22 (dont 16 qui travaillent sur les droits humains en Corée du Nord et la relocalisation des déserteurs, cinq qui travaillent dans le domaine social et culturel et un qui travaille dans le domaine de la politique d'unification) ont déjà été inspectés et aucun n'a révélé de motifs sérieux de se voir retirer la reconnaissance; et le protocole d'entente prévoit d'achever l'inspection des 87 OSC restantes d'ici la fin de 2020.

    En tout état de cause, le gouvernement semble avoir déjà atteint son objectif de signaler clairement à la Corée du Nord qu'il est prêt à répondre à ses demandes en échange de liens plus étroits, quitte à sacrifier certains principes fondamentaux de la démocratie libérale. Le gouvernement a également envoyé un signal clair au transfuge nord-coréen et aux groupes de défense des droits humains, qui a eu l'effet dissuasif auquel on pourrait s'attendre.

    Comment la société civile a-t-elle répondu à ces initiatives gouvernementales ?

    Malheureusement, la société civile sud-coréenne est aussi polarisée que sa politique. Les progressistes actuellement au gouvernement perçoivent les conservateurs comme les héritiers illégitimes des collaborateurs du régime colonial japonais de 1910-1945 et du régime autoritaire postindépendance, en vigueur jusqu'en 1987. L’ancien président progressiste, Roh Moo-Hyun, au pouvoir entre 2003 et 2008, s'est suicidé en 2009 lors d'une enquête pour corruption à son encontre, généralement considérée comme politiquement motivée, menée par son successeur conservateur. L'actuel président, Moon Jae-In, a été élu en 2017, au milieu d'une vague d'indignation publique face à la destitution de son prédécesseur de droite pour corruption et abus de pouvoir.

    La plupart des OSC sont dominées par des progressistes qui s’alignent politiquement avec le gouvernement actuel de Moon. Les progressistes sont relativement favorables à l'agenda des droits humains, mais restent généralement silencieux en ce qui concerne les droits humains en Corée du Nord, étant donné leur attachement au rapprochement intercoréen. Les mêmes personnes qui parlent haut et fort des « femmes de réconfort » japonaises soumises à l'esclavage sexuel par le Japon impérial avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, ou des outrages de l'ère autoritaire, ignorent les outrages actuels, à savoir les atrocités nord-coréennes au nom de la réconciliation nationale.

    La plupart des groupes de défense des droits humains nord-coréens sont structurés autour de déserteurs nord-coréens et d'églises chrétiennes de droite politique qui caractérisent passionnément les gauchistes comme des marionnettes nord-coréennes. Beaucoup adoptent également une position hostile sur d'autres questions contemporaines des droits humains, telles que les droits des personnes LGBTQI+, ce qui est assez ironique étant donné que le juge australien Michael Kirby, auteur principal du rapport de l'ONU qui en 2014 a condamné les violations graves des droits humains en Corée du Nord en tant que crimes contre l'humanité, est homosexuel.

    Les OSC établies, pour la plupart progressistes, n'ont pas été ciblées par le gouvernement dirigé par le président Moon ; au contraire, des personnalités éminentes de la société civile ont été nommées ou élues à divers postes ou ont reçu de généreuses subventions. Il y a ceux qui expriment en privé leur consternation et leur inquiétude face aux tendances illibérales du gouvernement, mais peu de gens sont prêts à soulever la question publiquement en raison de la profonde polarisation politique.

    L'espace de la société civile - structuré par les libertés d'association, de réunion pacifique et d'expression - devient-il plus restrictif sous l'actuel gouvernement sud-coréen ?

    Le gouvernement Moon a montré des tendances inquiétantes et illibérales envers les groupes qui, selon lui, se dressent sur son chemin, tels que les groupes nord-coréens de défense des droits humains et les transfuges, qui font face à une pression croissante pour garder le silence et cesser leur travail de plaidoyer.

    Le président Moon a rouvert le dialogue avec le gouvernement nord-coréen pour établir des relations pacifiques, neutraliser la menace nucléaire venant du Nord et ouvrir la voie au regroupement familial, entre autres objectifs louables.

    Cependant, conjointement au président américain Donald Trump, le président Moon a utilisé une stratégie diplomatique qui minimise le souci des droits humains. En particulier, ni la déclaration de Panmunjom de 2018 entre la Corée du Nord et la Corée du Sud ni la déclaration conjointe publiée après le sommet Trump-Kim de 2018 à Singapour ne mentionnent les violations flagrantes des droits humains commises par la Corée du Nord.

    Dans les semaines qui ont précédé la rencontre du président Moon avec le dirigeant nord-coréen Kim à Panmunjom, il a été signalé que les activistes nord-coréens étaient empêchés de mener leur activisme. En octobre 2018, la Corée du Sud s'est conformée à la demande de la Corée du Nord d'exclure un journaliste déserteur de la couverture d'une réunion en Corée du Nord. Le 7 juillet 2019, deux déserteurs, des pêcheurs présentés comme des tueurs fugitifs, ont été livrés en Corée du Nord cinq jours après leur arrivée et sans même maintenir l'apparence d'une procédure régulière.

    Le gouvernement Moon a également eu recours à des tactiques illibérales contre d'autres opposants présumés. Un homme qui, le 24 novembre 2019, avait accroché une affiche se moquant du président Moon en le qualifiant de « chien de poche de Xi Jinping » (faisant référence au président chinois) sur le campus de l'université Dankook, a été inculpé et le 23 juin 2020, le tribunal lui a infligé une amende pour « intrusion dans un bâtiment », conformément à l'article 319 (1) du Code pénal, alors que les autorités universitaires avaient clairement indiqué qu'elles ne souhaitaient pas porter plainte contre lui pour cet exercice de leur liberté d’expression. Beaucoup ont critiqué le processus pénal et la condamnation comme un retour aux vieux jours militaires.

    Le gouvernement a également pris des mesures pour exercer un contrôle croissant sur les procureurs. Le ministre de la Justice Choo Mi-ae a attaqué des procureurs qui ont osé enquêter sur des allégations de corruption et d'abus de pouvoir contre le gouvernement, alléguant l'existence d'un complot visant à saper le président Moon.

    Une autre tendance inquiétante est la tactique populiste des politiciens du parti au pouvoir, et du législateur Lee Jae-jung en particulier, d'utiliser Internet pour inciter leurs partisans à s'engager dans des actions de cyber-intimidation contre les journalistes.

    Que peut faire la communauté internationale pour soutenir les groupes attaqués ?

    En avril 2020, le parti au pouvoir a remporté les élections législatives, obtenant une écrasante majorité, remportant 180 sièges sur 300, grâce à son succès relatif à la contention de la pandémie de la COVID-19. L'opposition est désorganisée. Plutôt que de l'appeler à l'humilité, tout cela a enhardi le gouvernement, de sorte que ses tendances illibérales risquent de perdurer. En raison de la forte polarisation politique, il est peu probable que les politiciens du parti au pouvoir et leurs partisans prêtent beaucoup d'attention aux critiques internes.

    C’est pourquoi la voix de la communauté internationale sera essentielle. Il est beaucoup plus difficile pour le gouvernement d'ignorer les préoccupations soulevées par les OSC internationales et de les écarter comme des attaques à motivation politique. Une déclaration conjointe ou une lettre ouverte dirigée par CIVICUS serait utile pour transmettre fermement le message que les droits humains en Corée du Nord concernent réellement la communauté internationale.

    En outre, la Corée du Sud soumettra prochainement son cinquième rapport périodique au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, élaboré en fonction de la liste de points à traiter préalables à la soumission des rapports. Étant donné que les questions et préoccupations concernant la Corée du Nord ne sont pas incluses dans cette liste, il serait utile que les OSC internationales unissent leurs forces pour les inclure dans la discussion orale avec les membres du Comité des droits de l’Homme et dans leurs observations finales.

    À court terme, des visites en Corée du Sud du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, du Rapporteur spécial sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d'association et du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits humains seraient d’excellentes occasions d’internationaliser la question et de faire pression sur notre gouvernement.

    Même les progressistes pourraient soutenir une réforme de la loi obsolète sur l'enregistrement des OSC, par exemple, par intérêt personnel, si non pas par principe, en cas de changement de gouvernement.

    L'espace civique en Corée du Sud est classé « étroit » par leCIVICUS MonitorContactez le Groupe de travail sur la justice transitionnelle via sonsite Web ou sa pageFacebook, et suivez@TJWGSeoul sur Twitter.

     

  • COVID-19 : « Cette crise n'est pas seulement une crise sanitaire, c'est aussi une crise de justice »

    CIVICUS s'entretient avec Abigail Moy, directrice du Legal Empowerment Network, la plus grande communauté mondiale de défenseurs de la justice au niveau local. Dirigé par l'organisation internationale de la société civile (OSC) Namati, le réseau rassemble 2 343 organisations et 8 761 individus de plus de 160 pays, tous travaillant à promouvoir la justice pour tous. Il y a environ trois ans, le réseau a lancé la campagne « Justice pour tous », qui vise à accroître le financement et la protection des défenseurs de la justice dans les communautés du monde entier.

    Abigail Moy

     Quel est le travail du Legal Empowerment Network ?

    Le Legal Empowerment Network est un réseau mondial et multidisciplinaire qui rassemble les défenseurs de la justice à la base. Nous sommes plus de 2 000 organisations de base dans environ 160 pays du monde entier. Ce qui unit tous les membres du réseau, c'est leur dévouement à aider les communautés à comprendre, utiliser et façonner le droit. Ainsi, qu'ils travaillent sur la justice environnementale, les droits des femmes, la santé, l'éducation ou toute autre question, ces défenseurs aident les communautés à comprendre comment les politiques, les lois et l'action gouvernementale les affectent et comment elles peuvent se donner les moyens de participer à ces processus, de les utiliser et, si nécessaire, de les modifier pour créer une société plus juste.

    Notre travail repose sur trois piliers principaux. Le premier est l'apprentissage : nous sommes un centre d'apprentissage où les organisations de base échangent leurs expériences et apprennent les unes des autres sur leurs méthodes et l'impact de leur travail d'autonomisation juridique. Avant la pandémie de la COVID-19, nous concevions et organisions chaque année des événements d'apprentissage qui aidaient nos membres à explorer des solutions pratiques aux problèmes de justice. Nos offres comprenaient un cours annuel de leadership, des échanges d'apprentissage en face à face et des séminaires en ligne. Pendant la pandémie, nous avons développé de nouvelles possibilités d'apprentissage en ligne.

    Notre deuxième pilier est la sensibilisation et l'action collective. Nous travaillons avec nos membres pour transformer le domaine des politiques publiques afin de remédier aux injustices et de promouvoir l'autonomisation juridique aux niveaux national, régional et mondial. Nous nous mobilisons souvent autour des objectifs de développement durable (ODD) pour répondre aux besoins de justice sur le territoire. Deux de nos principaux appels à la sensibilisation et à l'action collective portent sur l'augmentation du financement et de la protection des personnes qui défendent la justice à tous les niveaux. Ces deux priorités touchent nos membres au-delà du pays dans lequel ils se trouvent ; c'est pourquoi le financement et la protection sont au cœur de notre campagne Justice pour tous.

    Le troisième pilier est la construction de la communauté. Nous cherchons à construire une communauté plus forte de défenseurs de la justice sur le territoire afin qu'ils puissent se soutenir et apprendre les uns des autres. Notre objectif est de développer un noyau de direction plus fort pour le mouvement et de trouver des moyens pour que les défenseurs puissent améliorer leur travail en se connectant, en développant leur réflexion et en travaillant en collaboration.

    Les trois piliers - apprentissage, défense des droits et communauté - nourrissent notre vision, qui est de cultiver un mouvement mondial pour l'autonomisation juridique qui mobilise des millions de personnes pour s'attaquer collectivement aux plus grandes injustices de notre temps.

    Quel est le rôle de Namati au sein du Legal Empowerment Network ?

    Namati est l'organisation qui convoque le réseau et, à bien des égards, en assure l’administration. Nous nous considérons comme un membre actif du réseau qui s'occupe d'aspects tels que le financement, la coordination et la maintenance des infrastructures. Nous travaillons avec le comité directeur du réseau, un conseil de membres, pour décider des priorités et des stratégies du réseau et pour organiser des opportunités d'apprentissage et de défense. Chaque année, nous sondons les membres du réseau pour savoir ce qu'ils veulent faire, et ces informations servent d'outil de planification. En tant que membre du réseau, Namati participe à ce processus, mais n'est qu'une voix parmi d'autres.

    Namati a également des programmes nationaux. Les membres du réseau travaillent sur un large éventail de problèmes de justice dans le monde entier, et Namati travaille en étroite collaboration avec certains d'entre eux pour traiter trois problèmes urgents - la justice environnementale et territoriale, la justice sanitaire et la justice citoyenne - dans six pays : l'Inde, le Kenya, le Mozambique, le Myanmar, la Sierra Leone et les États-Unis.

    Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la campagne Justice pour tous ?

    Nous avons lancé la campagne Justice pour tous il y a près de trois ans. Notre précédente campagne, intitulée Justice 2015, était un appel à intégrer la justice dans les ODD. Nous avons réussi, mais après l'adoption des ODD, personne ne s'est concentré sur la réalisation de la promesse de l'objectif 16, qui est celle de garantir l'égalité d'accès à la justice pour tous. En réponse, nous avons lancé la campagne Justice pour tous, qui met l'accent sur le fait que le financement et la protection des défenseurs des droits humains sont les fondements nécessaires à la réalisation de l'objectif 16, et en fait de tous les ODD, et qu'il est donc nécessaire de promouvoir l'autonomisation juridique.

    Les membres du réseau font la promotion de la campagne Justice pour tous de différentes manières dans leurs pays et régions et au niveau mondial. Certains membres ont organisé des réunions avec leurs gouvernements, d'autres acteurs de la société civile et d'autres parties prenantes pour discuter de ces questions et essayer de trouver des solutions de politique publique pour augmenter le financement et la protection des défenseurs de la justice sur le terrain. D'autres membres se sont concentrés sur l'arène mondiale, en contactant des donateurs internationaux et en participant à des événements mondiaux tels que le Forum politique de haut niveau sur les ODD (FPHN). Et d'autres membres se sont concentrés sur leurs régions respectives, en essayant d'influencer les organismes ou les accords régionaux.

    En tant que membre du réseau doté de solides connexions mondiales, Namati relie les expériences des membres au niveau national à la sphère mondiale. Nous avons énormément travaillé pour mettre en lumière les expériences de base en matière de plaidoyer au sein du FPHN, de l'Assemblée générale des Nations unies et d'autres conférences et événements de haut niveau, et nous avons collaboré avec les principaux donateurs du monde entier pour les amener à reconnaître la valeur de l'autonomisation juridique et la nécessité d'un financement.

    Avez-vous dû effectuer des changements en réponse à la pandémie de la COVID-19 ?

    Pendant la pandémie, le Legal Empowerment Network a pris le parti de répondre directement et globalement aux besoins de ses membres générés par la crise. Pour comprendre quels étaient leurs besoins les plus urgents, nous avons mené une enquête. Nous avons demandé aux membres du Réseau comment la pandémie les affectait, comment ils s'adaptaient, de quels types de ressources ils avaient besoin pour continuer à faire leur travail, quels types d'interventions de politiques publiques ils estimaient nécessaires pour assurer une réponse juste, et comment nous pouvions les aider.

    En ce qui concerne les défis auxquels sont confrontés les membres du réseau, nous avons classé les réponses à l'enquête en quatre catégories : défis du télétravail, défis financiers, défis de la logistique et de la mobilité, et défis de la sûreté, de la sécurité et de la santé. Le travail à distance s'est avéré être un défi majeur pour les membres du réseau, tout comme les finances, en raison à la fois de l'augmentation des dépenses et de la réduction des revenus.

    En réaction à l'enquête, nous avons rassemblé des ressources qui correspondaient aux besoins. Tout d'abord, nous avons créé un centre virtuel qui offre des ressources multilingues pour aider les groupes d'autonomisation juridique à comprendre la pandémie, à obtenir des informations précises et fiables, et à identifier les moyens d'atténuer les dommages. Nous avons élaboré un document contenant des réponses aux questions fréquemment posées sur la COVID-19, avec des conseils utiles sur la manière dont les organisations de base d'accès à la justice peuvent se préparer et se protéger. Nous avons adapté ces informations pour répondre aux défis auxquels sont confrontés des sous-ensembles spécifiques de membres du réseau, par exemple, ceux qui vivent ou travaillent dans des zones à forte densité de population. Les informations ont été obtenues auprès des principales autorités de santé publique, telles que l'Organisation mondiale de la santé, et ont été compilées par des experts en santé publique.

    Ensuite, nous avons publié un rapport intitulé « Grassroots Justice in the Pandemic : Ensuring a Just Response and Recovery » (Justice de base en pandémie : assurant une réponse et une reprise justes), qui formule des recommandations à l'intention des décideurs politiques, des donateurs et des institutions multilatérales sur la manière de financer et de protéger ceux qui favorisent l'accès à la justice sur le terrain pendant et après la pandémie. Nous le partageons largement avec diverses parties prenantes, telles que les donateurs gouvernementaux et philanthropiques.

    Troisièmement, nous avons facilité une série de conversations entre les défenseurs de base, en examinant le travail d'autonomisation juridique pendant la pandémie, par une série de conférences téléphoniques et de webinaires. Ces derniers ont eu lieu au cours des derniers mois. Des centaines de membres ont participé à ces conversations. Les conversations thématiques et régionales qui ont suivi ont servi d'espaces de discussion sur les bonnes pratiques et ont permis de tirer des enseignements sur la manière dont les membres adaptent leurs efforts, surveillent et répondent aux violations des droits humains commises pendant la crise, et accèdent au soutien financier et aux autres ressources nécessaires. Dans ces conversations, nous explorons également ce que nous pouvons faire ensemble pour réussir à bien nous en sortir. Nous avons compilé les meilleures pratiques pour le travail à distance et préparons d'autres documents sur les ressources, les services et les techniques qui peuvent être utilisés pour travailler pendant la pandémie.

    Nous nous sommes rendu compte que dans une crise comme celle-ci, nous ne pouvons plus agir comme d'habitude, alors nous nous sommes débarrassés de notre plan annuel et nous sommes partis de zéro afin de faire ce que nous devions faire.

    Quels sont les résultats obtenus jusqu'à présent par la campagne Justice pour tous ?

    La campagne a permis de mettre en place un discours commun qui met en lumière les perspectives de base lors d'événements mondiaux de haut niveau, favorise le dialogue et la compréhension du public et appelle à l'action sur deux questions clés, à savoir le financement et la protection des personnes qui promeuvent la justice sur le terrain.

    Au niveau national, elle a aidé les gens à exprimer leurs besoins et à les traduire en efforts de sensibilisation à long terme. Les membres du réseau ont déclaré que le rapport produit par la campagne leur a été très utile dans leurs discussions avec leurs gouvernements nationaux sur les raisons pour lesquelles il devrait y avoir un financement local pour les groupes communautaires de soutien juridique.

    Au niveau mondial, nous avons changé la conversation et les règles. Auparavant, il n'y avait pas de discussion sur ce qui devrait être fait pour promouvoir l'accès à la justice et atteindre l'objectif 16 ; on ne reconnaissait pas que les services de justice avaient besoin de financement et que ceux qui effectuaient ce travail nécessitaient une garantie de sécurité. Ces questions sont maintenant désormais traitées à un haut niveau et ont été intégrées dans les rapports et les programmes pertinents. Nous avons donc le sentiment d'avoir influencé le dialogue international autour des défenseurs de l'accès à la justice, et bien qu'il reste encore du travail à faire, c'est une victoire en soi.

    Sur le plan financier, la campagne "Justice pour tous" a incité les donateurs à engager de nouvelles ressources pour l'accès à la justice et l'autonomisation juridique. Pendant la pandémie, la campagne a adapté son approche : elle a créé un Fonds COVID-19 pour la justice de base et a réussi à convaincre plusieurs donateurs de contribuer. Il s'agissait d’une réponse au besoin désespéré de financement de nos membres dans le cadre de la pandémie. Nous nous sommes rendu compte qu'ils n'avaient pas besoin de montants excessifs ; beaucoup pouvait être réalisé avec de petites injections de fonds, par exemple, sous la forme de subventions uniques de quelques milliers de dollars. Ces fonds relativement modestes pourraient faire une grande différence en termes de traitement des questions urgentes d'accès à la justice liées à la pandémie. Nous avons lancé ce fonds en juillet avec l'objectif de réunir un million de dollars, et nous sommes convaincus que nous y parviendrons. Nous avons reçu beaucoup de soutien ; nous avons déjà accepté les premières demandes, et l'argent devrait être distribué au cours du prochain mois. Il s'agit de petites sommes, entre 3 000 et 20 000 dollars, destinées à des groupes de base promouvant l'accès à la justice pour couvrir les frais de fournitures, de formation, de salaires et tout ce dont ils ont besoin pour se maintenir à flot. L'idée sous-jacente est que la pandémie n'est pas seulement une crise sanitaire, mais aussi une crise de justice, et que nous devons soutenir les défenseurs qui aident les communautés à y faire face.

    De quel type de soutien de la société civile internationale auriez-vous besoin pour continuer à accomplir ce travail ?

    Notre enquête a posé cette question à nos membres, et 58 % ont répondu qu'ils avaient besoin d'un soutien technologique. La nature du travail d'autonomisation juridique est en grande partie un exercice de construction de confiance qui nécessite généralement des interactions en face à face. La plupart des groupes de base avec lesquels nous travaillons ont l'habitude de sortir et de parler aux membres de la communauté, d'organiser des réunions communautaires en face à face et d'éduquer les gens. Ils ne sont pas habitués à travailler à distance ; ils ne sont pas familiarisés avec le travail avec des applications et n'ont pas assez d'appareils pour le faire. En outre, 67 % ont répondu qu'ils avaient besoin d'un soutien pour le renforcement des compétences. Ils ont besoin de ce soutien à la fois pour s'adapter à la technologie et pour imaginer de nouvelles façons de faire leur travail à distance ou avec une distanciation sociale. Enfin, 88 % des répondants ont répondu que ce dont ils ont besoin de la part de la société civile internationale est un soutien financier. Et ils ont clairement indiqué qu'il ne s'agit pas seulement d'obtenir plus de fonds ici et maintenant, mais plutôt de garantir un financement plus durable et plus fiable à long terme.

    Contactez le Legal Empowerment Network via lesite web de Namati ou son profilFacebook, et suivez@GlobalNamati sur Twitter. 

  • ENTREPRISES ET DROITS HUMAINS : « Ce traité ne doit pas être négocié à huis clos »

    IvetteGonzalezCIVICUS échange sur le rôle de la société civile dans le processus d’élaboration d’un traité international sur les entreprises et les droits humains avec Ivette Gonzalez, directrice de la liaison stratégique, du plaidoyer et des relations publiques du Projet sur l'organisation, le développement, l’éducation et la recherche (PODER).

    PODER est une organisation de la société civile (OSC) régionale basée au Mexique qui se consacre à la promotion de la transparence et de la responsabilité des entreprises en Amérique latine du point de vue des droits humains, ainsi qu’au renforcement des acteurs de la société civile affectés par les pratiques commerciales afin qu’ils puissent agir en tant que garants de la redevabilité à long terme.

    Pourquoi un traité sur les entreprises et les droits humains est-il si important ?

    Nous vivons dans un monde pratiquement régi par le capital. Depuis que ce modèle économique hégémonique, capitaliste et patriarcal s’est imposé, il est clair que c’est celui qui possède le capital qui décide.

    Lorsque les entreprises influencent directement les décisions des pouvoirs de l’État, qu’il s’agisse des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire, ou d’autres acteurs tels que les organisations internationales ou les institutions bancaires qui devraient fonctionner pour le bien public, en les mettant au contraire au service du bénéfice privé et exclusif de quelques personnes et en priorisant la génération et l’accumulation de richesses par-dessus les droits humains, il se produit un phénomène que nous appelons la « mainmise des entreprises ». Ce phénomène est observé sur tous les continents et se traduit par l’affaiblissement de l’État et de ses institutions. La force de l’État doit être restaurée et le traité sur les entreprises et les droits humains pourrait y contribuer.

    L’instrument international juridiquement contraignant vise à réglementer, dans le cadre du droit international des droits humains, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales. Il cherche ainsi à mettre un frein aux violations de multiples droits humains par les entreprises, tels que les droits à la santé, à la liberté, à la vie privée ou à l’accès à l’information, ainsi qu’à l’impunité avec laquelle elles opèrent et qui leur permet de détruire l’environnement, des territoires, des familles et des communautés entières.

    Toutes les entreprises doivent opérer avec une diligence raisonnable en matière de droits humains afin d’identifier, de prévenir, de traiter et de remédier aux abus et aux violations, et ce dans toutes les phases du cycle continu de gestion. Cela inclut aussi l'étape de conception du projet, l’investissement, les opérations, les fusions, les chaînes de valeur et d’approvisionnement, les relations avec les clients et les fournisseurs, et toute autre activité qui pourrait générer des impacts négatifs sur les droits, y compris des territoires. Le traité permet aux États, qui sont les premiers responsables de la protection des droits humains, de mettre les entreprises face à leurs responsabilités et de les surveiller.

    Un tel traité international constituerait également un développement unique dans la mesure où il concernerait les activités extraterritoriales des entreprises, par exemple, les activités des entreprises dont le siège social peut se trouver dans un pays du Nord mais qui peuvent avoir des opérations dans le Sud. À l’heure actuelle, dans de nombreux cas et juridictions, les entreprises ne font que s’autoréguler et ne sont pas redevables de leurs abus et violations des droits humains, ni de la destruction de la vie et de la planète. Certains États progressent en matière de réglementations et de politiques, mais il existe encore des lacunes au niveau international. Nous voulons que ce traité comble l’énorme lacune du droit international qui permet aux crimes des entreprises de rester impunis.

     

    Quels progrès ont été réalisés dans la négociation du traité ?

    Lors de la huitième session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises commerciales dans le domaine des droits humains, qui s’est tenue du 24 au 28 octobre 2022, des développements intéressants ont eu lieu. Bien qu’il n’existe pas de calendrier et de date limite stricts pour la production de la version finale du traité, l’un des experts convoqués par le groupe de travail intergouvernemental pour l’élaboration de l’instrument a proposé 2025 comme année de conclusion des négociations. C’est le délai qui devrait être respecté si les États ont la volonté politique de parvenir à un consensus. Pour l’instant, certains États qui étaient réticents à participer dans le passé se montrent un peu plus intéressés.

    Pour l’instant, le projet comporte 24 articles, dont les 13 premiers ont été discutés lors de la dernière session. Les discussions ont porté sur des questions centrales telles que la définition des droits des victimes et leur protection et la définition de l’objet et du champ d’application du traité, à savoir s’il doit inclure uniquement les sociétés transnationales ou également d’autres entreprises. L’État mexicain, par exemple, soutient que cet instrument devrait couvrir toutes les activités qui ont un caractère transnational. Des discussions ont également eu lieu sur la prévention des dommages et l’accès aux réparations, ainsi que sur la responsabilité juridique, la juridiction qui traitera la plainte, les délais de prescription et la coopération judiciaire internationale, entre autres questions.

    Certains États ont apporté des contributions pour améliorer le contenu en cours de négociation. En revanche, d’autres États cherchent à minimiser la portée du traité sous certains aspects, par exemple en ce qui concerne la protection des peuples et des communautés autochtones, les garanties environnementales et les droits des femmes et des enfants, entre autres.

    Certains États soutiennent les nouvelles propositions du président rapporteur, l’ambassadeur équatorien, mais une grande partie de la société civile considère que, pour la plupart, elles portent atteinte à ce qui a été réalisé au cours des sept années jusqu’en 2021, et affaiblissent le traité. Elles renforcent l’asymétrie de pouvoir entre les États du Nord et du Sud, ainsi qu’entre les entreprises et les individus et communautés titulaires de droits. Le troisième projet révisé est celui que nous reconnaissons comme légitime et sur lequel nous pensons que les négociations doivent se poursuivre.

    Quelle est la contribution de la société civile ?

    Des dizaines d’OSC font pression pour que le traité soit efficace. Il s’agit notamment de PODER, ainsi que du Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels (Réseau-DESC), qui relie plus de 280 OSC, mouvements sociaux et activistes de 75 pays, et de nombreuses autres alliances, mouvements et articulations tels que l’Alliance pour le traité, Féministes pour un traité contraignant et la Campagne mondiale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des sociétés transnationales et mettre fin à leur impunité.

    Bien sûr, il existe une diversité d’opinions dans la société civile sur un certain nombre de questions, mais nous sommes d’accord sur la nécessité de réglementer l’activité des entreprises dans une perspective de droits humains. Nous avons identifié les éléments que ce traité devrait contenir et les conditions de sa mise en œuvre. En outre, nous cherchons à donner un caractère d’urgence à ce processus, qui avance trop lentement, alors que les violations des droits humains et les attaques contre les défenseurs des droits humains ne s’arrêtent pas, mais augmentent chaque année.

    La société civile a plaidé auprès des décideurs pour qu’ils ouvrent des espaces de discussion avec la société civile. PODER, ainsi que Réseau-DESC, en particulier, ont insisté sur la participation constructive et proactive des États du Sud dans le processus, et plus particulièrement de l’Amérique latine. Nous travaillons également pour intégrer une perspective de genre et intersectionnelle à la fois dans le processus ainsi que dans le texte ; un exemple a été la proposition d’utiliser la politique étrangère féministe du Mexique.

    La société civile part de la conviction qu’il n’est pas possible d’élaborer un traité légitime sans placer la participation des détenteurs de droits - personnes et communautés rurales concernées, peuples autochtones, syndicats indépendants, personnes LGBTQI+ et personnes en situation vulnérable, entre autres - au centre de l’ensemble du processus.

    Quelles sont les chances que la version finale du traité réponde aux attentes de la société civile et tienne ses promesses ?

    Nous espérons que le traité contribuera à mettre fin à l’impunité des entreprises et que les États assumeront leur obligation de protéger les droits humains face à l’activité des entreprises. Il permettra de prévenir les abus et les violations, de redresser les griefs et de veiller à ce que ces situations ne se reproduisent pas.

    Bien qu’il existe des processus établis pour l’élaboration des traités internationaux, il s’agit d’un traité inhabituel qui doit être traité comme tel, et des changements doivent être apportés à la fois au processus et au contenu si nécessaire pour qu’il soit vraiment efficace.

    Pour répondre pleinement aux attentes de la société civile, il faudrait un changement de paradigme fondé sur le principe selon lequel les entreprises ont une fonction sociale et que leurs activités ne doivent pas dépasser certaines limites pour une vie digne et un environnement propre, sain et durable. Nous savons que nous ne pourrons pas réaliser toutes nos aspirations avec un traité, ni avec des plans d’action nationaux, des règlements et des normes, même si ceux-ci sont correctement mis en œuvre. Mais toutes ces étapes sont importantes pour tenter de rééquilibrer les relations de pouvoir en limitant le pouvoir que le système économique mondial a donné aux sociétés commerciales.

    Il est peu probable que le traité réponde à toutes nos attentes, mais en tant qu'OSC nous avons beaucoup d'exigences et nous demeurerons exigeantes jusqu’au bout. Nous continuerons à apporter des propositions d’experts et de communautés et groupes affectés qui luttent pour la justice et la réparation des préjudices qu’ils subissent de première main, en ouvrant des espaces pour que leurs voix soient entendues et restent au cœur des négociations à tout moment, et en incluant les défenseurs des droits humains et de l’environnement dans les consultations sur le texte.

    Ce traité ne doit pas être négocié à huis clos ou exclusivement avec le secteur privé, car cela reviendrait à répéter le même cycle d’opacité et de privilèges qui nous a menés jusqu’ici, et ne ferait que contribuer à maintenir un statu quo insoutenable.

    Contactez PODER via sonsite web ou son profilFacebook, et suivez@ProjectPODER sur Twitter.

  • INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : « Il doit y avoir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des droits »

    NadiaBenaissaCIVICUS parle avec Nadia Benaissa, conseillère en politique juridique chez Bits of Freedom, sur les risques que l’intelligence artificielle (IA) fait peser sur les droits humains et sur le rôle que joue la société civile dans l’élaboration d’un cadre juridique pour la gouvernance de l’IA.

    Fondée en 2000, Bits of Freedom est une organisation de la société civile (OSC) néerlandaise qui vise à protéger les droits à la vie privée et à la liberté de communication en influençant la législation et la politique en matière de technologies, en donnant des conseils politiques, en sensibilisant et en entreprenant des actions en justice. Bits of Freedom a également participé aux négociations de la loi de l’Union européenne sur l’IA.

    Quels risques l’IA fait-elle peser sur les droits humains ?

    L’IA présente des risques importants car elle peut exacerber des inégalités sociales préexistantes et profondément ancrées. Les droits à l’égalité, à la liberté religieuse, à la liberté d’expression et à la présomption d’innocence figurent parmi les droits touchés.

    Aux Pays-Bas, nous avons recensé plusieurs cas de systèmes algorithmiques violant les droits humains. L’un de ces cas est le scandale des allocations familiales, dans lequel les parents recevant des allocations pour la garde de leurs enfants ont été injustement ciblés et profilés. Le profilage a surtout touché les personnes racisées, les personnes à faible revenu et les musulmans, que l’administration fiscale a faussement accusés de fraude. Cette situation a entraîné la suspension des allocations pour certains parents et prestataires de soins, ainsi que des enquêtes hostiles sur leurs cas, ce qui a eu de graves répercussions financières.

    Un autre exemple est le programme de prévention de la criminalité ‘Top400' mis en œuvre dans la municipalité d’Amsterdam, qui profile des mineurs et des jeunes afin d’identifier les 400 personnes les plus susceptibles de commettre des délits. Cette pratique affecte de manière disproportionnée les enfants des classes populaires et les enfants non-blancs, car le système se concentre géographiquement sur les quartiers à faibles revenus et les quartiers de migrants.

    Dans ces cas, le manque d’éthique dans l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle a entraîné une immense détresse pour les personnes concernées. Le manque de transparence dans la manière dont les décisions automatisées ont été prises n’a fait qu’accroître les difficultés dans la quête de justice et de redevabilité. De nombreuses victimes ont eu du mal à prouver les préjugés et les erreurs du système.

    Existe-t-il des tentatives en cours pour réglementer l’IA ?

    Un processus est en cours au niveau européen. En 2021, la Commission européenne (CE) a proposé un cadre législatif, la loi sur l’IA de l’Union européenne (UE), pour répondre aux défis éthiques et juridiques associés aux technologies de l’IA. L’objectif principal de la loi sur l’IA de l’UE est de créer un ensemble complet de règles régissant le développement, le déploiement et l’utilisation de l’IA dans les États membres de l’UE. Elle cherche à maintenir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des valeurs et des droits fondamentaux.

    Il s’agit d’une occasion unique pour l’Europe de se distinguer en donnant la priorité à la protection des droits humains dans la gouvernance de l’IA. Cependant, la loi n’a pas encore été approuvée. Une version a été adoptée par le Parlement européen en juin, mais il reste encore un débat final - un « trilogue » - à mener entre la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen. La Commission européenne s’efforce d’achever le processus d’ici la fin de l’année afin qu’il puisse être soumis à un vote avant les élections européennes de 2024.

    Ce trilogue a des défis considérables à relever pour parvenir à une loi sur l’IA complète et efficace. Les questions controversées abondent, y compris les définitions de l’IA et les catégories à haut risque, ainsi que les mécanismes de mise en œuvre et d’application.

    Qu’est-ce que la société civile, y compris Bits of Freedom, apporte à la table des négociations ?

    Alors que les négociations sur la loi se poursuivent, une coalition de 150 OSC, dont Bits of Freedom, demande instamment à la CE, au Conseil et au Parlement d’accorder la priorité aux personnes et à leurs droits fondamentaux.

    Aux côtés d’autres groupes de la société civile, nous avons activement collaboré à la rédaction d’amendements et participé à de nombreuses discussions avec des membres des parlements européen et néerlandais, des décideurs politiques et diverses parties prenantes. Nous avons fermement insisté sur des interdictions concrètes et solides, telles que celles concernant l’identification biométrique et la police prédictive. En outre, nous avons souligné l’importance de la transparence, de la redevabilité et d’un mécanisme de réparation efficace dans le contexte de l’utilisation des systèmes d’IA.

    Nous avons obtenu des résultats significatifs en matière de plaidoyer, notamment l’interdiction de l’identification biométrique en temps réel et a posteriori, une meilleure formulation des interdictions, des évaluations obligatoires de l’impact sur les droits fondamentaux, la reconnaissance de droits supplémentaires en matière de transparence, de redevabilité et de réparation, et la création d’une base de données obligatoire sur l’IA.

    Mais nous reconnaissons qu’il y a encore du travail à faire. Nous continuerons à faire pression pour obtenir la meilleure protection possible des droits humains et à nous concentrer sur les demandes formulées dans notre déclaration au trilogue de l’UE. Celles-ci tendent vers l’établissement d’un cadre de redevabilité, de transparence, d’accessibilité et de réparation pour les personnes touchées par ces enjeux, et à la fixation des limites à la surveillance préjudiciable et discriminatoire exercée par les autorités nationales chargées de la sécurité, de l’application de la loi et de l’immigration. Elles s’opposent ainsi au lobbying des grandes entreprises technologiques en supprimant les lacunes qui sapent la réglementation.

    Le chemin vers une réglementation complète et efficace de l’IA est en cours, et nous restons déterminés à poursuivre nos efforts pour faire en sorte que le cadre législatif final englobe nos demandes essentielles. Ensemble, nous visons à créer un environnement réglementaire en matière d’IA qui donne la priorité aux droits humains et protège les personnes.


    Contactez Bits of Freedom sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@bitsoffreedom sur Twitter.

  • JAMAÏQUE : « Après 20 ans de plaidoyer, les droits des LGBTQI+ sont désormais abordés publiquement »

    Karen LloydCIVICUS s’entretient avec Karen Lloyd, directrice associée de J-FLAG, sur la situation des personnes LGBTQI+ en Jamaïque et sur la signification d’un récent rapport de la Commission interaméricaine des droits de l´homme (CIDH) qui tient le gouvernement jamaïcain responsable des violations des droits. J-FLAG est une organisation de défense des droits humains et de justice sociale qui défend les droits, la vie et le bien-être des personnes LGBTQI+ en Jamaïque.

    Quelle est la situation des personnes LGBTQI+ en Jamaïque ?

    La discrimination fondée sur le genre et la sexualité reste préoccupante et affecte les personnes de nombreuses façons, entravant leurs droits au travail, à l’éducation et à la santé, et même les droits à la vie et à l’égalité devant la loi. La loi ne protège pas les personnes contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, et les relations intimes entre personnes de même sexe sont criminalisées.

    En avril 2011, le gouvernement jamaïcain a adopté la Charte des droits et libertés fondamentaux, mais les appels à y inclure des garanties de non-discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre sont restés lettre morte. L’enquête nationale de 2012 sur les attitudes et les perceptions à l’égard des relations entre personnes de même sexe, commandée par J-FLAG, a révélé qu’une personne sur cinq en Jamaïque respectait les personnes LGBTQI+ et soutenait l’inclusion de l’orientation sexuelle comme motif de non-discrimination. En outre, environ un tiers de la population pensait que le gouvernement ne faisait pas assez pour protéger les personnes LGBTQI+ de la violence et de la discrimination.

    Les membres de la communauté LGBTQI+ jamaïcaine sont systématiquement privés de leurs droits fondamentaux et sont victimes de discrimination, d’exclusion, d’agressions violentes, d’abus policiers, de difficulté d’accès à l’emploi et d’un manque évident de protection juridique, entre autres problèmes répandus. De nombreuses personnes LGBTQI+ vivent dans la peur en raison de politiques, de lois et d’attitudes discriminatoires et d’un manque de volonté politique de protéger leurs droits fondamentaux. Depuis 2009, J-FLAG a reçu plus de 600 signalements d’abus et de violences, et l’enquête nationale de 2015 a révélé que seulement 12 % du public exprimait sa tolérance envers les personnes LGBTQI+.

    Un rapport de 2016 a révélé que sur 316 Jamaïcains LGBTQI+, 32 % ont déclaré avoir été menacés de violence physique au cours des cinq années précédentes et 12 % ont déclaré avoir été agressés ; 23,7 % ont déclaré avoir été menacés de violence sexuelle et 19 % avoir été agressés sexuellement. Cependant, 41 % n’ont pas signalé ces incidents, parce qu’ils pensaient que la police ne ferait rien, et 30 % estimaient que l’affaire était trop mineure pour être traitée. Un sur quatre craignait une réaction homophobe de la part de la police et un sur cinq se sentait trop honteux et préférait ne rien dire à personne.

    Cette réalité est aggravée par l’homophobie et la transphobie, ainsi que par des lois criminalisant l’intimité entre personnes de même sexe, une législation anti-discrimination faible et largement inaccessible, une faible protection contre la violence sexuelle et domestique, et l’absence de reconnaissance légale des relations entre personnes de même sexe.

    En février 2021, la CIDH a publié un rapport sur les droits des LGBTQI+ en Jamaïque. Quelle est sa pertinence ?

    Plusieurs articles de la loi sur les infractions contre la personne (OAPA), qui remonte à 1864, interdisent les activités sexuelles entre hommes. L’article 76 criminalise la sodomie, l’article 77 criminalise toute tentative de sodomie et l’article 79 criminalise les actes de grossière indécence, qui peuvent inclure le fait de s’embrasser, de se tenir la main et d’autres actes d’intimité entre hommes. Les hommes reconnus coupables de sodomie risquent jusqu’à 10 ans de travaux forcés. Cette loi et d’autres lois relatives aux infractions sexuelles antérieures à la Charte des droits et libertés fondamentaux sont protégées contre les contestations juridiques fondées sur les droits.

    Dans les affaires examinées par la CIDH, les requérants - M. Gareth Henry, qui est homosexuel, et Mme Simone Edwards, qui est lesbienne - ont allégué qu’en continuant à criminaliser l’activité sexuelle privée entre hommes adultes consentants et en protégeant ces lois de toute contestation, la Jamaïque a manqué à ses obligations au titre de la Convention américaine relative aux droits humains. Ils ont fait valoir que cela contribuait à perpétuer la culture jamaïcaine d’homophobie violente, et encourageait l’État et la population en général à persécuter non seulement les homosexuels, mais aussi la communauté LGBTQI+ dans son ensemble. Tous deux ont affirmé avoir été victimes d’attaques homophobes. 

    Le rapport de la CIDH a conclu que le gouvernement jamaïcain était responsable de ces violations de leurs droits. Aux dernières nouvelles, le département du procureur général avait pris acte de la décision et préparait une réponse. Pour la société civile, le rapport a renforcé les appels continus en faveur d’une modification de l’OAPA et s'est inscrit dans le cadre de l'engagement existant auprès des décideurs politiques pour qu'elle soit modifiée. Cependant, les efforts de plaidoyer auprès des législateurs sont restés laborieux, car ceux-ci ne veulent pas être associés publiquement à un appel à l’abrogation de l’OAPA, en raison de la réaction potentielle de la part des groupes extrémistes religieux et de certains segments du public.

    Comment J-FLAG travaille-t-elle pour essayer d’améliorer la situation ?

    J-FLAG est la principale organisation jamaïcaine de défense des droits humains et de la justice sociale qui défend les droits, les moyens de subsistance et le bien-être des personnes LGBTQI+ en Jamaïque. Notre travail vise à construire une société qui respecte et protège les droits de toutes les personnes. Nos dirigeants et notre personnel s’engagent à promouvoir le changement social, à donner des moyens d’action à la communauté LGBTQI+ et à encourager la tolérance et l’acceptation des personnes LGBTQI+. Nous promouvons les valeurs d’inclusion, de diversité, d’égalité, d’équité et d’amour. Ces valeurs sont au cœur de tout ce que nous faisons, car nous cherchons à devenir des agents efficaces du changement social.

    Pour atteindre nos objectifs, nous travaillons dans quatre domaines principaux. Tout d’abord, nous cherchons à améliorer l’offre de services de santé non discriminatoires, à impliquer les principales parties prenantes dans la lutte contre la discrimination liée à l’emploi et à fournir aux jeunes LGBTQI+ une organisation axée sur les questions qui affectent directement leurs perspectives de vie.

    Deuxièmement, nous cherchons à accroître la participation aux processus d’élaboration et de révision des politiques, en donnant des moyens d’action aux jeunes LGBTQI+ et aux responsables de la jeunesse, et en renforçant la collaboration entre les jeunes LGBTQI+ impliqués dans les organisations de jeunesse traditionnelles.

    Troisièmement, nous avons créé des ensembles de services pour les Jamaïcains LGBTQI+ afin d’améliorer leur accès à l’information et aux conseils, de réduire le nombre de sans-abri, d’augmenter l’accès à des services sociaux non discriminatoires, de permettre l’accès à des loisirs et une mise en réseau sûrs.

    Quatrièmement, nous défendons les droits humains des personnes LGBTQI+ en légitimant les besoins de la communauté, en sensibilisant le public et les parlementaires aux droits humains, à la stigmatisation et à la discrimination, en renforçant la capacité des dirigeants LGBTQI+, des organisations de la société civile (OSC) et des autres parties prenantes et responsables à être mieux équipés pour répondre aux besoins des personnes LGBTQI+, et en augmentant la visibilité des expériences et des problèmes qui les affectent. 

    Quelles ont été vos principales réalisations et leçons apprises jusqu’à présent ?

    Parmi nos réalisations de ces dix dernières années, citons la formation de plus de 700 professionnels de la santé, en collaboration avec le ministère de la Santé et des Affaires sociales, sur la manière de traiter les patients LGBTQI+ ; des campagnes médiatiques réussies, telles que We Are Jamaicans, #IChooseLove et #OutLoudJA, qui visaient à sensibiliser le public au statut et aux droits des personnes LGBTQI+ ; nos célébrations publiques de la Fierté ; quatre enquêtes nationales sur les attitudes et les perceptions du public à l’égard des personnes et des questions LGBTQI+ ; la fourniture d’un soutien au renforcement des capacités des OSC et des jeunes leaders ; et la production de nombreuses recherches et publications sur les questions LGBTQI+.

    Depuis notre événement inaugural de la Fierté en 2015, chaque année, la Jamaïque organise des célébrations pendant la période d’ « Emancipendence », qui comprend des célébrations commémorant à la fois la fin de l’esclavage et l’indépendance de la domination coloniale britannique. La première chose à noter est que la Fierté jamaïcaine a été conceptualisée et mise en œuvre d’une manière culturellement appropriée ; par exemple, elle ne comprend pas de défilé et prend plutôt la forme d’un ensemble diversifié d’événements et d’activités pertinents pour les Jamaïcains, notamment une journée sportive, un service religieux, une foire commerciale, un concert, des événements festifs et une journée de service. Lors de notre Fierté inaugurale en 2015, l’orateur principal de la cérémonie d’ouverture était la mairesse de Kingston, la Dr Angela Brown-Burke, ce qui était un signe que la communauté avait des alliés au niveau politique et parlementaire.

    Un autre succès a été la participation d’artistes de renom tels que Tanya Stephens, D’Angel, Jada Kingdom, Tifa, Ishawna, Yanique Curvy Diva et Stacious aux événements de la Fierté. Cela a attiré l’attention nationale sur nos célébrations et a constitué un changement positif par rapport aux espaces culturels qui avaient été fortement contestés.

    Pour la première fois cette année, J-FLAG n’a pas pris la tête de l’organisation de tous les événements de la Fierté, mais a fourni un soutien financier et logistique aux membres de la communauté pour qu’ils puissent organiser leurs propres événements. Baptisée #PrideShare, l’initiative proposait des événements dirigés par la communauté, notamment des manifestations artistiques et un battle de synchronisation labiale (lip sync), dont le succès a montré que nos efforts allaient dans le bon sens.

    Après 20 ans de plaidoyer, les droits des personnes LGBTQI+ font désormais l’objet d’un débat public. On constate une augmentation de la tolérance publique et une volonté croissante des représentants parlementaires, des dirigeants politiques et des décideurs de s’engager auprès de la communauté LGBTQI+ locale, ce qui a permis de progresser dans la collaboration avec les organisations de défense des droits et les défenseurs des personnes LGBTQI+, afin d’améliorer la vie de ces dernières. En particulier, J-FLAG a établi et maintenu un partenariat important avec le ministère de la santé, qui a permis de former et de sensibiliser plus de 500 agents de santé pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination dans le secteur de la santé.

    En dépit de ces avancées, le mouvement a été affecté par la lenteur des réformes législatives et politiques, la disponibilité limitée d’espaces pour la mobilisation et la participation communautaires, le soutien financier limité pour lutter contre le problème des sans-abri et le déplacement, et l’engagement limité des personnes LGBTQI+ vivant dans les zones rurales. J-FLAG, en particulier, a souligné la nécessité d’un soutien accru pour renforcer les systèmes communautaires comme moyen d’intensifier les efforts de plaidoyer et d’assurer une plus grande portée et un plus grand impact.

    Comment la société civile internationale peut-elle soutenir au mieux la lutte des personnes LGBQTI+ en Jamaïque, et dans les Caraïbes en général ?

    La société civile internationale peut soutenir le mouvement local et régional de plusieurs manières. Par exemple, en nous donnant un siège à la table des conversations mondiales et en comprenant que nous sommes les experts de ce qui se passe dans nos sociétés. Dans la mesure du possible, elle devrait également soutenir nos efforts de financement auprès des donateurs internationaux. Elle peut également nous aider en partageant les bonnes pratiques et les recherches pertinentes et en sensibilisant le grand public aux problèmes auxquels nous sommes confrontés en Jamaïque et dans les Caraïbes.

    L’espace civique en Jamaïque est classé « rétréci » par leCIVICUS Monitor.
    Contactez J-FLAG via sonsite web ou son profilFacebook,et suivez@EqualityJa sur Twitter. 

  • NATIONS UNIES : ‘La réglementation environnementale devrait désormais être guidée par une approche fondée sur les droits humains’

    Victoria LichetCIVICUS échange avec Victoria Lichet, directrice exécutive de la Coalition du Pacte Mondial, au sujet de la résolution récemment adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) reconnaissant le droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain. La Coalition du Pacte mondial rassemble des organisations de la société civile (OSC), des militants, des artistes, des juristes et des scientifiques qui plaident pour l’adoption du « Pacte mondial pour l’environnement », un projet de traité international visant à consacrer une nouvelle génération de droits et de devoirs fondamentaux liés à la protection de l’environnement et en particulier le droit à un environnement sain.

    Quelles sont les implications et la pertinence de la récente résolution de l’AGNU concernant le droit de vivre dans un environnement propre, sain et durable ?

    L’adoption d’une résolution sur le droit à un environnement propre, sain et durable par l’AGNU, organe législatif de l’ONU comprenant tous les États membres de l’ONU, est une victoire historique pour la protection de l’environnement. La reconnaissance du droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain universel fait de la protection de l’environnement un aspect essentiel de la protection des droits humains. Intégrant les normes des droits humains dans les questions environnementales, il s’agit d’un pas important vers une approche fondée sur les droits humains dans les litiges environnementaux. l

    À la consécration du droit à un environnement sain comme droit universel s'ajoute clairement, dans le préambule de la résolution, le lien entre un environnement sain et les droits humains. L’AGNU reconnaît que « les atteintes à l’environnement ont des effets négatifs, directs et indirects, sur l’exercice effectif de tous les droits humains ».

    Bien que les résolutions de l’AGNU ne soient pas juridiquement contraignantes, cette résolution constitue un message politiquement et symboliquement puissant. De plus, la résolution contribuera à la réélaboration et le renforcement de normes, de lois, et de politiques environnementales internationales. À ce titre, elle améliorera nécessairement l’efficacité globale du droit environnemental, privilégiant de nouvelles actions en faveur de l’environnement et du climat. Cela prouve également que le multilatéralisme continue à avoir un rôle à jouer au sein du droit international environnemental.

    Quel rôle a joué la société civile dans le processus conduisant à cette résolution ?

    Cette résolution a été adoptée des mois de mobilisation des OSC et des organisations de peuples autochtones (OPA), dont la Coalition du Pacte Mondial. La coalition des OSC et des OPA ont pu atteindre les gouvernements par le biais de courriels et de lettres, afin de mieux les informer sur l’importance du droit à un environnement sain. Ceci a été possible surtout grâce au leadership inspirant du rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains et l’environnement, David R. Boyd, et de son prédécesseur, John Knox. Des campagnes sur les médias sociaux ont également été menées dans ce cadre pour informer le public sur le processus.

    Le groupe de pays menant cette initiative, composé du Costa Rica, des Maldives, du Maroc, de la Slovénie et de la Suisse, a été très communicatif concernant les étapes importantes de la résolution. Nous sommes très reconnaissants de leur leadership.

    Le texte final de la résolution reflète-t-il pleinement les contributions de la société civile ?

    Le texte final de la résolution reflète en grande partie les attentes de la société civile. Cela dit, grâce à la négociation, certains États ont pu supprimer quelques paragraphes. Par exemple, le premier projet liait le droit à un environnement sain au droit à la vie et au droit au meilleur état de santé physique et mentale possible. Mais des paragraphes supplémentaires rajoutés dans le projet final incluent « les entreprises et autres parties prenantes concernées » dans l’appel à adoption de politiques visant à renforcer la coopération internationale pour garantir un environnement sain.

    Dans l’ensemble, l’objectif principal de la société civile était de consacrer le droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain universel. Cela s’est manifestement reflété dans le texte final, d'où on le considère une victoire historique pour la société civile.

    Quelles mesures doivent être adoptées par les États pour rendre effectif le droit reconnu dans la résolution ?

    La reconnaissance doit être associée à de fortes et ambitieuses politiques publiques nationales et régionales. Ces politiques doivent mettre en œuvre des mécanismes visant à renforcer les protections environnementales, la protection de la santé, et la jouissance des autres droits humains. Désormais, les États doivent adopter une approche fondée sur les droits humains dans la réglementation environnementale, ainsi que de meilleures politiques en matière d’énergies renouvelables et d’économie circulaire.

    Comme l’a affirmé le rapporteur spécial David Boyd, la reconnaissance internationale du droit à un environnement sain devrait encourager les gouvernements à revoir et renforcer leurs lois et politiques environnementales, ainsi qu’améliorer leur mise en œuvre et leur application.

    Que doit faire la société civile maintenant ?

    La société civile doit maintenant plaider pour des instruments plus forts et plus ambitieux pour protéger l’environnement, notre droit à un environnement sain et les autres droits environnementaux. Maintenant que le droit à un environnement sain a été reconnu au niveau international, nous devons introduire des droits et des devoirs supplémentaires qui nous permettront d’aller encore plus loin dans la protection de l’environnement.

    La résolution de l’AGNU pourrait servir de base à un instrument international plus complet concernant le droit à un environnement sain et d’autres droits environnementaux. Nous disposons déjà de modèles ambitieux qui pourraient être utilisés dans ces futures négociations, notamment le Pacte mondial pour l’environnement et le projet de pacte élaboré par l’Union internationale pour conservation de la nature, le plus grand réseau environnemental mondial.

    Le passage du « droit mou » au « droit dur » - dans ce cas, de la résolution non contraignante de l’AGNU à une convention sur le droit à un environnement sain - est très courant en droit international. Par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui fait partie de la résolution de l’AGNU sur la "Charte internationale des droits de l’homme" et qui n’est donc pas juridiquement contraignante, a donné lieu à deux traités adoptés en 1966 : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a fallu 18 ans pour intégrer la Déclaration dans deux textes juridiquement contraignants.

    Nous espérons qu’il ne faudra pas 18 ans pour parvenir à une convention sur les droits environnementaux, car cela nous amènerait à 2040. Nous ne disposons pas de ce genre de temps. Il est temps d’adopter une telle convention, un « troisième pacte » reconnaissant une troisième génération de droits humains. Après les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux, il est temps de consacrer nos droits environnementaux.

    Alors que nous sommes confrontés à une triple crise planétaire et que des personnes meurent déjà à cause d’environnements toxiques et notamment de la pollution atmosphérique, un texte international contraignant sur l’environnement est d’une importance primordiale.


    Prenez contact avec la Coalition pour un Pacte Mondial sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@VictoriaLichet et@PactEnvironment sur Twitter.

  • NATIONS UNIES : « La société civile a toujours fait partie intégrante de l’écosystème de l’ONU »

    CIVICUS s’entretient avec Natalie Samarasinghe, directrice générale de l’Association britannique pour les Nations Unies (UNA-UK), au sujet du récent rapport du Secrétaire général de l’ONU intitulé « Notre programme commun » et de la nécessité d’inclure les voix de la société civile au sein de l’ONU.

    Mouvement national de base regroupant plus de 20 000 personnes, l’UNA-UK est la principale source d’informations et d’analyses indépendantes sur l’ONU au Royaume-Uni, et se consacre à la construction d’un soutien pour l’ONU parmi les décideurs politiques, les faiseurs d’opinion et le public.

    Natalie Samarasinghe

    Quel est l’objectif de « Notre programme commun » et quelles sont ses principales recommandations ?

    « Notre programme commun » est un rapport publié par le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, en septembre 2021. Si « l’ONU publie un rapport » n’est peut-être pas le gros titre le plus bouleversant, celui-ci se distingue pour deux raisons.

    Tout d’abord, la manière dont il a été élaboré. Il a été mandaté par la déclaration de l’Assemblée générale marquant le 75e anniversaire de l’ONU, qui a chargé le Secrétaire général de formuler des recommandations pour répondre aux défis actuels et futurs. Le rapport s’appuie sur les réactions de 1,5 millions de personnes et de 60 000 organisations qui ont participé à la conversation mondiale sur le 75e anniversaire de l’ONU, ainsi que sur les contributions générées par une consultation numérique innovante qui a permis aux parties prenantes de divers secteurs d’échanger des idées.

    Deuxièmement, son ton visionnaire. Le rapport se lit comme le manifeste d’un Secrétaire général en deuxième mandat. Après avoir été confronté à une situation difficile, allant des parasites nationaux à un virus mondial, M. Guterres a passé ses cinq premières années en poste à lutter contre de multiples crises et à mener des réformes judicieuses, bien que technocratiques. Il vient d’être reconduit dans ses fonctions pour un second mandat, et ce rapport indique qu’il est désormais sérieux : il a de grandes idées et veut les mener à bien. Cela ne fait que renforcer les arguments en faveur d’un mandat unique et plus long pour les secrétaires généraux.

    Parsemé de faits et de chiffres, le rapport présente une analyse sombre de l’état du monde - et un pronostic encore plus sombre - tout en présentant un scénario alternatif plein d’espoir fondé sur l’action collective, un peu comme une version existentielle d’un livre « choisissez votre propre aventure ».

    Il définit quatre grandes orientations : un contrat social renouvelé, ancré dans les droits humains ; une action urgente pour protéger les biens communs mondiaux et fournir des biens publics mondiaux ; une plus grande solidarité avec les jeunes et les générations futures ; et une ONU modernisée, plus inclusive, en réseau et axée sur les données.

    Pour chaque virage, il existe un certain nombre de propositions. Certaines sont concrètes, comme un plan mondial de vaccination contre le COVID-19 et une réunion bisannuelle du G20 et des institutions internationales. D’autres sont plus ouvertes - une plateforme d’urgence pour répondre aux chocs futurs, par exemple, et des plans pour transformer l’éducation. Certaines - comme celui de la reconversion du Conseil de tutelle en gardien des générations futures - sont ancrées dans des idées de longue date. D’autres, comme un pacte numérique mondial, amèneraient les Nations unies sur un terrain nouveau. Et d’autres encore sont destinées à donner effet aux changements proposés, notamment un Sommet du futur qui se tiendra en 2023 et un Sommet social mondial qui aura lieu en 2025.

    Quels sont les points positifs que le rapport identifie pour la société civile et la participation des citoyens à l’ONU ?

    L’un des aspects les plus intéressants du rapport est qu’il recalibre le rôle de l’ONU sur la scène mondiale. L’explosion du nombre d’acteurs aux niveaux local, national et international est sans doute la plus grande transformation intervenue depuis la création de l’ONU en 1945. Il était rafraîchissant de voir M. Guterres combiner l’ambition pour le rôle de l’ONU avec l’humilité quant à ce qu’elle peut réaliser, et indiquer clairement que le succès dépend de l’action et des partenariats avec d’autres parties prenantes, y compris les organisations de la société civile (OSC).

    Le rapport note que les OSC font partie intégrante de l’écosystème des Nations unies depuis le début. Il place les OSC au cœur d’un nouveau contrat social, en les associant à l’instauration de la confiance et de la cohésion, ainsi qu’à la réalisation de projets dans de nombreux domaines, du développement durable à l’action climatique, en passant par la gouvernance numérique et la prospective stratégique. Il préconise également que les institutions, y compris l’ONU, soient plus à l’écoute des gens, adoptent des approches participatives et réduisent la complexité afin que leurs processus et leurs résultats soient mieux compris.

    Guterres recommande aux gouvernements de mener des consultations afin de permettre aux citoyens d’avoir leur mot à dire dans la conception de l’avenir de leur pays. Il appelle les États à examiner les suggestions visant à élargir la participation dans tous les organes intergouvernementaux. En outre, il annonce deux changements au sein du Secrétariat de l’ONU : la création d’un Bureau de la jeunesse de l’ONU et l’établissement de points focaux dédiés à la société civile dans toutes les entités de l’ONU, afin de créer un espace de participation aux niveaux national et mondial et au sein des processus de l’ONU.

    Qu’est-ce qui manque ou pourrait être renforcé dans le rapport ?

    Certaines parties du rapport sont remarquablement directes. En appelant à un contrat social renouvelé, par exemple, Guterres tisse un ensemble de questions politiquement difficiles, telles que les droits humains, la fiscalité et la justice. Il a raison de considérer ces questions comme essentiellement nationales, mais il sera difficile de définir la marche à suivre : l’accent mis sur le rôle de l’ONU dans les questions « nationales » irritera sans aucun doute les gouvernements, tandis que les OSC pourraient craindre que cela indique un repli sur l’établissement de normes et l’assistance technique.

    Sur d’autres points, M. Guterres joue la carte de la prudence. C’est peut-être judicieux dans des domaines contestés comme la paix et la sécurité, où le rapport présente des propositions modestes qui sont, pour la plupart, déjà en cours. L’UNA-UK et les OSC partenaires auraient souhaité que l’accent soit davantage mis sur le Traité d’interdiction des armes nucléaires et sur l’arrêt du développement d’armes autonomes létales.

    En ce qui concerne le climat, le thème central de M. Guterres, le rapport aurait pu aller plus loin en présentant la « triple crise » du dérèglement climatique, de la pollution et de la perte de biodiversité comme une urgence interdépendante dont les droits humains sont au cœur. Il aurait également pu sensibiliser les décideurs politiques à un ensemble de mesures plus audacieuses. Mais après une excellente analyse des défis, ceux qui recherchent de nouvelles approches en matière d’autonomisation des femmes et d’égalité des sexes restent sur leur faim.

    Pour beaucoup d’entre nous, cependant, la plus grande déception concerne l’inclusion de la société civile. Le langage de M. Guterres est positif mais moins emphatique que dans son Appel à l’action en faveur des droits humains, et peu de dispositions spécifiques vont au-delà des belles paroles.

    Au cours des consultations des parties prenantes, les OSC de toutes les régions ont demandé la nomination d’un champion de la société civile de haut niveau aux Nations unies, afin de contribuer à accroître et à diversifier la participation et de donner des conseils sur l’accès - que ce soit au siège des Nations unies ou aux COP sur le climat. C’est la seule proposition concrète qui a recueilli un large soutien et, bien que le rapport s’engage à l’explorer plus avant, on peut se demander pourquoi Guterres n’a pas procédé à une nomination qui est dans ses cordes.

    Bien sûr, il est important d’avoir des points focaux dans tout le système. De nombreuses entités des Nations unies le font déjà. Mais nous savons, grâce à notre expérience en matière de genre, de droits humains et autres, que l’intégration ne suffit pas. C’est certainement une partie de la réflexion qui sous-tend la création d’un Office de la jeunesse. Elle devrait être appliquée à la société civile également.

    Que faut-il faire ensuite pour améliorer la participation aux Nations unies ?

    À court terme, le déploiement proposé de points focaux à l’échelle du système devrait se faire rapidement et en consultation avec la société civile. Un calendrier et un processus devraient être établis pour la cartographie et le suivi de l’engagement, comme l’envisage le rapport. Un champion de haut niveau serait l’instigateur naturel de ces deux démarches, et il faut espérer que ce poste sera créé.

    À moyen terme, un certain nombre d’autres changements seraient utiles, notamment une stratégie à l’échelle du système sur l’espace civique à l’intérieur et à l’extérieur de l’ONU ; une plateforme en ligne simple pour soutenir l’engagement, qui pourrait inclure un mécanisme de pétition citoyenne ; un fonds volontaire pour soutenir la participation, ainsi que des outils tels que les obligations à impact social pour financer l’activité des OSC dans le pays ; et un nouveau cadre de partenariat pour renforcer la capacité de partenariat - y compris dans le pays – ainsi que pour simplifier l’engagement et améliorer le filtrage.

    À plus long terme, l’ONU devrait s’orienter vers un modèle de partenariat, en lançant une campagne mondiale de renforcement des capacités afin de transférer un certain nombre de ses fonctions à des OSC et à d’autres acteurs mieux à même de les assumer sur le terrain. Cela permettrait à l’organisation de se concentrer sur les tâches qu’elle est la mieux placée pour entreprendre. En effet, le rapport semble déjà aller dans cette direction en mettant l’accent sur l’ONU en tant que rassembleur et fournisseur de données précises, de prévisions et d’analyses.

    Que peut faire de plus la société civile pour pousser au changement et comment l’ONU peut-elle soutenir au mieux la société civile ?

    L’ONU dépend déjà de la société civile pour l’ensemble de ses activités. Nous sommes indispensables pour atteindre les objectifs de développement durable et faire face à l’urgence climatique. Nous fournissons une assistance essentielle lors des crises humanitaires, parfois en tant que seuls acteurs ayant accès aux communautés marginalisées et bénéficiant de leur confiance. Nous défendons ceux qui sont ignorés et maltraités. Nous sommes des partenaires essentiels de l’ONU tout en étant sa conscience, en l’exhortant à être audacieuse et ambitieuse, et à agir sans crainte ni faveur. Et nous faisons tout cela face à des attaques croissantes.

    En tant que telles, les OSC peuvent faire pression pour que des progrès soient réalisés dans le cadre de « Notre programme commun », qu’il s’agisse de plaider auprès des États pour que le Secrétaire général dispose du mandat nécessaire pour aller de l’avant, d’étoffer les nombreuses propositions du rapport et d’agir dans leurs communautés, leurs capitales et les forums des Nations unies.

    Nous pouvons le faire depuis les coulisses - nous avons l’habitude de faire entendre notre voix malgré la réduction de l’espace civique. Mais nous serons beaucoup plus efficaces si on nous donne un rôle formel dans les processus dédiés tels que les préparations du Sommet du Futur, et dans le travail de l’ONU plus généralement ; et si nous savons que nous pouvons compter sur le soutien des fonctionnaires de l’ONU. La nomination d’un champion de la société civile serait un bon début.

    Prenez contact avec l’UNA-UK via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@UNAUK et@Natalie_UNnerd sur Twitter.

  • NATIONS UNIES : « Le pouvoir des groupes anti-droits s’accroît ; des temps difficiles nous attendent »

    CIVICUS échange avec Tamara Adrián, fondatrice et directrice de DIVERLEX-Diversité et égalité par le droit, au sujet de la fructueuse campagne de la société civile pour le renouvellement du mandat de la personne experte indépendante des Nations Unies (ONU) sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

    Tamara Adrián est avocate et professeure d’université, et la première femme transgenre à être élue dans un parlement national en Amérique latine.

    DIVERLEX est une organisation de la société civile vénézuélienne qui se consacre à la recherche, à la formation, au plaidoyer et aux litiges stratégiques sur la diversité sexuelle. En raison de la crise humanitaire complexe qui touche le Venezuela, la quasi-totalité de ses dirigeants se trouvent actuellement hors du pays, où ils continuent de travailler pour l’amélioration des conditions de vie des personnes LGBTQI+ en exil.

    Tamara Adrian

    Pourquoi le mandat de l’expert indépendant des Nations unies sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre est-il si important ?

    Il s’agit d’un mandat extrêmement important. L’arme préférée de toute intolérance est l’invisibilisation de certains groupes et la violation de leurs droits. C’est une constante en ce qui concerne les femmes, les peuples autochtones, les minorités raciales et les minorités religieuses. Tant que les intolérants peuvent dire que le problème n’existe pas, les relations de pouvoir restent penchées en leur faveur et rien ne change. Dans le système universel des droits humains, ce que les intolérants veulent garder invisible ne peut être rendu visible que grâce au travail des experts et des rapporteurs indépendants.

    Le premier expert indépendant, Vitit Muntarbhorn, a été en fonction pendant moins de deux ans et a produit un rapport sur la violence fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, qu’il a partagé avec le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Il a commencé à mettre en évidence les injustices, les inégalités et les violences dont sont victimes les personnes LGBTQI+ dans tout le monde.

    Les trois rapports de l’actuel expert indépendant, Victor Madrigal-Borloz, pointent du doigt de nombreux pays qui manquent à leur devoir de protéger tous leurs citoyens. La Haut-Commissaire aux droits de l’homme elle-même a souligné l’obligation positive des États de garantir l’égalité des droits pour tous et toutes.

    Nous sommes conscients qu’il reste beaucoup à faire et que les rapports - de l’expert indépendant, du Haut-Commissaire et des organismes régionaux tels que l’Organisation des États Américains - sont importants pour ce processus.

    Si importants sont-ils, en effet, que ces travaux ont suscité une forte réaction de la part de groupes fondamentalistes. Ceux-ci se sont réorganisés sous le format d’« organisations non gouvernementales » et ont cherché à obtenir un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies pour pouvoir intervenir dans ces processus.

    Comment ces groupes opèrent-ils au sein de l’ONU ?

    Les acteurs anti-droits ont changé de stratégie. Plutôt que de se montrer comme des organisations religieuses, ils ont cherché à se présenter comme des défenseurs de la liberté religieuse et, surtout, de la liberté d’expression. Ils ont promu des stratégies d’unité religieuse, réunissant des fondamentalistes catholiques et des représentants du Saint-Siège avec des fondamentalistes néo-évangéliques et les groupes musulmans les plus rétrogrades.

    Ils ont également affiné leurs arguments. Premièrement, ils affirment que le concept d’orientation sexuelle et d’identité de genre est un concept occidental et non universel, et qu’il ne peut donc pas être protégé par l’ONU. Deuxièmement, ils disent qu’il n’existe aucun traité ni instrument international qui protège contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Troisièmement, ils soutiennent que les pays ayant des valeurs traditionnelles devraient avoir la liberté de préserver leurs lois discriminatoires et criminaliser les relations homosexuelles ou les diverses identités de genre.

    Ces trois arguments ont été implicitement présents dans l’argumentation des pays qui se sont opposés au renouvellement du mandat de l’expert indépendant ou ont proposé des modifications, de même qu’un quatrième, qui soutient qu’aucun pays ne peut protéger des criminels. Selon cette vision, la détermination de ce qui constitue un acte criminel est soumise au droit pénal de chaque pays et non susceptible d’être vérifiée par le système international des droits humains.

    Historiquement, la réponse à ces questions a été fournie par la reconnaissance du fait que chacun a droit à ses propres croyances, et que personne ne peut imposer sa croyance ou priver les autres de leurs droits sur la base de leur foi. Les fondamentalistes cherchent à renverser cette situation afin que les croyants puissent discriminer et refuser des droits aux autres.

    Le pouvoir des acteurs anti-droits a-t-il augmenté ces dernières années ?

    Le pouvoir des acteurs anti-droits est en hausse, ce qui est peut-être lié à la régression qui a lieu aux États-Unis. En effet, lors du vote pour le renouvellement du mandat, nous avons vu deux groupes de pays qui ont résisté : d’une part, les pays qui n’ont jamais avancé dans la reconnaissance des droits et dans lesquels il y a beaucoup de résistance au changement, et d’autre part, les pays qui reculent, comme les États-Unis.

    Aux États-Unis, depuis au moins une décennie, les liens entre le suprémacisme blanc, les groupes néo-pentecôtistes et les secteurs les plus radicaux du parti républicain se sont resserrés. Les groupes anti-droits ont pris de l’espace dans les tribunaux, allant des plus bas à la Cour suprême, ainsi que dans les gouvernorats et les législatures des États, ce qui a donné lieu à de plus en plus de décisions, de lois et de politiques contre les personnes transgenre, l’éducation sexuelle et renforçant la liberté religieuse. Ils n’ont pas caché leur intention de revenir sur le droit à l’avortement, de combattre le concept de genre et de rejeter les droits à l’éducation sexuelle et reproductive et à la contraception, et même les droits des femmes, le mariage pour tous et les protections contre la discrimination raciale.

    Les États-Unis ont également joué un rôle clé dans le financement international du mouvement anti-droits et dans le développement de nouvelles églises néo-pentecôtistes dans le monde, notamment en Afrique et en Amérique latine. Ils ont également influencé la formation d’un phénomène auquel on n’a pas accordé suffisamment d’attention : les courant du féminisme fixés sur la biologie, qui nient le concept de genre avec les mêmes arguments que les églises les plus conservatrices.

    Cette communauté d’argumentation est très suspecte, d’autant plus lorsqu’on observe les flux de financement en provenance des États-Unis qui alimentent ces groupes au Brésil, en Amérique centrale, en Espagne, au Royaume-Uni ou en République dominicaine. Ces groupes ne ciblent plus les personnes LGBTQI+ en général, mais spécifiquement les personnes transgenre. En affirmant le caractère biologique et naturel des différences, ils cherchent à détruire toute la structure de protection fondée sur le genre.

    Honnêtement, il me semble qu’il s’agit d’un plan très réfléchi. Ils ont imité la stratégie que nous avions initialement adoptée pour rendre notre lutte visible, mais ils ont l’avantage d’être au pouvoir. Le nombre de pays qui ont signé une résolution « pro-vie » à l’ONU et se sont déclarés « pays pro-vie » montre que leur objectif n’est plus seulement de s’opposer aux droits des personnes LGBTQI+ mais à tous les droits fondés sur le concept de genre.

    Comment la campagne pour le renouvellement du mandat de l’expert indépendant a-t-elle été organisée ?

    Les organisations qui ont exercé de la pression pour le renouvellement du mandat sont celles qui travaillent ensemble depuis la campagne pour la nomination du premier expert indépendant. Chaque fois, le processus commence longtemps avant la nomination. Cette fois-ci, nous avons commencé il y a environ trois ans : l’année suivant le renouvellement du mandat, nous travaillions déjà à la création d’un groupe central qui travaillerait vers ce nouveau renouvellement.

    Pour les organisations latino-américaines, une limitation récurrente est le manque de connaissance de la langue anglaise, qui restreint la capacité des militants à internationaliser leurs luttes. Pour surmonter ce problème, notre groupe central est composé à la fois de militants hispanophones et de militants anglophones. Cela a été crucial car la coalition était principalement composée de groupes latino-américains.

    Le processus s’est avéré très difficile, et si bien le vote a fini par être favorable, les résultats des sessions au fil des mois ne suscitaient pas une grande confiance. Nous avons constaté une résistance croissante de la part des pays plus fondamentalistes, de plus en plus attachés à l’idée de supprimer des droits.

    Quelles sont les prochaines étapes après le renouvellement du mandat ?

    Je pense que nous ne devrions pas nous détendre. Des temps difficiles nous attendent. De nombreux droits qui semblaient être conquis risquent d’être annulés aux États-Unis, notamment ceux liés à l’égalité raciale. Il ne s’agit même plus de reculer vers une vision du XXe siècle, mais plutôt vers une vision du XVIe ou du XVIIe siècle.

    Cela aura un fort impact au niveau mondial, notamment dans les pays dont les institutions sont moins développées. Les pays dotés d’institutions plus fortes pourront certainement mieux résister aux tentatives de renversement des droits sexuels et reproductifs.

    Pour les prochaines étapes, je pense que les capacités d’organisation seront primordiales. Souvent et dans divers endroits les gens me disent : « ne vous inquiétez pas, cela n’arrivera jamais ici », mais j’insiste sur le fait que nous ne pouvons pas nous détendre. Nous devons nous concentrer sur la construction de coalitions et l’organisation d’alliances plus fortes pour mettre fin à l’avancée des groupes néoconservateurs et reconquérir les espaces de pouvoir qu’ils ont occupé. 

    Contactez Tamara Adrián sur sonsite web ou son profilFacebook et suivez@TamaraAdrian sur Twitter. 

  • NATIONS UNIES : « Les questions en suspens dans la négociation du traité sont principalement des discussions politiques »

    Fernanda HopenhaymCIVICUS échange avec Fernanda Hopenhaym, présidente du groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme, au sujet du processus d’élaboration d’un traité international contraignant sur les entreprises et les droits humains.

    Pourquoi un traité contraignant sur les entreprises et les droits humains est-il si important ?

    Le processus d’élaboration de ce traité découle de la conviction qu’un instrument juridiquement contraignant est nécessaire pour codifier les obligations des entreprises et, surtout, pour faciliter l’accès à la justice des victimes de leurs abus. L’objectif est d’intégrer les protections des droits humains dans le contexte de l’activité commerciale.

    Un traité international permettrait de transcender les limites juridictionnelles des États. En effet, le capital transnational opère par-delà les frontières. Un très grand nombre d’entreprises dans la plupart des secteurs gèrent des chaînes d’approvisionnement mondiales. Lorsque des abus se produisent quelque part dans ces chaînes, il est très difficile pour les victimes d’accéder à la justice, car nous ne disposons pas de mécanismes de justice qui transcendent les frontières. Les opérations des entreprises sont transnationales, mais la justice ne l’est pas.

    Bien entendu, des mesures doivent être prises au niveau national: les États doivent renforcer leur réglementation, améliorer leurs lois et élaborer des politiques publiques et des plans d’action pour garantir une protection efficace des droits humains. Les entreprises doivent également s’engager à améliorer leurs pratiques. Le traité en cours de négociation ferait partie d’un ensemble de mesures qui sont complémentaires, et non mutuellement exclusives.

    Le processus d'élaboration du traité a débuté en juin 2014, lorsque le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a créé un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé de négocier et de convenir d’un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales au regard du droit international des droits humains.

     

    Quel rôle joue le groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme ?

    Le Groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme est une procédure spéciale de l’ONU établie par une résolution du Conseil des droits de l’homme en 2011, avec pour mandat de promouvoir, diffuser et mettre en œuvre les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, de partager et promouvoir les bonnes pratiques et les enseignements tirés de la mise en œuvre de ces Principes directeurs, et d’évaluer et faire des recommandations à ce sujet. Son mandat a été successivement renouvelé en 2014, 2017 et 2020. Il est composé de cinq experts indépendants, pour la plupart des universitaires et avec une représentation géographique équilibrée. Je suis membre du groupe de travail depuis 2021. Les quatre autres membres actuels sont originaires d’Australie, du Nigeria, de Pologne et de Thaïlande. Trois des cinq d’entre nous sommes des femmes.

    Bien que nous n’ayons aucun pouvoir de décision sur le traité, le groupe de travail joue un rôle important. Nous participons à presque toutes les sessions de négociation par le biais de tables rondes et de discussions, et nous fournissons des avis techniques. Nous avons commenté les articles et encouragé la participation proactive d’États de différentes régions du monde.

    L’une des prémisses des Principes directeurs est de développer des mesures qui puissent être combinées et conjuguées entre elles pour répondre aux problèmes qui existent en matière de protection des droits de humains dans le contexte de l’activité des entreprises. Un instrument juridiquement contraignant est justement une telle mesure.

    Le groupe de travail s'est très clairement positionné en faveur du processus de négociation du traité.

    Quels progrès ont été réalisés dans le cadre de la négociation du traité ?

    Lors de l’entretien que nous avons eu en 2018, le processus durait depuis quatre ans. À cette époque, la quatrième session de négociations sur le "projet zéro" était sur le point de commencer à Genève, et je ne faisais pas encore partie du groupe de travail. Quatre autres années se sont écoulées, et lors de la huitième session en octobre 2022, le troisième projet, qui avait émergé avant les négociations de 2021, a été discuté.

    La pandémie a affecté les processus de négociation, en partie parce que les contacts en face à face ont été perdus pendant une longue période. Les représentants et délégués à Genève, par exemple, n’ont pas pu se retrouver en personne pendant plus d’un an, de sorte que les possibilités d’échanges se sont vues fortement limitées. A son tour, la pandémie a affecté la participation de la société civile et d’autres secteurs à ces discussions. Les processus ont été ralentis et donc prolongés.

    Actuellement, le troisième projet est toujours en cours de discussion, et l’Équateur, qui préside le groupe de travail intergouvernemental, a apparemment déclaré qu'aucun nouveau projet ne serait mis sur la table, mais que des changements, des modifications et des addenda continueraient d’être apportés à ce troisième projet. Tous ces ajustements finiront par aboutir à un projet final.

    Le projet actuel a parcouru un long chemin sur des questions telles que la mention des groupes vulnérables, des femmes, des enfants et des peuples autochtones. Son champ d’application, qui était une question très difficile dans les négociations, a également été clarifié. En général, la société civile tend à se concentrer sur les sociétés transnationales, mais le projet actuel propose que toutes les sociétés soient concernées par le traité. Notre Groupe de travail partage cette position. Un certain nombre de problèmes ont été démêlés, mais il reste encore beaucoup de choses à résoudre.

     

    Quelles sont les questions non résolues ?

    Il existe de nombreuses discussions qui sont plus politiques que techniques. Certains États et le secteur privé ont déclaré que le texte était trop prescriptif et rigide. La société civile a déclaré qu’elle souhaitait davantage de clarifications et de spécificités sur certaines questions, telles que la définition des tribunaux où les affaires relevant du traité seraient entendues et la prise en compte du point de vue des victimes, la charge de la preuve restant une question controversée. Sur ce point, le Groupe de travail a été très clair : les États ont l’obligation de faciliter l’accès à la justice et de supprimer les barrières et les obstacles à l’accès à la justice pour les victimes.

    Si l’Union européenne (UE) et les États-Unis participent à ce processus, ils manquent de conviction sur l’orientation du texte. L’UE est très active, mais je constate des positions divergentes entre ses États membres. De nombreux pays, tels que la France, y sont favorables, mais l’UE dans son ensemble émet des réserves.

    L’une des grandes victoires du processus initial a été que la Chine ne l’a pas bloqué, mais s’est abstenue. Il en a été de même pour l’Inde. Cela s’explique en partie par le fait que le traité était censé porter sur les sociétés transnationales. La Chine n’a pas apprécié l’extension du champ d’application du traité à toutes les entreprises, et s’est montrée plutôt fermée ces derniers temps.

    Les États africains ont très peu participé aux deux derniers cycles de négociations. Nous pensons que l’Afrique du Sud, qui était codirigeante avec l’Équateur lors de la négociation de la résolution qui a déclenché le processus, est également mécontente de l’élargissement du traité au-delà des sociétés transnationales. L’Équateur a même récemment appelé à la formation d’un groupe d’ « amis de la présidence », dans lequel l’Afrique est la seule région à ne pas avoir de membres participants.

    L’Amérique latine participe de manière assez proactive, bien que la région ait connu de nombreux changements politiques, y compris en Équateur même, qui sont susceptibles d’influencer les positions de négociation.

    En somme, il y a des discussions techniques sur les articles, mais la plupart des questions en suspens sont principalement des discussions politiques. Pour cette raison, je pense que le processus prendra encore plusieurs années.

    Pensez-vous que la version finale du traité répondra aux attentes de la société civile ?

    Mon espoir est que nous ne nous retrouvions pas avec un traité qui énonce de bonnes intentions sans fixer de règles claires. Comme dans toutes les négociations de cette nature, certaines des questions que la société civile réclame seront probablement laissées en suspens. Il y a beaucoup de choses à prendre en compte : les perspectives des États, les attentes des entreprises et du secteur privé en général, et les demandes de la société civile et de tous les détenteurs de droits.

    Je m’attendrais à un texte assez bon et reflétant d’une certaine manière le caractère du processus, qui s'est accompagné d'une société civile et de mouvements sociaux très forts. De mon point de vue, le processus a été soutenu non seulement par l’engagement des États à négocier, mais aussi par l’impulsion de la société civile et le dialogue entre tous les acteurs.

    Mes attentes sont modérées. Avec une certaine prudence quant à la portée des articles, je pense que le traité contiendra des éléments qui satisferont la société civile, notamment les victimes.

    Quel travail faudra-t-il faire une fois le traité adopté ?

    Pour commencer, je pense qu’il y a un long chemin à parcourir avant que ce traité ne soit adopté. Cela peut prendre encore plusieurs années: il y a encore beaucoup de travail à faire dans les négociations et en termes de contenu du texte.

    Une fois le traité adopté, il faudra faire pression pour qu’il soit ratifié. Rappelons que les traités internationaux n’entrent en vigueur que lorsqu’un certain nombre d’États les ratifient, et que seuls les États qui les ratifient sont liés par eux. C’est là que je vois un énorme défi. Espérons qu’une fois que nous serons parvenus à un texte complet et de qualité, le processus de ratification ne sera plus aussi lent et fastidieux.

    Pour cela, nous aurons besoin d’une société civile forte qui puisse pousser les États à ratifier le traité afin qu’il entre en vigueur et devienne contraignant pour les pays signataires. Là encore, je m’attends à ce que ce processus soit long et ardu, car la question de la protection des droits humains dans le contexte des entreprises est épineuse, les intérêts en jeu étant nombreux. Ce qui nous attend sera un grand défi pour tous les acteurs concernés.

    Suivez@fernanda_ho et@WGBizHRs sur Twitter.

  • RDC : « La mission de maintien de la paix des Nations Unies a échoué »

    CIVICUS échange avec les activistes sociaux Espoir Ngalukiye et Sankara Bin Kartumwa à propos des manifestations en cours contre la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

    Espoir et Sankara sont membres de LUCHA (Lutte Pour Le Changement), une organisation de la société civile (OSC) qui défend la dignité humaine et la justice sociale en RDC, et qui a joué un rôle dans les manifestations pacifiques contre la MONUSCO.

    LUCHA Lutte Pour Le Changement

    Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations anti-MONUSCO ?

    La région de l’est de la RDC est confrontée à des problèmes de sécurité depuis plus de trois décennies. Les gens réclament le départ de la MONUSCO car sa stratégie de maintien de la paix a échoué.

    La MONUSCO a été déployée pour restaurer la paix en RDC. A ce titre elle devait protéger les civils, faciliter des processus électoraux sûrs, et lutter contre les groupes rebelles. Mais elle est présente dans le pays depuis près de 20 ans et tout le contraire s’est produit : le nombre de groupes armés a augmenté, les gens continuent de vivre dans des conditions dangereuses et, malgré sa présence, des vies innocentes sont encore perdues.

    La mission de maintien de la paix avait pour mission d’empêcher tout cela, mais elle a manqué de diligence et s’est avéré inutile. À l’heure actuelle, les niveaux de violence extrêmement élevés poussent de nombreuses personnes à migrer en quête de sécurité. Ce seul fait suffit à prouver que la mission de maintien de la paix a échoué.

    De nombreuses personnes dans les communautés locales n’ont pas de bonnes relations avec la MONUSCO parce qu’elles pensent que la mission n’a pas assumé son rôle de protection. Le manque de confiance des civils, à son tour, rend difficile l’exécution du mandat de la MONUSCO. Mais si elle était efficace, les gens ne l’opposeraient pas par le biais de manifestations.

    Comment les autorités ont-elles répondu aux demandes des manifestants ?

    La réponse immédiate a été la violence, tant de la part de la MONUSCO comme des autorités congolaises. Nous avons vu des personnes blessées et tuées simplement parce qu’elles faisaient partie des manifestations. Les gens sont en colère parce que les problèmes de sécurité durent depuis des années, et la MONUSCO aurait dû s’en douter : ce n’était qu’une question de temps avant que les gens ne commencent à exprimer leur colère envers la mission. La MONUSCO aurait dû trouver des moyens de gérer la situation sans que des personnes perdent la vie. 

    Quant aux autorités congolaises, elles ont procédé à des arrestations illégales. La plupart des personnes sont détenues dans de terribles conditions. Nous nous soucions de ce qu’elles obtiennent toutes justice. Nous ne voulons pas qu’elles soient torturées pour s’être battues pour leurs droits.

    Le secrétaire général des Nations unies a condamné les violences et a demandé au gouvernement congolais de mener une enquête. Mais les demandes de départ de la MONUSCO n’ont pas été adressées, et les manifestants affirment qu’ils ne cesseront pas de manifester jusqu’au départ de la MONUSCO.

    Malheureusement, les autorités congolaises n’ont pas non plus répondu à nos préoccupations. Étant donné qu’elles sont élues et payées pour nous protéger, c’est à elles que nous nous adresserons prochainement. Si elles ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités elles seront tenues redevables. Elles doivent joindre leur voix à la nôtre et demander à la MONUSCO de partir.

    Que fait la société civile en général, et la LUCHA en particulier, pour contribuer à l’amélioration de la situation ?

    La LUCHA est une OSC qui plaide pour le changement de manière non violente. Nous avons essayé de montrer qu’il est possible de plaider pour le changement sans recourir à la violence. Nos membres ont participé à des manifestations contre la MONUSCO, que nous estimons légitimes et constitutionnelles, et nous exigeons donc également la non-violence et le respect de la loi de la part du gouvernement. Notre pays a une histoire violente, et nous voudrions changer cette trajectoire.

    Nous sommes une organisation dirigée par des jeunes qui ont connu la guerre et les conflits et qui veulent voir naitre une société meilleure, ainsi qu’un meilleur avenir pour tous. Nous luttons pour les Congolais et leur accès aux besoins fondamentaux, à commencer par leur droit à un environnement sûr. Nous avons des membres sur le terrain, dans les zones où se déroulent les manifestations, et leur rôle est de surveiller la situation et d’informer sur les événements qui se déroulent.

    LUCHA utilise ses réseaux sociaux pour informer les gens en RDC et à l’étranger sur la situation et son impact sur tant de vies innocentes. Nous espérons que cela créera une prise de conscience et poussera les autorités à répondre à nos demandes.

    Nos observateurs sur le terrain veillent également à ce que les manifestants ne recourent pas à la violence, mais cela s’est avéré difficile car la plupart des gens sont fatigués et, à ce stade, ils sont prêts à faire tout ce qu’il faut pour obtenir le départ de la MONUSCO, même si cela implique l’usage de la violence.

    Que devrait faire la communauté internationale ?

    La communauté internationale a été hypocrite et a toujours donné la priorité à leurs propres besoins. Il est regrettable que les événements récents se produisent dans une région de notre pays riche en minerais. De nombreuses personnes puissantes y ont des intérêts et sont prêtes à faire n’importe quoi pour s’assurer qu’ils soient protégés. C’est pour cette raison que si peu de pays se soulèvent contre ce qui se passe.

    La géographie nous place également dans une situation désavantageuse. Peut-être que si nous étions en Ukraine, nos voix auraient compté, mais nous sommes en RDC et les acteurs internationaux ne s’intéressent qu’à nos ressources et non à notre peuple. Mais les personnes tuées en RDC sont des êtres humains qui ont des familles, des vies et des rêves, tout comme ceux tués en Ukraine.

    La communauté internationale doit comprendre que nous avons besoin de paix et de sécurité, et que la MONUSCO n’a pas tenu ses promesses et doit quitter notre pays. Elle doit écouter la voix du peuple qui est souverain. Écouter le peuple sera le seul moyen de mettre fin aux manifestations. Essayer de les arrêter d’une autre manière conduira à plus de violence et plus de morts.

    L’espace civique en RDC est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
    Prenez contact avec LUCHA via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@luchaRDC sur Twitter.

     

  • RÉSOLUTION DE L’ONU SUR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE : « La crise climatique est une crise des droits humains »

    HaileyCampbellCIVICUS échange avec Hailey Campbell au sujet de la récenterésolution de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) sur l’environnement, qui permet à la Cour internationale de justice (CIJ) d’émettre un avis consultatif sur les obligations des États en matière de lutte contre le changement climatique.

    Hailey est une activiste climatique et codirectrice exécutive de Care About Climate,une organisation de la société civile (OSC) travaillant dans l’éducation climatique et l’autonomisation pour la justice climatique, ainsi qu’un réseau international de jeunes leaders du mouvement pour le climat qui cherchent à partager des solutions sur la scène internationale

    Comment est née l’initiative visant à porter les questions climatiques devant la CIJ ?

    Cette initiative historique a été lancée en 2019 par lesÉtudiants du Pacifique luttant contre le changement climatique (PISFCC), une organisation de jeunes créée par des étudiants de huit pays insulaires du Pacifique. La PISFCC a commencé par convaincre le Forum des îles du Pacifique, principale organisation politique et économique de la région, de porter la question du changement climatique et des droits humains devant la CIJ. Les OSC du Pacifique ont soutenu cette campagne et ont créé l’Alliance pour un avis consultatif sur la justice climatique (ACJAO) afin d’inclure d’autres acteurs non étatiques. En 2021, l’État du Vanuatu, un petit État insulaire très vulnérable aux catastrophes climatiques, a lancé les négociations et la rédaction de la résolution, qui a ensuite été soutenue par plus de 130 pays etplus de 220 OSC, et finalementadoptée par consensus par l’AGNU le 29 mars 2023.

    Cette résolution vous paraît-elle une victoire de la société civile ?

    Cette résolution est une victoire monumentale !C’est le début d’une vague de changements dans la façon d’envisager lacrise climatique et un rappel que le changement climatique ne respecte pas les frontières géopolitiques. Les OSC environnementales, les jeunes leaders, les nations insulaires qui ont lancé l’appel à la résolution et le PISFCC nous rappellent que nous sommes tou.te.s des personnes avant d’être des activistes, des dirigeants de l’industrie des combustibles fossiles ou des politiciens. En tant qu’êtres humains, nous partageons tous cette magnifique planète, d’où il faut se soucier les uns des autres. Si certains dirigeantsne le reconnaissent pas, ils doivent être tenus redevables.

    La résolution demandant unavis consultatif de la CIJ est également une célébration de l’innovation et de la persévérance des îles. Depuis des milliers d’années, les Insulaires s’appuient sur leurs connaissances traditionnelles et leur esprit de collaboration pour s’adapter à l’environnement. Le fait de porter le plus grand défi au monde devant la plus haute juridiction met en évidence leur force et leur expérience. En tant que jeune personne vivant sur une île du Pacifique, je suis reconnaissante du leadership d’autres jeunes insulaires et leurs alliés, qui ouvrent la voie à un avenir durable pour les générations futures.

    Comment la CIJ peut-elle contribuer à la lutte contre le changement climatique ?

    La CIJ est la plus haute juridiction du monde. Elle établit des précédents par le biais d’avis consultatifs et de normes sur la manière dont les États doivent coopérer au niveau mondial. À ce titre, elle joue un rôle primordial dans le maintien de la paix entre les nations.

    L’avis consultatif de la CIJ incarne la réalité selon laquelle nous ne pouvons pas résoudre la crise climatique en poursuivant les pratiques mêmes qui nous y ont conduits. La portée de la résolution va au-delà de l’Accord de Paris, faisant référence à l’importance d’un climat sûr en tant que droit humain essentiel pour le bien-être. En décrivant les potentielles conséquences juridiques pour les nations qui causent des dommages importants aux communautés vulnérables et aux générations futures, elle pourrait enfin assurer une plus grande redevabilité face à la crise climatique. Si les nations sont davantage tenues redevables et poussées à agir, la porte sera ouverte pour garantir l’élimination totale des émissions de combustibles fossiles et le renforcement des capacités d’adaptation.

    Comment vous êtes-vous personnellement engagée dans la promotion de cette résolution et d’une action climatique plus large ?

    J’ai entendu parler pour la première fois de la campagne du PISFCC en 2019, lorsque je me suis impliquée dans le mouvement pour le climat à la suite dusommet sur le changementclimatique COP25. En tant qu’étudiante en développement durable vouée à travailler dans le domaine du climat, j’étais inspirée par la façon dont un petit groupe d’étudiants a dépassé les frontières insulaires pour fermement demander un avis consultatif de la CIJ. J’ai commencé à suivre leur parcours et à soutenir leurs appels à l’action de diverses manières, notamment en partageant leur contenu sur les réseaux sociaux ou en évoquant des arguments pertinents dans mes conversations avec les dirigeants lors des COP suivantes.

    Inspirée par leur leadership insulaire, j’ai accepté un stage au sein du Local 2030 Islands Network, le premier réseau mondial entre pairs dirigé par des îles et consacré à la promotion des objectifs de développement durable. J’ai appris, grâce aux dirigeants insulaires, davantage sur la durabilité des îles et les impacts du changement climatique. Leurs exemples de solutions innovantes et leur esprit optimiste m’ont ébloui. J’étais motivée et je voulais utiliser mon éducation pour aider les Insulaires à faire entendre leur voix. J’ai donc choisi, dans le cadre de mon master, de me concentrer sur l’élaboration d’un plan de travail portant sur la manière dont les Insulaires peuvent collaborer avec leurs communautés pour développer, suivre et mettre en œuvre des solutions durables au changement climatique.

    Ce parcours d’activisme étudiant m’a aidé à devenir une leader environnementale intersectorielle, à travailler sur l’adaptation au climat dans les îles et, en tant que groupes vulnérables, à nous appuyer sur des coalitions comme Care About Climate pour défendre notre droit à un avenir sans danger climatique. De fait, cela m’a inspiré à travailler avec des jeunes afin de garantir la toute première inclusion de jeunes en tant que parties prenantes dans une décision de la conférence des Nations Unies sur le climat lors de la COP27.

    Que peuvent faire les alliés internationaux pour soutenir cette lutte ?

    Tous les alliés internationaux doivent continuer à se battre ! Cette résolution historique n’est que la première étape. Avant que la CIJ ne puisse rendre son avis, les États et certaines organisations internationales, comme le Programme des Nations Unies pour l’environnement, seront invités à présenter des arguments écrits et oraux. Il est important que chacun continue à contacter les représentants nationaux et les organisations internationales sélectionnées pour soumettre des témoignages et émettre des avis. D’ailleurs, le PISFCC vient de lancer unmanuel extraordinaire pour aider les décideurs politiques, les jeunes et les OSC environnementales à comprendre leur rôle, que je recommande vivement de consulter. Mon exemple préféré de ce manuel est celui de l’importance de partager avec vos représentants nationaux votre témoignage personnel sur les raisons pour lesquelles vous croyez en la nécessité d’un avis consultatif de la CIJ sur les droits climatiques, et sur l’impact qu’il pourrait avoir sur votre avenir. J’espère que tout le monde se sentira capable de me rejoindre au sein de l’Alliance pour se tenir au courant de comment avoir un impact.


     

    Contactez Care About Climate sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@careaboutclimate et@hailey_campbell sur Twitter etInstagram.

  • SÉNÉGAL : « La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de 2024 »

    SadikhNiass IbaSarrCIVICUS échange sur la dégradation de l’espace civique à l’approche des élections sénégalaises de l'année prochaine avec Sadikh Niass, Secrétaire Général de laRencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme(RADDHO), etIba Sarr, Directeur des Programmes de la RADDHO.

    La RADDHO est une organisation de la société civile (OSC) nationale basée à Dakar, Sénégal. Elle travaille pour la protection et la promotion des droits humains au niveau national, régional et international par le biais de la recherche, de l’analyse et du plaidoyer afin de fournir des alertes d’urgence et de prévenir les conflits.

    Quelles sont les conditions pour la société civile au Sénégal ?

    La société civile sénégalaise reste très active mais est confrontée à plusieurs difficultés liées à la restriction de l’espace civique. Elle subit beaucoup d’attaques verbales de la part de certaines lobbies proches du pouvoir qui les considèrent comme des opposants ou faisant la promotion de « contre valeurs » comme l’homosexualité. Elle est aussi confrontée aux restrictions de libertés de manifestations. La société civile travaille dans des conditions difficiles avec peu de moyens financiers et matériels. En effet les organisations de défense des droits humains ne reçoivent aucun soutien financier de l’Etat.

    La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de février 2024. Depuis mars 2021, l’opposition la plus radicale et le gouvernement ont tous opté pour la confrontation. Le gouvernement tente d’affaiblir l’opposition en la réduisant au minimum. Il s’attaque particulièrement à l’opposition la plus dynamique, la coalition Yewi Askan Wi (« Libérer le peuple »), dont le principal leader, Ousmane Sonko, est aujourd’hui en détention.

    Toutes les manifestations de l’opposition sont systématiquement interdites. Les manifestations spontanées sont violemment réprimées et se soldent par des arrestations. Le judiciaire est instrumentalisé pour empêcher la candidature du principal opposant au régime, Sonko, et les principaux dirigeants de son parti sont arrêtés.

    Nous avons également assisté ces dernières années à une recrudescence des menaces verbales, physiques et judiciaires envers les journalistes, ce qui constitue un vrai recul du droit à l’information.

    Quels seront les enjeux de l’élection présidentielle de 2024 ?

    Avec la découverte du pétrole et du gaz, le Sénégal devient une destination attrayante pour les investisseurs. La gestion transparente de ces ressources reste un défi dans un contexte marqué par la recrudescence des actes terroristes. Les populations confrontées à la pauvreté voient en cette découverte un moyen d’améliorer leur niveau de vie. Avec la percée de l’opposition lors des élections locales et législatives de 2022 on sent que l’électorat exprime de plus en plus fortement son désir de transparence, de justice et d’amélioration des conditions socio-économiques.

    Le 3 juillet 2023 le président sortant a déclaré qu’il ne participera pas aux prochaines élections. Cette déclaration pourrait constituer une lueur d’espoir d’une élection libre et transparente. Mais le fait que l’État soit tenté d’empêcher certains ténors de l’opposition d’y prendre part constitue un grand risque de voir le pays sombrer dans des turbulences.

    La société civile reste alerte et veille à ce que l’élection de 2024 soit une élection inclusive, libre et transparente. A cet effet elle a beaucoup multiplié des actions en faveur du dialogue entre les acteurs politiques. Également les OSC s’activent à travers plusieurs plateformes pour accompagner les autorités dans l’organisation des élections apaisées par la supervision du processus avant, pendant et après le scrutin.

    Qu’est-ce qui a déclenché les récentes manifestations ? Quelles sont les revendications des manifestants et comment le gouvernement a-t-il réagi ?

    Les récentes manifestations ont été déclenchées par la condamnation de Sonko à deux ans de prison le 1er juin 2023. Ce jour-là, un tribunal s’est prononcé sur l’affaire dite « Sweet Beauty », dans laquelle une jeune femme employée dans un salon de massage accusait Sonko de l’avoir violée et d’avoir proféré des menaces de mort à son encontre. Sonko a été acquitté des menaces de mort, mais les accusations de viol ont été requalifiées en accusations de « corruption de la jeunesse ».

    Est venu se greffer à cette condamnation l’arrestation de Sonko le 31 juillet 2023 et la dissolution de son parti politique, le PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).

    Les manifestations sont animées par le sentiment que leur leader fait l’objet de persécutions et que les affaires pour lesquelles il a été condamné ne servent qu’à l’empêcher de participer aux prochaines élections. La principale revendication des manifestant est la libération de leur leader et des personnes illégalement détenus.

    Face aux manifestations le gouvernement a opté pour la répression. En effet les autorités considèrent qu’elles font face à des actes de défiance de l’Etat et ont appelé les forces de sécurité à faire usage de la force.

    La répression s’est soldée par la mort de plus de 30 personnes et de plus 600 blessés depuis mars 2021, quand les premières repressions ont commencé. En plus de ces pertes en vies humaines et de blessés on dénombre aujourd’hui plus de 700 personnes arrêtées et croupissent dans les prisons du Sénégal. Nous avons aussi noté l’arrestation de journalistes mais aussi de coupure de signal de chaines de télévisions et de restriction de certaines d’internet.

    Comment la société civile sénégalaise, y compris la RADDHO, travaille-t-elle à la défense des droits humains ?

    La RADDHO travaille au niveau national en aidant les victimes de violations de droits humains, et mène des activités de sensibilisation, d’éducation aux droits humains et de renforcement de capacités.

    La RADDHO collabore avec les mécanismes régionaux et internationaux, notamment la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le Comité Africain des Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. A cet effet elle mène plusieurs activités de vulgarisations des Instruments juridiques de protection et de promotion des droits humains. En tant que membre observateur de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, elle participe régulièrement aux forums de la société civile lors des sessions de celle-ci. Également la RADDHO coordonne la coalition des OSC pour le suivi et la mise en œuvre des recommandations de l’Examen Périodique Universel des Nations unies pour le Sénégal.

    Quel soutien international la société civile sénégalaise reçoit-elle et de quel soutien supplémentaire aurait-elle besoin ?

    Dans le cadre de leurs missions, les OSC sénégalaise reçoivent des appuis de la part d’institutions internationales telles que l’Union Européenne, les agences de coopération bilatérale des États-Unis et de la Suède, USAID et SIDA, et des organisations et fondations tels qu’Oxfam NOVIB des Pays Bays, le NED des États-Unis, la NID de l’Inde et la Fondation Ford, entre autres. Cependant, du fait que le Sénégal a longtemps été considéré comme un pays stable, l’appui reste insuffisant.

    Compte tenu des restrictions de l’espace civique constatées depuis quelques années et de la crise politique, la société civile a besoin d’être soutenue pour mieux assister les victimes de violations de droits humains, pour contribuer à l’avènement d’une véritable culture des droits humains, et pour travailler à l’élargissement de l’espace civique et le renforcement de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance.


    L’espace civique au Sénégal est classé « entravé » par leCIVICUS Monitor.

    Contactez la RADDHOsur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@Raddho_Africa sur Twitter.

  • SUISSE : « Il était temps que tout le monde ait les mêmes droits, sans discrimination »

    RetoWyssCIVICUS s’entretient avec Reto Wyss, responsable desaffaires internationalesde Pink Cross, au sujet du récentréférendum sur le mariage homosexuelen Suisse et des défis à venir.

    Pink Cross est l’organisation faîtière nationale des hommes homosexuels et bisexuels de Suisse. Depuis 28 ans, elle défend leurs droits dans les quatre régions linguistiques du pays. Elle s’oppose à la discrimination, aux préjugés et à la violence fondés sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la séropositivité, et se bat pour l’acceptation et l’égalité des droits de toutes les personnes homosexuelles, tant au niveau national qu’international. Elle mène son action par le biais d’une présence médiatique active, d’un plaidoyer, de campagnes et d’efforts visant à renforcer la communauté LGBTQI+.

    Quel a été le processus menant à la légalisation du mariage homosexuel en Suisse, et quels rôles Pink Cross a-t-elle joués ?

    Le projet de loi sur le mariage homosexuel a été soumis au parlement en 2013 et il a fait plusieurs allers-retours entre les deux chambres législatives jusqu’à ce qu’il soit finalement adopté en décembre 2020. Pink Cross a mené un travail intensif et assez traditionnel de plaidoyer, de lobbying et de campagne publique tout au long du processus.

    Nous avons beaucoup discuté avec des politiciens du Parti démocratique libre de Suisse (conservateur-libéral) ainsi que du Parti démocrate-chrétien. Nous avons commandé un avis juridique qui indiquait clairement que, contrairement à ce que disaient les opposants à la loi, il n’était pas nécessaire de modifier la Constitution suisse pour ouvrir le mariage à toutes et tous. Si tel avait été le cas, la légalisation du mariage homosexuel aurait nécessité un vote populaire positif dans la majorité des cantons suisses, ce qui aurait rendu les choses beaucoup plus compliquées.

    Pour consacrer le mariage homosexuel, il suffisait d’une loi comme celle que le Parlement a votée, modifiant le code civil pour étendre le mariage à tous les couples au-delà de ceux composés d’un homme et d’une femme.

    Aucun référendum n’était nécessaire : celui du 26 septembre était un référendum facultatif lancé par les opposants à la loi, qui entendaient montrer que la décision du Parlement n’était pas bien accueillie par le peuple suisse, et l’annuler. Pour que ce référendum soit lancé, ils ont mené une campagne active pour réunir les 50 000 signatures requises. Les organisations LGBTQI+ auraient été largement satisfaites de laisser la décision prise par le Parlement s’appliquer, plutôt que de demander à tout le monde son accord pour nous accorder les mêmes droits qu’aux autres.

    La campagne de la société civile a été officiellement lancée le 27 juin, avec des événements dans 23 villes et villages de Suisse. Au cours des 100 jours suivants, la communauté queer s’est mobilisée dans tout le pays avec des dizaines d’actions pour réclamer le droit à l’égalité. La campagne a été soutenue par plusieurs organisations LGBTQI+, dont Pink Cross, l’Organisation Suisse des Lesbiennes - LOS, Network-Gay Leadership, WyberNet gay professionnal women, l’association faîtière Familles arc-en-ciel et la Fédération romande des associations LGBTIQ.

    Nous voulions gagner autant de visibilité que possible, nous avons donc fait campagne avec des milliers de drapeaux arc-en-ciel accrochés aux balcons dans tout le pays et nous avons mis en ligne de nombreuses vidéos formidables. Il s’agissait d’une campagne de base très large, à laquelle de nombreux militants ont participé, en ligne et en personne. Notre message principal était que les mêmes droits doivent être reconnus à tous, sans discrimination, et qu’en Suisse, il était temps que cela arrive.

    Qui a fait campagne pour et contre le mariage homosexuel pendant la période précédant le vote ? Comment les groupes opposés au mariage entre personnes de même sexe se sont-ils mobilisés ?

    Les partis et organisations de gauche et libéraux ont fait campagne en faveur de la loi, tandis que l’Union démocratique du centre (UDC), populiste et de droite - mais pas tous ses représentants élus - a fait campagne contre la loi, ainsi que toute une série d’organisations conservatrices et ecclésiastiques, y compris le Parti populaire évangélique, plutôt petit. L’Église catholique était contre la loi, mais tous ses représentants ou institutions n’avaient pas la même position. L’Église protestante a soutenu la loi, mais pas à l’unanimité.

    La mobilisation contre la loi a eu lieu principalement dans les campagnes et - évidemment - en ligne. Leurs arguments portaient essentiellement sur le prétendu bien-être des enfants, et se concentraient sur le fait que la loi permettait aux couples mariés de même sexe d’accéder à l’adoption et à la conception par don de sperme.

    Quels seront les effets immédiats de la nouvelle loi ?

    Le 26 septembre, par 64 % des voix, le peuple suisse a exprimé son accord avec la loi accordant le mariage égal pour tous. La loi entrera en vigueur le 1er juillet 2022 et aura des effets pratiques très importants et immédiats, car le statut juridique du mariage présente plusieurs différences importantes par rapport au régime du partenariat enregistré (PE) dont bénéficient déjà les couples de même sexe.

    La reconnaissance du mariage à tous les couples éliminera les inégalités de traitement juridique qui existent encore en matière de naturalisation facilitée, d’adoption conjointe, de propriété conjointe, d’accès à la procréation médicalement assistée et de reconnaissance légale des relations parents-enfants dans les cas de procréation médicalement assistée.

    S’ils veulent être reconnus comme légalement mariés, les couples de même sexe actuellement en PE devront demander la conversion de leur PE en mariage légal à l’office d’état civil au moyen d’une « déclaration simplifiée », qui n’entraînera pas de coûts excessifs, bien que la procédure exacte reste à déterminer et puisse varier d’un canton à l’autre.

    Les personnes qui se sont mariées à l’étranger mais dont le mariage a été reconnu en Suisse comme PE verront leur PE automatiquement et rétroactivement converti en mariage. 

    Quels sont les autres défis auxquels sont confrontées les personnes LGBTQI+ en Suisse, et qu’est-ce qui doit encore changer pour faire progresser les droits des LGBTQI+ ?

    Il reste encore beaucoup à faire en termes de prévention, d’enregistrement et de condamnation des crimes de haine de manière adéquate. Pink Cross fait actuellement avancer cette question dans tous les cantons, car cela relève de leur compétence. De même, nous préparons un premier « précédent » pour obtenir une décision sur le paragraphe « agitation anti-LGBT » qui a été introduit dans le droit pénal l’année dernière.

    Enfin, l’ancrage institutionnel de la défense des droits des LGBTQI+ doit certainement encore être renforcé au niveau national, notamment au sein de l’administration fédérale, soit par le biais d’une commission spécifique, soit par l’extension du mandat du Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous travaillons donc également pour avancer sur ce point.

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  • SUISSE : « La victoire du mariage entre personnes de même sexe va stimuler nos efforts pour les prochaines étapes »

    JessicaZuberCIVICUS s’entretient avec Jessica Zuber, coleader de la campagne « mariage pour tous » d’Opération Libero, à propos du récentréférendum sur le mariage homosexuelen Suisse. Opération Libero est un mouvement de la société civile non partisan fondé pour faire campagne contre les initiatives populistes. Son travail se concentre sur la préservation et le développement de la démocratie libérale, la promotion de relations fortes entre la Suisse et l’Europe, la promotion d’une loi libérale sur la citoyenneté, le soutien d’une transformation numérique renforçant la démocratie et la promotion d’une politique plus transparente, responsable et inclusive.

    Quel rôle Opération Libero a-t-il joué dans le processus qui a conduit à la récente légalisation du mariage homosexuel ?

    Depuis sa fondation, Opération Libero se bat pour l’égalité de traitement juridique. Nous avons accompagné le processus parlementaire et fait du lobbying pour que la loi soit adoptée, ce qui est arrivé en décembre 2020, après presque sept ans. Quelques jours avant que les opposants à la loi ne déposent leur demande de référendum, nous avons lancé notre pétition, qui est devenue virale et a reçu plus de 60 000 signatures en ligne en un seul week-end. Pour nous, c’était un signal très fort sur l’état de l’opinion publique.

    Nous avons lancé notre campagne six semaines avant le vote. Elle était axée sur la devise « même amour, mêmes droits ». Notre campagne a complété celle du comité « officiel » mené par la communauté LGBTQI+, qui montrait de vrais couples de même sexe sur leurs affiches. Pour nous démarquer et attirer une cible plus conservatrice, nous avons montré des couples de même sexe aux côtés de couples hétérosexuels.

    Pour le lancement de notre campagne, nous avons mis en scène un mariage et les images de cette cérémonie ont servi de supports visuels pour la couverture médiatique de la campagne. Certains de nos principaux concepts étaient que les droits fondamentaux doivent s’appliquer à tous, et que personne ne perd lorsque l’amour gagne. Il s’agissait d’une campagne de bien-être, car nous nous sommes volontairement abstenus de susciter trop de controverse - par exemple, en soulignant que l’homophobie est encore un phénomène très présent dans la société suisse.

    Pendant la campagne, environ 150 000 de nos dépliants ont été distribués, 13 000 sous-verres ont été commandés et 10 000 autocollants ont été distribués. Notre principale source de financement a été la vente de nos chaussettes spéciales, dont nous avons vendu près de 10 000 paires. Nous avons organisé des ateliers d’entraînement pour préparer les électeurs aux débats et lancé une campagne d’affichage dans les gares et les bus publics. L'événement conjoint de distribution de tracts avec des membres du parti populiste de droite - qui, contre la ligne officielle du parti, soutenaient le mariage pour tous - a attiré l’attention des médias et a réussi à montrer l’ampleur du soutien à la loi.

    Enfin et surtout, une semaine avant le vote, nous avons organisé un événement au cours duquel 400 personnes se sont alignées de part et d’autre pour applaudir les couples de jeunes mariés - de même sexe ou non - lors de leur passage. C’était un événement très inspirant, le plus grand de ce type en Suisse.

    Nous sommes très heureux d’avoir remporté le référendum, 64 % des électeurs ayant soutenu la loi. Le 26 septembre marque un grand pas pour la Suisse : après une attente bien trop longue, l’accès au mariage s’applique enfin à tous les couples, indépendamment du sexe ou de l’orientation sexuelle. Cela élimine les principales inégalités juridiques dont souffrent les couples de même sexe, par exemple en matière de naturalisation facilitée, de perception des pensions de veuve, d’adoption et de médecine reproductive.

    Pourquoi un référendum a-t-il été organisé alors que le Parlement avait déjà légalisé le mariage homosexuel ?

    Les opposants à la loi ont lancé le référendum pour tenter de l’annuler. Leurs arguments étaient centrés sur la vision traditionnelle du mariage en tant qu’union « naturelle » entre un homme et une femme, et sur son rôle central dans la société. Selon eux, l’introduction du mariage universel constitue une rupture sociale et politique qui annule la définition historique du mariage, entendu comme une union durable entre un homme et une femme. Ils ont été particulièrement choqués par le fait que la loi permette l’accès au don de sperme pour les couples de femmes, car ils estiment que cela prive l’enfant de son intérêt supérieur. Ils craignent également que ces changements ne conduisent à la légalisation de la maternité de substitution.

    Sur un plan plus technique, ils ont fait valoir que le mariage universel ne pouvait être introduit par un simple amendement législatif, mais nécessitait une modification de la Constitution.

    Qui était dans le camp du « oui » et du « non » lors du référendum ?

    Après l’adoption de la loi par le Parlement, un comité interpartis - composé principalement de représentants de l’Union démocratique du centre, un parti de droite, et de l’Union démocratique fédérale, un parti chrétien ultra-conservateur - a lancé une pétition en faveur d’un référendum. Ils ont réussi à réunir plus de 50 000 signatures nécessaires pour faire passer leur proposition et obtenir un vote national. Le droit d’opposer son veto à une décision parlementaire fait partie du système suisse de démocratie directe.

    Pendant la campagne, ces groupes ont diffusé des affiches et des publicités en ligne et ont participé à des débats publics dans les médias. Leur principal argument était que le bien-être des enfants était en danger. Ils ont donc placé le débat public sous le signe de l’adoption et des droits reproductifs.

    Heureusement, le mariage civil pour les couples de même sexe bénéficie d’un large soutien politique, comme on a pu le constater le 26 septembre. À l’exception de l’Union démocratique du centre, tous les partis au pouvoir ont soutenu le projet de loi, de même que les Verts et les Verts libéraux, qui ne font pas partie du gouvernement.

    Les groupes religieux ont même fait preuve d’une certaine ouverture. En novembre 2019, la Fédération des Églises protestantes de Suisse s’est prononcée en faveur du mariage civil entre personnes de même sexe ; en revanche, la Conférence des évêques suisses et le Réseau évangélique suisse y restent opposés.

    L’agressivité avec laquelle la loi accordant le mariage pour tous a été combattue et le fait qu’environ un tiers des électeurs l’ont rejetée, en partie pour des raisons homophobes, montre que l’homophobie est encore très répandue et encore bien trop largement acceptée.

    Nous avons également dû relever le défi suivant : les sondages prévoyant une victoire relativement nette dès le départ, il nous a été plus difficile de mobiliser les gens. Nous craignions que les gens considèrent la victoire comme acquise et ne se rendent pas aux urnes. Mais nous avons réussi à faire passer le message qu’une victoire plus large était un signe encore plus fort pour l’égalité en Suisse.

    Quels sont les autres défis auxquels les personnes LGBTQI+ sont confrontées en Suisse, et que faut-il encore changer pour faire progresser l’égalité des droits ?

    Les groupes LGBTQI+ continueront à se battre, notamment contre les crimes haineux. Le mariage pour tous n’offre pas une égalité absolue aux couples de femmes qui reçoivent un don de sperme d’un ami ou choisissent une banque de sperme à l’étranger, auquel cas seule la mère biologique sera reconnue. Ces débats auront toujours lieu, et la communauté LGBTQI+ continuera à se battre pour l’égalité.

    Le « oui » clair au mariage pour tous est un signal fort indiquant que la majorité de notre société est beaucoup plus progressiste et ouverte à des choix de vie diversifiés que notre système juridique, fortement fondé sur un modèle familial conservateur, pourrait le suggérer. En effet, le mariage pour tous n’est qu’un petit pas vers l’adaptation des conditions politiques et juridiques aux réalités sociales dans lesquelles nous vivons. Le « oui » au mariage entre personnes de même sexe stimulera nos efforts pour les étapes suivantes.

    Nous demandons que toutes les formes consensuelles de relations et de modèles familiaux - qu’ils soient de même sexe ou de sexe opposé, mariés ou non - soient reconnues de manière égale. Le mariage, avec sa longue histoire en tant qu’instrument central du pouvoir patriarcal, ne doit plus être considéré comme le modèle standard. Il ne doit pas être privilégié, ni juridiquement ni financièrement, par rapport aux autres formes de cohabitation. Dans les mois et les années à venir, Opération Libero fera campagne pour l’imposition individuelle, la cohabitation réglementée, la parentalité simplifiée et un droit pénal sexuel moderne.

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  • TRAITÉ DES NATIONS UNIES SUR LA CYBERCRIMINALITÉ : « Il ne s’agit pas de protéger les États, mais les personnes »

    StephaneDuguinCIVICUS s’entretient avecStéphane Duguin ausujet dela militarisation de la technologie et des progrès réalisés envue d’un traité des Nations Unies sur la cybercriminalité.

    Stéphaneest un expert de l’utilisation des technologies perturbatrices, ce qui inclut les cyberattaques, les campagnes de désinformation et le terrorisme en ligne. Il est aussi le directeur général del’Institut CyberPeace,une organisation de la société civile (OSC) fondée en 2019 pour aider les OSC humanitaires et les communautés vulnérables àlimiter les dommages causés par les cyberattaques et àpromouvoir un comportement responsable dans le cyberespace. Elle mène des activités de recherche et de plaidoyer et fournit une expertise juridique et politique dans le cadre de négociations diplomatiques, notamment au sein duComité ad hoc des Nations Unies chargé d’élaborer la Convention sur la cybercriminalité.

    Pourquoi un nouveau traité des Nations Unies sur la cybercriminalité est-il nécessaire ?

    Plusieurs instruments juridiques portant sur la cybercriminalité existent déjà. Notamment, la Convention de Budapest sur la cybercriminalité duConseil de l’Europe de 2001 est le premier traité international visant à lutter contre la cybercriminalité et à harmoniser les législations pour renforcer la coopération dans le domaine de la cybersécurité. En avril 2023, il a été ratifié par 68 États dans le monde. Cette convention a été suivie par des outils régionaux tels que la Convention de l‘Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel de 2014, entre autres.

    Mais le problème de ces instruments réside dans leur application. La Convention de Budapest n’a même pas été ratifiée par la plupart des États, alors qu’elle est ouverte à tous. Et même lorsqu’ils ont été signés et ratifiés, ces instruments ne sont pas mis en œuvre. Cela signifie que les données ne sont pas accessibles au-delà des frontières, que la coopération internationale est compliquée à mettre en place et que les demandes d’extradition ne sont pas suivies d’effet.

    Il est urgent de remodeler la coopération transfrontalière pour prévenir et contrer les crimes, surtout d’un point de vue pratique. Les États qui ont plus d’expérience dans la lutte contre la cybercriminalité pourraient aider ceux qui ont moins de ressources en leur fournissant une assistance technique et en les aidant à renforcer leurs capacités.

    C’est cela qui rend si importantes les négociations actuelles de l’ONU tendant à une convention mondiale sur la cybercriminalité. En 2019, l’Assemblée générale des Nations Unies a créé le Comité spécial chargé d’élaborer une « Convention internationale globale sur la lutte contre l’utilisation des technologies d’information et de communication à des fins criminelles », en d’autres termes une Convention sur la cybercriminalité. Cela s’est fait dans un objectif de coordination des efforts entre des États membres, des OSC, dont l’Institut CyberPeace, des établissements universitaires et d’autres parties prenantes. Il s’agira du premier cadre international juridiquement contraignant pour le cyberespace.

    Les objectifs du nouveau traité sont de réduire la probabilité d’attaques et, lorsqu’elles se produisent, de limiter les dommages et de veiller à ce que les victimes aient accès à la justice et à des réparations. Il ne s’agit pas de protéger les États, mais les personnes.

    Quelles ont été les premières étapes de la négociation du traité ?

    La première étape a consisté à faire le point sur ce qui existait déjà et, surtout, sur ce qui manquait dans les instruments existants afin de comprendre ce qu’il restait à faire. Il était également important de mesurer l’efficacité des outils existants et de déterminer s’ils ne fonctionnaient pas en raison de leur conception ou parce qu’ils n’étaient pas correctement mis en œuvre. De plus, il était primordial de mesurer les dommages humains causés par la cybercriminalité afin de définir une base du problème que nous essayons d’aborder avec le nouveau traité.

    Il faudrait aussi un accord entre tous les États parties pour qu’ils cessent de se livrer eux-mêmes à la cybercriminalité. Curieusement, cela n’a pas été intégré dans les discussions. Il est pour le moins étrange d’être assis à la table des discussions sur les définitions des crimes cybernétiques et cyberdépendants avec des États qui mènent ou facilitent des cyberattaques. Les logiciels espions et la surveillance ciblée, par exemple, sont principalement financés et déployés par les États, qui financent également le secteur privé en achetant ces technologies avec l’argent des contribuables.

    Quels sont les principaux défis ?

    Le principal défi a été la définition du champ d’application du nouveau traité, c’est-à-dire de la liste des infractions à incriminer. Les infractions commises à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC) appartiennent généralement à deux catégories distinctes : les infractions cyberdépendantes et les infractions facilitées par la technologie. Les États s’accordent globalement sur le fait que le traité devrait inclure les infractions cyberdépendantes, c’est-à-dire les infractions qui ne peuvent être commises qu’à l’aide d’ordinateurs et de TIC, telles que l’accès illégal à des systèmes informatiques, les attaques par déni de service et la création et diffusion de logiciels malveillants. Si ces infractions ne faisaient pas partie du traité, il n’y aurait pas de traité à proprement parler.

    L’inclusion des crimes facilités par la technologie est toutefois plus controversée. Il s’agit d’infractions commises en ligne, mais qui pourraient être commises sans les TIC, comme la fraude bancaire et le vol de données. Il n’existe pas de définition internationalement reconnue des crimes facilités par la technologie. Certains États considèrent les infractions liées au contenu en ligne, telles que la désinformation ou l’incitation à l’extrémisme et au terrorisme, comme des crimes cybernétiques. Ces infractions sont fondées sur la parole et leur incrimination peut conduire à la criminalisation de discours ou de l’expression en ligne, ce qui aurait des conséquences négatives sur les droits humains et les libertés fondamentales.

    De nombreux États susceptibles d’être futurs signataires du traité utilisent ce type de langage pour faire taire les dissidents. Toutefois, il y a un soutien général pour l’inclusion d’un nombre limité d’exceptions concernant les crimes facilités par la technologie, tels que l’exploitation sexuelle des enfants et les abus sexuels en ligne, ainsi que la fraude informatique.

    Il est impossible de parvenir à une délimitation large des crimes cybernétiques si elle n’est pas accompagnée de garanties très strictes en matière de droits humains. En l’absence de garanties, le traité ne devrait porter que sur un nombre limité de crimes. Mais il n’y a pas d’accord sur les garanties et leur mise en place, en particulier en ce qui concerne la protection des données personnelles.

    Or tant pour les victimes comme pour les auteurs de crimes, il n’y a aucune différence entre les crimes cybernétiques et les crimes cyberdépendants. Une victime de l’un est victime des deux. De nombreux groupes criminels – tout comme des acteurs étatiques - utilisent les mêmes outils, infrastructures et processus pour mener les deux types d’attaques.

    Même s’il est nécessaire d’inclure davantage de crimes cybernétiques, la manière dont cela est fait n’est pas la bonne, car il n’y a pas de garde-fous ou de définitions claires. La plupart des États qui font pression en ce sens ont abondamment démontré qu’ils ne respectent ni ne protègent les droits humains, et certains - dont la Chine, l’Égypte, l’Inde, l’Iran, la Russie et la Syrie - ont même proposé de supprimer toute référence aux obligations internationales en matière de droits humains.

    Un autre défi est l’absence d’accord sur la manière dont les mécanismes de coopération internationale devraient assurer le suivi pour garantir la mise en œuvre pratique du traité. Les modalités de coopération entre les États et les types d’activités qu’ils mèneront ensemble pour lutter contre ces crimes restent floues.

    Pour éviter que les régimes répressifs n’abusent du traité, nous devrions nous concentrer à la fois sur la portée des infractions passibles d’être poursuivies et sur les conditions de la coopération internationale. Par exemple, les dispositions relatives à l’extradition devraient inclure le principe de la double incrimination, ce qui signifie qu’un acte ne peut donner lieu à extradition que s’il constitue un crime à la fois dans le pays qui fait la demande et dans celui qui la reçoit. Ce principe est essentiel pour empêcher les États autoritaires d’utiliser l’extradition pour poursuivre les dissidents et commettre d’autres violations des droits humains.

    Qu’apporte la société civile aux négociations ?

    L’élaboration du traité devrait être un effort collectif visant à prévenir et à réduire le nombre de cyberattaques. En tant qu’organes indépendants, les OSC y contribuent en fournissant des informations sur les incidences sur les droits humains et les menaces potentielles, et en plaidant en faveur de garanties pour les droits fondamentaux.

    Par exemple, l’Institut CyberPeace analyse depuis deux ans les cyberattaques perturbatrices contre les établissements de santé dans le cadre de la COVID-19. Nous avons découvert au moins 500 cyberattaques ayant entraîné le vol des données de plus de 20 millions de patients. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

    L’Institut CyberPeace soumet également au Comité des recommandations dont l’approche est centrée sur les victimes. Elles comprennent des mesures préventives, la redevabilité des auteurs sur la base de preuves, l’accès à la justice et à la réparation pour les victimes, et tendent à prévenir la revictimisation.

    Nous plaidons également en faveur d’une approche intrinsèquement fondée sur les droits humains, qui garantirait le plein respect des droits humains et des libertés fondamentales par le biais de protections et de garanties solides. Le langage de la Convention devrait faire référence à des cadres spécifiques de droits humains tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est important que la lutte contre la cybercriminalité n’oppose pas la sécurité nationale aux droits humains.

    Ce cadre est d’autant plus important que les gouvernements exploitent depuis longtemps les mesures de lutte contre la cybercriminalité pour étendre le contrôle de l’État, élargir les pouvoirs de surveillance, restreindre ou criminaliser les libertés d’expression et de réunion et cibler les défenseurs des droits humains, les journalistes et l’opposition politique au nom de la sécurité nationale ou de la lutte contre le terrorisme.

    Pour résumer, l’objectif de la société civile est de démontrer l’impact humain des cybercrimes et de s’assurer que les États en tiennent compte lors de la négociation du régime et des réglementations - qui doivent être créés pour protéger les citoyens. Nous faisons entendre la voix des victimes, les plus vulnérables, dont la cybersécurité quotidienne n’est pas correctement protégée par le cadre international actuel. En ce qui concerne l’Institut CyberPeace, nous plaidons pour l’inclusion d’un champ limité de cybercrimes avec des définitions claires et étroites afin d’empêcher la criminalisation de comportements qui constituent l’exercice des libertés fondamentales et des droits humains.

    Où en sommes-nous dans le processus de négociation du traité ?

    Un document de négociation consolidé a servi de base à la deuxième lecture effectuée lors des quatrième et cinquième sessions tenues en janvier et avril 2023. La prochaine étape consistera à publier un avant-projet à la fin du mois de juin, qui sera négocié lors de la sixième session qui se tiendra à New York entre août et septembre 2023.

    Le processus aboutit normalement à une consolidation par les États, ce qui va être difficile car il y a beaucoup de divergences et un délai serré : le traité devrait être soumis au vote lors de la 78ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2024.

    Il y a un bloc d’États qui souhaitent un traité au champ d’application le plus large possible, et un autre bloc qui penche pour une convention au champ d’application très limité et aux garanties solides. Mais même au sein de ce bloc, des désaccords subsistent en ce qui concerne la protection des données, l’approche en termes de sécurité, et des questions éthiques portant sur des technologies spécifiques telles que l’intelligence artificielle.

    Quelles sont les chances que la version finale du traité respecte les normes internationales en matière de droits humains tout en remplissant son objectif ?

    Compte tenu de la manière dont le processus s’est déroulé jusqu’à présent, je ne suis pas très optimiste, en particulier sur la question du respect des normes en matière de droits humains. Il manque encore les définitions cruciales des garanties en matière de droits humains. Nous ne devons pas oublier que les négociations se déroulent dans un contexte de confrontation géopolitique tendue. L’Institut CyberPeace a retracé les attaques déployées depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Nous avons témoigné de plus de 1 500 campagnes d’attaques avec près de 100 acteurs impliqués, dont de nombreux États, et des impacts sur plus de 45 pays. Cette réalité géopolitique complique encore les négociations.

    Le texte qui est actuellement sur la table ne permet pas d’améliorer la vie des victimes dans le cyberespace. C’est pour cette raison que l’Institut CyberPeace reste engagé dans le processus de rédaction, afin d’informer et de sensibiliser les discussions en vue d’un résultat plus positif.


    Contactez l’Institut CyberPeace sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@CyberpeaceInst et@DuguinStephane sur Twitter.

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