Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • Algérie: Abdallah Benaoum, militant gravement malade, doit être immédiatement libéré

    Les autorités algériennes ont multiplié les détentions et les poursuites arbitraires contre des militant·e·s et des journalistes dans le contexte de la pandémie de COVID-19, rejetant tout récemment les demandes de libération provisoire et de soins médicaux adaptés déposées au nom du militant algérien Abdallah Benaoum, incarcéré uniquement pour avoir exprimé des opinions critiques quant à la répression menée par le pouvoir contre le mouvement Hirak, ont déclaré 10 organisations nationales, régionales et internationales aujourd’hui, à l’approche de son procès prévu le 27 octobre. Ses avocats et sa famille craignent pour sa vie.

    Abdallah Benaoum se trouve en détention provisoire depuis 11 mois pour avoir publié sur Facebook des opinions critiques à l’égard des autorités et s’opposant à la tenue d’élections présidentielles, alors qu’il a besoin de toute urgence d’une opération du cœur, dont il est privé du fait de son maintien en détention illégale et du refus des autorités de lui prodiguer l’accès aux soins médicaux dont il a besoin.

    Le 28 mai 2019, le défenseur des droits humains Kamel Eddine Fekhar est mort en détention à l’âge de 55 ans, après avoir observé une grève de la faim pendant 50 jours pour protester contre sa détention illégale, motivée par le fait qu’il avait critiqué le gouvernement et ses conditions carcérales. Le 11 décembre 2016, Mohamed Tamalt, journaliste indépendant algéro-britannique, 41 ans, est mort en détention dans un hôpital à Alger, à la suite d'une grève de la faim observée pour protester contre les mauvais traitements subis durant son incarcération, pour des publications sur Facebook relevant de l’« outrage » au président de l’époque Abdelaziz Bouteflika.

    Afin d’éviter qu’Abdallah Benaoum ne subisse le même sort, les organisations signataires demandent à l’Algérie de respecter ses engagements découlant du droit international relatif aux droits humains, de libérer Abdallah Benaoum immédiatement et sans condition, et de lui permettre de se faire opérer du cœur, dans le respect de ses souhaits.

    Le 9 décembre 2019, trois jours avant l’élection présidentielle contestée, la police d’Oued Rhiou, ville située dans la province de Relizane, a arrêté Abdallah Benaoum et un autre militant, Khaldi Ali. Le procureur du tribunal de première instance de Relizane a inculpé les deux hommes d'« outrage aux institutions de l'État », « atteinte à l'intégrité du territoire national », « atteinte à l'intérêt national », « démoralisation de l'armée », « tentative de faire pression sur les magistrats dans le cadre d'affaires en instance » et « provocation à un attroupement non armé », au titre des articles 146, 79, 97, 75, 147 et 100 du Code pénal.

    Aucun de ces chefs d’accusation ne constitue une infraction légitime au titre du droit international relatif aux droits humains car ils imposent des restrictions injustifiées au droit à la liberté d'expression. Le dossier indique que le procureur a présenté à titre de preuves des vidéos et des publications trouvées sur le compte personnel Facebook d’Abdallah Benaoum, dans lesquelles il appelait à boycotter les élections présidentielles, en écrivant « Non aux élections militaires » et « Les étudiants du Hirak dans tous les gouvernorats sont en butte à une répression très sévère ». Dans ses posts, il critiquait également la peine légère prononcée contre un policier pour le meurtre d’un jeune homme à Oued Rhiou. Le procureur a présenté ces éléments comme la preuve qu’Abdallah Benaoum incitait à la désobéissance et portait atteinte à la sûreté de l’État.

    Le jour de son procès, le 16 juillet, Abdallah Benaoum ne tenait pas debout et ne pouvait pas parler, selon son avocat. Le juge a finalement accepté d’appeler un médecin, trois heures après le début de l’audience. Celui-ci a conclu que l’accusé n'était pas en état d’assister à son procès. Néanmoins, le juge a rejeté la demande de libération provisoire déposée par son avocat. Le 2 septembre, il a rejeté une nouvelle demande. La prochaine audience a été fixée au 27 octobre.

    Abdallah Benaoum souffre d’une maladie cardiaque, l’artériosclérose, qui peut provoquer une crise cardiaque et nécessite une intervention chirurgicale urgente. En 2018, il a été opéré une première fois du cœur ; son état de santé a commencé à se dégrader lorsqu’il a été incarcéré un peu plus tard cette même année et s’est encore détérioré après son arrestation en décembre 2019. Les médecins ont conclu qu'il avait besoin d'une deuxième opération.

    Dans une lettre manuscrite remise à ses avocats le 4 septembre, Abdallah Benaoum s’est plaint du manque de soins médicaux et des mauvais traitements en détention.

    Les autorités ont refusé à plusieurs reprises de lui accorder une libération provisoire, invoquant la gravité des accusations portées contre lui. Elles l’ont transféré plusieurs fois d’une prison à Relizane, près de sa ville natale, vers deux prisons dans la province d’Oran, à 160 kilomètres de son lieu de résidence, ce qui a contribué à l’affaiblir encore. Il est actuellement incarcéré à la prison centrale d'Oran.

    Priver un prisonnier de soins médicaux essentiels piétine les droits à la santé et à la vie et peut constituer dans certains cas des actes de torture ou des mauvais traitements. L’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus, ou Règles Nelson Mandela, impose aux États de veiller à ce que les personnes privées de liberté puissent jouir des mêmes normes en matière de soins médicaux que l’ensemble de la population. Selon le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, il incombe aux États de prodiguer des soins médicaux adéquats ou appropriés, en temps voulu, à tous les détenus. De même, selon le droit algérien, « [L]e droit à la prise en charge médicale est garanti pour toutes les catégories de détenus. Des prestations médicales sont assurées aux détenus, à l'infirmerie de l'établissement ou, en cas de nécessité, dans toutes autres structures sanitaires ».

    La détention provisoire doit rester une mesure exceptionnelle, décidée au cas par cas après avoir déterminé si elle est raisonnable et nécessaire. Elle doit être définie par la loi et ne pas s'appuyer sur des normes larges et vagues. Les autorités algériennes n’ont pas justifié la nécessité d’imposer cette mesure, notamment contre un prisonnier d’opinion dont la santé et la vie sont en danger. La décision de maintenir Abdallah Benaoum en détention provisoire malgré les circonstances va à l’encontre de l’article 123 du Code algérien de procédure pénale et des obligations de l’Algérie au titre du droit international relatif aux droits humains.

    Le Syndicat national des magistrats a dénoncé le recours abusif et généralisé à la détention provisoire, ainsi que le manque d’indépendance de la justice par rapport au pouvoir exécutif, dans un pays où les magistrats sont visés par des sanctions professionnelles lorsqu’ils travaillent de manière indépendante ou réclament l’indépendance de la justice.

    Le refus des autorités de libérer Abdallah Benaoum va également à l’encontre de la recommandation du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU en faveur de la libération de détenus dans le but de contenir la propagation du COVID-19, notamment les personnes qui souffrent d’affections préexistantes ou qui sont détenues simplement pour avoir exprimé des opinions dissidentes. Le récent décès de deux détenus et la contamination d’au moins huit autres illustrent le risque élevé de contracter le COVID-19 dans les prisons algériennes.

    Les avocats d’Abdallah Benaoum et sa mère n’ont pas pu lui rendre visite les 1er et 2 octobre 2020. Les autorités carcérales ont assuré à sa famille que c’est lui qui avait refusé les visites et qu’il refusait aussi les soins médicaux. Selon ses avocats toutefois, ces affirmations ne cadrent pas avec la demande de leur client de continuer de lui rendre visite, ce qu’il a écrit dans une lettre manuscrite datée du 4 septembre. En outre, le militant a demandé à ce que son médecin, qui l’a opéré une première fois en 2018, puisse superviser sa seconde opération. En juillet, dans une autre lettre, il s’était plaint de ses conditions de détention éprouvantes et d’être coupé du monde extérieur. Il n’avait pu recevoir aucunes visites de sa famille de mars à septembre 2020, en raison des restrictions liées au COVID-19.

    Abdallah Benaoum avait recouvré la liberté depuis cinq mois seulement lorsqu’il a de nouveau été arrêté en décembre 2019. Il avait été incarcéré entre avril 2018 et juin 2019 pour des accusations «d’outrage au président de la République » et pour avoir « instrumentalisé les blessures de la tragédie nationale », au titre de l’article 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2006, qui interdit les publications portant sur la guerre civile algérienne. Il a été remis en liberté conditionnelle à la faveur d’une demande déposée par ses avocats, 10 mois avant la fin de sa peine. En 2013, Abdallah Benaoum avait aussi fait l’objet de deux communications des procédures spéciales de l’ONU portant sur les arrestations arbitraires et l’usage excessif de la force.

    Signataires

    • Amnesty International
    • Article 19 
    • CGATA (confédération générale autonome des travailleurs en Algérie)
    • CIVICUS
    • Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme
    • Institut du Caire pour les études des droits de l’homme (CIHRS)
    • Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme
    • Riposte Internationale 
    • SNAPAP (syndicat autonome des personnelles d'administration publique)
    • SESS (syndicat des enseignants du supérieur solidaires)
  • Les organisations de la société civile demandent à la Tunisie de lever toute restriction à l'espace civique et aux institutions indépendantes, et de rétablir l'état de droit.

    Plus de 100 organisations de la société civile soutiennent la déclaration appelant à la fin des restrictions en Tunisie.

    🇹🇳President Kaïs Saïed has, in the past year, implemented several decisions aimed at consolidating power in the hands of the executive!
    🚨Are we witnessing a gradual slide towards authoritarianism in #Tunisia
    More info at https://t.co/smyRBBd4Af
    ⏬⏬⏬⏬ pic.twitter.com/F2q3GKvg94

    — CIVICUS (@CIVICUSalliance) March 22, 2022

  • Pourquoi nous ne participerons pas au sommet de la société civile du G20 en 2020

    Le Sommet annuel du G20 ressemble bien souvent à un forum de discussion pour les gouvernements des grandes puissances du monde. Les leaders des 19 principales économies nationales et de l’Union européenne se réunissent, serrent des mains devant les caméras et concluent de vagues accords, qu’ils n’appliquent généralement pas. Ces sommets attirent l’attention des médias du monde entier et, bien souvent, de manifestants du monde entier qui souhaitent amener ces gouvernements à rendre des comptes.

    Moins connu est le cycle intensif de réunions préparatoires qui précèdent le sommet des dirigeants du G20. Si ce processus connaît moult limitations et défis, pour de nombreuses voix extérieures aux gouvernements, notamment les syndicats, les organisations de défense des droits et la société civile, ce sont des occasions rares de formuler des recommandations politiques directement aux autorités nationales et d’influencer l’agenda international sur des questions qui touchent des milliards de citoyens. Depuis quelques années, la société civile a aussi son lot de rencontres au sein du G20 – le Civil 20 (C20).

    Toutefois, en 2020, en tant qu’organisations de la société civile, nous garderons nos distances avec le sommet officiel du C20, qui sera accueilli et organisé par l’Arabie saoudite.

    Le pays hôte du G20, l’Arabie saoudite, s’efforce de promouvoir l’image d’un pays moderne attractif pour les investisseurs étrangers. Le gouvernement recrute à prix d’or des conseillers occidentaux en relations publiques et dépense des millions de dollars pour redorer son blason et éliminer les critiques des médias internationaux. Cependant, à l’intérieur du royaume, les autorités arrêtent et poursuivent en justice des défenseurs des droits humains, censurent la liberté de parole, limitent la liberté de circulation et infligent des tortures et des mauvais traitements aux journalistes et militants incarcérés. Les lois antiterroristes formulées en termes vagues sont utilisées pour réduire au silence les détracteurs du gouvernement, qui sont parfois condamnés à mort. En octobre 2018, le monde entier a été choqué par l’assassinat du journaliste et dissident Jamal Khashoggi à l’intérieur du consulat saoudien à Istanbul. Les femmes subissent une discrimination systématique en droit comme en pratique. Et les défenseures des droits humains qui osent défendre les droits des femmes sont soumises à des persécutions judiciaires, des arrestations et des détentions arbitraires.

    Au lieu d’engager une véritable réforme, le gouvernement saoudien cherche à camoufler son bilan désastreux en termes de droits humains en organisant de grands événements internationaux dans le pays. Cela inclut le G20 et, par l’intermédiaire d’une ONG avalisée par le gouvernement, le C20. En tant qu’organisations majeures de la société civile présentes dans la plupart des pays du globe – mais, fait notable, pas en Arabie saoudite – nous ne pouvons participer à un processus qui cherche à conférer une légitimité internationale à un État n’offrant quasiment aucune place à la société civile et ne tolérant pas les voix indépendantes.

    En juin 2019, le C20 a établi un ensemble de principes, notamment une structure de base et des mécanismes de fonctionnement, afin d’assurer sa pérennité et son efficacité. Ces principes mettent l’accent sur l’inclusion d’une diversité d’acteurs de la société civile, du niveau local au niveau mondial, la transparence des prises de décision, la liberté et l’indépendance vis-à-vis de toute influence excessive des acteurs extérieurs à la société civile, l’inclusion et la diversité, et les valeurs directrices que sont les droits humains, l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes. La plupart de ces principes seront absents en 2020 et, fait inquiétant, ils sont déjà fragilisés par la présidence saoudienne du G20.

    Les acteurs saoudiens de la société civile ne pourront pas participer au prochain C20 en Arabie saoudite, à l’exception d’un nombre symbolique d’organisations travaillant sur des questions jugées inoffensives par le gouvernement, car les partis politiques, les syndicats et les organisations indépendantes de défense des droits humains ne sont pas autorisés dans le pays. La plupart des militants progressistes de la société civile sont poursuivis en justice ou purgent de lourdes peines de prison pour s’être exprimés, ou sont contraints à l’exil en vue d’éviter la prison, voire pire. Revenir dans leur pays n’est pas envisageable, car ils seraient en danger. Sans ces voix critiques et indépendantes autour de la table, la crédibilité du C20 est gravement compromise.

    Par ailleurs, les membres étrangers et internationaux de la société civile auront bien du mal à participer librement à un C20 sous l’égide de l’Arabie saoudite.

    En effet, les lois et politiques en vigueur en Arabie saoudite impactent directement les droits à la liberté d’association, d’expression et de réunion pacifique, et ont un effet dissuasif qui pousse certaines catégories de militants à se taire car, s’ils devaient s’exprimer, ils mettraient en péril leur propre sécurité. En novembre 2019, l’agence saoudienne de sécurité de l’État a érigé le féminisme et l’homosexualité en infractions. Si l’annonce a été rectifiée, d’éminentes défenseures saoudiennes des droits humains se trouvent toujours derrière les barreaux et sont poursuivies en raison de leur travail en faveur de ces droits. Ces lois et pratiques, qui vont à l’encontre des principes du C20 relatifs à la diversité, à l’égalité de genre et à l’autonomisation des femmes, musèleraient la liberté d’expression lors des discussions sur les droits des femmes, les droits en matière de sexualité et de procréation, et les droits des personnes LGBTI.

    L’absence de liberté de la presse en Arabie saoudite ne fait qu’aggraver la situation. Contrôles stricts des médias, censure et surveillance des réseaux sociaux : toute discussion se tenant lors d’un C20 organisé par l’Arabie saoudite ne serait pas relayée à l’ensemble de la population saoudienne, en dehors de compte-rendus validés par l’État. Même si ces débats étaient possibles, sans liberté des médias, ils n’atteindront qu’un public limité. Cela ne correspond pas aux principes directeurs du C20 que sont l’intégration, l’ouverture, la transparence et la participation.

    Lors des précédents sommets du G20, des militants du pays hôte et d’ailleurs ont manifesté. La liberté de réunion pacifique est un droit, mais dans un pays où tous les rassemblements, y compris les manifestations pacifiques, sont interdits, il est impossible que ce droit fondamental soit respecté.

    Le C20 organisé sous l’égide de l’Arabie saoudite pèche à bien des égards, notamment s’agissant du respect de ses principes fondamentaux. Déjà en cette phase précoce du C20 de 2020, nous avons observé un manque de transparence de la part des hôtes de cet événement. La nomination des présidents des groupes de travail et de divers comités s’est avérée opaque et non consultative, tandis que des décisions arbitraires excluent des organisations internationales renommées. Le sommet du C20, sous l’égide de la Fondation du roi Khalid, en lien avec la famille royale, ne peut être considéré comme transparent, inclusif et participatif, comme l’exigent ses principes fondateurs.

    À un moment où le monde est confronté à de nombreux défis, il a plus que jamais besoin de voix indépendantes. Comment faire confiance à un État qui ferme l’espace civique jusqu’à le rendre quasi-inexistant pour qu’il réunisse les conditions sine qua non permettant à la société civile internationale d’échanger des idées et de collaborer librement sur tous les sujets, surtout s’ils sont jugés sensibles ou offensants.

    Nous ne participerons pas au C20 cette année, mais nous nous engageons à travailler ensemble pour faire en sorte que ces voix soient entendues en 2020.

  • TUNISIE : « La société civile n’est pas encore directement menacée, mais nous pensons que notre tour arrivera »

    Amine GhaliCIVICUS s’entretient des perspectives de démocratie en Tunisie après le coup de force du président de juillet 2021 avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM). KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui vise à promouvoir la contribution de la société civile à la démocratie et à la justice transitionnelle en Tunisie et dans la région, par la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation.

    Quelle a été la position de la société civile tunisienne face au coup de force du président Kais Saied ?

    En juillet dernier, le président Saied a limogé le premier ministre et suspendu le parlement, tout en promettant un processus de révision constitutionnelle. Depuis lors, il s’est octroyé des pouvoirs étendus et a supprimé les contrôles sur ce pouvoir.

    Les réactions ont été variées, car la société civile tunisienne a toujours été très diverse. Une partie a soutenu les actions de Saied, ou du moins les a vues d’un bon œil, tandis qu’une autre s’y est complètement opposée. D’autres personnes ont été plus sélectives au sujet de ce à quoi elles s’opposent : peut-être n’étaient-elles pas satisfaites de l’arrangement politique précédent ou même de l’actuel, mais pensaient néanmoins que les actions de Saied ouvriraient de plus grandes opportunités de changement et de réforme.

    Une diversité similaire a été visible dans la société en général, mais nous n’avons pas connu de polarisation malsaine parce que les gens ne se sont pas divisés entre des positions aux deux extrémités du spectre.

    Et bien que je ne dispose pas de véritables chiffres ou statistiques, j’ai récemment remarqué une opposition croissante de la société civile face aux événements de juillet. Au début, il y avait une sorte d’euphorie, mais maintenant, la société civile est plus critique sur ce qui s’est passé, peut-être parce que les gens ont commencé à remarquer que Saied n’a pas encore tenu ses promesses.

    Qu’est-ce qui a fait évoluer les positions de la société civile ?

    L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance, ce qui ne s’est pas encore produit. En outre, il a pris des mesures et des décisions qu’il n’a pas annoncées le 25 juillet. Ses actions - principalement contre le parti Ennahda et d’autres partis politiques importants - étaient initialement conformes à la Constitution, mais il a ensuite commencé à agir contre la Constitution et à inverser les étapes de notre transition démocratique.

    Selon le discours officiel, repris par certains acteurs politiques, notre Constitution actuelle est si mauvaise que nous en nécessitons une nouvelle. Mais à mon avis - et à celui de la société civile - elle n’est pas si mauvaise. Plus important encore, le processus d’élaboration de la Constitution à la suite des soulèvements de 2010 a fait l’objet d’un large consensus, et la nouvelle Constitution a été approuvée par beaucoup plus que la majorité requise des deux tiers de l’Assemblée nationale constituante - elle a reçu les voix de 200 députés sur 217. Mais maintenant, nous semblons passer d’un processus participatif à un processus restrictif.

    En termes de gestion électorale, il est difficile de savoir si les prochaines élections et le référendum seront organisés par un organisme indépendant. De plus, Saied a remis en question un autre acquis démocratique majeur, l’indépendance du pouvoir judiciaire.

    Comment la société civile a-t-elle réagi à la feuille de route que le Président Saied a dévoilée en décembre 2021 ?

    Je pense que c’est la pression exercée par la société civile, les partis politiques et la communauté internationale qui a poussé le président à définir une feuille de route à la mi-décembre. Pendant les trois ou quatre premiers mois qui ont suivi la suspension du Parlement, il s’y était opposé.

    Une partie au moins de la société civile continuera à plaider pour que des mesures plus nombreuses et plus efficaces soient incluses dans la feuille de route, notamment une élection présidentielle, que nous pourrions être amenés à organiser puisque la feuille de route prévoit la rédaction d’une nouvelle Constitution, qui entraînera une nouvelle répartition des pouvoirs entre le président et le chef du gouvernement. Nous ferons également pression pour une approche plus participative, car l’organisation d’un référendum sur la Constitution n’est pas suffisante, dans la mesure où elle ne permettra aux gens que de répondre à une question par oui ou non.

    Ce sont des points qui seront probablement soulevés dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Nous avons des OSC fortes travaillant sur les élections, qui se réunissent déjà pour discuter de la manière de maintenir la commission électorale comme acteur principal, et de celle d’aborder le passage du vote pour des listes au vote pour des individus, comme annoncé par les partisans du président.

    Je m’attends à ce que nous assistions bientôt à la formation de nouvelles coalitions pour agir sur le nouvel agenda politique. En fait, certaines de ces coalitions se sont déjà formées, incluant des éléments de la société civile et politique, comme Citoyens contre le coup d’État. D’autres coalitions de la société civile travaillent à l’amélioration des mécanismes de protection des droits humains. À mon avis, cette nouvelle dynamique va se développer au cours des prochains mois.

    Y a-t-il des possibilités d’engagement de la société civile autour du prochain référendum constitutionnel ?

    Malheureusement, l’une des principales caractéristiques de ce nouveau système de gouvernance est le manque de consultation, non seulement avec la société civile mais aussi avec les partis politiques. Jusqu’à présent, l’espace réservé au processus de consultation n’a pas été assez large. L’une de ses caractéristiques est la consultation en ligne, qui n’est pas le type de consultation auquel nous nous sommes habitués ces dix dernières années.

    Même si beaucoup de choses n’ont pas fonctionné comme elles étaient censées le faire, il y avait au moins une forme de consultation, une forme de donnant-donnant, entre les politiques et la société civile, les experts et la communauté internationale. Cet écosystème que nous avions autrefois n’existe plus. Les OSC feront pression pour obtenir de meilleures formes de coopération entre les décideurs et la société civile.

    Quelle pression subit l’espace civique en Tunisie ?

    L’espace civique se réduit. Bien que la société civile ne soit pas encore directement menacée, nous pensons que notre tour va arriver. Nous avons remarqué que les décideurs tunisiens détestent les corps intermédiaires. Ils ont donc fermé le parlement, attaqué le système judiciaire et boycotté les médias. Nous sommes probablement les prochains sur leur liste, nous devons donc être très vigilants. Des rumeurs circulent selon lesquelles les politiciens introduiront des changements juridiques qui affecteront les OSC, ce que nous n’accepterons pas. Nous devons défendre l’espace civique tant que nous avons encore un peu d’espace pour interagir avec les décideurs en l’absence du parlement, le corps intermédiaire traditionnel.

    Les récentes arrestations d’opposants politiques s’inscrivent-elles dans une tendance inquiétante ?

    Nous n’avons pas connu d’arrestations massives d’opposants politiques - en fait, il y en a eu très peu. Pour autant que nous le sachions, ces arrestations n’étaient pas fondées sur des raisons politiques, mais plutôt sur des activités illégales commises par des politiciens pendant leur mandat. Nous avons condamné les procédures et les circonstances des arrestations, qui n’étaient pas appropriées, mais personne n’est au-dessus de la loi, alors s’il existe des preuves suffisantes contre ces personnes, arrêtons-les et traduisons-les en justice selon les procédures judiciaires et non sur la base de décisions de l’exécutif.

    Quelles sont les perspectives de consolidation démocratique en Tunisie, et comment la communauté internationale peut-elle y contribuer ?

    Je pense que si nous la livrons à elle-même, le sort de la démocratie en Tunisie sera plutôt sombre. La société civile, la société politique, la communauté internationale et les amis de la Tunisie devront donc intensifier leurs efforts de plaidoyer, non pas pour restaurer la démocratie mais pour la maintenir. Nous avons besoin des efforts de tous les acteurs pour maintenir la pression afin de s’assurer que la Tunisie est sur la voie de la démocratie. Si nous ne nous engageons pas et nous contentons de regarder le spectacle, cela ne nous mènera probablement pas vers plus de démocratie et une meilleure démocratie, mais bien dans la direction opposée.

    Tant que les acteurs internationaux reconnaissent qu’il y a une menace pour la démocratie et s’engagent, cela nous aidera. La communauté internationale ne doit pas nous traiter comme elle l’a fait avec l’Égypte en 2013 - c’est-à-dire qu’elle ne doit pas privilégier la sécurité et la stabilité au détriment de la démocratie. Nous avons besoin que la communauté internationale maintienne la pression sur les décideurs en Tunisie pour s’assurer que l’achèvement de la transition démocratique est notre objectif commun. De cette façon, la Tunisie deviendra un exemple majeur de transition démocratique réussie dans la région arabe.

    L’espace civique en Tunisie est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
    Contactez KADEM via sonsite web ou sa pageFacebook.

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