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#BEIJING25 : « Nous sommes indignées par la discrimination et nous transformons nos demandes en actions »
À l’occasion du 25ème anniversaire duProgramme d’Action de Beijing, qui aura lieu en septembre 2020, CIVICUS s’entretient avec des activistes, des dirigeants et des experts de la société civile pour évaluer les progrès accomplis et les défis qui restent à surmonter. Adopté en 1995 lors de la quatrièmeConférence mondiale des Nations Unies (ONU) sur les femmes, le Programme d’Action de Beijing poursuit les objectifs d’éliminer la violence contre les femmes, de garantir l’accès au planning familial et à la santé reproductive, d’éliminer les obstacles à la participation des femmes à la prise de décision et de fournir un emploi décent et un salaire égal pour un travail égal. Vingt-cinq ans plus tard, des progrès importants mais inégaux ont été faits, en grande partie grâce aux efforts incessants de la société civile, mais aucun pays n’a encore atteint l’égalité des genres.
CIVICUS s’entretient avec Viviana Krsticevic, directrice exécutive du Center for Justice and International Law (CEJIL) et membre du secrétariat de la campagne Gqual, une initiative mondiale qui promeut la parité des sexes dans la composition des organisations internationales.
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#BEIJING25 : « Plus de femmes dans la fonction publique signifie un meilleur gouvernement et une démocratie plus forte »
À l'occasion du 25e anniversaire duProgramme d'Action de Beijing, CIVICUS s'entretient avec des activistes, des dirigeants et des experts de la société civile pour évaluer les progrès accomplis et les défis qui restent à surmonter. Adopté en 1995 lors de la quatrièmeConférence mondiale des Nations Unies (ONU) sur les femmes, le Programme d'Action de Beijing poursuit les objectifs d'éliminer la violence contre les femmes, de garantir l'accès au planning familial et à la santé reproductive, d'éliminer les obstacles à la participation des femmes à la prise de décision et de fournir un emploi décent et un salaire égal pour un travail égal. Vingt-cinq ans plus tard, des progrès importants mais inégaux ont été faits, en grande partie grâce aux efforts incessants de la société civile, mais aucun pays n'a encore atteint l'égalité des genres.
CIVICUS s'entretient avec Pakou Hang, directrice des programmes pour Vote Run Lead (Vote Candidate Dirige), une organisation dédiée à la formation de femmes afin qu’elles puissent se présenter aux élections et les remporter, augmentant ainsi la représentation des femmes à tous les niveaux de gouvernement. Créée en 2014, elle a déjà touché plus de 36 000 femmes aux États-Unis, dont près de 60% sont des femmes noires et 20% proviennent de zones rurales. De nombreuses formées à Vote Run Lead siègent désormais dans des conseils municipaux, des conseils de comté, des chambres d'État, des cours suprêmes et au Congrès des États-Unis.
Un quart de siècle plus tard, dans quelle mesure la promesse contenue dans le Programme d’Action de Beijing s’est traduite par des changements concrets ?
Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis 1995, mais il reste encore beaucoup à faire et nous sommes encore loin de l’égalité. En termes de représentation politique, il y a eu des progrès, mais cela a aussi été lent : globalement, au début de 2019, 24,3% des membres des parlements nationaux étaient des femmes, contre 11,3% seulement en 1995. Seuls trois pays dans le monde ont atteint ou dépassé la parité dans leurs chambres basses ou législatures monocamérales, mais beaucoup d'autres ont atteint ou dépassé le seuil de 30%. Jusqu'à l'année dernière, il y avait également 11 femmes chefs d'État et 12 chefs de gouvernement ; et les femmes occupaient près de 21% des postes ministériels, souvent dans les domaines les plus associés aux problématiques des femmes, tels que l'action sociale et les portefeuilles liés à la famille, à l'enfance, à la jeunesse, et aux personnes âgées et handicapées. Les résultats sont donc mitigés - beaucoup de progrès ont été accomplis, mais les progrès ont été lents et sont loin d'être suffisants.
Il y a également eu de grandes variations entre les régions et les pays, d'environ 16% de femmes parlementaires dans la région du Pacifique à plus de 40% dans les pays nordiques. La moyenne pour les Amériques est de 30%, mais les États-Unis sont en dessous de la moyenne. Le Congrès reste dominé de manière disproportionnée par les hommes. Bien que les femmes représentent plus de la moitié de la population, elles n'occupent que 24% des sièges. Le Congrès est également moins diversifié sur le plan racial que la population dans son ensemble, 78% de ses membres s'identifiant comme blancs, une proportion nettement supérieure au 60% de la population américaine composée de personnes blanches.
Selon le Centre pour les Femmes et la Politique Américaine (Center for American Women and Politics), la situation n'est pas très différente au niveau des états : 29,2% des sièges législatifs des états et 18% des postes des gouvernants sont occupés par des femmes. Il y a moins de données sur les pouvoirs exécutifs locaux et l'essentiel des informations disponibles se réfère aux plus grandes villes, dont 60% des maires sont des hommes blancs, alors que les hommes blancs ne représentent que 20% de la population de ces villes. Bien que davantage de femmes aient accédé à la fonction publique locale en 2018, les conseils municipaux et les commissions de comté ont continué à n'inclure qu'une seule femme ou pas de femmes.
D’autre part, malgré le nombre relativement restreint de femmes parlementaires, et en particulier de femmes noires, le Congrès actuel est le plus diversifié de l'histoire. Ainsi, le bassin de candidats pour des mandats législatifs en 2020 était également le plus diversifié de l’histoire. Bien entendu, ces candidats ont reçu de violentes attaques de la part des médias et de l'opposition politique. Mais je pense que nous devons changer notre perspective pour comprendre l'ampleur du changement qui s'est produit. J’ai certainement été déçue de voir que nous nous retrouvions avec deux hommes blancs d’un certain âge à la tête des deux principaux sièges présidentiels - mais désormais, nous comptons également une femme noire d’origine indienne comme vice-présidente élue, ce qui constitue sans aucun doute un progrès.
Je me souviens que lorsque le triomphe de Joe Biden et Kamala Harris à l'élection présidentielle de 2020 a été annoncé, j'ai appelé ma nièce de neuf ans pour lui annoncer la nouvelle. Elle était extatique. Cela m'a rappelé qu'elle appartient à une nouvelle génération d'Américains née sous la présidence de Barack Hussein Obama. Quand elle grandira elle saura que Donald Trump a été président, mais elle saura également que Trump a été vaincu par une femme noire d'origine indienne. Pendant que nous parlions, ma nièce m'a dit : "Nous avons presque réussi, ma tante." Et j'ai pris conscience qu'elle avait raison : oui, nous y sommes presque.
Pourquoi est-il important d'atteindre la parité homme-femme dans la représentation politique ? S'agit-il uniquement des droits des femmes et de l'égalité des chances, ou aura-t-elle également des effets positifs sur les institutions démocratiques et les politiques publiques ?
L'une des principales raisons pour lesquelles nous avons besoin d'un plus grand nombre de femmes aux postes gouvernementaux est qu'elles ne gouvernent pas comme les hommes. Les femmes au gouvernement sont plus collaboratives, plus civiles, plus communicatives. Elles sont plus susceptibles de travailler avec des membres d'autres partis pour résoudre des problèmes. Elles obtiennent plus d'argent pour leurs localités, elles votent plus de lois et leurs projets sont davantage axés sur les populations les plus vulnérables telles que les enfants, les personnes âgées et les malades. Les femmes élargissent l'agenda politique, au-delà des questions qui concernent traditionnellement les femmes. Et cela produit de meilleures politiques pour tous, c'est-à-dire non seulement pour les femmes et les filles, mais aussi pour les hommes et les garçons. Enfin, dans la mesure où elles apportent un nouvel ensemble de perspectives et d'expériences de vie au processus d'élaboration des politiques, leur présence garantit que les perspectives des femmes ne soient pas négligées et que des questions telles que la violence sexiste ou les soins aux enfants ne soient pas ignorées. En bref, les femmes occupant des postes gouvernementaux ont tendance à être plus efficaces que les hommes. Et étant donnée la situation actuelle de stagnation politique et d'hyper-partisanerie, nous devons changer la façon de faire. Plus de femmes dans la fonction publique signifie un meilleur gouvernement et une démocratie plus forte.
De plus, la nécessité de femmes au pouvoir et en politique est devenue d’autant plus essentielle dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Lors du dernier cycle électoral, les bailleurs de fonds voulaient plus que jamais contribuer aux campagnes électorales des femmes candidates, étant donné que la pandémie les a sensibilisés non seulement aux nombreuses inégalités qui affectent notre société et le système de santé, mais aussi au travail remarquable que les femmes, et en particulier les femmes noires, entreprennent dans leurs communautés pour répondre aux besoins urgents, combler les lacunes des politiques inadéquates du gouvernement et résoudre les problèmes des communautés exclues qui ont été affectées de manière disproportionnée par la COVID-19 et la crise économique. Au cours de cette crise, les femmes ont joué un rôle essentiel en soutenant la connexion des communautés, en collectant et en distribuant de la nourriture et d'autres produits de base aux familles en difficulté, en trouvant des moyens de soutenir l'activité économique locale et en fournissant des services communautaires ad hoc, entre autres.
Les recherches sur la manière dont divers pays ont répondu à la pandémie suggèrent que les pays avec des femmes au pouvoir ont tendance à avoir moins de cas et moins de décès dus à la COVID-19. Il semble que les femmes au pouvoir ont adopté un style de leadership transformateur qui peut être plus approprié pour la gestion des crises. Ce type de leadership se concentre sur les relations humaines profondes, l'investissement dans l'équipe de travail et l'échange de connaissances, l'action exemplaire et la motivation des autres. Cela représente des qualités très utiles dans notre contexte actuel.
Pourquoi pensez-vous que la représentation politique des femmes aux États-Unis est encore si faible ?
Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles nous n'avons pas de parité entre les sexes dans la représentation politique. Tout d'abord, il y a encore trop de raisons structurelles pour lesquelles les femmes ne se présentent pas et ne sont pas élues. Les femmes effectuent encore une quantité disproportionnée de travaux ménagers et l'éducation des enfants, et la couverture médiatique reste sexiste, se concentrant sur les apparences et les personnalités des femmes plutôt que sur leurs positions politiques. En outre, les personnes qui occupent les structures des partis et qui ont des connaissances politiques, des réseaux et de l’argent sont encore des hommes, et ce sont souvent eux qui déterminent qui est politiquement viable. Par exemple, un jeune homme qui a étudié le développement communautaire à Harvard est considéré comme plus viable qu'une femme d'âge moyen qui travaille dans l'organisation communautaire depuis 20 ans.
Paradoxalement, les femmes candidates remportent les élections dans les mêmes proportions que leurs homologues masculins et, selon les sondages, les électeurs sont enthousiastes face à la possibilité d'élire des femmes. Mais la deuxième raison pour laquelle les femmes ne sont pas élues est tout simplement qu'elles ne se portent pas candidates autant que les hommes, et évidemment, dès lors que vous ne concourez pas, vous ne pourrez pas gagner.
Pourquoi les femmes ne présentent-elles pas leurs candidatures à des fonctions publiques ? La raison peut-être la plus répandue est que les femmes doutent d'elles-mêmes. Elles ne sont pas considérées comme qualifiées. Elles ne voient pas d'autres femmes qui leur ressemblent ou qui pensent comme elles dans ces positions de pouvoir, et c'est donc un cercle vicieux. Et non seulement les femmes doutent d'elles-mêmes, mais les observateurs extérieurs aussi. De ce fait, si une position de pouvoir particulière n'a jamais été occupée par une femme, la question qui se pose encore de façon répétée dans les médias, sur un ton de doute, est : une femme pourrait-elle être élue ? C'est une question que l'on entend beaucoup dans le cadre des primaires présidentielles démocrates de 2020.
Il y a aussi le fait que certaines qualités considérées comme positives chez les hommes, comme l'assurance ou l'ambition, prennent une connotation négative lorsqu'elles sont appliquées aux femmes. Alors qu'il y a sans aucun doute eu des hommes en colère et vengeurs qui ont été élus président, les femmes qui sont perçues comme « en colère » ou « vengeresses » sont considérées comme désagréables et donc disqualifiées. Les femmes candidates sont soumises à des attentes beaucoup plus élevées, parfois de leur propre fait, mais plus souvent par les autres, et par conséquent nous manquons de parité entre les sexes dans notre représentation politique.
Quand avez-vous réalisé que, contrairement aux hommes, les femmes avaient besoin d'une formation pour se présenter à des fonctions publiques ?
Bien que j'aie étudié les sciences politiques à l'université, je sentais que la politique américaine était sale et corrompue et je ne me suis jamais impliquée dans la politique électorale. Mais en 2001 ma cousine aînée, Mee Moua, a décidé de se porter candidate pour un siège au Sénat pour le district de East Saint Paul lors d'une élection spéciale. Le district oriental de Saint-Paul devenait rapidement un district où les minorités étaient majoritaires, mais tous ses élus, de l'état au comté et au niveau de la ville, étaient des hommes blancs conservateurs. Ma cousine était diplômée d'une université prestigieuse, avait exercé la profession d'avocate, avait été présidente de la Chambre de Commerce Hmong, et avait décidé de se présenter après avoir fait du bénévolat pendant des années dans de nombreuses campagnes politiques. Cependant, comme c'est souvent le cas pour les femmes candidates, on lui a dit qu'elle devait attendre son tour. Et bien, elle a décidé de ne pas le faire, et comme aucun acteur politique pertinent ne l'a aidée, elle a rassemblé nos 71 cousins germains pour devenir son armée de volontaires et m'a recrutée comme directrice de campagne, car j'étais la seule à avoir étudié les sciences politiques. Contre toute attente, sans expérience politique et au milieu de l'hiver du Minnesota, nous avons frappé aux portes, passé des appels téléphoniques, mobilisé les électeurs à l'aide des radios communautaires, amené les gens aux urnes, et gagné. Nous avons marqué l'histoire en élisant le premier législateur d'état Hmong de l'histoire américaine et de l'histoire des Hmong.
Rétrospectivement, je me rends compte que j'ai mené la campagne uniquement par instinct, alimentée par l'expérience de mon enfance d'aider mes parents non anglophones à se déplacer dans le monde extérieur. Et même si nous avons gagné, on aurait pu affronter un adversaire mieux organisé et perdu. Ce n'est que des années plus tard, après avoir suivi une formation politique au Camp Wellstone, que j'ai constaté que les femmes candidates avions besoin de quelque chose conçu spécialement pour nous, quelque chose qui nous interpellerait directement et nous préparerait aux vrais défis auxquels nous serions confrontées en tant que femmes candidates.
Quel type de formation propose Vote Run Lead et comment contribue-t-elle à briser les barrières qui empêchent les femmes d'accéder au pouvoir ?
Vote Run Lead est le programme de leadership des femmes le plus vaste et le plus diversifié aux États-Unis. Nous avons formé plus de 38 000 femmes pour se présenter à des fonctions publiques, y compris des femmes rurales, des femmes transgenre, des jeunes femmes et des femmes noires, autochtones et de couleur. Plus de 55% de nos diplômées qui ont participé à l'élection générale de 2020 ont gagné, et 71% de nos diplômées qui sont des femmes de couleur ont également été élues.
Les femmes que nous formons décident généralement de se présenter aux fonctions publiques parce qu'elles identifient quelque chose de négatif dans leurs communautés et veulent y remédier. Mais elles ne voient pas beaucoup de personnes comme elles dans des positions de pouvoir. Vote Run Lead propose plusieurs modules de formation qui apprennent aux femmes tout ce qu'elles doivent savoir sur la campagne électorale, qu'il s'agisse de prononcer un discours, de constituer une équipe de campagne ou de rédiger un message, de collecter des fonds ou de motiver les gens à voter. Mais ce qui distingue notre programme de formation, c'est que nous formons les femmes pour qu’elles postulent telles qu'elles sont. Les femmes ont souvent besoin de soutien pour se considérer comme étant des candidates qualifiées, capables et dignes. Nous leur montrons qu'elles n'ont pas besoin de rechercher une autre promotion ou d'obtenir un autre titre puisque, en fait, leur histoire personnelle est leur plus grand atout. Notre programme de formation, Run As You Are, rappelle aux femmes qu'elles suffisent et qu'elles sont le genre de leaders que nous devons élire pour bâtir la démocratie juste que nous méritons.
Quel est le profil « typique » de la femme que vous aidez à postuler ? Soutenez-vous une femme qui souhaite concourir quelle que soit son orientation politique ?
Il n'y a pas de formée typique de Vote Run Lead. Nous sommes une organisation non partisane, nous formons donc des femmes des milieux les plus divers, de toutes les professions, de tous les partis politiques et quel que soit leur niveau de développement politique. Nos valeurs sont profondément liées à la promotion de femmes intersectionnelles et antiracistes engagées à construire une démocratie plus juste et équitable.
Compte tenu du phénomène généralisé de suppression des électeurs aux États-Unis, le programme vise-t-il également à motiver la participation électorale ?
Traditionnellement, Vote Run Lead n'utilise pas son propre programme pour motiver la participation électorale (GOTV, pour son acronyme en anglais) étant donné que la plupart de nos diplômées dirigent une élection ou travaillent sur une campagne. Mais en 2020, lorsque les niveaux déjà élevés de suppression des électeurs ont été alimentés par des campagnes de désinformation et des préoccupations en matière de sécurité sanitaire, Vote Run Lead a lancé un solide programme GOTV qui a mobilisé les femmes formées chez nous. Ce programme GOTV comprenait huit modules de formation spécifiques pour motiver la participation électorale, allant de la manière de répondre à l'apathie et au cynisme autour de l'élection, aux plateformes numériques et aux outils de communication à utiliser pour promouvoir la participation. Nous avons également contacté plus de 200 bénévoles, eu 3 000 conversations, effectué 30 000 appels téléphoniques et envoyé plus de 33 000 messages texte pour que nos diplômés et leurs réseaux votent.
Avant l'été, nous avons également lancé une série intitulée « Votre armoire de cuisine », avec laquelle nous formons les femmes à la collecte de fonds, au contact direct avec les électeurs et même au lancement d'un plan numérique tout en maintenant une distanciation sociale. Ces guides et webinaires sont disponibles sur notre site Web et sur notre chaîne YouTube et offrent des conseils en temps réel et des informations factuelles.
L'espace civique aux États-Unis est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
Entrez en contact avec Vote Run Lead via sonsite Web ou sa pageFacebook, et suivez @VoteRunLead sur Twitter. -
#BEIJING25 : « Tous les efforts en faveur de l'égalité des genres doivent être fondés sur l'intersectionnalité et l’émancipation »
À l'occasion du 25e anniversaire duProgramme d'Action de Beijing, CIVICUS s'entretient avec des activistes, des dirigeants et des experts de la société civile pour évaluer les progrès accomplis et les défis qui restent à surmonter. Adopté en 1995 lors de la quatrièmeConférence mondiale des Nations Unies (ONU) sur les femmes, le Programme d'Action de Beijing poursuit les objectifs d'éliminer la violence contre les femmes, de garantir l'accès au planning familial et à la santé reproductive, d'éliminer les obstacles à la participation des femmes à la prise de décision et de fournir un emploi décent et un salaire égal pour un travail égal. Vingt-cinq ans plus tard, des progrès importants mais inégaux ont été faits, en grande partie grâce aux efforts incessants de la société civile, mais aucun pays n'a encore atteint l'égalité des genres.
CIVICUS s'entretient avecLyric Thompson, directrice des politiques et du plaidoyer au Centre international de recherche sur les femmes (ICRW), un institut de recherche mondial avec des bureaux situés aux États-Unis, en Inde, au Kenya et en Ouganda. La recherche de l'ICRW cherche à identifier les contributions des femmes, ainsi que les obstacles qui les empêchent de participer pleinement à l'économie et à la société, traduisant leurs conclusions en une stratégie d'action qui honore les droits humains des femmes, garantit l'égalité des genres et crée les conditions pour que toutes les femmes puissent s’épanouir.
Dans quelle mesure la promesse contenue dans le Programme d’action de Beijing s’est-elle traduite par des améliorations concrètes ?
La Déclaration de Beijing a marqué un grand pas historique vers l'égalité des genres, car elle a positionné les droits des femmes en tant que droits humains et renforcé le rôle de la société civile en tant qu'acteur clé. Elle a également contribué à mettre en évidence les réalités des femmes et des filles du monde entier.
Des progrès tangibles ont été réalisés dans les domaines de l’éducation, de la santé maternelle et, de plus en plus, de l’abrogation des lois discriminatoires. Mais les progrès ont été lents et irréguliers, et il y a eu des revers importants. Cela se voit clairement aux États-Unis, qui ont adopté une position générale anti-avortement qui a eu un impact mondial en raison de sa règle du bâillon mondial. Cette règle interdit aux organisations de la société civile (OSC) étrangères qui reçoivent des fonds des États-Unis pour fournir des services de santé de fournir des services d'avortement légal ou même de faire des références envers d’autres services d’avortement, et leur interdit de plaider en faveur d'une réforme de la loi sur l'avortement, même si cela est fait avec les fonds propres des OSC, et non pas des États-Unis. Cette politique est en place depuis les années 1980, mais elle a été renforcée à maintes reprises et ne permet actuellement l'accès à l'avortement que dans des cas extrêmes : viol, inceste ou lorsque la vie d'une femme est en danger.
Comme si cela ne suffisait pas, un certain nombre de défis nouveaux et dynamiques, de l'aggravation de la fracture numérique et de la crise climatique à la pandémie en cours, ont également un impact genré. Par conséquent, les promesses non tenues abondent, notamment en ce qui concerne l'accès à la santé, les droits sexuels et reproductifs et la prévalence de la violence basée sur le genre (VBG).
Le manque de mise en œuvre des politiques et des lois, ainsi que le manque de ressources pour financer le mouvement des droits des femmes, rendent compte actuellement de la stagnation des efforts en faveur de l'égalité des genres. Mais même si toutes les lois étaient appliquées et toutes les politiques étaient mises en œuvre, il n'en demeure pas moins que la plupart des progrès réalisés jusqu'à présent ont été partiels. Bien qu’ils aient été importants et aient fait des progrès significatifs, ils se heurtent également à des limites, car peu d’efforts ont été consacrés à la lutte contre la nature multidimensionnelle et intersectionnelle des formes de discrimination qui affectent les femmes. Pour l'avenir, tous les efforts en faveur de l'égalité des genres et du changement social doivent être fondés sur une compréhension de l'intersectionnalité, de la transformation et de l’émancipation.
La coordination et la collaboration entre des partenaires et des secteurs, y compris les gouvernements, la société civile et le secteur privé, seront également essentielles pour parvenir à un changement transformateur. Il sera également crucial de centrer la prise de décision sur les besoins et les priorités du mouvement des droits des femmes, des leaders féministes, des organisations de base et des jeunes femmes, telles qu'elles les perçoivent elles-mêmes.
Quels sont les principaux domaines d'action sur lesquels il faut mettre l'accent pour que l'objectif de développement durable (ODD) 5 sur l'égalité des genre et l’émancipation des femmes soit atteint d'ici 2030 ?
En nous appuyant sur les priorités énoncées par ONU Femmes, on pense que deux domaines d'action clés sont l'établissement d'un cadre de responsabilisation solide pour les ODD et l'intégration et la priorisation du genre dans tous les ODD, et pas seulement l’ODD 5, étant donné que l'inégalité des genres est un obstacle fondamental à la réalisation de tout objectif de développement mondial. Et en plus d'inclure un objectif spécifique pour atteindre l'égalité des genres, les ODD reconnaissent cette égalité comme un moteur pour obtenir des résultats dans d'autres domaines, notamment la santé, l'éducation et le développement économique.
Étant donné que la mise en œuvre des ODD est principalement dirigée par les États membres, le Secrétaire général des Nations Unies (SGNU) devrait prioriser la participation de la société civile, en mettant un accent particulier sur les organisations féministes, de défense des droits des femmes et de base qui stimulent le changement aux niveaux local et régional.
Comment la pandémie de la COVID-19 a-t-elle affecté les femmes et comment les organisations de défense des droits des femmes ont-elles réagi ?
La pandémie, comme d’autres crises et bouleversements sociaux tout au long de l’histoire, aggrave à tous les niveaux et dans tous les domaines les inégalités contre lesquelles le mouvement pour l’égalité des genres lutte depuis des décennies. Les femmes sont aux premières lignes de la lutte contre la pandémie ; en effet, environ 70% des travailleurs de la santé et des services sociaux dans le monde sont des femmes. Au même temps, l'accès des femmes aux services de santé non liés à la COVID-19 est susceptible de décliner ; si les impacts de la COVID-19 ressemblent à ceux de l'épidémie d'Ebola de 2014-2015, nous pourrions voir des réductions des naissances à l'hôpital, des visites de soins prénatals et du planning familial. Dans le cadre de la pandémie, les femmes supportent également des fardeaux supplémentaires liés aux tâches ménagères et à la garde et à l'éducation des enfants, ce qui peut avoir des répercussions négatives sur le marché du travail, où l'on pourrait voir des revers dans les progrès réalisés à travers les décennies. De même, les confinements imposés pour répondre au COVID-19 ont entraîné un risque accru de VBG.
La société civile a travaillé sur ces questions à tous les niveaux, du local au mondial, pour répondre aux impacts négatifs de la pandémie sur les femmes. De nombreuses organisations de défense des droits des femmes ont saisi la pandémie comme une occasion de renforcer les liens de solidarité et de promouvoir le leadership des femmes dans les plans et politiques de relance. Par exemple, plus de 1 600 personnes et OSC de pays du sud et des communautés mal desservies du nord ont signé une déclaration exigeant une réponse féministe au COVID-19. La proposition identifie une série de politiques globales dans neuf domaines clés : sécurité alimentaire, santé, éducation, inégalités sociales, eau et assainissement, VBG, accès à l'information et abus de pouvoir.
Au niveau régional, des mouvements allant dans le même sens peuvent être observés. En Afrique, par exemple, les OSC et les personnalités féministes ont envoyé une lettre ouverte à l'Union africaine pour exiger une reprise économique féministe coordonnée post-COVID-19. La société civile a également formé des coalitions nationales pour exiger des approches similaires dans chaque pays. Aux États-Unis, une Coalition pour une politique étrangère féministe a été formée pour promouvoir une politique étrangère qui promeut l'égalité des genres, les droits humains, la paix et l'intégrité environnementale. ICRW est membre du Comité directeur de la Coalition et, à ce titre, a contribué à cette innovation politique qui vise à introduire une approche transformatrice avec une perspective de droits dans la politique étrangère de notre pays, qui n'inclut pas les femmes comme un agrégat ex post, mais en intégrant le genre dans chaque politique et chaque initiative. Il existe des précédents pour l'adoption de cette approche dans plusieurs pays, dont la Suède en 2014, le Canada en 2017, la France et le Luxembourg en 2019 et le Mexique au début de 2020. Nous considérons qu’il est temps que les États-Unis la mettent également en œuvre.
Afin de souligner à quel point cette politique est innovatrice il suffit de remarquer que depuis plusieurs décennies, les gouvernements ont traité l'inégalité de genre comme distincte et déconnectée de questions « dures » et importantes, telles que le commerce ou la sécurité nationale ; les questions de genre étaient considérées comme faisant partie de la diplomatie « douce ». Ce n'est qu'au milieu des années 1990 que l'ONU a publié une déclaration établissant officiellement l'égalité de genre comme une priorité mondiale et élargissant la perspective afin de la traiter comme faisant partie de systèmes inégaux plus larges, et la suite est Histoire. Une politique étrangère féministe n'est que la dernière version de cette approche évolutive, basée sur un nombre croissant de recherches académiques suggérant qu'une participation économique, politique et sociale accrue des femmes peut aboutir à un monde plus riche et plus pacifique, en établissant un lien direct entre l'égalité de genre et la sécurité nationale.
Pourriez-vous nous parler de la Campagne pour une ONU féministe, dont l'ICRW fait partie ?
On pense qu’un coup de pouce mondial est nécessaire : les gouvernements doivent prendre des engagements internationaux plus forts pour promouvoir l’égalité de genre. Cela signifie adopter une approche féministe dans l'élaboration des politiques, s'assurer que ce programme est financé de manière adéquate et créer des mécanismes de responsabilisation.
La Campagne pour une ONU féministe, lancée en 2016, est un effort pour créer une proposition collective afin d’apporter un changement réel et significatif dans les droits des femmes et l'égalité de genre aux Nations Unies - dans toutes ses politiques et programmes - et évaluer chaque année les progrès dans cette optique. La campagne rassemble des penseuses et activistes féministes de premier plan de la société civile, de la philanthropie et du monde universitaire, ainsi que d'anciens responsables de l'ONU autour d'un programme commun. Cet agenda requiert non seulement du leadership visible et proactif du SGNU, mais aussi une réforme de l'ensemble du système pour surmonter les obstacles internes de l'organisation.
Début 2017, la campagne a élaboré un « bulletin scolaire » en réponse aux déclarations du SGNU, António Guterres, lors de sa prise de fonction, dans lesquelles il s'est identifié comme féministe. Ce bulletin évalue la performance du SGNU dans six domaines :
- Élaboration et mise en œuvre d'un programme féministe pendant le mandat du SGNU;
- Mise en œuvre et responsabilité solides pour les ODD, liées aux instruments et forums sur les droits des femmes;
- Financement transparent et responsable pour l'égalité de genre;
- Le leadership des femmes au sein du système des Nations Unies et la protection des droits des femmes en son sein;
- Institutions et forums des droits des femmes plus forts et plus féministes au sein des Nations Unies;
- Une plus grande liberté d'information dans le système des Nations Unies.
Pour évaluer les progrès et préparer des bulletins, la Campagne mène des entretiens avec des experts de l'ONU et des acteurs de la société civile, administre une enquête mondiale de la société civile et analyse des discours clés, des publications sur les réseaux sociaux, des rendez-vous, des voyages et d'autres initiatives. Les bulletins ont été publiés chaque année pendant ce mandat du SGNU et la campagne prépare actuellement sa quatrième édition.
Le troisième bulletin publié par la Campagne a attribué au Secrétaire général une note médiocre. Pouvez-vous nous en dire plus sur les résultats et leurs implications ?
Les réstultats du troisième bulletin ne sont pas aussi solides que nous le souhaiterions. Alors que le SGNU Guterres a bien performé dans quelques domaines - comme le plaidoyer pour la parité, par exemple, qui est devenu son thème privilégié - les progrès ont été moins prononcés dans d'autres domaines, tels que l’augmentation du financement des droits des femmes ou de la liberté d'information au sein du système.
Selon le bulletin, les messages publics de Guterres sur les droits des femmes et l'égalité des genres ont en fait augmenté en 2019 : ses discours sur l'égalité des genres ont triplé et il a continué d'afficher des références « féministes ».
Les progrès dans le sens de la parité entre les sexes au sein de l'ONU se sont poursuivis à un rythme ininterrompu, même si les réactions négatives à son encontre ont également augmenté. Les progrès ont été bloqués par l'inertie bureaucratique, les fonds limités et l'opposition interne.
Il y a cinq domaines spécifiques dans lesquels nous aimerions voir plus de progrès. Premièrement, dans la prioriisation de l'implication de la société civile et du féminisme dans tous les processus mondiaux et dans les processus des Nations Unies. Deuxièmement, dans la favorisation d’une plus grande transparence dans les activités et les engagements financiers de l'ONU. Troisièmement, sur la politique de tolérance zéro pour le harcèlement sexuel dans tout le système des Nations Unies et la fin de l'exploitation et des abus sexuels dans tous les domaines, y compris les opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Quatrièmement, la pleine mise en œuvre de l'ODD 5, c'est-à-dire la mise en œuvre de toutes ses composantes - y compris celles que les États membres sont les plus susceptibles de remettre en question, comme la santé et les droits sexuels et reproductifs - et l'intégration du genre dans tous les ODD. Et cinquièmement, dans l’établissement d’une plus grande responsabilité sur les questions liées à l'égalité de genre, au leadership intergénérationnel, à la solidarité, à la collaboration et à l'intersectionnalité, au financement de programmes, mouvements et initiatives sur les droits des femmes, au changement des relations de pouvoir et à la plus grande inclusivité et l’élargissement de la prise de décisions.
Entrez en contact avec le Centre international de recherche sur les femmes via sonsite Web ou sa pageFacebook, et suivez@ICRW et@lyricthompson sur Twitter.
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ARGENTINE : « Le changement culturel a permis le changement juridique et le changement juridique a approfondi le changement culturel »
Dix ans après l’approbation en Argentine de la loi sur le mariage pour tous, qui a marqué un jalon pour l’Amérique latine, CIVICUS s’entretient avec la dirigeante LGBTQI+ María Rachid sur les stratégies utilisées et les tactiques qui ont le mieux fonctionné pour faire avancer l’agenda de l’égalité, et qui peuvent encore être utiles aujourd’hui. María dirige actuellement l’Institut contre la Discrimination du Défenseur des peuples de la ville de Buenos Aires et fait partie de la Commission Directive de la Fédération Argentine de Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Trans (Fédération Argentine LGBT). En 1996, elle a fondé l’organisation féministe lesbienne La Fulana et en 2006, elle a cofondé la Fédération argentine LGBT, qui rassemble des organisations de diversité sexuelle et a joué un rôle central dans l’approbation de la loi sur le mariage pour tous.
Quelle était la situation de la diversité sexuelle en Argentine lorsque la campagne pour le mariage pour tous a commencé ?
Nous venions d'une situation où la relation des organisations de diversité sexuelle avec l'État était de confrontation. C'était de l'État que provenaient la plupart des discriminations, violences et harcèlement envers la communauté LGBT+, et en particulier envers les personnes trans, à travers les forces de sécurité et les institutions en général. La discrimination était permanente et l’incapacité d’accéder aux droits était constante. C'est pour cela que dans les années 80 et 90, nous faisions des escraches, c’est-à-dire, des manifestations de répudiation par honte publique, devant les commissariats de police, afin de dénoncer la police et les outils qu'elle employait, tels que les codes d'infraction et la loi sur le casier judiciaire, et nous avons rencontré d'autres organisations de défense des droits humains qui se battaient pour la même cause. Les outils de discrimination de l'État étaient utilisés contre divers groupes ; nous étions l'un d'entre eux, mais il y en avait d'autres qui étaient également harcelés et persécutés avec les mêmes outils qui alimentaient la petite caisse de la police.
Après l'énorme crise économique, sociale et politique de 2001, il y a eu un affaiblissement des institutions et un renforcement de la mobilisation sociale. Très opportunément, à ce stade, la Communauté Homosexuelle Argentine (CHA), l'une des plus anciennes organisations de diversité sexuelle dans le pays, a présenté un projet d'union civile à l'Assemblée législative de la ville de Buenos Aires, la capitale. La loi qui a fini par être approuvée était très courte, de moins d'une page, et établissait fondamentalement que dans la ville de Buenos Aires, les couples de personnes du même sexe devraient être traités d'une manière « similaire » aux mariages hétérosexuels. Bien sûr, le projet original ne disait pas « similaire », mais l'expression a été introduite pour garantir son approbation. Aujourd’hui, cela serait perçu comme humiliant, mais dans ce contexte, c’était une énorme réussite. Parallèlement à cette loi, d'autres projets ont également été approuvés, reflétant également des revendications de la citoyenneté mobilisée, tel que l'expropriation d'une entreprise récupérée par ses travailleurs et l'établissement de normes pour permettre le travail des cartonniers.
Après l'approbation de la loi sur l'union civile à Buenos Aires, nous avons commencé à réfléchir à la prochaine étape. Certaines organisations ont proposé d'étendre l'union civile à d'autres districts, comme cela s'est produit plus tard dans la province de Río Negro et dans la ville de Córdoba, et d'essayer de l'étendre au niveau national. Mais d'autres organisations ont commencé à réfléchir à l'idée du mariage, même si à cette époque-là cela semblait fou, car seuls deux pays dans le monde le reconnaissaient - la Belgique et les Pays-Bas – et il s’agissait deux pays culturellement très différents de l’Argentine, sans une Église catholique politiquement influente, qui constitue l’obstacle principal à la reconnaissance de nos droits.
Comment l’impossible est-il devenu réalisable ?
Dans ce contexte de violence institutionnelle, où il n'y avait eu qu'une petite avancée grâce à laquelle nos couples seraient traités de manière « similaire » aux couples hétérosexuels dans certains parties du pays, certaines choses ont commencé à changer, tant au niveau national qu’international, qui ont placé l'aspiration à l'égalité sur le terrain du possible.
L'une de ces choses était qu'en 2003, le gouvernement récemment inauguré de Néstor Kirchner a abrogé les soi-disant « lois sur l'impunité », qui empêchaient la poursuite ou l'exécution de peines contre les auteurs de crimes contre l'humanité commis pendant la dernière dictature. C'était un changement du paradigme des droits humains en Argentine, et au début nous nous sommes demandé si cette fois cela nous inclurait. Depuis le retour à la démocratie on avait parlé des droits humains dans notre pays, mais ils ne nous avaient jamais inclus. Les personnes trans continuaient d'être persécutées, détenues et torturées dans les commissariats de police. Mais avec l'abrogation des lois sur l'impunité, nous pensions que les choses pouvaient changer.
Peu de temps après, en 2004, nous avons été convoqués à élaborer un plan national contre la discrimination. C'était la première fois que l'État convoquait les organisations de la diversité à développer un plan de politique publique qui allait comporter un chapitre spécifique sur la diversité. Nous y sommes allés avec méfiance, pensant que nos propositions allaient rester dans le tiroir d'un fonctionnaire. Nous avons fait notre diagnostic et nos propositions, nous avons participé à beaucoup de rencontres dans différentes provinces et nous avons pensé que tout n'aboutirait à rien. Mais avant longtemps, on nous a appelés et demandés si nous pouvions revoir le plan avant sa publication, car on voulait s'assurer que nous étions d'accord avec le contenu. Nous avons commencé à le regarder en pensant qu'ils auraient sûrement effacer tout ce que nous avions écrit, mais tout était là, rien ne manquait. Il y avait l'égalité des droits, il y avait la reconnaissance de l'identité de genre des personnes trans, il y avait tout sauf le mariage pour tous, car en 2004, même les organisations de la diversité ne parlaient pas du mariage pour tous en Argentine. Nous ne l'avons jamais mentionné dans les réunions et pour cette raison, même s'il incluait l'objectif « d'assimiler les droits des couples de même sexe à ceux des familles hétérosexuelles », il ne mentionnait pas expressément le mariage pour tous. Le Plan National contre la Discrimination est sorti par décret présidentiel : ainsi, nos revendications historiques ont été traduites en un plan de politique publique et c'est le président lui-même qui a dit à ses fonctionnaires ce qu'ils avaient à faire en matière de diversité sexuelle, ce qui était exactement ce que nous avions réclamé.
Au milieu de ce changement de paradigme des droits humains qui pour la première fois semblait inclure la diversité sexuelle, il y a eu un énorme changement au niveau international : en 2005 le mariage pour tous a été approuvé en Espagne, un pays culturellement similaire au nôtre et avec une forte présence de l'Église catholique. En effet, l'Église avait rallié un million et demi de personnes dans les rues contre l'égalité du mariage en Espagne, et la loi avait été adoptée tout de même. Dans un contexte aussi favorable tant au niveau national qu'international, un groupe d'organisations de la diversité sexuelle s'est réuni pour lutter pour le mariage pour tous en Argentine.
Quel était le rôle de la Fédération Argentine LGBT dans la promotion du mariage pour tous ?
La Fédération Argentine LGBT a été créée précisément à cette époque, à partir de la convergence d'un certain nombre d'organisations avec une grande expérience non seulement dans la ville de Buenos Aires mais aussi dans plusieurs provinces, pour plaider en faveur d'un agenda qui avait initialement cinq points. Premièrement, le mariage pour tous avec la possibilité d’adoption d’enfants ; nous avons spécifiquement demandé la reconnaissance du droit d’adoption car nous avons vu que dans certains pays, il a fallu renoncer à l’adoption pour obtenir l’approbation du mariage pour tous. Deuxièmement, une loi sur la reconnaissance de l’identité de genre. Troisièmement, une loi anti-discrimination au niveau national. Quatrièmement, l’inclusion de la diversité dans un programme d’éducation sexuelle. Et cinquièmement, l’abrogation des articles des codes d’infraction qui, dans 16 provinces, criminalisaient toujours « l’homosexualité » et le « travestissement », en ces termes.
La Fédération a réuni presque toutes les organisations importantes travaillant autour de la diversité sexuelle ; seules deux anciennes organisations ont été laissées de côté, la CHA et la SIGLA (Société d’Intégration des Gays et Lesbiennes), très en désaccord l’une avec l’autre et dirigées presque entièrement par des hommes, avec très peu de participation des femmes. Cependant, la SIGLA a soutenu la Fédération sur tout le chemin vers le mariage pour tous, tandis que la CHA était en désaccord avec cette proposition car elle pensait qu'en Amérique latine, étant donné la forte présence de l'Église catholique, ce ne serait pas possible, et donc elle a continué à parier sur l'union civile.
Quelles ont été les principales stratégies et tactiques utilisées ?
La première chose que nous avons faite a été de convoquer des activistes de différentes professions et de différentes disciplines. Nous avons constitué une équipe d'avocats et une équipe de communicateurs, nous avons convoqué une table de journalistes et nous avons constitué des équipes qui pourraient apporter différentes contributions à la campagne.
Nous pensions que nous devions emprunter toutes les voies possibles en même temps. Nous avons d'abord examiné les différentes voies par lesquelles ces lois avaient été adoptées ailleurs. Par exemple, au moment où nous avons déposé le premier appel judiciaire, le mariage pour tous avait déjà été prononcé en Afrique du Sud par la Cour suprême. Nous avons également étudié les débats qui avaient eu lieu dans différents pays du monde, non seulement sur le mariage pour tous, mais aussi sur d'autres questions telles que le vote des femmes, le mariage civil, le divorce et les droits sexuels et reproductifs. Les arguments utilisés pour nier les droits étaient toujours identiques, et ils s’appuyaient sur le fondamentalisme religieux.
La conclusion de notre analyse était qu’il fallait emprunter simultanément les voies du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. Dans le même temps, nous devions nous adresser aux médias et porter la question à l'attention du public. Cela nous est apparu clairement après une rencontre avec le ministre de l’Intérieur de l’époque, qui nous a dit que nous avions l’accord du pouvoir exécutif, mais que nous devions créer les conditions pour ne pas perdre le vote au Congrès. Depuis lors, nous avons travaillé pendant des années pour atteindre l’opinion publique et créer ainsi les conditions pour faire pencher la balance en notre faveur au Congrès.
En 2007, nous avons présenté le premier appel à la protection pour le mariage pour tous ; nous en présenterions plus d’une centaine. À la suite d’une injonction, en 2009, un couple homosexuel a réussi à se marier avec une autorisation judiciaire à Ushuaia, et en 2010 huit autres couples ont pu se marier, dont un couple de lesbiennes, dans la ville et dans la province de Buenos Aires. À ce moment-là, nous avions changé de stratégie : au début, nous avions plaidé dans la juridiction civile de la famille, où la présence de l’Opus Dei et de son catholicisme pur et dur était très forte. De nombreux juges civils de famille étaient des militants de l’Église catholique et en particulier de l’Opus Dei, il était donc très difficile d’obtenir une décision favorable dans cette juridiction. Le changement s’est produit lorsque nous nous sommes rendu compte que, comme nous introduisions une action judiciaire contre le Registre civil, dépendant du gouvernement de la ville de Buenos Aires, nous pouvions recourir au tribunal contentieux administratif et fiscal dès lors que l’Etat était partie au conflit. Comme il s’agit d’une juridiction qui traite principalement de questions liées à la fiscalité, et qu’en Argentine l’Église catholique est exonérée d’impôts, nous n’allions pas y trouver des juges militants de l’Église catholique ou de l’Opus Dei, car c’est une juridiction qui n’a pas d’intérêt politique pour eux. Dès ce changement de stratégie, toutes les décisions dans la ville et la province de Buenos Aires ont été prises en notre faveur.
Bien qu'au départ nous ayons pensé aux amparos (procédure de protection des droits fondamentaux) de manière assez littérale, comme un moyen d'obtenir un soutien judiciaire pour nos revendications, ceux-ci ont fini par être avant tout une excellente stratégie de communication, car chacun de ces litiges est devenu une histoire que nous racontions au public sur les raisons pour lesquelles le mariage pour tous était juste, nécessaire et opportun. A cette fin, nous avons beaucoup encadré les couples qui déposaient leurs pétitions d’amparos, en particulier les premiers, dont nous savions qu’ils bénéficieraient d’une grande exposition médiatique. Cela a donc fini par être une stratégie de communication plus qu’une stratégie judiciaire.
Comment avez-vous conquis l'opinion publique ?
Nous avons beaucoup travaillé avec les médias. Nous organisions des petits-déjeuners avec des journalistes, dans un premier temps seulement avec quelques-uns qui étaient nos alliés, mais par la suite, ces réunions se sont élargies. Nous avons tellement travaillé dans ce domaine que, les derniers mois du débat, on ne trouvait plus de tribunes contre le mariage pour tous, pas même dans le journal traditionnel La Nación, qui ne s’y est opposé qu’à travers ses éditoriaux, puisque les articles signés par ses journalistes lui étaient favorables. En d’autres termes, même dans les médias hostiles, les journalistes ont fini par être nos alliés. Nous avons préparé une brochure pour les communicants expliquant en quoi consistait le projet de loi, pourquoi il était important, quels étaient nos arguments. Nous avons également préparé des spots publicitaires, mais comme nous n’avions pas les moyens de le diffuser, nous avons demandé aux journalistes et aux responsables des médias de les transmettre comme un composant de leur programme, ce qu'ils ont fait en grand nombre. Ces spots étaient amusants et attiraient beaucoup l'attention.
Pour gagner du soutien, nous devions montrer à la société le soutien que nous recevions déjà dans certains secteurs, et de la part de personnes bien connues. Nous avons donc commencé par publier une liste de supporters, qui au début était très courte, mais qui a fini par devenir une énorme newsletter contenant les noms de toutes les fédérations syndicales, de nombreuses organisations, des référents politiques de presque tous les partis, de personnalités du monde de l’art, des médias, de la religion.
À l’approche du débat parlementaire, nous avons commencé à organiser des événements, généralement au Sénat, pour montrer le soutien que nous recevions dans différents secteurs. Ces évènements ont reçu une large couverture par les médias. L’événement « La culture dit oui au mariage pour tous » a réuni des musiciens et des artistes ; l’événement « La science dit oui au mariage pour tous » a réuni des académiques et des scientifiques, et nous avons recueilli 600 signatures d’universités, de chercheurs et d’associations professionnelles de psychologie et de pédiatrie, entre autres. Contrairement aux précédents, nous avons organisé l’événement « La religion dit oui au mariage pour tous » dans une église évangélique au quartier de Flores, auquel ont participé des prêtres catholiques, des rabbins et des rabbines, des pasteurs évangéliques et d’autres églises protestantes. Au-delà de ce que nous pensions individuellement des religions et de la séparation de l’Église et de l’État, nous voulions montrer aux gens qu’ils n’avaient pas besoin de choisir entre leur religion et le mariage pour tous, car ils pouvaient être en faveur du mariage pour tous quelle que soit leur orientation religieuse. À cause de leur participation à l'événement, le lendemain, quelques prêtres catholiques ont été expulsés de l'église.
Comment ces manifestations de soutien ont-elles aidé à modifier des positions de législateurs ?
Dès le départ, nous avons utilisé la stratégie du lobbying en affichant ce soutien, ainsi que ceux qui émergeaient des sondages d'opinion. La première enquête que nous avons eue a été réalisée par le journal Página/12 et montrait que dans la ville de Buenos Aires, le taux d'approbation dépassait le 60 %. Peu de temps après, le gouvernement a commandé une enquête très importante, qui était même basée sur des groupes de discussion dans les provinces, ce qui nous a permis non seulement de savoir si les gens étaient pour ou contre, mais aussi quels arguments étaient les plus efficaces. Dans les groupes de discussion, nous avons présenté différents arguments en faveur du mariage pour tous et nous avons observé les réactions des gens ; nous avons ainsi identifié les arguments qui fonctionnaient le mieux.
Bien sûr, nous avons toujours montré la partie de l'enquête qui nous convenait le mieux, parce que les réponses dépendaient beaucoup de la manière dont la question était posée. Par exemple, lorsque nous avons demandé aux gens s'ils croyaient que les personnes homosexuelles et hétérosexuelles avaient les mêmes droits, environ 90 % ont répondu oui ; mais si nous leur demandions s'ils acceptaient qu’elles puissent se marier, le pourcentage tombait à 60% ; et si nous leur posions la question sur les droits d'adoption, l'approbation tombait à 40 %. Mais si nous les informions qu'en réalité les personnes homosexuelles en Argentine étaient déjà légalement autorisées à adopter de manière individuelle, et nous leur demandions ensuite s'ils accepteraient de retirer ce droit, la majorité disait non. Si seulement 40 % était en principe favorable à l’autorisation de l’adoption par des couples de personnes du même sexe, plus de 50 % refusaient de l’interdire si elle était déjà autorisée. Une partie de la discussion a donc consisté à informer les gens et à expliquer que les enfants adoptés par des personnes homosexuelles ne bénéficieraient que de la moitié de leurs droits, car, leurs parents ne pouvant se marier, l’un d’eux ne pourrait pas, par exemple, leur laisser une pension. Quand nous leur avons demandé s’ils pensaient que ces personnes devraient pouvoir se marier pour que leurs enfants bénéficient de tous leurs droits, plus du 80 % ont répondu par l’affirmative.
Grâce à notre travail d'argumentation, le soutien n'a cessé de croître tout au long de la campagne, à tel point que nous avons commencé à recevoir des marques de soutien inattendues, comme celle du centre étudiant d'une université catholique qui nous a appelés pour nous rejoindre. Au final, je dirais que toutes les personnalités du monde de l'art, de la culture, des syndicats et du journalisme nous ont soutenus. Ceux qui continuaient à s'opposer représentaient certaines religions, mais parmi nos partisans, il y avait également de nombreuses personnalités religieuses. Avec les chiffres de l'opinion publique et les listes de partisans en main, nous avons fait le tour des commissions parlementaires et des chambres législatives, et nous avons opéré politiquement pendant les débats jusqu'au moment même où la loi a été approuvée.
Je pense que la stratégie consistant à parcourir toutes les voies possibles, à avoir une grande capacité de dialogue et d'articulation, et à rechercher tous les alliés possibles, a été très réussie. Même à une époque de forte polarisation politique, nous avons parlé avec tous les partis, avec les jeunes et les groupes féministes des partis, avec certains alliés LGBT+ des partis, et plus tard, au fur et à mesure qu'ils sont apparus, avec les divisions de diversité des partis. C'était très difficile, mais dans la lutte pour le mariage pour tous, nous avons réussi à prendre la « photo impossible », dans laquelle des politiciens du gouvernement et de l'opposition se sont alignés derrière la même cause.
Pour changer la loi, il fallait d'abord générer un changement des attitudes sociales. Pensez-vous que l'adoption de la loi a entraîné d'autres changements sociaux et culturels plus profonds ?
L'approbation de la loi a généré un certain climat dans la société, je dirais même de fierté d'être le dixième pays au monde à avoir consacré le mariage pour tous. Le secteur politique qui avait voté contre la loi se sentait exclu et ne voulait pas que cela se reproduise, ce qui s'est reflété dans l'approbation, en 2012, de la loi sur l'identité de genre, bien plus révolutionnaire que celle du mariage pour tous, pratiquement à l'unanimité. Il s'agit d'une loi à la pointe dans le monde entier, et même les plus grands opposants au mariage pour tous l'ont défendue et ont voté pour elle au Sénat.
Ces lois ont eu de grands impacts institutionnels et l'action institutionnelle a approfondi le changement culturel. Après son approbation, tous les ministères, de nombreuses municipalités et de nombreuses provinces ont mis en place des espaces de diversité sexuelle. En conséquence, il s'est avéré qu'il y avait de nombreuses agences publiques à différents niveaux générant des politiques publiques sur la diversité, qui ont eu un impact dans de nombreux domaines, y compris les écoles. Cela a généré un changement culturel important, car il a modifié la perception de nos familles. Bien sûr, il existe des poches de résistance et des actes de discrimination continuent à se produire, mais maintenant ces actes de discrimination sont signalés et répudiés par la société et la condamnation sociale est amplifiée par le journalisme et les médias. La discrimination, qui dans le passé était légitimée par l'État, manque désormais de légitimité. L'État non seulement ne la légitime plus mais génère également des politiques publiques en faveur de la diversité. La loi n'a jamais été notre objectif ultime et ce n'est pas non plus une solution miracle pour mettre fin à la discrimination, mais c'est un outil sans lequel il est impossible de mettre fin à la discrimination.
L'espace civique en Argentine est classé « étroit » par leCIVICUS Monitor. Contactez María via sonsiteweb ou sa pageFacebook, et suivez@Defensorialgbt sur Twitter. Contactez la Federation Argentine LGBT via son siteweb ou sa pageFacebook, et suivez @FALGBT sur Twitter.
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CHILI : « Ce moment historique est un accomplissement de la part des citoyens »
CIVICUS s’entretient avec Marcela Guillibrand De la Jara, directrice exécutive du Réseau chilien de volontaires et coordinatrice générale de Ahora Nos Toca Participar. Le Réseau de volontaires est une plateforme nationale qui rassemble des organisations de la société civile (OSC) chilienne promouvant le volontariat. Ahora Nos Toca Participar est une initiative d’organisations sociales regroupées dans le Nouveau Pacte Social (NPS-Chili) qui cherche à contribuer au renforcement de la démocratie et de la cohésion sociale en promouvant la participation des citoyens au référendum sur la réforme constitutionnelle prévu pour octobre 2020 et au processus constituant qui devrait commencer avec lui. La campagne se concentre sur l’éducation des citoyens, la création d’espaces de dialogue et la génération de propositions pour alimenter le processus constituant.
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HONGRIE : « Les personnes transgenres se voient retirer leurs droits »
Une nouvelle loi, adoptée en Hongrie en pleine pandémie de COVID-19, empêche les personnes transgenres de changer le genre sur leurs documents. CIVICUS s’entretient avec Krisztina Kolos Orbán, au poste de vice-présidence de l’association Transvanilla Transgender, une organisation hongroise qui défend les droits des personnes transgenres. Fondée en tant qu’initiative populaire en 2011, Transvanilla est la seule organisation enregistrée en Hongrie qui se concentre exclusivement sur les droits des personnes transgenres et les questions de non-conformité de genre. Elle milite pour la promotion de la reconnaissance du genre et des soins de santé trans-spécifiques au niveau national. Elle surveille également la discrimination et la violence fondées sur l’expression et l’identité de genre, et facilite l’organisation d’espaces et d’événements communautaires pour accroître la visibilité des questions et des personnes transgenres en Hongrie.
Quelle a été la situation des droits LGBTQI+ en Hongrie ces dernières années ?
En 2012, ILGA Europe a classé la Hongrie au 9ème rang sur 49 pays européens en termes de droits LGBTQI+, mais en 2019, nous avons reculé à la 19ème place et en 2020, nous avons de nouveau chuté à la 27ème place. L’année dernière, c’est la Hongrie qui a connu la plus forte baisse de son classement, et ce pour plusieurs raisons. En 2012, les choses semblaient plutôt positives sur le papier, mais depuis, de nouvelles mesures ont été introduites car le contexte des droits humains a changé. La Hongrie n’a pas fait de progrès ni suivi les recommandations internationales. L’autre facteur est l’énorme recul que nous avons connu ces dernières années. Auparavant, ce gouvernement n’avait pas supprimé les droits des personnes, même s’il avait certainement essayé, et nous savions qu’il ne soutenait pas les droits des personnes LGBTQI+. Mais maintenant nos droits nous sont retirés.
En ce qui concerne les droits des transgenres, notre législation contre la discrimination et les crimes haineux, qui semble être assez bonne, mentionne spécifiquement l’identité de genre. Mais cela n’existe que sur le papier, car jusqu’à présent, aucun crime haineux motivé par l’identité de genre n’a été traduit en justice. De même, il y a eu très peu d’affaires axées sur la lutte contre la discrimination, car la loi n’est pas appliquée. Il n’existe pas de plan d’action national pour lutter contre la discrimination fondée sur l’identité de genre.
Par conséquent, les droits des personnes transgenres n’ont jamais été légalement garantis. En termes de reconnaissance légale du genre et de soins médicaux spécifiques pour les personnes transgenres, il n’existe pas de lois ou de directives nationales. Toutefois, les pratiques se sont améliorées. Depuis 2003, les personnes transgenres peuvent modifier leur certificat de naissance, changer leur identité de genre et leur nom sur la base d’un diagnostic de santé mentale, sans autre intervention médicale. À l’époque, c’était incroyable. Le gouvernement avait promis de légiférer à ce sujet, mais ne l’a pas fait. Jusqu’à présent, aucun gouvernement ne s’est même penché sur la question. En conséquence, il n’existe aucune législation pour soutenir ces procédures administratives, qui n’ont même pas été annoncées sur le site web du gouvernement. Pendant un certain temps, tout allait bien, car la pratique était fiable et les procédures étaient plutôt favorables aux personnes transgenres. Les personnes qui ont fourni les documents requis ont pu changer leur certificat de naissance et le processus a été relativement facile et rapide. Mais le fait que cette pratique ne soit pas protégée par la loi n’est pas un détail mineur. Aujourd’hui, cette pratique a été rendue illégale. C’était un grand pas en arrière.
En 2020, le Parlement a adopté, par 133 voix contre 57, une nouvelle réglementation qui ne reconnaît que le sexe attribué à la naissance et empêche les personnes transgenres de changer légalement de sexe et d’obtenir de nouveaux documents. Les dispositions sont contenues dans l’article 33 d’un projet de loi omnibus qui a été introduit le 31 mars et adopté le 19 mai. L’article 33 est en contradiction non seulement avec les normes internationales et européennes en matière de droits humains, mais aussi avec les précédents arrêts de la Cour constitutionnelle hongroise, qui a clairement indiqué que le changement de nom et d’identité de genre est un droit fondamental des personnes transgenres. En 2016, puis en 2018, le commissaire aux droits fondamentaux a publié des rapports indiquant que les autorités devraient adopter une législation adéquate pour consacrer ce droit fondamental.
Ce changement juridique s’inscrit dans le cadre de l’offensive contre le genre menée par le parti chrétien-démocrate, qui fait partie de la coalition gouvernementale. Ce parti a déjà interdit les études de genre et affirmé que le genre n’existe pas, puisqu’il n’y a même pas de mots distincts pour le sexe et le genre dans la langue hongroise. Cependant, l’année dernière, elle a eu recours à l’utilisation du mot « genre » en anglais pour attaquer le genre en tant que concept. Cela fait donc partie d’une offensive plus large contre la soi-disant « idéologie du genre ». La protection de ce que la nouvelle loi appelle le « sexe à la naissance » fait partie de cette offensive. Au cours des six dernières années, nous avons travaillé à l’élaboration d’une législation sur ces questions et, au départ, nous pensions que les autorités souhaitaient également s’en occuper, mais après un certain temps, il nous est apparu clairement que nos initiatives étaient bloquées.
Il est difficile de travailler avec les autorités. Elles ne nous donnent pas beaucoup d’informations. Nous n’avons pas accès aux fonctionnaires ayant un pouvoir de décision, nous ne pouvons donc parler qu’à des fonctionnaires de rang inférieur, qui ont manifestement peur de nous donner des informations. Il n’y a pas de débat public et la société civile n’est pas impliquée. Nous n’avons pas été consultés sur les changements apportés concernant le Registry Act. Cette proposition émanait du gouvernement, et plus particulièrement des membres chrétiens de la coalition gouvernementale, et était soutenue par des organisations de la société civile (OSC) qui défendent les soi-disant « valeurs familiales ». Le moment choisi a également soulevé de nombreuses questions : pourquoi était-il si important d’aborder cette question en pleine pandémie ? Pourquoi maintenant, et pourquoi de cette manière ?
Quelles sont les principales restrictions aux libertés d’organisation, d’expression et de protestation que connaît la communauté LGBTQI+ hongroise ?
En Hongrie, il existe une loi sur les ONG qui oblige les OSC dont les revenus dépassent un certain montant à s’enregistrer si elles reçoivent des fonds étrangers. Le seuil est relativement bas, si bien que de nombreuses OSC, dont nous-mêmes, doivent s’enregistrer. Il existe une liste des OSC financées par des fonds étrangers qui est publiée et que tout le monde peut consulter. Ce n’est pas un secret que nous recherchons des fonds étrangers parce que nous ne pouvons pas accéder à des fonds en Hongrie. Le gouvernement qualifie les OSC, et notamment celles qui le critiquent, d’« ennemis » du peuple hongrois. Évidemment, cela a également affecté les organisations LGBTQI+.
Il ne s’agit pas seulement de rhétorique. Dans la pratique, le gouvernement ne consulte pas les OSC qui sont indépendantes ou qu’il n’aime pas, notamment notre organisation. Les instructions visant à marginaliser ces organisations viennent du sommet du gouvernement, et si certains fonctionnaires de niveau inférieur peuvent essayer de nouer le dialogue avec nous, ils n’y sont pas autorisés. Comment les OSC peuvent-elles mener des actions de sensibilisation ou traiter avec les autorités si les fonctionnaires n’ont aucun contact avec elles ?
En outre, la plupart des médias sont contrôlés par le gouvernement, et le reste tend à avoir une perspective néolibérale, ce qui en rend généralement difficile l’accès aux organisations ayant un programme différent, comme Transvanilla.
Notre liberté de mener nos activités légitimes est également remise en question. L’année dernière, par exemple, plusieurs attaques ont été perpétrées contre des événements organisés pendant le mois de la Fierté. Un événement de speed dating pour les personnes pansexuelles qui avait été organisé par Transvanilla a été perturbé par des militants d’extrême droite. Nous n’avons pas pu poursuivre l’événement et la police ne nous a pas protégés. Les militants d’extrême droite ont filmé les participants pendant plus d’une heure et nous n’avons pas été autorisés à fermer les portes. Ils agissaient manifestement dans l’illégalité, mais la police n’a pris aucune mesure à leur encontre. Dans d’autres cas, des militants d’extrême droite ont détruit ou endommagé des lieux de réunion. Il s’agissait de situations nouvelles : par le passé, lorsque de telles choses se produisaient, nos événements bénéficiaient d’une protection policière.
Année après année, des tentatives ont également été faites pour interdire les événements de la Fierté, mais les tribunaux ont statué qu’ils ne pouvaient pas être interdits. C’est un combat permanent. Les autorités ont clôturé les itinéraires du défilé des Fiertés sous le prétexte de protéger les marcheurs, mais il s’agissait en fait d’une tentative flagrante de restreindre leurs déplacements.
Comment la communauté LGBTQI+ a-t-elle réagi à l’adoption de la nouvelle loi ?
Cela a été un événement traumatisant parce que c’était clairement une attaque contre nous. Cet amendement ne concerne que les personnes transsexuelles et intersexes qui souhaitent changer leur identité de genre et les personnes trans qui, bien que ne souhaitant pas changer leurs identités de genre, aimeraient tout de même changer leur nom, ce qui n’est plus possible en Hongrie. Mais toutes les personnes LGBTQI+ se sentent désormais comme des citoyens de seconde zone, des parias qui ne sont pas respectés par le gouvernement.
Personnellement, en tant que personne non-binaire, la loi a eu un grand effet sur moi, car mon identité était loin d’être reconnue dans mes documents, et maintenant j’en suis encore plus loin. Beaucoup de mes amis qui étaient sur le point de changer leur identité légale de genre sont dans l’incertitude. Au moins une centaine de dossiers initiés avaient déjà été suspendus au cours des deux dernières années et demie parce que les demandes n’étaient pas évaluées. Ces gens ont perdu tout espoir. Ils sont frustrés et dévastés.
Il y a aussi la peur parce que nous ne savons pas ce qui va suivre, ce qui nous attend. Bien que la loi puisse être contestée, cela pourrait prendre de nombreuses années. Et même si nous nous débarrassons de cette loi, la situation risque de ne pas s’améliorer. Certaines personnes ont des sentiments suicidaires, beaucoup veulent quitter le pays. Une grande partie de la communauté souffre en silence et ne peut faire entendre sa voix. Si quelques activistes ont émergé de cette situation et gagnent en visibilité, la grande majorité souffre dans la solitude de leur foyer. Les gens étaient déjà isolés auparavant, et cela ne va pas s’améliorer. À partir de maintenant, de plus en plus de personnes vont cacher leur identité.
Depuis 2016, des problèmes sont apparus dans les procédures administratives, si bien qu’un nombre croissant de personnes ayant commencé leur transition peuvent avoir une apparence différente du sexe enregistré sur leurs documents. Et si une personne est ouvertement et visiblement transgenre, il lui est difficile de trouver un emploi ; la discrimination fait partie du quotidien. Et maintenant, c’est de pire en pire. Nous avons constaté une augmentation des niveaux de discrimination, non seulement dans l’emploi mais aussi dans la vie quotidienne. En Hongrie, les gens doivent présenter leurs documents d’identité très souvent, vous êtes donc obligé de vous montrer tout le temps. Les gens ne vous croient pas et vous questionnent. Par exemple, récemment, une personne transgenre essayait d’acheter une maison et l’avocat qui rédigeait le contrat a émis des doutes sur sa carte d’identité parce qu’elle ne correspondait pas à sa description de genre.
Compte tenu des restrictions à la liberté de réunion pacifique imposées dans le cadre de la pandémie de COVID-19, quel plaidoyer et quel type de campagnes avez-vous pu développer pour empêcher l’adoption de l’article 33 ?
Chez Transvanilla, nous sommes très stratégiques : nous n’entreprenons que des activités qui peuvent avoir un impact. Par conséquent, nous ne nous concentrons pas sur le contexte hongrois. Au Parlement, l’opposition est impuissante car le Fidesz, le parti du Premier ministre Viktor Orbán, dispose de deux tiers des sièges et peut donc l’emporter à chaque vote. Nous savions également que nous ne pourrions pas mobiliser suffisamment de personnes : il n’était pas possible de sortir en masse dans les rues à cause de la pandémie, ce n’était donc même pas une option. Si cela ne s’était pas produit pendant la pandémie, certaines organisations auraient peut-être essayé d’organiser des protestations. Jusqu’à ce que l’amendement soit proposé, Transvanilla n’a pas soulevé publiquement la question de la reconnaissance légale du genre car nous faisions un plaidoyer silencieux. Le 1er avril, lorsque nous avons entendu parler de cette initiative, nous avons demandé à la communauté internationale d’élever la voix publiquement et d’engager un dialogue multilatéral avec notre gouvernement sur cette question.
Nous avons attiré l’attention internationale, et de nombreuses voix internationales se sont élevées contre la proposition. En avril 2020, nous avons également fait appel au commissaire hongrois aux droits fondamentaux et lui avons demandé de faire tout son possible pour empêcher l’amendement. Bien sûr, nous avons interagi avec les médias internationaux et nationaux. Nous avons lancé une pétition et avons réussi à recueillir plus de 30 000 signatures. Aujourd’hui, nous adressons une nouvelle pétition à l’Union européenne (UE) et nous espérons qu’elle aura un effet.
En bref, nous avons fait appel au médiateur, qui aurait pu intervenir, mais ne l’a pas fait, et nous avons exercé une pression internationale sur le gouvernement, ce qui fonctionne parfois, mais cette fois-ci, cela n’a pas fonctionné. La loi a été adoptée, et le jour de son entrée en vigueur, nous avons déposé deux plaintes auprès de la Cour constitutionnelle. Le tribunal pourrait les rejeter pour n’importe quelle raison, mais nous espérons qu’il ne le fera pas. Dans le même temps, nous faisons pression sur le commissaire aux droits fondamentaux, car il a le pouvoir de demander à la Cour constitutionnelle d’examiner la loi, et s’il le fait, la Cour doit le faire. La pression est très importante et de nombreux acteurs internationaux apportent leur aide, notamment Amnesty International Hongrie, qui a lancé une campagne. Nous avons 23 affaires devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), toutes concernant la reconnaissance du genre, dont les demandeurs sont représentés par notre avocat. Le gouvernement et les autres parties intéressées avaient jusqu’à juin 2020 pour résoudre ces affaires, et s’ils ne le faisaient pas, la Cour devait prendre une décision. En raison de la pandémie de COVID-19, l’échéance pour le gouvernement a été repoussée à septembre 2020, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour nous. Mais compte tenu des antécédents de la Cour européenne des droits de l’homme, nous sommes convaincus qu’elle respectera les droits des personnes transgenres. Nous continuerons à porter des affaires devant ce tribunal et à représenter les personnes qui ont été spécifiquement affectées par cette loi. Nous voulons faire pression sur le tribunal pour qu’il prenne une décision le plus rapidement possible.
Nous continuons également à nous engager auprès des mécanismes des droits humains de l’UE, du Conseil de l’Europe et de l’ONU. Nous avons réussi à ce que de nombreuses OSC signent une déclaration afin de faire pression sur la Commission européenne (CE), qui est restée jusqu’à présent silencieuse sur la question. Nous voulons nous assurer que ce qui s’est passé en Hongrie ne se reproduise pas dans d’autres pays. Nous avons donc créé une alliance de la société civile pour faire passer le message selon lequel, si d’autres gouvernements tentent de faire la même chose, ils se heurteront à une forte résistance. Et, bien sûr, nous essayons toujours de communiquer avec les ministères, bien que nous leur ayons envoyé des lettres et que nous n’ayons pas reçu de réponse.
Comment un gouvernement de plus en plus autoritaire comme celui de la Hongrie peut-il être tenu pour responsable ?
Nous avons essayé de nous engager directement avec le gouvernement pour lui demander des comptes, mais cela n’a pas fonctionné jusqu’à présent. Nous représentons un groupe minoritaire et nous ne pouvons pas lutter seuls contre ce gouvernement. Mais les institutions internationales influencent parfois les actions du gouvernement. Nous espérons qu’une décision de justice de la CEDH ou de la Cour constitutionnelle aura un effet.
Malheureusement, ce que nous avons vu depuis 2010, c’est qu’en raison de la façon dont elle est conçue, l’UE ne peut pas prendre de mesures définitives contre un pays, surtout si ce pays n’est pas seul. Et c’est ce qui se passe dans ce cas, car la Pologne et la Hongrie se soutiennent toujours mutuellement. Les citoyens ont le sentiment que l’UE n’a pas la volonté politique d’agir. Nous continuons sans cesse de répéter que l’UE devrait couper les fonds, car la Hongrie vit grâce à l’argent de l’UE et si l’UE coupe le flux de fonds, le gouvernement commencera à se comporter différemment. Mais l’UE refuse de le faire.
L’UE devrait agir non seulement sur cette législation spécifique, mais aussi sur des questions plus larges liées à l’État de droit et aux droits fondamentaux en Hongrie. Elle devrait faire quelque chose à propos de ses propres États membres, ou alors ne pas faire de commentaires sur les pays tiers. Le fait que la CE ne mentionne pas explicitement la Hongrie est scandaleux. Lorsque la loi d’autorisation a été adoptée à la fin du mois de mars, donnant au Premier ministre Orbán des pouvoirs supplémentaires pour lutter contre la pandémie, la présidente de la CE, Ursula von der Leyen, a fait une déclaration qui faisait clairement référence à la Hongrie, mais sans mentionner le pays nommément, dans la mesure où la Hongrie a également signé la déclaration. La commissaire européenne à l’égalité a récemment été invitée à condamner la Hongrie pour l’amendement visant les personnes transgenres, et elle a refusé de le faire ; elle a préféré parler des droits des transgenres en général. C’est inacceptable.
L’UE ne doit pas se contenter de parler, elle doit aussi agir vis-à-vis de la Hongrie et de la Pologne. Si la CE continue à refuser de s’attaquer à la situation sur le terrain, nous ne savons vraiment pas vers qui nous tourner. Jusqu’à présent, le gouvernement a suivi les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, mais cette année, il a cessé d’obéir aux décisions des tribunaux hongrois, ce qui est très inquiétant. En 2018, une décision de la Cour constitutionnelle dans le cas d’un réfugié transgenre a obligé le Parlement à adopter une législation sur la reconnaissance légale du genre pour les citoyens non hongrois, ce qu’il n’a pas encore fait.
De quel soutien les OSC hongroises ont-elles besoin de la part de la société civile internationale ?
Il est important d’essayer d’unifier les différents mouvements et de servir de pont entre eux, et je pense que les OSC internationales peuvent jouer un rôle à cet égard. En tant qu’organisation transgenre, nous nous occupons des personnes transgenres, mais il y a une immense diversité : il y a des personnes transgenres migrantes, des personnes transgenres roms, des personnes transgenres handicapées, et nous devons tous nous unir. De plus, même si ce sont actuellement les personnes transgenres qui sont visées en Hongrie, nous ne savons pas quel sera le prochain groupe vulnérable sur la liste, et je pense que les OSC internationales devraient se préoccuper de tout le monde. Elles devraient également contribuer à sensibiliser les institutions internationales ; en Hongrie, par exemple, la pression internationale est importante car Orbán se soucie parfois encore de la manière dont le pays est perçu à l’étranger. L’implication de la communauté internationale est donc utile. La société civile internationale peut également contribuer à fournir de bons exemples, car plus la situation des personnes transgenres sera améliorée dans d’autres pays, plus grande sera la honte du gouvernement hongrois. Mais si d’autres pays de l’UE commencent à suivre la Hongrie, alors le gouvernement s’en tirera à bon compte. Des organisations comme CIVICUS peuvent aider à unir la société civile.
L’espace civique en Hongrie est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor. La Hongrie figure également sur notre liste de surveillance de l’espace civique.
Contactez l’association Transvanilla Transgender Association via sonsite web ou son profilFacebook,et suivez@Transvanilla sur Twitter et@transvanilla.official sur Instagram.
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LIBAN : « Cette crise doit être gérée avec une vision féministe »
CIVICUS s'entretient avec Lina Abou Habib, une activiste féministe basée à Beyrouth, au Liban, sur la réponse de la société civile face à l'urgence provoquée par l’explosion du 4 août 2020. Lina enseigne les Féminismes Mondiaux à l'Université Américaine de Beyrouth, où elle est membre de l'Institut Asfari, et préside le Collectif pour la Recherche et la Formation sur l’Action pour le Développement, une organisation féministe régionale qui travaille au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Elle siège également au conseil d'administration de Gender at Work et en tant que conseillère stratégique du Fonds Mondial pour les Femmes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Pourriez-vous nous parler du moment où l’explosion s’est produite ?
L’explosion de Beyrouth s’est produite le 4 août 2020, vers 18 h 10, heure de Beyrouth. J'étais chez moi et je savais depuis une heure qu’il y avait eu un grand incendie dans le port de Beyrouth. Lorsque le feu a commencé à se propager, le ciel s’est assombri de fumée. Je regardais dehors, et la première chose que j’ai ressentie a été une sensation terrifiante, semblable à un tremblement de terre, et juste une fraction de seconde plus tard, une énorme explosion s’est produite. Les vitres autour de moi se sont brisées. Il m’a fallu quelques minutes pour comprendre ce qui venait de se passer. La première chose que nous avons tous faite a été de téléphoner à nos familles et à nos amis proches pour nous assurer qu’ils allaient bien. Tout le monde était dans un état d’incrédulité totale. L’explosion a été si puissante que chacun de nous a ressenti que cela se passait juste à côté de nous.
Quelle a été la réponse immédiate de la société civile ?
Il est important de souligner qu’en plus de la réponse de la société civile, il y a eu aussi une réponse individuelle. Les gens sont descendus dans la rue pour essayer d’aider les autres. Personne ne faisait confiance à l’État pour qu’il aide de quelque manière que ce soit ; en fait, l’État était responsable de ce qui s’était passé. Les gens ont pris la responsabilité de s’entraider, ce qui signifiait s’attaquer aux problèmes immédiats, comme nettoyer les rues des débris et parler à d’autres personnes pour savoir ce dont elles avaient besoin, comme de l’abri et de la nourriture. Environ 300 000 personnes se sont retrouvées sans abri et ont tout perdu en une fraction de seconde. Il y a eu une réaction extraordinaire de la part des gens ordinaires qui se sont mis à aider : des gens avec des balais et des pelles ont commencé à enlever les débris et d’autres ont distribué de la nourriture et de l’eau. L'indignation s'est transformée en solidarité.
Ce fut un moment de grande autonomisation, qui continue toujours. En ce moment même, il y a des volontaires et des organisations de la société civile (OSC) qui prennent essentiellement en charge la situation et non seulement apportent de l’aide immédiate, mais offrent également toutes sortes de soutien aux personnes en difficulté.
Cependant, ces actes de solidarité et de bienveillance ont aussi été critiqués. La principale critique a été de dire qu’ils sont contre-productifs car dispensent l’État de s’acquitter de ses obligations et de ses devoirs. Je comprends cette critique, mais je ne suis pas d’accord avec elle. Pour moi, les actes de solidarité menés par la société civile et les gens ordinaires ont été nos principales réussites, des histoires de pouvoir et de résistance dont il est bon de parler. Il faut souligner la réponse immédiate apportée individuellement par les mêmes personnes qui avaient subi des blessures ou avaient beaucoup perdu. Les communautés de travailleurs migrants elles-mêmes, vivant dans des conditions extrêmes d’exploitation, de racisme et d’abus, sont sorties pour nettoyer les décombres et aider les autres. Je ne pense pas qu’il faille ignorer le sens de ces actes de solidarité.
Le Liban subissait déjà une crise économique profonde, qui a été encore exacerbée par la pandémie du COVID-19 et l’explosion. Quels ont été les groupes les plus touchés ?
Les pires effets ont été ressentis par ceux qui se trouvaient déjà dans les situations les plus vulnérables. Un exemple clair de multiples formes de discrimination qui se chevauchent et se renforcent réciproquement est la situation des travailleuses migrantes au Liban. Ce n’est pas une situation nouvelle, cela fait déjà des décennies. Premièrement, les femmes migrantes travaillent dans la sphère privée, ce qui les rend encore plus invisibles et vulnérables. Deuxièmement, il n'y a absolument aucune règle à suivre pour les embaucher, alors elles sont essentiellement à la merci de leurs employeurs. Elles sont maintenues dans des conditions de quasi-esclavage sur la base des soi-disant « contrats de parrainage ». Même l’air qu’elles respirent dépend de la volonté de leurs employeurs, donc elles sont complètement liées à eux. En bref, c’est une population de femmes des pays pauvres du sud global qui sont employées comme travailleuses domestiques et soignantes, des postes qui les rendent incroyablement vulnérables aux abus. Il n’y a pas de lois que les protègent, et il en a toujours été ainsi. Par conséquent, ce sont elles qui sont laissées pour compte en cas de crise sécuritaire ou politique.
Trois événements consécutifs ont affecté leur situation. Le premier a été la révolution commencée le 17 octobre 2019, un moment incroyablement important qui a été le point culminant d’années d’activisme, et auquel ont également participé des travailleuses migrantes, qui ont été appuyées, soutenues et guidées par de jeunes féministes libanaises. En conséquence, il y a eu des travailleuses migrantes au sein de la révolution, qui se sont rebellées contre le système de parrainage qui les prive de leur humanité et les expose à des conditions de travail équivalentes à l'esclavage, et ont exigé un travail décent et une vie digne.
À cela s’ajoute l’effondrement économique et la pandémie du COVID-19, qui se sont produits alors que les manifestations se poursuivaient. En raison de la crise économique, certaines personnes ont choisi de ne pas payer les salaires des travailleuses domestiques et des travailleurs migrants, ou pire, ces personnes se sont simplement débarrassées d’eux en les laissant dans la rue pendant la pandémie.
Et puis l’explosion du port de Beyrouth s’est produite, frappant à nouveau particulièrement durement les travailleurs migrants. Il a eu une succession de crises qui ont touché avant tout les travailleurs migrants, et les femmes en particulier, car ils se trouvaient déjà dans des conditions précaires dans lesquelles ils subissaient des abus, leur travail était tenu pour acquis et ils ont ensuite été jetés dans la rue, oubliés par leurs ambassades et ignorés par le gouvernement libanais.
En tant qu’activiste et féministe, comment évaluez-vous la réponse du gouvernement à l'explosion ?
Il n’y a pas eu de réponse responsable du gouvernement. Je n’appellerais même pas ce que nous avons « gouvernement », mais plutôt « régime ». C'est une dictature corrompue, un régime autoritaire qui continue de se faire passer pour démocratique et même progressiste. Le régime dit qu’il incarne les réformes, mais ne les met jamais en œuvre. Par exemple, dix jours après la révolution, en octobre 2019, le président s’est adressé à la nation et nous a promis une loi civile égalitaire sur la famille, ce que les activistes féministes réclament depuis des décennies. C’était assez surprenant, mais il s’est avéré que ce n’était pas vrai, car rien n’a été fait à ce sujet. Les autorités disent simplement ce qu’elles pensent que les gens veulent entendre et elles semblent convaincues que le public est trop ignorant pour le remarquer.
Il faut donc replacer la réponse à l’explosion dans le contexte du récent soulèvement. La réponse du gouvernement à la révolution a été de ne pas reconnaître les problèmes que les gens signalaient : qu’il avait vidé les coffres publics, qu’il continuait à exercer le népotisme et la corruption et, pire que tout, qu’il démantelait les institutions publiques. La seule réponse du gouvernement a été de fermer l’espace de la société civile et d’attaquer les libertés d’association et d’expression et le droit de réunion. J’ai habité dans ce pays la plupart de ma vie, j’ai donc traversé une guerre civile et je crois que nous n’avons jamais connu une répression des libertés de l’ampleur que nous constatons actuellement sous ce régime. Nous n’avions jamais vu des personnes citées par la police ou les institutions de sécurité pour ce qu’elles ont dit ou publié sur les réseaux sociaux. C’est exactement ce que ce régime fait et continue de faire. Le président agit comme si nous avions une loi de lèse-majesté et n’accepte aucune critique ; ceux qui le critiquent le paient de leur liberté. C’est la première fois que nous voyons des activistes arrêtés pour cette cause.
Bref, le régime n’a rien fait de significatif en réponse à l’explosion. Le fait qu’il ait envoyé l’armée pour distribuer des colis d’aide alimentaire n’a pas une grande importance. En fait, ils ont refusé de livrer des articles d’aide alimentaire aux personnes non libanaises qui étaient touchées. Cela met en évidence la manière dont les couches successives de corruption, d’intolérance et de mauvaise gestion interagissent dans ce processus.
Après l'explosion, les gens sont descendus dans la rue à nouveau pour protester. Pensez-vous que les manifestations ont eu un impact ?
Le samedi après l’explosion, des gens manifestaient dans les rues. J’étais là-bas et j’ai eu peur du déploiement de la violence par les forces de sécurité.
Face à tant de calamités, la seule raison pour laquelle les gens ne sont pas descendus en masse dans la rue est la pandémie de COVID-19. En ce sens, la pandémie a été une aubaine pour le régime. Il a imposé un couvre-feu, détruit les tentes que les révolutionnaires avaient installées sur la Place des Martyrs et procédé à des arrestations et des détentions, le tout sous prétexte de protéger les gens du virus. Mais, bien sûr, cela ne trompe personne. Les niveaux de contagion augmentent plutôt qu’ils ne diminuent. Le fait que le régime soit tellement corrompu que nous n’avons fondamentalement pas de service de santé vraiment fonctionnel n’aide pas.
Les limites créées par la pandémie et les craintes des gens pour leur propre santé limitent sérieusement les actions contre le régime ; cependant, je ne pense pas que cela arrêtera la révolution. Les gens en ont assez. Beaucoup de gens ont tout perdu. Et quand ils vous mettent contre le mur, vous n’avez nulle part où aller d’autre que de l’avant. Le régime continuera à utiliser la force brutale, il continuera à mentir et à mal gérer les fonds et les ressources, mais cela devient totalement inacceptable pour une partie croissante de la population.
Je pense que la mobilisation de rue a été un succès à plusieurs niveaux. On peut ne pas être d'accord et faire remarquer que le régime est toujours au pouvoir, et il est vrai qu’il faudra encore beaucoup de temps pour qu’il tombe. Mais le succès immédiat des manifestations a été de briser un tabou. Il y avait une sorte de halo ou de sainteté autour de certains dirigeants considérés comme intouchables. Maintenant, il est évident qu’ils ne bénéficient plus de cette protection. Bien que le régime ne soit pas disposé à céder, il ne fait que gagner du temps.
À mon avis, une réalisation importante a été le rôle de leadership joué par les groupes féministes lorsqu’il s’agit de réfléchir au pays que nous voulons, aux droits et prérogatives que nous exigeons et à la forme de gouvernement que nous voulons. Avec 40 organisations féministes, nous avons lancé une liste de revendications. Nous avons réfléchi ensemble et établi à quoi devrait ressembler une reconstruction humanitaire dans une perspective féministe et nous l’utilisons comme un outil de plaidoyer devant la communauté internationale. La manière dont nous intervenons indique que cette crise doit être gérée avec une vision féministe.
De plus, pour la première fois, la communauté LGBTQI+ a joué un rôle essentiel dans le façonnement du processus de réforme, du processus de transition et du façonnement du pays que nous voulons, à la fois en termes de forme de l'État et en termes de relations humaines. La voix de la communauté des migrants a également été amplifiée. Pour moi, ces réalisations sont irréversibles.
De quel soutien de la part de la communauté internationale a besoin la société civile de Beyrouth et du Liban ?
Il y a plusieurs choses à faire. Tout d'abord, nous avons besoin de formes tangibles de solidarité dans le domaine des communications, pour amplifier notre voix. Deuxièmement, nous devons faire pression sur la communauté internationale, au nom du mouvement féministe libanais, pour qu’elle tienne le régime libanais responsable de chaque centime qu’il reçoit. Pour donner un exemple : nous avons reçu environ 1,700 kilos de thé du Sri Lanka, mais le thé a disparu ; il semble que le président l’ait distribué aux gardes présidentiels. Nous avons besoin de l’influence et de la pression de la communauté internationale pour demander des comptes à ce régime. Troisièmement, il faut que les principaux médias internationaux amplifient ces voix.
Je tiens à souligner le fait que l’aide internationale ne doit pas être sans conditions, car le régime en place n’opère pas avec transparence et responsabilité. Bien entendu, il n’appartient pas à la société civile de reconstruire ce qui a été endommagé ou de remettre l’infrastructure sur pied. Mais chaque centime qui va au régime pour ces tâches doit être livré dans des conditions de transparence, de responsabilité et de diligence raisonnable. La société civile doit être habilitée à exercer des fonctions de contrôle. Cela signifie que les OSC doivent avoir la voix et les outils pour surveiller. Sinon, rien ne changera. L’aide internationale s’évanouira ; cela ne fera qu’aider le régime à prolonger son règne tant que la ville reste en ruine.
L’espace civique au Liban est classé comme « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
Entrez en contact avec le Collectif pour la Recherche et la Formation sur l’Action pour le Développement à travers sonsite Web et suivez@LinaAH1 sur Twitter. -
LIBAN : « Le changement commence lorsque la parole est donnée aux organisations féministes à la base »
À l’occasion du 25e anniversaire duProgramme d’action de Beijing, célébré en septembre 2020, CIVICUS s’entretient avec des militants, des dirigeants et des experts de la société civile pour évaluer les progrès accomplis et les défis qui restent à surmonter. Adopté en 1995 lors de la quatrièmeConférence mondiale sur les femmes aux Nations Unies, le Programme d’action de Beijing a pour objectif d’éliminer la violence contre les femmes, de garantir l’accès au planning familial et à la santé reproductive, d’éliminer les obstacles à la participation des femmes à la prise de décision, et de garantir un emploi décent et le respect du principe « à travail égal, salaire égal ». Vingt-cinq ans plus tard, des progrès importants mais inégaux ont été faits, en grande partie grâce aux efforts sans relâche de la société civile, mais aucun pays n’a encore atteint l’égalité des genres.
CIVICUS et l’organisation Arab NGO Network for Development(ANND) s’entretiennent avec Hayat Mirshad, journaliste et militante féministe, responsable des communications et des campagnes au sein du Rassemblement des femmes démocrates libanaises (RDFL), une organisation de la société civile (OSC) féministe laïque qui défend les droits des femmes. Fondé en 1976 et basé sur le volontariat, le RDFL est l’une des plus anciennes organisations féministes du Liban. Il lutte pour l’élimination de la violence sexiste et de toutes les formes de discrimination et cherche à faire reconnaître la pleine citoyenneté des femmes. Il a lancé plusieurs campagnes réussies, dont la campagne #NotBefore18 en 2017, qui a abouti au dépôt d’un projet de loi, actuellement en cours d’examen au Parlement, visant à fixer l’âge minimum du mariage à 18 ans.
Quelle est la situation des droits des femmes au Liban ? Quels progrès ont été réalisés jusqu’à présent et quels défis reste-t-il à relever ?
En raison du contexte fortement religieux, le Liban ne dispose pas d’un code civil régissant des questions telles que le divorce, les droits de propriété et la garde des enfants. Au lieu de cela, il existe 15 lois distinctes relatives au statut personnel pour les différentes communautés religieuses du pays, qui sont appliquées par des tribunaux religieux séparés. Les lois relatives au statut personnel sont discriminatoires envers les femmes et ne garantissent pas leurs droits fondamentaux.
Les changements juridiques sont souvent longs à effectuer car les femmes restent largement sous-représentées en politique : moins de 5 % des membres actuels du parlement sont des femmes. Dans certains cas, les médias locaux jouent également un rôle dans la marginalisation des femmes dans l’arène politique. Ce constat a été prouvé par des études récentes menées après les élections législatives de 2018. Les femmes sont également très peu présentes dans les syndicats de travailleurs.
Dans le cadre de notre plan stratégique visant à atteindre l’égalité des sexes, le RDFL s’est efforcé d’informer les femmes de leurs droits et de leur fournir une assistance juridique pour résoudre les problèmes auxquels elles sont exposées, que ce soit au travail, dans leur famille ou dans tout autre espace. Le RDFL a également introduit et contribué à la rédaction de plusieurs projets de loi envoyés au parlement et a demandé l’abrogation des lois relatives au statut personnel.
Nous avons remporté quelques victoires. Le Liban a adopté des accords internationaux qui interdisent la discrimination entre les sexes dans des domaines très importants, et dans notre pays, les accords internationaux priment sur les lois nationales. Ces dernières années, certaines lois sur les droits des femmes ont été partiellement modifiées, tandis que d’autres ont été abrogées. Des décisions de justice ont également contribué à l’avancement des droits des femmes.
Par exemple, en 2002, le pouvoir judiciaire libanais a décidé que les hommes et les femmes devaient bénéficier d’une couverture sociale égale, indépendamment des droits spécifiques dont bénéficient les femmes, comme le congé de maternité, et a apporté quelques modifications au droit du travail libanais. La convention n° 111 de l’Organisation internationale du travail, qui interdit la discrimination en matière d’emploi et de profession, a joué un rôle décisif dans l’adoption de cet arrêt.
En 2011, l’article 562 du code pénal libanais, relatif aux crimes dits « d’honneur », a été aboli. En vertu de cet article, si une personne trouve sa femme ou une autre parente, par exemple une sœur, en train de commettre un adultère et qu’elle la tue ou la blesse sans préméditation, elle sera exemptée de peine, car elle aura commis un « crime d’honneur ». Bien que cet article ait été supprimé, les « crimes d’honneur » restent une pratique établie et sont largement acceptés dans la société patriarcale libanaise ainsi que dans la culture et le discours de certains représentants du gouvernement, même s’ils prétendent représenter le progrès et la modernité.
Un autre changement a été obtenu en 2014, lorsque le parlement a adopté la loi sur la violence domestique. Cette loi promeut les droits des femmes et vise à protéger leur sécurité. Toutefois, elle présente de nombreuses lacunes. Bien qu’elle introduise certaines mesures pour protéger les femmes, elle contient toujours des articles discriminatoires ; par exemple, elle expose les femmes au risque de viol conjugal. Les OSC qui défendent les droits des femmes se sont efforcées de suivre les cas de violence domestique. Dans ce contexte, le RDFL fournit des services d’assistance sociale, psychologique et juridique pour tous les types d’abus par le biais de sa ligne d’assistance téléphonique.
En 2017, l’article 522 du code pénal a été supprimé. Cet article approuvait la pratique consistant à gracier les violeurs et à les exempter de prison s’ils épousaient leurs victimes. La loi a été modifiée grâce à la pression des OSC, mais nous nous efforçons toujours d’abolir ces pratiques, notamment dans certains endroits où le concept d’honneur prévaut encore.
Malgré la suppression de l’article 522, la loi libanaise continue de légaliser le viol sous diverses formes. Les articles 50 et 518 sont restés intacts, de sorte que le code pénal peut toujours être utilisé pour exempter de poursuites ou de sanctions les violeurs ayant abusé de mineurs âgés de 15 à 18 ans lorsque les parents des victimes leur ont promis d’épouser le violeur. En outre, le viol conjugal n’est pas encore considéré comme un crime par la loi libanaise. Il n’existe aucune loi visant à protéger les femmes et leur permettre de poursuivre plus facilement leurs agresseurs.
Bien que de nombreuses lois aient été modifiées ou supprimées, il reste beaucoup à faire, car les femmes au Liban continuent d’être confrontées à la violence et à l’application de lois arbitraires. Elles sont toujours victimes des lois, des traditions et des normes patriarcales.
Quels sont les principaux obstacles à la réalisation du Programme d’action de Beijing et de l’Agenda 2030 en ce qui concerne les droits des femmes au Liban ? La situation a-t-elle changé pendant la pandémie de COVID-19 ?
Nous continuons à faire face au défi des possibilités de financement limitées pour les questions relatives aux femmes et pour les organisations féministes à la base. La sous-déclaration des crimes commis à l’encontre des femmes pose également problème. Pour de nombreuses raisons, la plupart des femmes ne peuvent pas ou hésitent à dénoncer les violences dont elles sont victimes. La discrimination à l’égard des femmes reste très répandue.
La pandémie de COVID-19 n’a fait qu’empirer les choses. Elle a atteint le Liban à un moment de crise économique dévastatrice et a entraîné une dégradation des systèmes de protection sociale et une augmentation du chômage. La situation, tant sur le plan de la sécurité que de la crise socio-économique, a eu des effets négatifs sur notre travail.
Parmi les mesures imposées pour freiner la pandémie figurait la quarantaine, pendant laquelle des centaines de femmes et d’enfants se sont retrouvés enfermés. Leurs témoignages révèlent les souffrances, les violences et les craintes auxquels ils ont dû faire face pendant la période de quarantaine obligatoire, aboutissant dans certains cas à des suicides et à des meurtres. La pandémie a entraîné une augmentation des signalements de violences domestiques. En mars 2020, les appels pour violence domestique adressés aux forces de sécurité intérieure ont augmenté de 100 %, et les appels à la ligne d’urgence du RDFL ont augmenté de 180 % par rapport aux deux mois précédents. Il s’agissait de nouveaux cas. Douze pour cent des cas étaient très graves, et 13 % des personnes concernées ont quitté leur domicile et ont eu besoin d’un abri.
Alors que les cas de violence ont augmenté pendant le confinement, les centres de développement social (qui font partie d’un vaste réseau sous l’égide du ministère des affaires sociales et fournissent des services sociaux aux communautés vulnérables) ont fermé leurs portes pour empêcher la propagation du virus, de sorte que nous manquons aujourd’hui de refuges suffisants pour accueillir les victimes de la violence sexiste et que nous n’avons pas la capacité pour veiller à ce que leurs besoins fondamentaux soient satisfaits. À ce problème s’ajoute le fait que de nombreuses femmes sont au chômage en raison de la crise sanitaire mondiale et de la crise économique nationale et ont besoin d’un soutien supplémentaire.
La pandémie a également accru le travail domestique et les soins de santé fournis à titre gracieux par les femmes et les filles. En outre, les femmes représentent la majorité des professionnels des soins de santé et du travail social de première ligne, et sont donc plus vulnérables que les autres aux infections.
Nous sommes également préoccupés par les communautés les plus marginalisées, notamment la communauté LGBTQI+, les travailleurs domestiques migrants et les réfugiés. Pendant cette crise, le système a révélé son incapacité à protéger les personnes les plus vulnérables et marginalisées sur le plan social, économique et sanitaire, comme les femmes, les enfants, les personnes âgées, les travailleurs domestiques et les réfugiés.
Comment le RDFL et la société civile en général ont-ils réagi à la situation ?
La société civile et les organisations de défense des droits des femmes jouent un rôle essentiel en apportant un soutien psychologique et juridique aux femmes et aux filles qui ont survécu à la violence sexiste. À cette fin, elles sensibilisent le public à l’impact de la crise actuelle sur les femmes, notamment par le biais d’Internet et des réseaux sociaux, en plaidant pour des mesures plus performantes et en essayant d’inciter le gouvernement et ses fonctionnaires à protéger les droits des femmes, et en soutenant la distribution et la fourniture de nourriture et d’autres biens ainsi que le soutien financier aux familles et aux femmes dans le besoin.
Le RDFL a poursuivi ses efforts visant à soutenir les femmes et les filles. Il continue à fournir un soutien psychologique, social et juridique aux survivants et décèle les actes de violence dans diverses régions du pays pendant la pandémie. Nous avons également intégré une campagne de sensibilisation contre la violence à l’égard des femmes, lancée par l’Autorité nationale de la condition féminine, afin de rejeter la violence et de soutenir les personnes qui cherchent protection et assistance. Nous avons entamé une campagne de distribution pour les femmes bénéficiaires des services de soutien psychologique qui ont demandé de l’aide par le biais de la ligne d’assistance téléphonique du RDFL. Pour sensibiliser davantage à la violence sexiste, nous avons également organisé une session interactive de formation sur les droits des femmes et des filles.
Nous continuons à recenser les appels téléphoniques reçus sur notre ligne d’assistance et à plaider directement sur nos plateformes en ligne par le biais de déclarations, de publications et d’une coordination directe avec des organismes officiels tels que le Conseil national libanais pour les femmes et d’autres acteurs, afin de prendre des mesures sans tarder pour garantir la protection des droits des femmes et des filles pendant la pandémie.
Cependant, à cause de la crise sanitaire, nous avons également été confrontés à des restrictions supplémentaires dans notre travail. Par exemple, nous avons éprouvé des difficultés à accéder à nos centres d’aide aux femmes et aux jeunes filles. Toutes nos activités en présentiel ont été suspendues, ce qui a constitué un grand défi pour gérer tous les signalements, car tout le soutien doit être fourni à distance par le biais d’outils de communication en ligne. Nous sommes préoccupés par les femmes particulièrement exposées qui ont besoin d’un abri, car de nombreux refuges ne peuvent pas les recevoir à cause du virus, tandis que d’autres sont saturés. Nous sommes également confrontés à des contraintes d’ordre financière : il nous est devenu difficile d’accéder à nos fonds et à nos comptes bancaires, un problème que les citoyens libanais dans leur ensemble ont connu récemment.
De quel type de soutien la société civile libanaise a-t-elle besoin de la part de la communauté internationale ?
Pour que Beijing+25 permette de réaliser de réels progrès en matière d’égalité des sexes dans des contextes de crise tels que le Liban, les donateurs doivent adopter des approches plus féministes pour financer les organisations à la base.
Au Liban, les mécanismes traditionnels de financement des organisations féministes à la base adoptent trop souvent une approche dite « descendante » et sont trop rigides et patriarcaux dans leur manière de répondre à la crise. Par exemple, le manque de flexibilité dans les dates limites pour les donateurs et les limitations strictes sur les retraits en espèces ont limité notre capacité à accéder aux ressources. Dans la situation actuelle de crise politique et économique, nous devons adapter nos programmes pour répondre aux nouveaux besoins. Selon une perspective féministe sur le financement des mouvements à la base, il faudrait que les donateurs écoutent et apprennent des OSC lorsque celles-ci expriment ce dont elles ont besoin pour autonomiser leurs communautés et apporter des changements. Il s’agit également de fournir le financement de base nécessaire pour soutenir pleinement notre personnel et l’aider à faire face aux problèmes qu’il rencontre dans des situations difficiles. Dans des contextes de crise comme celle que traverse le Liban, les conditions politiques et économiques changent constamment. Il est donc nécessaire de mettre en place des mécanismes de financement plus flexibles afin de pouvoir s’adapter plus facilement à un environnement en constante évolution.
Les médias dans le monde ont beaucoup couvert les mouvements féministes dans le monde, de #MeToo à #NiUnaMenos, et ont mis l’accent sur le rôle de leader joué par les femmes pendant la révolution libanaise. Cependant, cette importante couverture médiatique ne s’est pas encore traduite par les actions concrètes dont nous avons besoin pour améliorer la santé, les droits et le leadership des femmes et des filles dans nos communautés. Le changement commence en donnant la parole aux organisations féministes à la base dans toute leur diversité et leur intersectionnalité, y compris les personnes LGBTQI+, les travailleurs migrants et d’autres groupes marginalisés, et en leur garantissant une place dans les débats.
Nous demandons instamment aux acteurs internationaux de prêcher par l’exemple et d’exprimer une véritable solidarité avec les mouvements féministes à la base dans le monde entier. Dans cette optique, ils peuvent par exemple faire pression sur les gouvernements pour que ceux-ci fassent de l’égalité des sexes et des droits fondamentaux des femmes et des filles une priorité absolue. Les accords bilatéraux et les financements humanitaires, tels que ceux administrés par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, doivent être conditionnés au respect des principes féministes fondamentaux. Il faut donner plus de pouvoir, de ressources et d’influence aux organisations féministes à la base pour nous aider à atteindre nos objectifs collectifs en matière d’égalité des sexes.
L’espace civique au Liban est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor. Le pays figure également sur notre liste de surveillance de l’espace civique.
Contactez leRassemblement des femmes démocrates libanaises via sonsite web etsapageFacebook, ou suivez@RDFLwomen et@HayatMirshad sur Twitter, et@RDFLwomen sur Instagram. -
MALAWI : « Les filles doivent être protégées non seulement contre la COVID-19, mais aussi contre la violation endémique de leurs droits »
CIVICUS s’entretient avec Ephraim Chimwaza, directeur exécutif du Centre for Social Concern and Development (CESOCODE), une organisation de la société civile (OSC) qui travaille sur les questions de santé reproductive et promeut les droits des femmes au Malawi. Le CESOCODE s’emploie à mettre fin à toutes les formes de violence fondée sur le genre subies par les filles, les adolescents et les jeunes femmes et promeut leurs droits humains et leur bien-être par le biais du plaidoyer, de la recherche, de l’éducation, de la formation et de la fourniture de services de santé reproductive de base.
Quelle est la situation des filles et des jeunes femmes au Malawi ?
Au Malawi, la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les filles rencontrent plus d’obstacles que les garçons dans l’accès à l’éducation et à l’emploi, et beaucoup d’entre elles ne connaissent pas leurs droits. Le manque d’accès aux opportunités favorise également le mariage des enfants, ce qui compromet également dans une large mesure la réalisation des droits des filles.
Le Malawi s’est engagé à mettre un terme aux mariages d’enfants, aux mariages précoces et aux mariages forcés d’ici 2030, conformément à la cible 5.3 des Objectifs de développement durable, et a également ratifié plusieurs instruments internationaux à cette fin. Pourtant, 42 % des filles au Malawi sont mariées de force avant l’âge de 18 ans, et près de 10 % sont mariées avant l’âge de 15 ans. Dans certains groupes ethniques, les mariages arrangés sont couramment utilisés pour créer des alliances entre les familles. Dans tout le pays, les familles les plus pauvres donnent souvent leurs filles en mariage pour réduire la charge économique que représente leur entretien, ou dans l’espoir de leur offrir une vie meilleure. Dans d’autres cas, elles les forcent à se marier si elles tombent enceintes, afin qu’elles ne déshonorent pas leur famille. Certains parents qui se trouvent dans des situations désespérées, obligent également leurs filles à avoir des rapports sexuels en échange d’argent ou de nourriture.
La violence contre les adolescentes et les jeunes femmes est monnaie courante. Une jeune femme sur quatre a récemment subi des violences de la part de leur conjoint, mais peu d’entre elles cherchent de l’aide. La violence sexuelle et les autres formes de violence à l’encontre des femmes et des filles sont largement acceptées par la société, même par les jeunes. Il n’est pas surprenant que les adolescentes continuent de faire les frais de l’épidémie de VIH. Le nombre de filles âgées de 10 à 19 ans qui vivent avec le VIH est en augmentation, et près de trois nouveaux cas d’infections sur quatre concernent des adolescentes.
Comment le CESOCODE contribue-t-il à relever ces défis ?
Depuis 2009, nous nous efforçons de promouvoir les droits des filles et l’éradication du mariage des enfants. À cette fin, nous coopérons avec les communautés et leurs dirigeants pour encourager les filles à rester à l’école. Nous offrons aux adolescentes un espace sûr où elles peuvent accéder à des services de santé sexuelle et reproductive, et nous offrons des conseils aux victimes de violences sexistes.
Nous faisons également partie d’une initiative mondiale appelée « Girls Not Brides», qui regroupe plus de 1 300 OSC dans plus de 100 pays, et dont l’objectif est de mettre fin au mariage des enfants et d’aider les filles à réaliser pleinement leur potentiel en leur donnant accès aux services de santé, à l’éducation et à de meilleures opportunités. Grâce à ce partenariat, nous attirons l’attention du monde sur le mariage des enfants et les violations concomitantes des droits des filles, nous aidons à faire comprendre le problème et appelons à des changements dans les lois et à la mise en œuvre de politiques et de programmes qui feront la différence dans la vie de millions de filles.
Quelle incidence la pandémie de COVID-19 a-t-elle eu sur les filles au Malawi, et comment avez-vous réussi à continuer à travailler dans ce contexte ?
La pandémie de COVID-19 a des répercussions sur les filles au Malawi. Nous le constatons déjà dans les communautés où nous travaillons. Les mesures de distanciation sociale imposées par le gouvernement ont entraîné la fermeture d’écoles. L’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, qui était déjà limité, s’est encore réduit, étant donné que les centres de santé et les cliniques mobiles ont également suspendu leurs soins. Pendant le confinement, les cas de violence sexiste et d’abus sexuels ont augmenté, mais leur signalement a diminué. La plupart des filles ne sont pas en mesure de dénoncer les violences sexistes qu’elles subissent et doivent continuer à vivre avec leurs agresseurs en craignant pour leur vie.
Nos programmes et activités ont été affectés par les mesures de distanciation sociale imposées par le gouvernement visant à réduire le risque d’infection par la COVID-19. Nous n’avons pas été en mesure de rencontrer physiquement les filles et de leur fournir des services essentiels, tels que des préservatifs et des contraceptifs. Les filles ne peuvent pas quitter leur domicile pour assister à des réunions, des ateliers ou des conférences, car tous les rassemblements publics ont été interdits afin de respecter les mesures de distanciation.Cependant, nous avons continué à être à l’écoute des filles par différents moyens.
Premièrement, nous les informons en diffusant par exemple des messages sur la santé publique et la prévention de la violence domestique sur Facebook et WhatsApp. Nous avons développé un service de messagerie Bluetooth de mobile à mobile qui nous permet de rester en contact avec les filles et qu’elles peuvent utiliser pour nous alerter si elles sont en danger. Nous avons également produit un court podcast axé sur la violence domestique à l’égard des filles, qui comprend une version en langue des signes afin de ne pas exclure celles qui sont sourdes ou malentendantes.
Deuxièmement, nous utilisons la radio et la télévision communautaires pour diffuser des messages personnalisés et proposer des talk-shows afin que les filles qui sont à la maison puissent entendre nos messages de prévention de la violence fondée sur le genre. Une interprétation en langue des signes est également disponible.
Troisièmement, nous continuons à travailler dans les communautés, en diffusant des messages de bouche à oreille ou par le biais de haut-parleurs. Nous utilisons notre véhicule avec haut-parleur pour faire le tour des communautés et diffuser des informations sur la prévention de la violence sexiste et du mariage des enfants et pour promouvoir les droits des filles en général.Quatrièmement, nous distribuons des documents de sensibilisation pour expliquer les conséquences des violations des droits des filles et indiquer où signaler les cas de violence à leur encontre. Pour ce faire, nous distribuons des dépliants et des brochures, et nous apposons des affiches dans les endroits où les filles et les adolescents passent fréquemment, comme les magasins, les fontaines à eau et les supérettes. Ces documents sont toujours rédigés dans la langue locale et comportent des images pour faciliter la compréhension du contenu.
Ainsi, nous avons pu poursuivre notre travail et nous n’avons pas abandonné les filles qui nous font confiance à un moment où elles ont le plus besoin de nous.Selon vous, quelles sont les clés du succès que nous constatons aujourd’hui ?
Je pense qu’il y a trois facteurs principaux qui expliquent les bons résultats que nous avons obtenus.
Tout d’abord, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les dirigeants communautaires et d’autres parties prenantes clés pour faire en sorte qu’ils continuent de soutenir la politique de tolérance zéro en matière de violence sexiste à l’encontre des filles. Nous avons organisé des réunions virtuelles et partagé des programmes de podcasts avec des parties prenantes qui travaillent avec des filles. L’objectif est d’encourager des relations positives et saines afin de prévenir la violence à leur égard, tout en promouvant la santé reproductive des jeunes femmes pendant la pandémie de COVID-19.
Ensuite, nous avons identifié des outils peu coûteux qui nous ont permis de maintenir le contact avec les filles et de continuer à les autonomiser pendant la pandémie. Pour ce faire, nous avons utilisé les nouvelles technologies lorsqu’elles étaient disponibles et accessibles, et nous avons cherché à créer des liens par d’autres moyens avec les filles vivant dans des communautés qui n’ont pas accès aux réseaux sociaux.
Enfin, nous avons fait pression pour intégrer des messages de prévention de la violence fondée sur le genre dans le matériel de prévention de la COVID-19, afin que les services de santé communiquent avec les filles et leur apportent un soutien et une protection totale, non seulement contre la COVID-19 mais aussi contre la violation endémique de leurs droits.L’espace civique au Malawi est classé comme « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
Contactez le CESOCODE via sa page Facebook. -
Mexique : « La violence à l’égard des femmes est une pandémie séculaire »
CIVICUS s’entretient avec Wendy Figueroa, directrice de laRed Nacional de Refugios (Réseau National des Refuges), une organisation de la société civile (OSC) mexicaine dont le travail est ininterrompu depuis plus de 20 ans. Le Réseau comprend 69 espaces de prévention, de soins et de protection des victimes de violence domestique et sexiste dans tout le pays. Il travaille selon une approche multidisciplinaire et intersectorielle, avec une perspective de genre, de droits humains et multiculturelle. Il se concentre sur la défense des politiques publiques, la sensibilisation au problème par des campagnes et une couverture médiatique, et la fourniture de soins complets spécialisés et gratuits aux femmes et à leurs enfants victimes de violences domestiques et sexistes.
Comment la violence sexiste au Mexique a-t-elle été influencée par la pandémie de COVID-19 ?
Au Mexique, la violence contre les femmes est une pandémie séculaire. Elle n’a pas seulement émergé avec la COVID-19 ; la pandémie n'a fait que rendre la situation plus apparente et plus prononcée pendant le confinement. Les mesures de confinement adoptées pour atténuer les conséquences de la pandémie de COVID-19 ont eu pour effet d'accroître les risques et la vulnérabilité pour des centaines de femmes. La violence sexiste a également été exacerbée pendant la pandémie, précisément parce qu'en période de confinement, les femmes se retrouvent avec une surcharge de responsabilités en matière de soins, de travaux domestiques et d'optimisation des ressources disponibles dans leur foyer, tout cela en subissant la pression de l’agresseur qui vit avec elles.
Comment le Réseau National a-t-il réagi ?
Nous avons renforcé les activités et les interventions que nous développons depuis de nombreuses années. Ce qui caractérise le travail du Réseau National des Refuges, c’est que, bien que notre travail ait été constant, nos approches pour prévenir, traiter et éliminer la violence envers les femmes et les enfants se sont adaptées et enrichies avec le temps. Ces approches sont mises à jour en fonction des besoins des femmes et des enfants. Ainsi, nos réponses pendant la période de confinement ont été enrichies et renforcées de différentes manières.
Tout d’abord, le Réseau dispose d’une ligne d’assistance téléphonique qui fonctionne 24 heures sur 24, tout au long de l’année, et propose également une assistance par le biais des réseaux sociaux. Nous avons renforcé ces derniers, en augmentant le nombre de professionnels qui fournissent des soins à travers ces deux espaces de communication. Nous avons également mis en place un numéro WhatsApp car nous avons constaté que plus le temps passé en confinement est long, moins les femmes victimes de violences ont la possibilité de contacter le monde extérieur. Ainsi, les SMS ou les messages sur les médias sociaux sont devenus un moyen extrêmement utile pour les femmes de nous envoyer un message dès qu'elles en avaient l'occasion.
Dans de nombreux cas, ces messages ont permis de mener des opérations de sauvetage. Dans le contexte du confinement, les femmes devaient partir à la première occasion, lorsque leur agresseur n'était pas à la maison, de sorte que les opérations de sauvetage ont augmenté de façon spectaculaire. En seulement deux mois, nous avons effectué 19 opérations de sauvetage, contre à peine un par mois environ pendant la même période en 2019. Pour y parvenir, nous avons dû faire preuve de créativité et avons établi des partenariats avec certaines entreprises privées, comme Avon et Uber, afin d’organiser la logistique et le transport.
Deuxièmement, nos campagnes d’information, de sensibilisation et de prévention se sont concentrées sur trois moments que traversent les femmes qui subissent des violences, afin de partager des stratégies sur ce qu’il faut faire avant, pendant et après un événement violent. Nous avons également partagé des stratégies pour réduire les situations à risque avec les enfants à la maison et établir des plans de sécurité. Nous avons mené une campagne inclusive et multiculturelle, avec des messages en langue des signes pour les femmes malentendantes et des messages en langues nahuatl, zapotèque et maya pour les femmes des communautés autochtones.
Étant donné que la COVID-19 rend plus prononcées et plus visibles les formes préexistantes de discrimination et d'inégalités, et que les femmes se trouvent dans une situation de plus grande vulnérabilité, nous avons également créé du matériel destiné à la société dans son ensemble. Nous encourageons les citoyens à former des réseaux de soutien solidaire pour rendre visible la violence contre les femmes et les enfants, afin que les citoyens puissent dénoncer les situations de violence et participer à la construction d’une culture de tolérance zéro.
Troisièmement, nous avons développé la campagne « confinement sans violence », destinée au gouvernement, soulignant la nécessité et l’urgence de créer de politiques publiques transversales, dotées de ressources, pour faire face aux conséquences et à l’impact de la pandémie sur les femmes, dans une perspective de genre, de droits humains, et multiculturelle. Ces politiques doivent garantir l’accès à la justice, aux services de santé et aux compensations économiques, entre autres droits.
Quatrièmement, nous avons mené des actions spécifiques au sein des refuges, des centres d’urgence, des maisons de transition et des centres externes qui composent le Réseau, en mettant en œuvre des protocoles visant à atténuer le risque d'infection par le COVID-19. Nous avons utilisé notre créativité pour fournir une assistance à travers différentes plateformes numériques afin de continuer à accompagner toutes les femmes qui participent à nos programmes. Nous avons échelonné les heures d’attention au sein des refuges et mis en place des salles de quarantaine pour continuer à permettre l’accès aux femmes et aux enfants qui en ont besoin sans obstacles ni discrimination dus au coronavirus, car selon nous il est essentiel de placer les droits humains au cœur de nos actions.
Nous recherchons des financements internationaux et du secteur privé pour renforcer notre réseau de centres d’urgence et de transition. Les centres d’urgence sont l'étape précédant l'entrée dans un refuge et nous les utilisons actuellement pour atténuer le risque d’infection par le COVID-19 dans les refuges : au lieu des trois jours habituels, les séjours dans les centres d’urgence durent maintenant 14 jours, ce qui correspond au temps de quarantaine. Les centres de transition sont très importants car ils constituent l’espace disponible pour les femmes qui quittent le refuge et ne disposent pas d’un logement ou d’un réseau de soutien solide. Dans ces espaces de transition, elles mettent en pratique les plans qu'elles ont élaborés pendant leur séjour dans les refuges et commencent à cheminer vers l'indépendance. Cependant, en raison des impacts économiques de la COVID-19, les contrats de travail que nous avions pour ces femmes ont été annulés. Dans ce contexte, les centres de transition offrent aux femmes la possibilité de poursuivre leur processus et d'éviter la frustration et la victimisation.
Avez-vous été confrontés à des restrictions supplémentaires concernant les libertés de rassemblement, d'expression et de mobilisation pendant la pandémie ?
D'une manière générale, la mobilité a bien sûr été limitée par le confinement. En réponse à cela, nous avons traité une grande partie de l’assistance par téléphone et par les médias sociaux. Mais nous n’avons pas négligé l'assistance en face à face : dans certaines villes où nous opérons, il n’existe pas d’alternative au centre d’attention externe de l’OSC locale qui appartient au Réseau National, et dans ces cas-là, nous avons continué à fournir une assistance en face à face, en prenant toutes les précautions pour réduire le risque de contagion. Nous continuons également à fonctionner et à fournir des soins en personne, si nécessaire, dans tous nos espaces dédiés à la protection : centres d’urgence, refuges et centres de transition. Et nous continuons à nous mobiliser en cas de besoin.
La liberté de réunion est limitée, mais il ne nous est pas interdit d'agir face aux féminicides et autres violations des droits. Nous continuons à agir selon notre modèle et sur la base de nos principes directeurs, à savoir les droits humains et le respect de la vie des femmes. Nous nous sommes réorganisés pour respecter la distanciation sociale lorsque cela est possible, mais surtout pour nous concentrer sur les besoins des familles que nous aidons.
Comment le mouvement féministe s’est-il adapté à la transition entre les manifestations de masse et l'isolement social ?
Nous avons transformé nos façons de protester, d’élever la voix, de nous unir dans la fraternité pour demander la justice, l’égalité réelle et le respect de tous les droits des femmes et des enfants. Nous avons utilisé les plateformes numériques et la technologie pour continuer à communiquer, à créer des réseaux et à proposer des actions. Les mouvements féministes ne se sont pas arrêtés avec l'arrivée de la COVID-19 : grâce aux médias et aux plateformes numériques, nous avons organisé des conversations, des webinaires, des réunions de solidarité, des rencontres pour exprimer nos sentiments et exercer notre solidarité. Nous avons établi des échanges féministes pour soutenir les activités économiques de nos consœurs et offrir nos services professionnels en tant que psychologues, médecins et avocates sur les médias sociaux.
Nous avons également multiplié les déclarations. Nous avons récemment produit, avec 42 autres groupes féministes, une vidéo qui accompagne une lettre comportant plus de 6 000 signatures pour exiger que l’État mexicain et les 32 États mettent en œuvre des actions urgentes et prioritaires pour garantir la vie et la sécurité de toutes les femmes et de tous les enfants de notre pays. Face à la minimisation du phénomène de la violence contre les femmes, nous avons lancé la campagne « Nosotras tenemos otros datos », qui a eu un impact considérable. Nous nous sommes également fait l’écho des voix des femmes victimes de violence qui ont sollicité notre aide. Nous sommes donc bel et bien présents et nous continuerons à l’être.
Que faut-il changer après la pandémie, et comment pouvons-nous travailler ensemble pour provoquer ce changement ?
La pandémie de COVID-19 a mis en lumière les problèmes de fond de notre pays : l’accès très inégal à la santé, à l’éducation, à l’information, à la justice et aux droits. De mon point de vue, l’après-pandémie peut également être une grande opportunité pour réorganiser notre système de soins, de protection et de sécurité globale, afin de s’assurer que toutes les personnes disposent à la fois de garanties légales et d’opportunités réelles de mener une vie sans violence - et en particulier les groupes les plus vulnérables, notamment les femmes, les enfants, les personnes âgées, les migrants et les personnes souffrant de handicap.
Nous avons besoin de politiques publiques qui garantissent l’égalité d’accès de tous à tous les droits. Ces politiques publiques doivent bénéficier d’un budget spécifique. Et il doit s'agir de politiques d'État plutôt que de politiques gouvernementales, car ce n'est pas un problème de l'administration actuelle - c'est un problème historique. Or, les politiques gouvernementales sont démantelées à chaque changement de gouvernement, même dans le cas de politiques de discrimination positive, qui donnent pourtant de bons résultats. C’est pourquoi il est essentiel de s’orienter vers une politique d’État, avec un budget garanti et une action intersectorielle. Ces politiques doivent inclure les perspectives de genre, de droits humains et de diversité, afin que personne ne soit laissé de côté. Elles devraient relever de la responsabilité du gouvernement fédéral, mais aussi des 32 États et de la société elle-même, et bien sûr des OSC, afin de progresser vers une société où la violence sexiste n’est pas justifiée et naturalisée, comme cela continue malheureusement d’être le cas actuellement.
Toutes les personnes, dans tous les secteurs, doivent œuvrer à un changement culturel, en commençant par nous-mêmes, afin d’identifier nos propres actes discriminatoires et actions violentes, ainsi que la manière dont nous reproduisons les codes sociaux et naturalisons la violence. C’est pourquoi je pense que le changement doit s’opérer à tous les niveaux avant que l'on puisse réellement parler d'une véritable transformation.
De quel type de soutien le Réseau National a-t-il besoin de la part de la communauté internationale ?
Nous voulons que la communauté internationale soit informée des régressions que connaît notre pays dans le domaine des droits humains. Il est important que l’information parvienne aux organisations internationales, car l’Etat mexicain a signé et ratifié la Convention de Belém do Pará (Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et le Programme d’action de Beijing, et il n’en respecte aucune. L’État mexicain a déjà reçu de nombreuses recommandations internationales à cet égard, mais n’y répond pas par des actions concrètes.
Au contraire, le gouvernement est souvent complice de la violence. En ignorant, voire en niant, que les femmes subissent des violences au sein de leur foyer et que celles-ci ont augmenté pendant le confinement, les autorités condamnent à nouveau les victimes. De plus, la politique d’austérité affecte les programmes et les communautés. Depuis 2019, les refuges mènent une lutte regrettable et constante pour défendre leur budget, en montrant les bénéfices et l’impact qu’ils génèrent auprès des familles mexicaines. Nous avons donc également besoin d’un soutien sous forme de dons pour renforcer notre réseau national et créer davantage de centres d’urgence et de transition, qui jouent un rôle crucial pour fermer le cycle de la violence et assurer une véritable citoyenneté et la protection des droits humains.
L’espace civique au Mexique est classé comme « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
Contactez le Réseau National des Refuges via sonsite web ou son profilFacebook, et suivez@RNRoficial sur Twitter.
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SUISSE : « Il était temps que tout le monde ait les mêmes droits, sans discrimination »
CIVICUS s’entretient avec Reto Wyss, responsable desaffaires internationalesde Pink Cross, au sujet du récentréférendum sur le mariage homosexuelen Suisse et des défis à venir.
Pink Cross est l’organisation faîtière nationale des hommes homosexuels et bisexuels de Suisse. Depuis 28 ans, elle défend leurs droits dans les quatre régions linguistiques du pays. Elle s’oppose à la discrimination, aux préjugés et à la violence fondés sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la séropositivité, et se bat pour l’acceptation et l’égalité des droits de toutes les personnes homosexuelles, tant au niveau national qu’international. Elle mène son action par le biais d’une présence médiatique active, d’un plaidoyer, de campagnes et d’efforts visant à renforcer la communauté LGBTQI+.
Quel a été le processus menant à la légalisation du mariage homosexuel en Suisse, et quels rôles Pink Cross a-t-elle joués ?
Le projet de loi sur le mariage homosexuel a été soumis au parlement en 2013 et il a fait plusieurs allers-retours entre les deux chambres législatives jusqu’à ce qu’il soit finalement adopté en décembre 2020. Pink Cross a mené un travail intensif et assez traditionnel de plaidoyer, de lobbying et de campagne publique tout au long du processus.
Nous avons beaucoup discuté avec des politiciens du Parti démocratique libre de Suisse (conservateur-libéral) ainsi que du Parti démocrate-chrétien. Nous avons commandé un avis juridique qui indiquait clairement que, contrairement à ce que disaient les opposants à la loi, il n’était pas nécessaire de modifier la Constitution suisse pour ouvrir le mariage à toutes et tous. Si tel avait été le cas, la légalisation du mariage homosexuel aurait nécessité un vote populaire positif dans la majorité des cantons suisses, ce qui aurait rendu les choses beaucoup plus compliquées.
Pour consacrer le mariage homosexuel, il suffisait d’une loi comme celle que le Parlement a votée, modifiant le code civil pour étendre le mariage à tous les couples au-delà de ceux composés d’un homme et d’une femme.
Aucun référendum n’était nécessaire : celui du 26 septembre était un référendum facultatif lancé par les opposants à la loi, qui entendaient montrer que la décision du Parlement n’était pas bien accueillie par le peuple suisse, et l’annuler. Pour que ce référendum soit lancé, ils ont mené une campagne active pour réunir les 50 000 signatures requises. Les organisations LGBTQI+ auraient été largement satisfaites de laisser la décision prise par le Parlement s’appliquer, plutôt que de demander à tout le monde son accord pour nous accorder les mêmes droits qu’aux autres.
La campagne de la société civile a été officiellement lancée le 27 juin, avec des événements dans 23 villes et villages de Suisse. Au cours des 100 jours suivants, la communauté queer s’est mobilisée dans tout le pays avec des dizaines d’actions pour réclamer le droit à l’égalité. La campagne a été soutenue par plusieurs organisations LGBTQI+, dont Pink Cross, l’Organisation Suisse des Lesbiennes - LOS, Network-Gay Leadership, WyberNet gay professionnal women, l’association faîtière Familles arc-en-ciel et la Fédération romande des associations LGBTIQ.
Nous voulions gagner autant de visibilité que possible, nous avons donc fait campagne avec des milliers de drapeaux arc-en-ciel accrochés aux balcons dans tout le pays et nous avons mis en ligne de nombreuses vidéos formidables. Il s’agissait d’une campagne de base très large, à laquelle de nombreux militants ont participé, en ligne et en personne. Notre message principal était que les mêmes droits doivent être reconnus à tous, sans discrimination, et qu’en Suisse, il était temps que cela arrive.
Qui a fait campagne pour et contre le mariage homosexuel pendant la période précédant le vote ? Comment les groupes opposés au mariage entre personnes de même sexe se sont-ils mobilisés ?
Les partis et organisations de gauche et libéraux ont fait campagne en faveur de la loi, tandis que l’Union démocratique du centre (UDC), populiste et de droite - mais pas tous ses représentants élus - a fait campagne contre la loi, ainsi que toute une série d’organisations conservatrices et ecclésiastiques, y compris le Parti populaire évangélique, plutôt petit. L’Église catholique était contre la loi, mais tous ses représentants ou institutions n’avaient pas la même position. L’Église protestante a soutenu la loi, mais pas à l’unanimité.
La mobilisation contre la loi a eu lieu principalement dans les campagnes et - évidemment - en ligne. Leurs arguments portaient essentiellement sur le prétendu bien-être des enfants, et se concentraient sur le fait que la loi permettait aux couples mariés de même sexe d’accéder à l’adoption et à la conception par don de sperme.
Quels seront les effets immédiats de la nouvelle loi ?
Le 26 septembre, par 64 % des voix, le peuple suisse a exprimé son accord avec la loi accordant le mariage égal pour tous. La loi entrera en vigueur le 1er juillet 2022 et aura des effets pratiques très importants et immédiats, car le statut juridique du mariage présente plusieurs différences importantes par rapport au régime du partenariat enregistré (PE) dont bénéficient déjà les couples de même sexe.
La reconnaissance du mariage à tous les couples éliminera les inégalités de traitement juridique qui existent encore en matière de naturalisation facilitée, d’adoption conjointe, de propriété conjointe, d’accès à la procréation médicalement assistée et de reconnaissance légale des relations parents-enfants dans les cas de procréation médicalement assistée.
S’ils veulent être reconnus comme légalement mariés, les couples de même sexe actuellement en PE devront demander la conversion de leur PE en mariage légal à l’office d’état civil au moyen d’une « déclaration simplifiée », qui n’entraînera pas de coûts excessifs, bien que la procédure exacte reste à déterminer et puisse varier d’un canton à l’autre.
Les personnes qui se sont mariées à l’étranger mais dont le mariage a été reconnu en Suisse comme PE verront leur PE automatiquement et rétroactivement converti en mariage.
Quels sont les autres défis auxquels sont confrontées les personnes LGBTQI+ en Suisse, et qu’est-ce qui doit encore changer pour faire progresser les droits des LGBTQI+ ?
Il reste encore beaucoup à faire en termes de prévention, d’enregistrement et de condamnation des crimes de haine de manière adéquate. Pink Cross fait actuellement avancer cette question dans tous les cantons, car cela relève de leur compétence. De même, nous préparons un premier « précédent » pour obtenir une décision sur le paragraphe « agitation anti-LGBT » qui a été introduit dans le droit pénal l’année dernière.
Enfin, l’ancrage institutionnel de la défense des droits des LGBTQI+ doit certainement encore être renforcé au niveau national, notamment au sein de l’administration fédérale, soit par le biais d’une commission spécifique, soit par l’extension du mandat du Bureau fédéral de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous travaillons donc également pour avancer sur ce point.
L’espace civique en Suisse est classé « ouvert » par leCIVICUS Monitor.
Prenez contact avec Pink Cross via sonsite web ou ses pagesFacebook etInstagram, et suivez@pinkcross_ch sur Twitter. -
SUISSE : « La victoire du mariage entre personnes de même sexe va stimuler nos efforts pour les prochaines étapes »
CIVICUS s’entretient avec Jessica Zuber, coleader de la campagne « mariage pour tous » d’Opération Libero, à propos du récentréférendum sur le mariage homosexuelen Suisse. Opération Libero est un mouvement de la société civile non partisan fondé pour faire campagne contre les initiatives populistes. Son travail se concentre sur la préservation et le développement de la démocratie libérale, la promotion de relations fortes entre la Suisse et l’Europe, la promotion d’une loi libérale sur la citoyenneté, le soutien d’une transformation numérique renforçant la démocratie et la promotion d’une politique plus transparente, responsable et inclusive.
Quel rôle Opération Libero a-t-il joué dans le processus qui a conduit à la récente légalisation du mariage homosexuel ?
Depuis sa fondation, Opération Libero se bat pour l’égalité de traitement juridique. Nous avons accompagné le processus parlementaire et fait du lobbying pour que la loi soit adoptée, ce qui est arrivé en décembre 2020, après presque sept ans. Quelques jours avant que les opposants à la loi ne déposent leur demande de référendum, nous avons lancé notre pétition, qui est devenue virale et a reçu plus de 60 000 signatures en ligne en un seul week-end. Pour nous, c’était un signal très fort sur l’état de l’opinion publique.
Nous avons lancé notre campagne six semaines avant le vote. Elle était axée sur la devise « même amour, mêmes droits ». Notre campagne a complété celle du comité « officiel » mené par la communauté LGBTQI+, qui montrait de vrais couples de même sexe sur leurs affiches. Pour nous démarquer et attirer une cible plus conservatrice, nous avons montré des couples de même sexe aux côtés de couples hétérosexuels.
Pour le lancement de notre campagne, nous avons mis en scène un mariage et les images de cette cérémonie ont servi de supports visuels pour la couverture médiatique de la campagne. Certains de nos principaux concepts étaient que les droits fondamentaux doivent s’appliquer à tous, et que personne ne perd lorsque l’amour gagne. Il s’agissait d’une campagne de bien-être, car nous nous sommes volontairement abstenus de susciter trop de controverse - par exemple, en soulignant que l’homophobie est encore un phénomène très présent dans la société suisse.
Pendant la campagne, environ 150 000 de nos dépliants ont été distribués, 13 000 sous-verres ont été commandés et 10 000 autocollants ont été distribués. Notre principale source de financement a été la vente de nos chaussettes spéciales, dont nous avons vendu près de 10 000 paires. Nous avons organisé des ateliers d’entraînement pour préparer les électeurs aux débats et lancé une campagne d’affichage dans les gares et les bus publics. L'événement conjoint de distribution de tracts avec des membres du parti populiste de droite - qui, contre la ligne officielle du parti, soutenaient le mariage pour tous - a attiré l’attention des médias et a réussi à montrer l’ampleur du soutien à la loi.
Enfin et surtout, une semaine avant le vote, nous avons organisé un événement au cours duquel 400 personnes se sont alignées de part et d’autre pour applaudir les couples de jeunes mariés - de même sexe ou non - lors de leur passage. C’était un événement très inspirant, le plus grand de ce type en Suisse.
Nous sommes très heureux d’avoir remporté le référendum, 64 % des électeurs ayant soutenu la loi. Le 26 septembre marque un grand pas pour la Suisse : après une attente bien trop longue, l’accès au mariage s’applique enfin à tous les couples, indépendamment du sexe ou de l’orientation sexuelle. Cela élimine les principales inégalités juridiques dont souffrent les couples de même sexe, par exemple en matière de naturalisation facilitée, de perception des pensions de veuve, d’adoption et de médecine reproductive.
Pourquoi un référendum a-t-il été organisé alors que le Parlement avait déjà légalisé le mariage homosexuel ?
Les opposants à la loi ont lancé le référendum pour tenter de l’annuler. Leurs arguments étaient centrés sur la vision traditionnelle du mariage en tant qu’union « naturelle » entre un homme et une femme, et sur son rôle central dans la société. Selon eux, l’introduction du mariage universel constitue une rupture sociale et politique qui annule la définition historique du mariage, entendu comme une union durable entre un homme et une femme. Ils ont été particulièrement choqués par le fait que la loi permette l’accès au don de sperme pour les couples de femmes, car ils estiment que cela prive l’enfant de son intérêt supérieur. Ils craignent également que ces changements ne conduisent à la légalisation de la maternité de substitution.
Sur un plan plus technique, ils ont fait valoir que le mariage universel ne pouvait être introduit par un simple amendement législatif, mais nécessitait une modification de la Constitution.
Qui était dans le camp du « oui » et du « non » lors du référendum ?
Après l’adoption de la loi par le Parlement, un comité interpartis - composé principalement de représentants de l’Union démocratique du centre, un parti de droite, et de l’Union démocratique fédérale, un parti chrétien ultra-conservateur - a lancé une pétition en faveur d’un référendum. Ils ont réussi à réunir plus de 50 000 signatures nécessaires pour faire passer leur proposition et obtenir un vote national. Le droit d’opposer son veto à une décision parlementaire fait partie du système suisse de démocratie directe.
Pendant la campagne, ces groupes ont diffusé des affiches et des publicités en ligne et ont participé à des débats publics dans les médias. Leur principal argument était que le bien-être des enfants était en danger. Ils ont donc placé le débat public sous le signe de l’adoption et des droits reproductifs.
Heureusement, le mariage civil pour les couples de même sexe bénéficie d’un large soutien politique, comme on a pu le constater le 26 septembre. À l’exception de l’Union démocratique du centre, tous les partis au pouvoir ont soutenu le projet de loi, de même que les Verts et les Verts libéraux, qui ne font pas partie du gouvernement.
Les groupes religieux ont même fait preuve d’une certaine ouverture. En novembre 2019, la Fédération des Églises protestantes de Suisse s’est prononcée en faveur du mariage civil entre personnes de même sexe ; en revanche, la Conférence des évêques suisses et le Réseau évangélique suisse y restent opposés.
L’agressivité avec laquelle la loi accordant le mariage pour tous a été combattue et le fait qu’environ un tiers des électeurs l’ont rejetée, en partie pour des raisons homophobes, montre que l’homophobie est encore très répandue et encore bien trop largement acceptée.
Nous avons également dû relever le défi suivant : les sondages prévoyant une victoire relativement nette dès le départ, il nous a été plus difficile de mobiliser les gens. Nous craignions que les gens considèrent la victoire comme acquise et ne se rendent pas aux urnes. Mais nous avons réussi à faire passer le message qu’une victoire plus large était un signe encore plus fort pour l’égalité en Suisse.
Quels sont les autres défis auxquels les personnes LGBTQI+ sont confrontées en Suisse, et que faut-il encore changer pour faire progresser l’égalité des droits ?
Les groupes LGBTQI+ continueront à se battre, notamment contre les crimes haineux. Le mariage pour tous n’offre pas une égalité absolue aux couples de femmes qui reçoivent un don de sperme d’un ami ou choisissent une banque de sperme à l’étranger, auquel cas seule la mère biologique sera reconnue. Ces débats auront toujours lieu, et la communauté LGBTQI+ continuera à se battre pour l’égalité.
Le « oui » clair au mariage pour tous est un signal fort indiquant que la majorité de notre société est beaucoup plus progressiste et ouverte à des choix de vie diversifiés que notre système juridique, fortement fondé sur un modèle familial conservateur, pourrait le suggérer. En effet, le mariage pour tous n’est qu’un petit pas vers l’adaptation des conditions politiques et juridiques aux réalités sociales dans lesquelles nous vivons. Le « oui » au mariage entre personnes de même sexe stimulera nos efforts pour les étapes suivantes.
Nous demandons que toutes les formes consensuelles de relations et de modèles familiaux - qu’ils soient de même sexe ou de sexe opposé, mariés ou non - soient reconnues de manière égale. Le mariage, avec sa longue histoire en tant qu’instrument central du pouvoir patriarcal, ne doit plus être considéré comme le modèle standard. Il ne doit pas être privilégié, ni juridiquement ni financièrement, par rapport aux autres formes de cohabitation. Dans les mois et les années à venir, Opération Libero fera campagne pour l’imposition individuelle, la cohabitation réglementée, la parentalité simplifiée et un droit pénal sexuel moderne.
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TUNISIE : « La réponse officielle n'a pas pris en compte les aspects de genre de la pandémie »
À la veille du 25ème anniversaire duProgramme d’Action de Beijing, qui aura lieu en septembre 2020, CIVICUS s’entretient avec des personnes activistes, dirigeantes et expertes de la société civile pour évaluer les progrès accomplis et les défis qu’il faut encore surmonter. Adopté en 1995 lors de laQuatrième Conférence Mondiale sur les Femmes des Nations Unies, le Programme d'Action de Beijing poursuit les objectifs d'éliminer la violence à l'égard des femmes, de garantir l'accès à la planification familiale et à la santé reproductive, d'éliminer les obstacles de la participation des femmes à la prise de décisions, et à la création d'emplois décents et d'un salaire égal pour le même travail. Vingt-cinq ans plus tard, des progrès importants mais inégaux ont été réalisés, en grande partie grâce aux efforts inlassables de la société civile, mais aucun pays n'a encore atteint l'égalité des sexes.
CIVICUS et le Réseau des ONG Arabes pour le Développement (ANND) s'entretiennent avec Ramy Khouili, directeur de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD). Fondée en 1989 par le mouvement féministe autonome en réponse au féminisme d'État, ATFD promeut l'égalité des sexes dans tous les domaines, de la sphère politique aux droits socio-économiques, y compris les droits sexuels, corporels et reproductifs des femmes, et lutte contre toutes les formes de discrimination et de violence à l'égard des femmes.
Quelle est la situation des droits des femmes en Tunisie ? Quels ont été les progrès jusqu'à présent ?
Environ un mois après l'indépendance, en 1956, le Code du Statut Personnel a été promulgué. À ce jour, ce code est toujours considéré comme le plus progressiste et révolutionnaire de la région, car il a aboli la polygamie, institué le mariage civil et aboli la répudiation et de nombreuses autres formes de dégradation des femmes. Depuis lors, nous avons eu une situation très particulière, puisque le féminisme d'État a prévalu dans la sphère publique. Bien que nous ayons vécu sous une dictature pendant près de 50 ans, la Tunisie a toujours été saluée comme un bon exemple pour la région en matière de droits des femmes. Cet éloge a pris les femmes en otage, leur refusant le droit à une véritable égalité. En réponse à cela, un mouvement féministe autonome a été fondé qui s'est donné pour mission de dénoncer le fait que la situation n'était pas aussi bonne que le régime la présentait, ce qui lui a provoqué de nombreux problèmes.
Après la révolution de 2011, il y a eu une résurgence des groupes islamistes et conservateurs, de sorte que les droits des femmes ont été menacés. Entre 2011 et 2014, lors du processus d'élaboration d'une nouvelle constitution, la majorité islamiste a tenté d'imposer le concept de « complémentarité » entre hommes et femmes, remplaçant celui d'égalité. Les organisations de la société civile (OSC) ont dû faire de nombreux efforts et de nombreuses mobilisations de rue ont dû être organisées pour l'éviter. Par conséquent, l'article 21 de la Constitution tunisienne établit désormais clairement que les femmes et les hommes sont égaux devant la loi et interdit toutes les formes de discrimination.
C'est grâce à ce mouvement social qu'une constitution a été obtenue qui est considérée comme la plus progressiste de la région. Son article 46, un ajout de dernière minute, reconnaît le rôle de l'État dans la lutte contre la violence à l'égard des femmes. Il établit que l'État a la responsabilité de promouvoir et de protéger les droits des femmes et interdit tout retour en arrière dans la reconnaissance de ces droits.
Depuis lors, nous avons obtenu d'autres modifications juridiques. En 2016, une loi contre la traite a été approuvée, et en 2017, une loi contre la violence a été approuvée. Celle-ci était la première de ce type dans la région et a été rédigée principalement par des activistes de la société civile et des organisations féministes. En termes de représentation politique, la loi sur les partis politiques adoptée en 2011 a établi que toutes les listes électorales doivent avoir une parité hommes-femmes.
Quels défis persistent ?
La situation réelle diffère de ce que dit la loi, car les inégalités sont encore très présentes. De nombreuses pratiques discriminatoires persistent de fait. Les statistiques sont alarmantes. La moitié des femmes ont été victimes d'au moins une forme de violence. Les crises socioéconomiques ont des effets plus graves sur les femmes que sur les hommes. Chez les femmes, le taux de chômage est presque le double de celui des hommes. L'accès des femmes à la terre est limité : seulement 4% des femmes possèdent des terres, bien qu'elles constituent près de 90% de la main d'œuvre agricole.
Pendant longtemps, la Tunisie a été présentée comme un bon exemple en matière de planification familiale et de santé reproductive, car elle a mis en place des programmes de planification familiale et de santé reproductive dès les années 1950 et 1960 et a accordé aux femmes le droit à l'avortement au début des années 1970, avant même de nombreux pays européens. Cependant, depuis la révolution, nous avons remarqué que les autorités de l'État ont pris du recul dans le domaine des services sociaux, en particulier l'éducation, la santé et la santé sexuelle et reproductive. L'accès aux méthodes contraceptives et à l'avortement devient de plus en plus limité et les besoins non satisfaits en matière de droits sexuels et reproductifs augmentent, ce qui est alarmant.
En 2019, avec d'autres OSC tunisiennes, nous avons présenté un rapport alternatif retraçant les progrès accomplis vers les objectifs de la Déclaration et du Programme d'Action de Beijing et soulignant les défis futurs. Notre rapport offrait une perspective différente de celle du gouvernement tunisien. L'une de nos plus grandes préoccupations est que la Tunisie est un pays à majorité musulmane et lorsque la Déclaration et le Programme d'Action de Pékin ont été adoptés, l'État tunisien a présenté, en commun avec d'autres pays à majorité musulmane, une déclaration avertissant qu'il ne s'engagerait dans aucune mesure qui pourrait contredire les valeurs de l'islam. L'article 1 de la nouvelle Constitution établit que la Tunisie est un pays musulman. La déclaration susmentionnée est toujours valable. Bien qu'il ait levé la plupart de ses réserves concernant la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, l'État tunisien n'a pas levé toutes ses réserves concernant la Déclaration et le Programme d'Action de Beijing. Il reste donc des défis à relever tant en droit qu'en pratique.
Comment la pandémie du COVID-19 a-t-elle exacerbé ces défis et que fait la société civile pour y faire face ?
Au début de la pandémie du COVID-19, l'ATFD a lancé un avertissement aux autorités tunisiennes dans lequel elle exprimait ses inquiétudes concernant la période de quarantaine, durant laquelle de nombreuses femmes ont dû rester chez elles avec leurs agresseurs. Nous avions raison, car le nombre de cas de violence sexiste a continué de croître pendant la quarantaine. Le Ministère des Affaires de la Femme a déclaré que le nombre d'appels reçus via le numéro de téléphone d'urgence créé par le gouvernement a été multiplié par cinq. Dans nos centres d'attention, nous avons également observé une recrudescence, car le nombre de femmes victimes de violence qui ont sollicité notre soutien a augmenté. La situation est devenue plus difficile lorsque les gens ont commencé à agir de manière plus agressive. Par ailleurs, il est devenu de plus en plus difficile de se rendre au poste de police ou de demander des services de santé, de sorte que l'accès aux services a diminué. Les femmes se sont senties isolées et ont été forcées de continuer à vivre avec leurs agresseurs pendant la quarantaine.
La plupart des tribunaux ont fermé pendant la quarantaine et nous avons dû faire du lobby auprès du Conseil Supérieur de la Magistrature et du Ministère de la Justice pour inclure les cas de violence à l'égard des femmes parmi les cas d'urgence qui seraient traités pendant la quarantaine. Heureusement, notre demande a été acceptée.
L'accès aux services de santé sexuelle et reproductive a également été affecté car, par crainte du virus, les femmes n'ont pas pu sortir et chercher ces services. Nous avons dû collaborer avec le Ministère de la Santé Publique et le Ministère des Affaires de la Femme pour trouver des solutions à cette situation, et maintenant nous essayons de trouver un moyen d'assurer la continuité des services de santé reproductive.
En outre, les droits socio-économiques des femmes ont été gravement affectés. En raison de la crise économique provoquée par la pandémie, de nombreuses femmes ont perdu leurs emplois ou ne perçoivent pas leurs salaires. De nombreuses femmes en Tunisie travaillent dans le secteur informel, elles n'ont donc pas pu continuer à travailler et se sont retrouvées sans aucun revenu. Cela affecte leur capacité à prendre soin d'elles-mêmes et de leurs familles. Avec un groupe de travailleurs domestiques, nous avons fait une étude sur la situation des travailleurs domestiques en Tunisie. La situation est vraiment alarmante car les travailleurs domestiques ne peuvent pas travailler pendant la quarantaine et n'ont pas d'autre source de revenus. Malgré le fait que le secteur informel représente une grande partie de l'économie, les mesures prises par le gouvernement pour accorder une aide d'urgence ne s'appliquent qu'au secteur formel. À son tour, le soutien du gouvernement a été destiné aux familles et, selon la loi tunisienne, les hommes sont les chefs de famille, donc l'argent a été reçu principalement par des hommes. En cas de conflit, violence ou séparation, les femmes n'ont pas accès à l'aide gouvernementale.
Nous avons fait beaucoup de travail de plaidoyer auprès des autorités car la réponse officielle n'a pas pris en compte les aspects de genre de la pandémie. Nous avons travaillé avec la plupart des ministres. Nous avons eu rendez-vous avec la plupart des départements ministériels pour les sensibiliser. Nous avons envoyé des documents politiques et publié des lettres ouvertes. Nous continuons à fournir des services dans nos centres d'attention, qui continuent de fonctionner. Nous avons également adapté ces services afin qu'ils puissent être fournis par téléphone. Nous avons lancé une campagne contre la violence à l'égard des femmes pendant la pandémie, qui a été suivie par des milliers de personnes et a connu un grand succès. En conséquence, le département Facebook pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord nous a contactés et nous travaillons maintenant avec eux pour amplifier l'impact de nos futures campagnes. Nous établirons également des canaux de communication avec Facebook pour signaler les violences et les expressions de haine sur les réseaux sociaux.
Quelles restrictions aux libertés d'association, d'expression et de manifestation avez-vous rencontrées pendant la pandémie, et comment tentez-vous de les surmonter ?
Nous n'avons fait face à aucune restriction de la part du gouvernement, mais notre présence dans les espaces publics a été affectée par l'impossibilité d'organiser des manifestations. Nous sommes habitués à sortir lors de manifestations, car occuper l'espace public pour dire « nous sommes ici et revendiquons ceci ou cela » est une tactique qui fonctionne. Et maintenant, nous ne pouvons pas le faire. Mais nous sommes en train d'entrer dans une nouvelle phase de mise en quarantaine et ce sera peut-être bientôt un peu plus facile, donc nous pensons déjà à de nouvelles manières de protester tout en respectant les mesures de distanciation sociale. Nous réfléchissons à la manière d'adapter nos tactiques de mobilisation. Nous nous concentrons sur les réseaux sociaux, ainsi que les médias traditionnels, pour communiquer nos messages et parler des problèmes auxquels nous sommes confrontés, et toucher la plus grande quantité possible de personnes. Nous essayons également de diversifier nos médias pour atteindre différents publics.
Nous établissons également une coalition avec le syndicat des journalistes, la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme et d'autres organisations pour travailler sur l'impact de la réponse à la pandémie sur les droits humains.
De nombreux donateurs et partenaires ont été très flexibles car il était évident que nous ne pouvions pas continuer à fonctionner comme si rien n'avait changé. Nous avons dû adapter bon nombre de nos activités, en reporter d'autres et utiliser plus du budget pour l'aide sociale. La plupart de nos homologues ont été compréhensifs et nous avons eu de bonnes discussions avec eux pour réajuster nos plans à la situation causée par la pandémie. Cependant, nous avons eu des problèmes avec des donateurs qui ont baissé les salaires pendant cette période.
En plus de faire face aux problèmes les plus urgents, nous sommes également impliqués dans un processus de réflexion interne et avec nos partenaires. Nous voulons voir des changements positifs à la suite de la pandémie. Nous voulons une société plus juste et plus égalitaire où toutes les personnes se sentent incluses. La pandémie a révélé certains problèmes sous-jacents que le gouvernement a longtemps préféré ignorer, mais qui devront maintenant être résolus, tels que la défaillance du système de santé.
De quel soutien la société civile tunisienne a-t-elle besoin de la part de la communauté internationale ?
La principale forme de soutien est de travailler ensemble. Nous devons travailler ensemble parce que nous avons de l'expérience sur le terrain, tandis que les organisations internationales ont des réseaux plus larges, sont capables de travailler dans une variété de contextes, ont accès aux mécanismes internationaux et ont la capacité d'influencer l'agenda international. Pour qu'une alliance soit efficace, elle doit travailler simultanément pour influencer à la fois aux niveaux national et international. La pandémie a montré que certains des plus grands problèmes ne peuvent pas être attaqués au niveau national, mais que nous devons travailler au niveau international et en collaboration avec des réseaux régionaux. Si nous mettons ces deux choses ensemble, je pense que nous pouvons avoir un impact plus important.
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TURQUIE : « Se retirer de la Convention d’Istanbul signifierait que nous ne croyons pas en l’égalité des genres »
À l’occasion du 25ème anniversaire duProgramme d’Action de Beijing, CIVICUS s’entretient avec des activistes, des dirigeants et des experts de la société civile pour évaluer les progrès accomplis et les défis qui restent à surmonter. Adopté en 1995 lors de la quatrièmeConférence mondiale des Nations Unies (ONU) sur les femmes, le Programme d’Action de Beijing poursuit les objectifs d’éliminer la violence contre les femmes, de garantir l’accès au planning familial et à la santé reproductive, d’éliminer les obstacles à la participation des femmes à la prise de décision et de fournir un emploi décent et un salaire égal pour un travail égal. Vingt-cinq ans plus tard, des progrès importants mais inégaux ont été faits, en grande partie grâce aux efforts incessants de la société civile, mais aucun pays n’a encore atteint l’égalité des genres.
CIVICUS s’entretient avec Elif Ege, une volontaire de Mor Çatı, une organisation de la société civile fondée par des féministes turques il y a 30 ans pour lutter contre la violence envers les femmes (VEF). Mor Çatı dirige un centre de solidarité et le seul refuge indépendant pour femmes de Turquie. Elle s’attache à fournir aux femmes un soutien juridique, psychologique et social, et à encourager l’élaboration de politiques féministes, en rédigeant des lois, en faisant pression sur le gouvernement pour qu’il les applique et en contrôlant leur mise en œuvre.
Quelle est la situation des droits des femmes en Turquie ?
En Turquie, nous avons obtenu de nombreux résultats en matière de droits des femmes et d’égalité des genres. Dans une certaine mesure, les féministes ont été impliquées dans les processus législatifs. Si l’on compare les lois de différents pays, on constate que nous avons une bonne loi sur la VEF, qui est très complète et qui, si elle était appliquée correctement, consacrerait les droits des femmes victimes de violences. Mor Çatı est l’une des organisations qui ont participé à son processus de rédaction. Nous faisons partie du mouvement des femmes qui a été la force motrice de cette loi. Avec le recul, nous constatons que le principal problème est celui de sa mise en œuvre. En outre, ces dernières années, nous nous sommes battus pour préserver les lois qui consacrent les droits des femmes. Il ne s’agit plus seulement de la mise en œuvre, mais aussi de veiller à ce que ces lois soient respectées. Le gouvernement a tenté à plusieurs reprises de les abroger.
La situation des droits des femmes s’est détériorée. Un principe fondamental que notre organisation a défendu est que la VEF est étroitement liée à l’inégalité entre les genres : elle découle de la discrimination et de l’inégalité entre les femmes et les hommes. En Turquie, nous avons entendu des déclarations de hauts fonctionnaires du gouvernement qui ont explicitement affirmé que les hommes et les femmes ne sont pas égaux. Nous essayons activement de lutter contre cette mentalité qui n’accepte pas l’égalité des genres.
De plus, il n’existe pas de données officielles sur la VEF, il nous est donc impossible de connaître les chiffres exacts. Nous ne pouvons collecter des données qu’auprès des femmes qui nous contactent, et ces données montrent qu’à l’heure actuelle, la VEF est très élevée. Nous savons que les femmes de différents secteurs de la société subissent des formes de violence très différentes. Au vu de cette escalade de la violence et des déclarations publiques préjudiciables à l’égalité des genres, je dirais que la situation se détériore.
Quels sont les principaux défis dans le cadre du processus Beijing+25 et de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 ?
L’élimination de la VEF est l’un des principaux défis à relever. C’est pourquoi nous continuerons à mettre cette question à l’ordre du jour dans le cadre de notre mobilisation autour du processus Beijing+25.
Avec d’autres organisations féministes et de femmes turques, telles que Women for Women’s Human Rights-New Ways, Mor Çatı a historiquement participé à des réunions internationales et à des actions de plaidoyer transnationales. Nous partageons nos connaissances et notre apprentissage et construisons une solidarité sur la scène internationale. Nous avons participé au processus de Beijing+25 et à la mise en œuvre de l’Agenda 2030 en mettant l’accent sur la VEF, et avons apporté notre expertise sur cette question.
Ces mécanismes sont utilisés pour pousser le gouvernement à prendre des mesures sur la base de recommandations générales. Les organisations de défense des droits des femmes ont une longue tradition de participation et d’utilisation de ces mécanismes internationaux. Mais il y a eu un changement dans la position du gouvernement turc. Vers 2000, le gouvernement était plus réceptif à ces mécanismes et « écoutait » leurs recommandations, mais nous assistons aujourd’hui à une régression.
Dans le passé, nous avons connu quelques progrès. Au fil des ans, dans le cadre des réunions de suivi de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a recommandé au gouvernement de procéder à certains changements, et nous avons constaté que ces changements étaient en cours. Le nombre de refuges n’était pas suffisant, et maintenant nous avons plus de refuges. Mais ce que nous constatons aujourd’hui, c’est l’absence d’une approche féministe. C’est un problème majeur que nous constatons dans les refuges.
L’avortement est également un gros problème. Sur cette question aussi, nous avons une loi qui donne ce droit aux femmes. L’avortement est légal, mais cette loi n’est pas appliquée. Dans la pratique, l’avortement est refusé dans les hôpitaux publics et, dans certains cas, également dans les hôpitaux privés. À l’heure actuelle, les femmes n’ont pas facilement accès à l’exercice de leur droit à l’avortement.
Dans quelle mesure la pandémie de COVID-19 a-t-elle exacerbé ces défis, et quel rôle la société civile a-t-elle joué pour les relever ?
Pendant la pandémie, nous avons travaillé dur, comme toutes les organisations travaillant sur la VEF. On peut dire que les conditions se sont détériorées, car tous les mécanismes de soutien censés prévenir la violence et protéger les femmes ont échoué. Même avant, la situation n’était pas bonne, mais maintenant elle s’est aggravée. Ce n’est pas seulement le taux de violence qui a augmenté, mais tout le mécanisme s’est effondré. Nous avions déjà des problèmes avec les forces de police auparavant. Selon la loi, lorsqu’une femme vient demander secours à la police, celle-ci doit immédiatement l’emmener dans un refuge pour femmes. Mais au lieu de cela, les agents de police adoptaient un comportement dissuasif, donnant aux femmes de fausses informations pour tenter de les faire changer d’avis et les faire retourner dans l’environnement violent de leur foyer. Nous avons eu beaucoup de difficultés avec cette question avant la pandémie, mais pendant la pandémie, la situation s’est aggravée. La pandémie a servi d’excuse à ce comportement, car il est devenu facile pour la police de mentir aux femmes en leur disant que les refuges étaient fermés, même si ce n’était pas vrai. Ce n’est qu’un exemple. Nous n’avions pas non plus de mécanisme de soutien psychologique en ligne, ce qui signifie que les femmes se retrouvaient seules dans un environnement familial violent.
Les médias sociaux sont devenus un outil important pour nous. Nous les utilisions déjà bien avant, mais pendant la pandémie, leur utilisation s’est intensifiée. Nous les avons utilisés pour fournir des informations aux femmes et les informer de leurs droits. En Turquie, il n’y a pas eu de confinement complet, il y a eu quelques exceptions. Il incombait au gouvernement d’informer les femmes que l’une des exceptions était la VEF : en cas de violence, elles étaient toujours autorisées à se rendre dans un poste de police. Mais l’annonce n’a pas été rendue publique, et c’est donc nous qui avons dû fournir ces informations. Nous avons également partagé beaucoup d’informations que nous avons recueillies sur les problèmes d’interaction avec la police, avec les associations d’avocats et avec d’autres institutions publiques. Nous avons fait des posts à ce sujet sur Twitter, Facebook et Instagram afin que le public soit informé. Nous avons déposé de nombreux rapports, collecté beaucoup d’informations et de données et les avons présentées au public. Nous avons également continué à apporter un soutien aux femmes.
Entre la mi-mars et la fin juin 2020, nous avons réalisé plus de 514 entretiens avec des femmes. La plupart de ces entretiens concernaient des femmes qui nous appelaient pour la première fois. Il s’agit d’un nombre légèrement supérieur au nombre de femmes qui nous avaient appelés au cours de la même période l’année dernière. Mais nous tenons à préciser que cela ne signifie pas que la violence domestique a commencé pendant la pandémie. Nous voulons nous éloigner du discours qui suggère que la violence domestique s’est intensifiée pendant la pandémie. Nous voulons plutôt souligner que ce sont les mécanismes de soutien qui ont failli aux femmes. En l’absence de mécanismes de soutien, les femmes qui auraient été capables de résoudre leurs problèmes par elles-mêmes n’ont pas pu le faire.
En tant qu’organisation de défense des droits des femmes, avez-vous été confrontée à des restrictions supplémentaires de votre droit d’organiser, de parler et de protester ?
Il est de plus en plus difficile pour nous de faire notre travail. Les choses ont changé : auparavant, le gouvernement nous demandait des informations et des conseils et travaillait avec nous. Mais ces dernières années, nos interactions avec le gouvernement ont changé : nous ne sommes plus invités aux réunions et on ne nous demande plus notre avis. En ce sens, la situation est devenue de plus en plus difficile pour nous.
D’une manière générale, le droit de manifester en Turquie est restreint. Juste avant la pandémie, nous avons organisé notre marche féministe pour la Journée internationale de la femme, le 8 mars. Bien que nous ayons pu nous rassembler, nous n’étions pas autorisés à défiler, et nous avons donc dû modifier notre itinéraire. Actuellement, le gouvernement envisage de retirer sa ratification de la Convention d’Istanbul, un traité du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme contre la VEF. Cette situation a suscité des manifestations visant à faire pression sur le gouvernement pour qu’il respecte et applique la convention. Notre législation nationale est conforme à cette convention, et son retrait entraverait toute tentative de prévention de la VEF. La convention vise à prévenir la violence fondée sur le genre en se basant sur l’égalité des genres et en traitant les femmes comme des citoyennes égales aux hommes. Les groupes et les partis qui suggèrent le retrait de la Convention affirment que nous pouvons créer nos propres lois nationales. Mais la Convention elle-même a été créée grâce aux efforts des féministes en Turquie. Se retirer de cette convention signifierait que nous ne croyons pas à l’égalité des genres. Nous avons récemment essayé d’avoir un forum sur la Convention d’Istanbul, mais il a été interdit, donc la situation n’est pas aisée.
Nous avons besoin de politiques coordonnées et correctement mises en œuvre pour lutter contre la VEF. Il ne s’agit pas seulement des forces de police ou des refuges. Lorsqu’une femme veut quitter un environnement violent, elle a besoin d’un soutien juridique, social et financier. Elle doit rester dans un refuge si elle n’a nulle part où aller. Tous ces éléments, qui sont mentionnés dans la Convention d’Istanbul, doivent être réunis pour créer un environnement sûr pour les femmes. Lorsque tout le mécanisme de soutien s’effondre, comme ce fut le cas pendant la pandémie, il est impossible pour les femmes de quitter la maison et de commencer leur propre vie. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est de discuter non pas du retrait de la Convention, mais de la manière de la mettre en œuvre.
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