espace civique
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SINGAPOUR : « Les partis d’opposition ont bénéficié d’une couverture défavorable de la part des médias d’État et ont eu des difficultés à accéder aux électeurs »
CIVICUS s’entretient avec le défenseur des droits humains Jolovan Wham au sujet des récentes élections à Singapour, qui se sont déroulées sur fond de pandémie de COVID-19. LeCIVICUS Monitor a documenté l’utilisation de lois restrictives contre les activistes de la société civile, les défenseurs des droits humains, les avocats, les médias indépendants en ligne et les membres de l’opposition politique de Singapour, qui risquent d’être poursuivis, notamment par des procès pour diffamation et des accusations d’outrage à la cour.
Y a-t-il eu des désaccords sur la question de savoir si, quand ou comment les élections doivent être organisées ?
Oui. Les partis d’opposition s’y sont largement opposés car la pandémie de COVID-19 n’avait pas reculé et la tenue des élections pouvait constituer une menace pour la santé publique. Ils craignaient également que les rassemblements physiques et le démarchage en porte-à-porte ne soient pas autorisés, ce qui entraverait leurs efforts de campagne.
Et, de fait, il était plus difficile d’établir un contact direct avec les électeurs lorsqu’il était nécessaire de maintenir une distance d’un mètre pendant les marches et les visites en porte-à-porte. Chacun a dû prononcer son discours et se connecter aux électeurs en ligne. Certains changements ont été introduits pour que les élections se déroulent dans le contexte de la pandémie. La période de vote a été prolongée de deux heures en prévision de files d’attente plus longues en raison de la distanciation sociale. Mais il n’a pas été question du vote en ligne. Et il est possible que les personnes âgées ou ayant des problèmes de santé n’aient pas participé par peur d’être infectées par le COVID-19.
Quel était l’état des libertés civiques avant les élections ?
Le contrôle du People’s Action Party (PAP) au pouvoir sur toutes les institutions publiques est un problème majeur de liberté civique. Cela signifie qu’il peut façonner le discours politique en fonction de son programme et fixer les règles du jeu à sa convenance. Par exemple, le département électoral, qui dessine les circonscriptions électorales, relève du Premier ministre. La plupart des groupes de la société civile ont peur de s’impliquer de manière significative dans les élections en raison des conséquences d’être perçus comme "partisans". Si une association de la société civile est liée à un parti d’opposition, elle peut perdre le financement, le soutien et les ressources nécessaires à son travail.
Un récent rapport de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) Parliamentarians for Human Rights a mis en évidence des failles structurelles qui ont empêché l’élection d’être équitable. Il s’agit notamment des pouvoirs étendus du premier ministre sur l’ensemble du processus électoral, sans qu'aucun contrôle efficace ne soit exercé. Le contexte dans lequel les Singapouriens pouvaient exercer leur droit de participer à la vie publique était sévèrement restreint. Les principaux candidats de l’opposition ont fait l’objet de poursuites judiciaires par des membres du PAP, et les électeurs des districts dirigés par l’opposition craignaient des représailles s’ils ne votaient pas pour le PAP. Les libertés fondamentales, qui sont intrinsèquement liées à l’existence d’élections libres, sont limitées car le gouvernement contrôle les médias et utilise des lois restrictives contre les voix critiques et dissidentes.
Comment cela a-t-il affecté les chances de l’opposition ?
Les candidats et les partis de l’opposition ont dû s’appuyer uniquement sur les médias sociaux pour faire passer leur message en raison de la couverture défavorable qu’ils ont reçue de la part des médias d’État. Ils ont également eu des difficultés à atteindre les électeurs en raison du monopole, de la manipulation et du contrôle exercés par le PAP sur les syndicats et les organisations et groupes de base dans tout le pays, auxquels s’ajoutent les difficultés liées à l’organisation de manifestations physiques dans le contexte de la pandémie.
Les élections ont eu lieu le 10 juillet. Le PAP a remporté 83 sièges parlementaires, mais a également connu un revers, l’opposition ayant réalisé des gains plus modestes mais historiques. Le Parti des travailleurs, seul parti d’opposition présent au Parlement, a vu ses sièges passer de six à dix, ce qui constitue le meilleur résultat pour l’opposition depuis l’indépendance. Le vote populaire remporté par le PAP est tombé à 61%.
Quelles étaient les principales questions autour desquelles s’articulait la campagne ?
Pour le PAP, la campagne s’est concentrée autour de la diffamation des candidats de l’opposition, les accusant de colporter des mensonges et d’avoir des intentions néfastes, et s’est attachée à les discréditer. Des tactiques de peur ont également été utilisées : l’idée a été transmise à l’électorat que seul le PAP pouvait sortir les Singapouriens de la pandémie de COVID-19, et que la présence de plus de représentants de l’opposition au Parlement contrecarrerait ces efforts.
Les partis d’opposition, quant à eux, se sont attachés à faire passer à l’électorat le message qu’ils étaient sur le point d’être éliminés du Parlement, puisqu’ils disposaient de moins de 10 sièges sur près de 90. Les autres questions clés soulevées par l’opposition étaient le coût élevé de la vie et l’immigration.
L’espace civique à Singapour est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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SLOVÉNIE : « Le gouvernement a profité de la pandémie pour limiter les manifestations »
CIVICUS parle du récent glissement vers la droite en Slovénie avec Brankica Petković, chercheuse et chef de projet à l’Institut pour la paix de Ljubljana. Fondé en 1991, l’Institut pour la paix - Institut d’études sociales et politiques contemporaines - est un centre de recherche indépendant et à but non lucratif qui utilise la recherche et la défense des droits pour promouvoir les principes et les pratiques d’une société ouverte, la pensée critique, l’égalité, la responsabilité, la solidarité, les droits humains et l’État de droit. Il travaille en collaboration avec d’autres organisations et avec des citoyens aux niveaux local, régional et international.
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SRI LANKA : « Le contrôle des médias a donné au gouvernement un grand avantage »
CIVICUS s’entretient avec Sandun Thudugala, directeur des programmes du Law and Society Trust (LST), au sujet des élections législatives qui ont eu lieu au Sri Lanka le 5 août 2020, dans le contexte de la pandémie de la COVID-19. LST est une organisation de recherche et de défense juridique fondée en 1982 à Colombo, au Sri Lanka, dans le but de promouvoir des réformes juridiques pour améliorer l’accès à la justice, la judiciarisation des droits et la responsabilité des institutions publiques.
A l’approche des élections d’août 2020, le CIVICUS Monitora documenté le fait que les avocats de droits humains et les journalistes étaient victimes d’arrestations, de menaces et de harcèlement. Unrapport du rapporteur spécial des Nations unies (ONU) sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, publié en mai 2020, a également montré que la société civile était confrontée à des difficultés d’enregistrement et de fonctionnement et à divers obstacles à l’exercice du droit de manifestation.
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THAILANDE : « Les jeunes remettent en question le fait que le gouvernement sape leurs droits et compromette leur avenir »
CIVICUS s’entretient avec la directrice exécutive d’Amnesty International Thaïlande, Piyanut Kotsan, sur le mouvement démocratique et la répression des manifestations en Thaïlande. Fondée à Bangkok en 1993, Amnesty International Thaïlande compte plus de 1 000 membres dans tout le pays. Son travail se concentre sur la promotion de la liberté d’expression en ligne et hors ligne, la liberté de réunion pacifique, l’éducation aux droits humains, le droit à l’avortement, les droits des migrants et des réfugiés, et la dénonciation de la torture, des disparitions forcées et de la peine de mort.
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TUNISIE : « La nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations »
CIVICUS échange sur le référendum constitutionnel du 25 juillet en Tunisie avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM).
KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui, à travers la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation, promeut la participation de la société civile dans la démocratie et la justice transitionnelle tant en Tunisie comme plus largement dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Pourquoi le président Kais Saied organise-t-il un référendum constitutionnel le 25 juillet ?
Le changement ou la révision constitutionnelle relèvent du projet privé du président, qu’il n’a annoncé ni lors de sa candidature à la présidence en 2019 ni pendant ses deux premières années au pouvoir. Cela a commencé lorsque le président Saied a révoqué le premier ministre et dissout le Parlement en juillet 2021.
À cette époque, il n’avait même pas annoncé la révision constitutionnelle. Ce n’est qu’en mi-décembre que, sous pression internationale et locale, le président a dû énoncer un plan d’action. En son sein se trouvait une nouvelle Constitution.
Contrairement à la Constitution de 2014, qui reposait sur un consensus large, le processus menant à un référendum constitutionnel n’a pas obtenu le soutien du public. Lors d’une consultation en ligne organisée en début 2022 pour recueillir les avis sur la révision de la Constitution, seul environ le 30 % des interrogés la soutenait. Pourtant, le président a poursuivi le processus de révision constitutionnelle, avec une campagne de référendum encourageant les Tunisiens à voter « oui » pour « corriger le cours de la révolution ».
Dans quelle mesure la société civile a-t-elle participé au processus menant au référendum ?
La société civile a vécu des moments sans précédent ces derniers mois. En ce qui concerne sa position sur la question, elle s’est généralement montrée silencieuse ou favorable.
En juillet 2021, au début de l’abus de pouvoir du président, certains militants de la société civile mécontents à cause des problèmes rencontrés ces dernières années dans le cadre d’une démocratie inefficace, ont vu dans la démarche de Saied une tentative politique de corriger la trajectoire de notre démocratie. L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance.
Mais dès que le président a révélé son intention de modifier la constitution, les partis politiques, les personnes influentes et certains groupes de la société civile ont commencé à s’y opposer.
La société civile n’est pas constituée d’un seul groupe ou d’une seule position - il existe bien sûr une certaine diversité. Les groupes les plus visibles et les plus influents le critiquent, surtout depuis que le projet de nouvelle Constitution a été communiqué au public ; ils ont compris que son objectif n’est pas de « restaurer la démocratie », mais plutôt de l’attaquer. Maintenant beaucoup tentent d’empêcher le processus de référendum.
Comment la société civile s’est-elle organisée contre le référendum ?
Bien que la réponse de la société civile ait été tardive, elle a récemment utilisé une série de moyens pour s’opposer au référendum. Des coalitions ont été créées, la société civile a publié des prises de position, des conférences ont été organisées.
Certains groupes appellent au boycott du référendum tandis que d’autres tentent de porter une affaire devant les tribunaux, mais celle-ci se mène contre les atteintes à la justice menées par le président : en juin, il a révoqué 57 juges, les accusant de corruption et de protection des « terroristes ». En mode de proteste les juges tunisiens se sont mis en grève et n’ont repris le travail que très récemment.
La Ligue tunisienne des droits de l’homme, une importante OSC, a fait appel au président à retirer sa proposition et à entamer un dialogue plus large avec la société tunisienne.
Dans quelle mesure le référendum pourrait-il être libre et équitable ?
Lors de la transition démocratique en 2011, notre pays s’est efforcé de créer des institutions indépendantes telles que la commission électorale et l’organisme de lutte contre la corruption, entre autres. La Constitution proposée dissout presque tous ces organes indépendants.
Le seul conservé est la commission électorale, dont le président Saied a pris le contrôle en mai en renvoyant ses membres et en en nommant de nouveaux. En février, il a dissout le Conseil supérieur de la magistrature, dont il a licencié les juges en juin.
Dans ce contexte, l’indépendance de cette « commission indépendante » chargée d’organiser le référendum, ainsi que l’intégrité de l’ensemble de l’élection, doivent être remises en question.
Quelles sont vos attentes quant à ses résultats, et quel impact auront-ils sur la qualité de la démocratie ?
Si l’on examine les derniers sondages sur la cote de popularité du président Saied, on constate qu’il bénéficie toujours d’un énorme soutien public. Mais cela n’est que le résultat de sa politique populiste : le populisme - du moins pendant ses premiers stades- compte de nombreux partisans. Mais une fois que le président populiste ne parvient pas à tenir ses promesses, il perd sa popularité et son soutien. En Tunisie, nous en sommes encore aux premiers stades du populisme.
Malgré sa popularité, je pense que son prochain référendum aura un taux de participation très faible, d’où la légitimité du résultat sera remise en question.
Mais le président et son régime ne se soucient pas de la légitimité. Par exemple, lorsque la consultation nationale a eu lieu il y a plusieurs mois, elle a constitué un échec total en termes de taux de participation. Pourtant, le président Saied s’en est servi pour justifier l’organisation de ce référendum.
Si le référendum est approuvé, il sera suivi d’élections parlementaires en décembre, conformément à son plan d’action ; le parlement a été dissout en avril. Entre-temps, il y aura probablement plusieurs « réformes » et de nouvelles lois. Je crains que la prochaine phase soit assez effrayante car le président a le pouvoir ultime de changer les lois sans aucun contrôle, en l’absence d’un système judiciaire, d’une Cour constitutionnelle et d’un Parlement indépendant.
La démocratie signifie la séparation des pouvoirs, des poids et contrepoids, et la participation, mais tout cela a été annulé par le président depuis juillet 2021. Il a resserré son emprise sur l’ensemble de l’organe exécutif, l’ensemble de l’organe législatif, et même une partie de l’organe judiciaire. Avec une telle attaque contre le pouvoir judiciaire, nous pouvons moins compter sur les juges pour être les ultimes défenseurs des droits et des libertés. La qualité de notre démocratie est vraisemblablement à son pire niveau depuis la révolution de 2010 qui a chassé l’autocrate Zine al-Abidine Ben Ali.
La situation des droits humains s’aggrave avec le déclin de la démocratie. Nous avons été témoins de plusieurs violations des droits humains, dont certaines nous ont rappelé le type d’abus commis pendant les premières années de la révolution. La différence entre cette époque et aujourd’hui est l’absence de toute responsabilité. Le président n’a été tenu responsable d’aucune des décisions qu’il a prises au cours de cette dernière année.
De notre côté, la société civile a condamné ces violations, mais ce n’a pas été suffisant. Nous avons donc essayé de créer un réseau avec divers défenseurs de la démocratie en Tunisie et à l’étranger. Dans la prochaine phase, la société civile continuera sa pression et se mobilisera contre toute déviation de la démocratie, étant donné que la nouvelle Constitution confèrera au président des pouvoirs étendus et ouvrira les portes à de nouvelles violations.
Quelle a été la réaction de la communauté internationale ?
Le sentiment partagé est que la communauté internationale a abandonné la Tunisie. Elle a offert une réponse vacillante face à cette attaque contre la démocratie et la perte d’un pays démocratique. La communauté des pays démocratiques ne fait pas beaucoup d’efforts pour garder la Tunisie entre eux.
Beaucoup d’entre nous sommes très déçus par leurs réactions face à la dissolution du Parlement et tout ce qui a suivi, dont le résultat a été un projet de Constitution qui va vraisemblablement annuler la démocratie tunisienne. Mais il n’y a pas eu de réponse solide de la part des amis démocratiques de la Tunisie.
Par ces moyens, ils encouragent le président à commettre davantage de violations. Ces pays font un pas en arrière envers leurs politiques des dernières décennies, donnant la priorité à la sécurité et à la stabilité et les faisant primer sur la démocratie et les droits humains dans notre région.
L’espace civique en Tunisie est considéré comme « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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TUNISIE : « La société civile n’est pas encore directement menacée, mais nous pensons que notre tour arrivera »
CIVICUS s’entretient des perspectives de démocratie en Tunisie après le coup de force du président de juillet 2021 avec Amine Ghali, directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi (KADEM). KADEM est une organisation de la société civile (OSC) qui vise à promouvoir la contribution de la société civile à la démocratie et à la justice transitionnelle en Tunisie et dans la région, par la sensibilisation, le renforcement des capacités et la documentation.
Quelle a été la position de la société civile tunisienne face au coup de force du président Kais Saied ?
En juillet dernier, le président Saied a limogé le premier ministre et suspendu le parlement, tout en promettant un processus de révision constitutionnelle. Depuis lors, il s’est octroyé des pouvoirs étendus et a supprimé les contrôles sur ce pouvoir.
Les réactions ont été variées, car la société civile tunisienne a toujours été très diverse. Une partie a soutenu les actions de Saied, ou du moins les a vues d’un bon œil, tandis qu’une autre s’y est complètement opposée. D’autres personnes ont été plus sélectives au sujet de ce à quoi elles s’opposent : peut-être n’étaient-elles pas satisfaites de l’arrangement politique précédent ou même de l’actuel, mais pensaient néanmoins que les actions de Saied ouvriraient de plus grandes opportunités de changement et de réforme.
Une diversité similaire a été visible dans la société en général, mais nous n’avons pas connu de polarisation malsaine parce que les gens ne se sont pas divisés entre des positions aux deux extrémités du spectre.
Et bien que je ne dispose pas de véritables chiffres ou statistiques, j’ai récemment remarqué une opposition croissante de la société civile face aux événements de juillet. Au début, il y avait une sorte d’euphorie, mais maintenant, la société civile est plus critique sur ce qui s’est passé, peut-être parce que les gens ont commencé à remarquer que Saied n’a pas encore tenu ses promesses.
Qu’est-ce qui a fait évoluer les positions de la société civile ?
L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance, ce qui ne s’est pas encore produit. En outre, il a pris des mesures et des décisions qu’il n’a pas annoncées le 25 juillet. Ses actions - principalement contre le parti Ennahda et d’autres partis politiques importants - étaient initialement conformes à la Constitution, mais il a ensuite commencé à agir contre la Constitution et à inverser les étapes de notre transition démocratique.
Selon le discours officiel, repris par certains acteurs politiques, notre Constitution actuelle est si mauvaise que nous en nécessitons une nouvelle. Mais à mon avis - et à celui de la société civile - elle n’est pas si mauvaise. Plus important encore, le processus d’élaboration de la Constitution à la suite des soulèvements de 2010 a fait l’objet d’un large consensus, et la nouvelle Constitution a été approuvée par beaucoup plus que la majorité requise des deux tiers de l’Assemblée nationale constituante - elle a reçu les voix de 200 députés sur 217. Mais maintenant, nous semblons passer d’un processus participatif à un processus restrictif.
En termes de gestion électorale, il est difficile de savoir si les prochaines élections et le référendum seront organisés par un organisme indépendant. De plus, Saied a remis en question un autre acquis démocratique majeur, l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Comment la société civile a-t-elle réagi à la feuille de route que le Président Saied a dévoilée en décembre 2021 ?
Je pense que c’est la pression exercée par la société civile, les partis politiques et la communauté internationale qui a poussé le président à définir une feuille de route à la mi-décembre. Pendant les trois ou quatre premiers mois qui ont suivi la suspension du Parlement, il s’y était opposé.
Une partie au moins de la société civile continuera à plaider pour que des mesures plus nombreuses et plus efficaces soient incluses dans la feuille de route, notamment une élection présidentielle, que nous pourrions être amenés à organiser puisque la feuille de route prévoit la rédaction d’une nouvelle Constitution, qui entraînera une nouvelle répartition des pouvoirs entre le président et le chef du gouvernement. Nous ferons également pression pour une approche plus participative, car l’organisation d’un référendum sur la Constitution n’est pas suffisante, dans la mesure où elle ne permettra aux gens que de répondre à une question par oui ou non.
Ce sont des points qui seront probablement soulevés dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Nous avons des OSC fortes travaillant sur les élections, qui se réunissent déjà pour discuter de la manière de maintenir la commission électorale comme acteur principal, et de celle d’aborder le passage du vote pour des listes au vote pour des individus, comme annoncé par les partisans du président.
Je m’attends à ce que nous assistions bientôt à la formation de nouvelles coalitions pour agir sur le nouvel agenda politique. En fait, certaines de ces coalitions se sont déjà formées, incluant des éléments de la société civile et politique, comme Citoyens contre le coup d’État. D’autres coalitions de la société civile travaillent à l’amélioration des mécanismes de protection des droits humains. À mon avis, cette nouvelle dynamique va se développer au cours des prochains mois.
Y a-t-il des possibilités d’engagement de la société civile autour du prochain référendum constitutionnel ?
Malheureusement, l’une des principales caractéristiques de ce nouveau système de gouvernance est le manque de consultation, non seulement avec la société civile mais aussi avec les partis politiques. Jusqu’à présent, l’espace réservé au processus de consultation n’a pas été assez large. L’une de ses caractéristiques est la consultation en ligne, qui n’est pas le type de consultation auquel nous nous sommes habitués ces dix dernières années.
Même si beaucoup de choses n’ont pas fonctionné comme elles étaient censées le faire, il y avait au moins une forme de consultation, une forme de donnant-donnant, entre les politiques et la société civile, les experts et la communauté internationale. Cet écosystème que nous avions autrefois n’existe plus. Les OSC feront pression pour obtenir de meilleures formes de coopération entre les décideurs et la société civile.
Quelle pression subit l’espace civique en Tunisie ?
L’espace civique se réduit. Bien que la société civile ne soit pas encore directement menacée, nous pensons que notre tour va arriver. Nous avons remarqué que les décideurs tunisiens détestent les corps intermédiaires. Ils ont donc fermé le parlement, attaqué le système judiciaire et boycotté les médias. Nous sommes probablement les prochains sur leur liste, nous devons donc être très vigilants. Des rumeurs circulent selon lesquelles les politiciens introduiront des changements juridiques qui affecteront les OSC, ce que nous n’accepterons pas. Nous devons défendre l’espace civique tant que nous avons encore un peu d’espace pour interagir avec les décideurs en l’absence du parlement, le corps intermédiaire traditionnel.
Les récentes arrestations d’opposants politiques s’inscrivent-elles dans une tendance inquiétante ?
Nous n’avons pas connu d’arrestations massives d’opposants politiques - en fait, il y en a eu très peu. Pour autant que nous le sachions, ces arrestations n’étaient pas fondées sur des raisons politiques, mais plutôt sur des activités illégales commises par des politiciens pendant leur mandat. Nous avons condamné les procédures et les circonstances des arrestations, qui n’étaient pas appropriées, mais personne n’est au-dessus de la loi, alors s’il existe des preuves suffisantes contre ces personnes, arrêtons-les et traduisons-les en justice selon les procédures judiciaires et non sur la base de décisions de l’exécutif.
Quelles sont les perspectives de consolidation démocratique en Tunisie, et comment la communauté internationale peut-elle y contribuer ?
Je pense que si nous la livrons à elle-même, le sort de la démocratie en Tunisie sera plutôt sombre. La société civile, la société politique, la communauté internationale et les amis de la Tunisie devront donc intensifier leurs efforts de plaidoyer, non pas pour restaurer la démocratie mais pour la maintenir. Nous avons besoin des efforts de tous les acteurs pour maintenir la pression afin de s’assurer que la Tunisie est sur la voie de la démocratie. Si nous ne nous engageons pas et nous contentons de regarder le spectacle, cela ne nous mènera probablement pas vers plus de démocratie et une meilleure démocratie, mais bien dans la direction opposée.
Tant que les acteurs internationaux reconnaissent qu’il y a une menace pour la démocratie et s’engagent, cela nous aidera. La communauté internationale ne doit pas nous traiter comme elle l’a fait avec l’Égypte en 2013 - c’est-à-dire qu’elle ne doit pas privilégier la sécurité et la stabilité au détriment de la démocratie. Nous avons besoin que la communauté internationale maintienne la pression sur les décideurs en Tunisie pour s’assurer que l’achèvement de la transition démocratique est notre objectif commun. De cette façon, la Tunisie deviendra un exemple majeur de transition démocratique réussie dans la région arabe.
L’espace civique en Tunisie est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
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VIETNAM: ‘The government is using non-state actors against minority religions’
CIVICUS speaks with Thang Nguyen of Boat People SOS (BPSOS), a civil society organisation based in the USA and Thailand, about the challenges for civil society and religious minorities in Vietnam, and about their work to enable civil society responses.
Can you tell us about BPSOS and the work it does?
I’m currently the CEO and President of BPSOS, having joined initially as a volunteer. BPSOS was founded in 1980. We have two major divisions. The first, our domestic programme, is about serving refugees and migrants in the USA, across six locations. Second, we have our international initiatives, run from our regional headquarters in Bangkok, Thailand.
In Bangkok, we provide a legal clinic to help refugees and asylum seekers with their asylum claims and with protection – not only those coming from Vietnam but also from other countries, including Cambodia, China, Pakistan and Sri Lanka. We have a programme to help Vietnamese human rights defenders at risk, whether they be in prison or in hiding in Vietnam or seeking refuge in Thailand or elsewhere. A major component is to build capacity for civil society in Vietnam at the community level. Finally, we have a religious freedom project, working with local, regional and global partners, to build up a network for advocates for freedom of religion or belief in South East Asia. We hold an annual conference, the Southeast Asia Freedom of Religion or Belief Conference (SEAFORB).
What are the key current challenges experienced by civil society in Vietnam?
The regime is still very oppressive. The government has heavy-handed policies against people coming together to form their own associations, which make it hard for organised civil society to develop. The government is now somewhat more tolerant with individuals speaking out, or perhaps it is that the government struggles to control expression on social media to the same extent.
Another challenge comes with the people themselves. Living in a closed society, they don’t have many opportunities to develop the necessary skills or experience to come together and form associations.
Further, there’s very little commitment or investment from the international community to develop civil society in Vietnam, compared for example to Cambodia or Myanmar. There are very few organisations from outside Vietnam that work hand in hand with groups in Vietnam to help them develop capacity to implement programmes.
Because of this, there are very few truly functional independent civil society organisations in Vietnam and the number of these has decreased over the last five years because they cannot sustain themselves in the face of interference from the government. There are only individual human rights defenders, some of them well-known, but not organised civil society.
In contrast, there are tens of thousands of government-owned ‘non-governmental’ organisations (GONGOs) that are controlled by the Communist Party. They present themselves as the civil society of Vietnam.
What are the challenges minority groups face in Vietnam, particularly religious minorities?
Many of the minority groups are indigenous peoples, but the government of Vietnam does not recognise them as such; it only classes them as ethnic minorities. They therefore face a fight for the right to be recognised as indigenous people. They are often separated from their ancestral land.
For many groups, a religion that is a minority belief in Vietnam is part of their social and cultural makeup. For example, the Cham are Muslim and the Khmer Krom are Theravada Buddhists, which is very different from the Mahayana Buddhism practised by the majority of Vietnamese Buddhists. Then there are the Hmong and the Montagnards: Christianity has spread among the Montagnards for decades, and the government wants to control and stop this. Since the early 1980s, Christianity also started to develop in the Northwest Region among the Hmong population. The government of Vietnam viewed this as an undesirable influence from the west, and therefore it has taken drastic messages to stop its further spreading in the Northwest and Central Highlands regions.
Most of these groups of people are located remotely and so don’t have access to the internet, and don’t know how to attract resources, even from within Vietnam. Other people in Vietnam aren’t aware of the situation, let alone the international community. Little information is available about these groups.
The government authorities are directly suppressing independent house churches. In the Central Highlands, thousands of house churches have been closed, set on fire and destroyed. In 2004 the government issued an ordinance on belief and religion, meaning that house churches have to be registered. There are credible reports that the government trained a lot of its own people to become pastors, and they have set up new churches allowed by the government. These are run and controlled by the government.
A major challenge is the forced renunciation of faith. Christians have been ordered to leave their parish churches and told not to follow any religion, or to join a government-controlled church. People who have resisted joining government-controlled churches have been harassed, persecuted and tortured. Several deaths in police custody have been documented. There are quite a lot of religious prisoners of conscience, many of them Montagnard Christians.
The repression of the Hmong is even more drastic. In many parts of Northwest Region, Hmong Christians who have refused to renounce their faith have been evicted from their villages by the local authorities. Their villages have been declared as Christian-free zones. Tens of thousands of Hmong have been affected, something that continues to this day. They became itinerant, and it has taken them many years to coalesce into new communities, usually in previously uninhabited areas unknown to local government. Many moved to the Central Highlands. They are completely undocumented and so have become functionally stateless. They live outside society. Married people are not issued with marriage certificates, babies do not get birth certificates, children can’t formally receive education – although some slip into school unofficially – and people can’t get legal employment, set up a business, or open a bank account. They are restricted in their travel: pastors can’t travel into these communities, while they cannot travel to worship elsewhere.
In many provinces Catholics, even when they are part of the major ethnic groups, have been persecuted by the government. And then there is the Cao Dai religion, a minority religion with about five million reported followers, although the government only recognises around 1.2 million Cao Daiists. Its church structures were disbanded in 1978. In 1997 the government created a new Cao Dai sect, and then 10 years later turned this into a new religion with a similar name and transferred all the property of the Cao Dai religion to it. To the world the government presents this sect as the representative of the Cao Dai religion.
The government is also using non-state actors against minority religions. In Nghe An Province, the authorities use organised mobs known as Red Flag Associations, which are supported and encouraged by local authorities to attack churches and beat up parishioners. We have had several reports of this.
What steps are needed to help civil society respond to these rights violations?
Because of the restriction of organised civil society there’s very little response to the suppression of religious minorities. This lack of organised civil society also makes it difficult to foster partnerships between civil society groups in Vietnam and international human rights organisations. In response, we are trying to build community capacity to develop organisations in Vietnam to protect rights.
We train a lot of people in Vietnam to know how to report human rights violations. So far we’ve trained about a thousand local rapporteurs and they have generated about 200 different reports that have been submitted to various United Nations (UN) special procedures and UN bodies, and shared with other governments and international human rights organisations to raise awareness of the situation in Vietnam.
We are helping to form community-based CSOs in each minority community. So far there are about 20 of these, and we aim to have 100 by the end of 2020. We have incubated a number of CSOs specialising in different aspects of human rights, based on the international commitments Vietnam has made as a result of signing various conventions. For example, we have supported the creation and development of Vietnamese Women for Human Rights, the Vietnam Coalition Against Torture and the Vietnam Freedom of Religion or Belief Roundtable. We have worked with Montagnard people to form a CSO specialising in Montagnard minorities. Now we are connecting these specialist CSOs with their peers outside Vietnam. For instance Vietnamese Women for Human Rights is now a member of FORUM-ASIA, a network of human rights organisations throughout Asia and the Pacific. We are cultivating these kinds of partnerships.
What more support is needed?
Once CSOs in Vietnam have developed some capacity, there is a need to connect them with civil society outside Vietnam. We are advocating for organisations to offer internship and fellowship schemes to enable staff to develop skills, experience, connections and exposure outside Vietnam.
We hope to see more projects geared at further developing civil society in Vietnam, through training, coaching and technical assistance as well as advocacy. There has been an almost complete lack of this kind of investment from civil society worldwide. Organisations are issuing statements about Vietnam and that is appreciated, but this is the next step needed. Amnesty International now has a Vietnamese national working on Vietnam, who was with BPSOS before, so this is a positive step and a model to replicate.
It would be much more effective if international human rights organisations working on Vietnam could coordinate among themselves, and with groups within Vietnam. For instance, a joint advocacy project on the functionally stateless Montagnard Christians, with pressure coming from multiple directions, would help.
Civic space in Vietnam is rated as ‘closed’ by theCIVICUS Monitor.
Get in touch with BSPOS through itswebsite orFacebook page and follow@BoatPeopleSOS on Twitter.
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ZAMBIE : « Les pratiques électorales observées jusqu’à présent ne permettent pas de tirer de bonnes leçons pour la région »
CIVICUS s’entretient avec McDonald Chipenzi, directeur exécutif de l’initiative Governance, Elections, Advocacy, Research Services (GEARS) et président du Conseil des ONG en Zambie, sur l’état de l’espace civique avant l’élection générale cruciale qui se tiendra le 12 août 2021.
Quel est l’état de l’espace civique et des libertés des médias avant les élections ?
L’espace civique et médiatique en Zambie reste fragile et s’est rétréci en raison de restrictions légales. Cette situation a été aggravée par l’apparition de la pandémie de COVID-19 et par les nouvelles règles et directives qui ont renforcé les restrictions à la liberté de mouvement des citoyens, et aux libertés d’association, de réunion pacifique et d’expression. Cela a conduit à une participation inefficace des citoyens aux affaires nationales.
Les règles et directives concernant la COVID-19 ont aggravé l’état déjà délicat et restreint de l’espace civique, médiatique et politique en Zambie. Ces restrictions sont le résultat de l’application sélective de lois archaïques telles que la loi sur l’ordre public de 1955 et de lois récemment promulguées telles que la loi sur la cybersécurité et les cybercrimes de 2021, qui vise à intercepter, surveiller et interférer avec les conversations, la correspondance et les communications des citoyens, même sans ordonnance ou mandat du tribunal. Cette nouvelle loi, considérée comme visant à réduire l’espace civique virtuel, a fait naître la peur chez les citoyens, les dissuadant de s’engager efficacement en ligne. En conséquence, beaucoup ont choisi de garder le silence ou de se retirer des plateformes en ligne telles que WhatsApp et Facebook.
L’espace médiatique reste également intimidé, harcelé et brimé en raison de lois restrictives et des actions des élites au pouvoir. La fermeture de Prime TV, une chaîne de télévision privée, en mars 2021, a jeté un froid dans la communauté des médias. La plupart d’entre eux craignent désormais d’accueillir des voix critiques et des leaders de l’opposition. Ils craignent de perdre la publicité gouvernementale et d’autres opportunités commerciales. Les personnes associées au pouvoir en place prennent également leurs distances avec les médias qui offrent une tribune aux voix critiques.
Quelles sont les principales préoccupations de la société civile à l’approche des élections ?
La principale préoccupation de la société civile est la sécurité de toutes les parties prenantes, car la police ne s’engage pas à assurer la sécurité de tous. La police s’est montrée réticente à faire face aux violences perpétrées par les élites du parti au pouvoir et y a même contribué. La crainte est que le jour de l’élection, si certains partis ont le sentiment de perdre dans certains bureaux de vote, ils s’engagent dans des activités perturbatrices afin de pousser à un nouveau vote, ce qui pourrait leur donner l’avantage.
Une autre préoccupation est la possibilité d’une fermeture de l’accès à internet, des services mobiles et des médias sociaux, en particulier après le vote, pour tenter de masquer les résultats.
Une troisième préoccupation concerne la pandémie de COVID-19, dont on a estimé qu’elle pouvait être propagée par les partis politiques s’ils organisaient des rassemblements. Selon le ministère de la Santé et la Commission électorale de Zambie (CEZ), les rassemblements sont considérés comme des événements potentiels de propagation du COVID-19, et ils ont donc recommandé une interdiction. Cette situation a surtout touché l’opposition, tandis que les responsables du parti au pouvoir étaient occupés à faire campagne au nom du lancement et de l’inspection de projets de développement.
Il convient de noter que la CEZ a constitué un groupe de travail sur la COVID-19 afin de développer des lignes directrices, un groupe dominé par des institutions gouvernementales. Sur les 14 institutions représentées, neuf appartiennent au gouvernement, avec seulement trois espaces pour les médias et deux pour les organisations de la société civile dans les domaines du genre et de l’eau et l’assainissement.
Pour prévenir la violence et la maîtriser si elle se produit, la société civile s’engage auprès de la police, l’encourageant à être plus professionnelle et plus éthique, et auprès des partis politiques pour qu’ils fournissent un encadrement à leurs cadres. Elle demande également au président de la République de libérer les policiers retenus en captivité afin qu’ils puissent s’attaquer aux criminels, indépendamment de leur appartenance à un parti.
En ce qui concerne la possibilité d’une fermeture des médias et de l’accès à internet, les organisations de la société civile ont envoyé des pétitions au président de la République pour qu’il s’abstienne de fermer internet ou les médias sociaux pendant et après les élections.
Aux fins de cette élection, l’initiative GEARS a mis au point ce qu’elle appelle la « stratégie Ing’ombe Ilede » pour permettre la collecte des résultats de l’élection en cas de coupure d’Internet. Un lieu commun a été désigné pour que les coordinateurs de circonscription et de province impliqués dans l’élection puissent partager leurs documents sans avoir besoin de se rencontrer. Cette stratégie est empruntée aux anciennes tactiques commerciales d’un lieu appelé Ing’ombe Ilede dans la vallée de Gwembe, dans la province du Sud de la Zambie. Nous pensons que cette stratégie aidera à faire face à une éventuelle coupure de l’accès à Internet, que le gouvernement a déjà signalée.
Comment la polarisation s’accentue-t-elle à l’approche des élections, et quels sont les impacts probables des élections sur les divisions sociales et politiques ?
L’élection a polarisé le pays, car les politiciens du parti au pouvoir utilisent désormais le régionalisme et le tribalisme pour gagner des voix dans leurs bastions présumés. Il en résultera de profondes divisions après les élections, surtout si le parti au pouvoir remporte les élections, car il marginalisera ceux qui, selon lui, ne l’ont pas soutenu pendant les élections. Déjà, les groupes ou régions perçus comme des bastions du plus grand parti d’opposition ont été marginalisés et discriminés en termes de développement et d’opportunités économiques, y compris en ce qui concerne les postes politiques au sein du gouvernement.
Les opportunités d’emploi et de commerce sont également l’apanage de ceux qui sont perçus comme soutenant le parti au pouvoir. Les marchés et les gares routières sont tous entre les mains des partisans du parti au pouvoir et non des conseils. Cette situation a rétréci l’espace civique pour de nombreux citoyens qui survivent grâce au commerce sur les marchés et dans les stations de bus, car elle les a amenés à adopter ce qu’ils ont appelé la « stratégie de la pastèque », qui symbolise un fruit de pastèque vert à l’extérieur (la couleur du parti au pouvoir) et rouge à l’intérieur (la couleur de l’opposition), afin de survivre sur ces marchés, arrêts de bus, stations et stations de taxis. Cette situation risque de s’aggraver si le parti au pouvoir conserve le pouvoir.
Quel est l’état de l’économie et comment cela influencera-t-il les choix des électeurs ?
L’état de l’économie zambienne n’est pas réjouissant mais plutôt inquiétant pour beaucoup de gens ordinaires. La monnaie locale, le kwacha, a continué à se déprécier par rapport aux principales devises convertibles. Le coût de la vie a quadruplé et le prix des produits de base essentiels explose. Les pauvres parviennent à peine à survivre tandis que les élites politiques au pouvoir dorment sur leurs deux oreilles en raison de la corruption excessive et de l’abus des ressources de l’État en l’absence de contrôles et de reddition de comptes. Les pauvres mangent pour vivre plutôt que de vivre pour manger. Cela aura des effets dans les zones périurbaines des grandes villes comme Lusaka et les villes de la Copperbelt.
La population rurale, en revanche, pourrait ne pas être aussi affectée par l’état de l’économie, car la majorité de sa population a fait de bonnes récoltes au cours des dernières saisons des pluies et a bénéficié d’un programme de transferts sociaux en espèces destiné aux personnes âgées et vulnérables, qui a été transformé en outil de campagne. En outre, les électeurs ruraux ont tendance à être conservateurs et à voter pour les partis politiques traditionnels préférés de leurs aînés.
La Zambie est connue comme un bastion de la démocratie dans la région. Quel impact cette élection aura-t-elle sur la démocratie en Zambie et dans la région ?
Cette élection est la clé du déploiement d’une tendance unique dans la région sur la façon dont les élections peuvent être et seront gérées. Si elle est très mal gérée et qu’elle débouche sur le chaos, elle risque d’influencer la région de manière négative, car les dirigeants de la plupart des pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont tendance à s’inspirer les uns des autres. S’agissant de l’une des rares élections organisées dans la région pendant la pandémie de COVID-19, après l’élection historique du Malawi, la Zambie a l’occasion de montrer à la région qu’elle reste le bastion de la démocratie au sein de la SADC.
Cependant, les pratiques observées jusqu’à présent ne permettent pas de tirer de bonnes leçons pour la région. Par exemple, l’annulation des rassemblements et d’autres activités de campagne, principalement dirigés contre l’opposition, alors que le parti au pouvoir et les fonctionnaires continuent de mener leur campagne, est une très mauvaise leçon pour la démocratie, la concurrence loyale et les élections crédibles. L’application sélective du code de conduite électoral par le responsable des élections est également un très mauvais exemple pour la région. Par conséquent, la région devra choisir les bonnes leçons parmi les mauvaises. Cependant, la plupart des institutions électorales et des dirigeants politiques sont plus enclins à choisir les mauvaises leçons et à laisser les bonnes de côté, puisque les mauvaises pratiques électorales profitent aux titulaires.
Que peuvent faire les groupes de la société civile régionale et mondiale pour soutenir la société civile zambienne pendant cette période d’élections et après ?
La société civile régionale et mondiale a un rôle très important à jouer pour faire en sorte que la paix règne en Zambie et qu’il n’y ait pas d’intimidation et de harcèlement ciblés du mouvement de la société civile après les élections. Il est nécessaire de garder un œil attentif sur les événements post-électoraux, notamment en ce qui concerne les manœuvres visant à réduire l’espace civique. À quelques jours des élections, le 9 août, le secrétaire permanent du ministère de l’Information et de la Radiodiffusion, Amos Malupenga, a publié un communiqué avertissant les citoyens que le gouvernement pourrait couper l’accès à Internet avant les élections, ce qui constituerait une menace directe pour jouir des libertés d’association, de réunion pacifique et d’expression en ligne des citoyens pendant et après les élections.
L’armée et d’autres forces de défense, en plus de la police, ont été déployées dans les rues du pays sous prétexte de réprimer toute violence politique et électorale éventuelle, ce qui peut potentiellement donner lieu à des abus et miner l’espace civique physique. Par conséquent, l’espace civique et politique physique et en ligne sera constamment menacé par l’establishment pendant et après les élections, comme il l’a été auparavant.
La société civile et les médias critiques sont des cibles potentielles d’intimidation et de harcèlement post-électoraux, d’où la nécessité pour la société civile mondiale et régionale de soutenir la société civile en Zambie par des stratégies visant à contrer les représailles qui pourraient leur être imposées par la machine étatique après les élections. Si le gouvernement actuel l’emporte, sa catégorisation, sa marginalisation et sa discrimination des organisations de la société civile en fonction de leur affiliation réelle ou perçue à un parti s’aggraveront après les élections.
Le processus d’abrogation du projet de loi sur les ONG étant toujours en suspens, la période post-électorale pourrait connaître une nouvelle approche de son achèvement.
Il faudra mettre en place des stratégies de solidarité et des fonds juridiques pour aider ceux qui risquent d’être incriminés et poursuivis en justice par l’utilisation des lois archaïques. Il est nécessaire de continuer à contester l’existence de la loi sur la cybersécurité et les cybercrimes, de la loi sur l’ordre public et de la loi sur les ONG. À cette fin, la société civile régionale et mondiale doit soutenir, défendre, promouvoir et protéger l’espace civique et médiatique en Zambie avant, pendant et après les élections.
L’espace civique en Zambie est classé « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
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