espace civique
-
INDE : « Les organisations de la société civile qui osent dire la vérité au pouvoir sont attaquées »
CIVICUS s’entretient avec Mrinal Sharma, avocate et chercheuse en droits humains, sur l’état des libertés civiques en Inde. Mrinal travaille à aider les défenseurs des droits humains détenus illégalement et les demandeurs d’asile, les réfugiés et les apatrides en Inde. Elle a travaillé comme conseillère politique à Amnesty International Inde jusqu’à ce que le gouvernement indien ait obligé l’organisation à fermer en octobre 2020. Son travail avec Amnesty s’est concentré sur les personnes arbitrairement privées de leur nationalité en Assam, les obstacles à l’accès à la justice au Cachemire et la diabolisation des minorités dans l’Inde. Mrinal avait auparavant travaillé avec la Commonwealth Human Rights Initiative et le Refugee Solidarity Network.
-
INDONÉSIE : « Les militants pro-indépendance pacifiques risquent d'être qualifiés de terroristes »
CIVICUS s’entretient avec Samuel Awom, coordinateur du groupe de défense des droits humains KontraS Papua, qui surveille les violations des droits humains, défend les victimes et œuvre pour la paix en Papouasie. KontraS Papua est basé à Jayapura, la capitale de la Papouasie, et surveille la situation des droits humains dans toute la région de Papouasie.
-
KIRGHIZISTAN : « Le choix des citoyens lors du référendum sera décisif pour l'avenir »
CIVICUS et l’International Partnership for Human Rights (Partenariat international pour les droits de l'homme) s’entretiennent avec Ulugbek Azimov, expert juridique à la Legal Prosperity Foundation, au sujet des manifestations qui ont eu lieu au Kirghizistan en octobre 2020 et des évolutions politiques qui s’en sont suivies. La Legal Prosperity Foundation (anciennement Youth Human Rights Group) est une organisation indépendante de la société civile qui œuvre à la promotion des droits humains et des principes démocratiques au Kirghizstan depuis 1995. L’organisation mène des programmes éducatifs, assure le suivi des droits humains, interagit avec les mécanismes internationaux des droits humains et promeut le respect des droits humains dans le cadre de réformes juridiques.
Le Kirghizistan est souvent considéré comme la seule démocratie d’Asie centrale. Dans quelle mesure cette description est-elle proche de la vérité ?
Il est vrai qu’au début des années 1990, c’est-à-dire dans les premières années de l’indépendance, la démocratie a émergé et a commencé à se développer au Kirghizistan. Par rapport aux autres pays de la région, le Kirghizistan se caractérisait par un niveau plus élevé de participation des citoyens, une société civile plus développée et des conditions plus favorables au fonctionnement et à la participation des partis politiques au processus politique. Pour cette raison, le Kirghizstan a été qualifié d’« île de la démocratie » en Asie centrale.
Toutefois, au cours des 30 années qui ont suivi l’indépendance, le Kirghizistan a été confronté à de graves difficultés. Les tentatives des anciens présidents pour préserver et renforcer leur emprise sur le pouvoir, en faisant pression sur l’opposition, en persécutant les médias et les journalistes indépendants, en restreignant la liberté d’expression, en utilisant les ressources publiques en leur faveur, en soudoyant les électeurs et en falsifiant les résultats des élections, ont entraîné des bouleversements politiques majeurs à plusieurs reprises. Au cours des 15 dernières années, le gouvernement a été renversé à trois reprises lors des révolutions dites des tulipes, d’avril et d’octobre, respectivement en 2005, 2010 et 2020, deux anciens présidents ayant été contraints de fuir le pays et le troisième de démissionner avant le terme de son mandat.
Chaque bouleversement a hélas été accompagné d'évolutions mettant à mal les acquis démocratiques antérieurs. Il n’est donc pas surprenant que Freedom House ait toujours classé le Kirghizistan comme étant seulement « partiellement libre » dans son enquête annuelle sur la liberté dans le monde. En outre, dans l’enquête la plus récente, publiée cette année, la note du Kirghizistan s’est détériorée pour devenir « non libre » en raison des retombées des élections législatives d’octobre 2020, qui ont été entachées de graves violations. Ainsi, le Kirghizistan se trouve désormais dans la même catégorie que celle dans laquelle se trouvent les autres pays d’Asie centrale depuis de nombreuses années.
Des restrictions liées à la pandémie ont-elles été imposées à l’approche des élections de 2020 ?
En réponse à l’augmentation rapide des cas de COVID-19 au printemps 2020, les autorités kirghizes ont adopté des mesures d’urgence et instauré un confinement dans la capitale, Bichkek, et dans plusieurs autres régions du pays, ce qui a entraîné des restrictions du droit à la liberté de mouvement et d’autres droits connexes. Tous les événements publics, y compris les rassemblements, ont été interdits.
Les mesures prises dans le contexte de la pandémie ont également suscité des inquiétudes quant aux restrictions de la liberté d’expression et de l’accès à l’information. Les autorités ont sérieusement resserré la vis contre les voix critiques, en réponse aux nombreuses critiques formulées à l’encontre des personnes au pouvoir, notamment le président de l’époque Sooronbai Jeenbekov, pour leur incapacité à lutter efficacement contre la pandémie. Les forces de l’ordre ont traqué les blogueurs et les commentateurs des médias sociaux gênants, leur ont rendu visite à leur domicile et ont engagé des discussions « préventives » avec eux. Dans certains cas, des utilisateurs de médias sociaux ont été placés en détention pour avoir soi-disant diffusé de fausses informations sur la pandémie, et ont été contraints de présenter des excuses publiques sous la menace de poursuites.
La loi sur la « manipulation de l’information », adoptée par le Parlement en juin 2020, est particulièrement préoccupante. Bien que les initiateurs de la loi aient prétendu qu'elle avait pour seul but de résoudre le problème des faux comptes en ligne, il était clair dès le départ qu’il s’agissait d’une tentative de la part des autorités d’introduire la censure sur Internet et de fermer les sites indésirables à la veille des élections. Après une avalanche de critiques de la part de la communauté des médias et des défenseurs des droits humains, le président de l’époque, M. Jeenbekov, a refusé de signer la loi et l’a renvoyée au Parlement pour révision en août 2020. Depuis lors, la loi est restée au niveau du Parlement.
Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations post-électorales d’octobre 2020 ? Qui a protesté, et pourquoi ?
La principale raison des manifestations d’octobre 2020, qui ont à nouveau conduit à un changement de pouvoir, était le mécontentement de la population à l’égard des résultats officiels des élections législatives du 4 octobre.
Sur les 16 partis en lice pour un siège au Parlement, seuls cinq ont franchi le seuil des sept pour cent requis pour entrer au Parlement. Bien que le président de l’époque, M. Jeenbekov, ait déclaré publiquement qu’il ne soutenait aucun parti, celui qui a obtenu le plus de voix - Birimdik (Unité) – lui était lié puisque son propre frère et d’autres membres de l’élite dirigeante se présentaient sous sa bannière. Le parti arrivé en deuxième position, Mekenim Kyrgyzstan (Mère patrie du Kirghizistan), était également considéré comme pro-gouvernemental et associé à la famille de l’ancien haut fonctionnaire des services douaniers Raiymbek Matraimov, qui a été impliqué dans une enquête très médiatisée sur la corruption, publiée en novembre 2019. Le gouvernement de Jeenbekov a ignoré les conclusions de cette enquête et n’a pas engagé d’action pénale contre Matraimov, malgré les appels publics en ce sens.
Il était prévisible que Birimdik et Mekenim Kyrgyzstan obtiennent de nombreux votes, compte tenu de l’utilisation de ressources publiques et des cas signalés d'achat de votes en faveur de leurs candidats. Ces deux partis, qui participaient pour la première fois à des élections législatives, ont obtenu près de la moitié des voix et donc la majorité absolue des sièges au Parlement. Les méthodes utilisées par les deux partis vainqueurs pour s’assurer le contrôle du Parlement ont suscité l’indignation des autres partis politiques ayant participé aux élections, de leurs électeurs et même des personnes apolitiques.
Les élections se sont déroulées dans un contexte de mécontentement croissant face aux difficultés sociales et économiques causées par la pandémie, ainsi que de sentiments antigouvernementaux grandissants au sein de la population.
Les élections « entachées », caractérisées par un nombre sans précédent de violations, ont servi de catalyseur aux événements qui ont suivi. Les manifestations ont commencé immédiatement après l’annonce des résultats préliminaires, le soir du jour de l’élection, le 4 octobre, et se sont poursuivies tout au long de la journée suivante. Les jeunes y ont joué un rôle décisif : la plupart de ceux qui sont descendus dans la rue pour protester et se sont rassemblés sur la place centrale de la capitale étaient des personnes jeunes. Malheureusement, la plupart de ceux qui ont été blessés, ainsi que le manifestant qui est décédé pendant les événements d’octobre, étaient également des jeunes.
Quelle a été la réaction du gouvernement face aux manifestations ?
Les autorités avaient la possibilité de prendre le contrôle de la situation et de la résoudre pacifiquement, mais elles ne l’ont pas saisie. Ce n’est que dans la soirée du 5 octobre que le président de l’époque, M. Jeenbekov, a annoncé qu’il rencontrerait les dirigeants des différents partis en lice pour les élections. Il a fixé une réunion pour le matin du 6 octobre, mais il était trop tard, car dans la nuit du 5 octobre, les manifestations pacifiques ont dégénéré en affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre à Bichkek, qui se sont terminés par la prise de la Maison Blanche (siège de la présidence et du Parlement) et d’autres bâtiments publics par les manifestants. Au cours de ces affrontements, les forces de l’ordre ont utilisé des balles en caoutchouc, des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes contre les manifestants. À la suite de ces affrontements, un jeune homme de 19 ans a été tué et plus de 1 000 personnes ont dû recevoir des soins médicaux, dont des manifestants et des membres des forces de l’ordre, et plus de 600 policiers ont été blessés. Au cours des troubles, des voitures de police, des ambulances, des caméras de surveillance et d’autres biens ont également été endommagés, pour une valeur estimée à plus de 17 millions de soms (environ 200 000 USD).
Les élections présidentielles anticipées organisées en janvier 2021 ont-elles permis de résoudre les problèmes soulevés par les manifestations ?
La principale revendication des manifestants était d’annuler les résultats des élections législatives d’octobre 2020 et d’organiser de nouvelles élections équitables. Cette demande a été partiellement satisfaite le 6 octobre 2020, lorsque la Commission électorale centrale (CEC) a déclaré les résultats des élections invalides. Cependant, jusqu’à présent, aucune date n’a été fixée pour les nouvelles élections législatives. La CEC les avait initialement prévues pour le 20 décembre 2020, mais le Parlement a réagi en adoptant rapidement une loi qui suspendait les élections durant le temps de révision de la Constitution, et prolongeait le mandat des membres du Parlement sortant jusqu’au 1er juin 2021.
La Commission de Venise - un organe consultatif du Conseil de l’Europe, composé d’experts indépendants en droit constitutionnel - a évalué cette loi et conclu que, pendant la période de transition actuelle, le Parlement devrait exercer des fonctions limitées et s’abstenir d’approuver des mesures extraordinaires, telles que des réformes constitutionnelles. Toutefois, le Parlement sortant a poursuivi ses travaux de manière habituelle et a approuvé la tenue d’un référendum constitutionnel en avril 2021. Le président nouvellement élu, Sadyr Japarov, a proposé d’organiser de nouvelles élections parlementaires à l’automne 2021, ce qui signifierait que les membres du Parlement sortant resteraient en poste même après le 1er juin 2021.
Conformément à d’autres revendications des manifestants, la législation électorale du pays a été modifiée en octobre 2020 afin de réduire le seuil électoral de sept à trois pour cent, permettant aux partis d'être représentés au Parlement et de réduire le fonds électoral de 5 à 1 million de soms (environ 12 000 USD). Ces modifications ont été apportées pour faciliter la participation d’un plus grand nombre de partis, y compris les plus récents, et pour promouvoir le pluralisme et la concurrence.
Les manifestants ont également exprimé leur mécontentement face à l’insuffisance des mesures prises pour lutter contre la corruption. Ils ont exigé que les autorités traduisent en justice les fonctionnaires corrompus, en particulier Matraimov, et restituent à l’État les biens volés. S’exprimant devant les manifestants avant de devenir président, M. Japarov a promis que M. Matraimov serait arrêté et puni.
Il faut reconnaître que Japarov a tenu parole. Après son arrivée au pouvoir en octobre 2020, Matraimov a été arrêté dans le cadre d’une enquête sur des mécanismes de corruption au sein du service des douanes, a plaidé coupable et a accepté de réparer les dommages en remboursant plus de 2 milliards de soms (environ 24 millions de USD). Un tribunal local l’a ensuite condamné, mais lui a appliqué une peine réduite, sous la forme d’une amende de 260 000 soms (environ 3 000 USD) et a levé les mesures de gel de ses biens, car il avait coopéré à l’enquête. Cette sentence extrêmement clémente a provoqué l’indignation générale. Le 18 février 2021, Matraimov a de nouveau été arrêté pour de nouvelles accusations de blanchiment d’argent, mais quelques jours plus tard, il a été transféré du centre de détention provisoire où il était détenu vers une clinique privée pour y être soigné pour des problèmes de santé. Après cela, beaucoup ont qualifié de « populistes » les mesures anticorruption prises par les autorités actuelles.
En janvier 2021, les citoyens kirghizes ont également voté lors d’un référendum constitutionnel. Quels ont été ses résultats, et quelles conséquences auront-ils sur la qualité de la démocratie ?
Selon les résultats du référendum, qui s’est déroulé le même jour que l’élection présidentielle de janvier 2021, 84 % des électeurs ont soutenu le changement d'un système de gouvernement parlementaire à un système présidentiel.
Sur la base d’une expérience comparative, de nombreux avocats et activistes de la société civile ne considèrent pas ce changement comme négatif en soi, à condition qu’un système de contrôle et d’équilibre des pouvoirs efficace soit mis en place. Cependant, ils sont sérieusement préoccupés par le fait que les autorités tentent de mener cette transition à un rythme anormalement rapide, en utilisant des approches et des méthodes discutables qui ne correspondent pas aux principes généralement acceptés et aux règles et procédures juridiques établies.
Le premier projet de Constitution prévoyant un système de gouvernance présidentiel, présenté en novembre 2020, a été surnommé « khanstitution » en référence aux dirigeants autocratiques historiques d’Asie centrale. Ses détracteurs ont accusé M. Japarov, qui a plaidé en faveur de ce changement depuis son entrée en fonction en octobre 2020, de vouloir usurper le pouvoir.
Le projet de Constitution accordait au président des pouvoirs pratiquement illimités, tout en réduisant au minimum le statut et les pouvoirs du Parlement, ce qui compromettait l’équilibre des pouvoirs et créait un risque d’abus de pouvoir présidentiel. Il prévoyait également une procédure d’impeachment compliquée, impossible à mettre en œuvre dans la pratique. En outre, alors qu’il ne mentionne pas une seule fois le principe de l’État de droit, le texte fait référence à plusieurs reprises à des valeurs et principes moraux. De nombreuses dispositions de la Constitution actuelle qui garantissent les droits humains et les libertés ont été exclues.
En raison de critiques sévères, les autorités ont été contraintes d’abandonner leur projet initial de soumettre le projet de Constitution à un référendum le même jour que l’élection présidentielle de janvier 2021, et ont accepté d’organiser une discussion plus large. À cette fin, une conférence dite constitutionnelle a été convoquée et ses membres ont travaillé pendant deux mois et demi, malgré les accusations d’illégitimité de leurs activités. Au début du mois de février 2021, la conférence constitutionnelle a soumis ses suggestions au Parlement.
Il faut reconnaître qu’à la suite de la discussion et des propositions soumises par la conférence constitutionnelle, certaines parties du projet de Constitution ont été améliorées. Par exemple, la référence au principe de l’État de droit a été rétablie et des modifications importantes ont été apportées aux sections relatives aux droits humains et aux libertés, notamment en ce qui concerne la protection de la liberté d’expression, le rôle des médias indépendants et le droit d’accès à l’information. Mais le projet est resté pratiquement inchangé en ce qui concerne les dispositions qui prévoient des pouvoirs illimités pour le président.
En mars 2021, le Parlement a adopté une loi sur l’organisation d’un référendum sur le projet de Constitution révisé, fixant la date au 11 avril 2021. Cela a suscité une nouvelle vague d’indignation parmi les politiciens, les juristes et les activistes de la société civile, qui ont souligné que cela allait à l’encontre de la procédure établie pour les changements constitutionnels et ont de nouveau averti que la concentration du pouvoir entre les mains du président pourrait aboutir à un régime autoritaire. Leurs préoccupations ont été reprises dans un avis conjoint de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, émis en mars 2021 à la demande du médiateur du Kirghizistan.
Le projet de Constitution comporte deux autres dispositions problématiques. L’une d’elles permet d’imposer des restrictions à tout événement qui contredit les « valeurs morales et éthiques » ou « la conscience publique du peuple de la République kirghize ». Ces concepts ne sont pas définis ou réglementés, ils peuvent donc être interprétés différemment selon les cas, ce qui crée un risque d’interprétation trop large et subjective et d’application arbitraire. Cela pourrait à son tour entraîner des restrictions excessives des droits et libertés humains, notamment des droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique.
L’autre disposition impose aux partis politiques, aux syndicats et aux autres associations publiques de garantir la transparence de leurs activités financières et économiques. Dans le contexte des récentes tentatives de renforcement du contrôle des organisations de la société civile (OSC), on craint que cette disposition ne soit utilisée pour faire pression sur celles-ci. Le jour même où le Parlement a voté en faveur de l’organisation d’un référendum sur le projet de Constitution, certains législateurs ont accusé les OSC de porter atteinte aux « valeurs traditionnelles » et de constituer une menace pour l’État.
Les activistes de la société civile continuent de demander la dissolution du Parlement actuel, qui a perdu sa légitimité à leurs yeux, et exhortent le président à convoquer rapidement de nouvelles élections. Les activistes organisent un rassemblement permanent à cette fin et, si leurs demandes ne sont pas satisfaites, ils prévoient de se tourner vers les tribunaux en invoquant l'usurpation du pouvoir.
Le président a toutefois rejeté toutes les préoccupations exprimées au sujet de la réforme constitutionnelle. Il a assuré que le Kirghizistan resterait un pays démocratique, que la liberté d’expression et la sécurité personnelle des journalistes seraient respectées et qu’il n’y aurait plus de persécution politique.
Les citoyens du Kirghizistan doivent faire leur choix. Le référendum à venir sur l’actuel projet de Constitution pourrait devenir un autre tournant dans l’histoire du Kirghizistan, et le choix des citoyens sera décisif pour l’évolution future vers la stabilité et la prospérité.
L’espace civique au Kirghizistan est classé « obstrué » par leCIVICUS Monitor.
Entrez en contact avec la Legal Prosperity Foundation via sa pageFacebook et suivezlpf_kg sur Instagram. -
MALAISIE : « Le gouvernement aurait dû aider les réfugiés lors de la pandémie »
CIVICUS s’entretient avec Htoon Htoon Oo, un réfugié et activiste du Myanmar, actuellement basé en Malaisie. En 2007, il était étudiant en chimie à l’université de Yangon Est et, en tant que militant, il a pris part à la révolution safran, une série de manifestations déclenchées par une hausse des prix du carburant en 2007, qui ont été durement réprimées. Il a également été actif lors de la transition du Myanmar d’une dictature militaire à un gouvernement quasi-civil en 2010.
Conscient d’être sous la surveillance de l’État et craignant que les membres de sa famille et ses proches subissent des représailles et du harcèlement en raison de son activisme, il a fui le Myanmar en 2011 et vit depuis comme réfugié en Malaisie.
Quelle est la situation des réfugiés en Malaisie ?
La vie des réfugiés du Myanmar en Malaisie continue d’être difficile, car elle implique diverses luttes et souffrances. Nous nous sentons souvent impuissants, sans espoir et sans protection. En mai 2021, on estimait à 179 570 le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Malaisie. La majorité d’entre eux – 154 840 au total - étaient originaires du Myanmar, dont 102 950 Rohingyas, 22 490 membres de l’ethnie chinoise et 29 400 membres d’autres groupes ethniques fuyant les persécutions ou les zones touchées par les conflits.
La Malaisie n’a pas encore ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. L’absence d’un cadre juridique pour la reconnaissance des réfugiés et des demandeurs d’asile a créé des conditions problématiques et d’exploitation pour les réfugiés et les demandeurs d’asile, car nous n’avons pas de droits formels au travail, nous n’avons pas de statut juridique, et nous continuons à risquer d’être arrêtés, détenus et refoulés, et nous ne bénéficions d’aucune protection juridique.
Nos libertés civiques sont également limitées. Bien qu’il existe de nombreuses organisations de réfugiés d’origines diverses, lorsqu’il s’agit d’exprimer nos préoccupations et d’organiser nos luttes, la réalité est que nous ne sommes pas en mesure de le faire librement. Il existe une peur commune parmi les réfugiés quant aux conséquences de parler de notre lutte, d’exprimer nos préoccupations et de revendiquer nos droits.
Par exemple, en vertu de la loi sur les rassemblements pacifiques, section 4(a), le droit de se réunir pacifiquement est réservé exclusivement aux citoyens malaisiens. En outre, de nombreuses lois en Malaisie ont pour effet de dissuader les réfugiés de s’exprimer, comme la loi sur l’immigration, qui criminalise les sans-papiers ainsi que les réfugiés, étant donné que nous ne sommes pas reconnus par la loi. La loi sur l’immigration expose également les réfugiés à des formes de punition sévères, comme la bastonnade. L’absence de reconnaissance des réfugiés et des demandeurs d’asile en Malaisie nous expose à l’arrestation, à l’emprisonnement et à divers abus.
Quels sont les défis supplémentaires auxquels les réfugiés ont été confrontés dans le cadre de la pandémie ?
Depuis que la pandémie de COVID-19 a éclaté en Malaisie en mars 2020, les réfugiés ont été confrontés à plusieurs problèmes et luttes. Le confinement, connu sous le nom d’ordre de contrôle des mouvements (MCO), qui a été appliqué à l’ensemble du pays, a eu un impact énorme sur les réfugiés.
Les réfugiés ne peuvent pas travailler selon la loi malaisienne, mais certains recherchent un travail informel pour survivre. Pendant la pandémie, nous avons vu des cas d’employeurs forçant les réfugiés à travailler pour des salaires inférieurs au salaire normal ou à prendre des congés sans solde ou à démissionner, simplement en raison de leur statut de réfugié. De nombreux réfugiés ont perdu leur emploi à cause de la pandémie. Il n’y a rien pour nous protéger de ces abus.
Nous craignons également pour notre sécurité pendant la pandémie car il y a eu plusieurs cas de réfugiés pris pour cible par la police et les agents de l’immigration en raison de l’absence de politiques claires, et de la méconnaissance de ce qu’est un réfugié par les responsables de l’application de la loi. Certains réfugiés ont été condamnés à des amendes par la police, et d’autres ont même été détenus dans des postes de police pendant plusieurs jours.
Certaines personnes nous qualifient également d’immigrants illégaux, même si nous possédons des cartes ou des documents de réfugiés du HCR complets et authentiques.
La plupart des réfugiés qui sont confrontés à ces difficultés souffrent également de dépression et sont mentalement épuisés par les efforts qu'ils déploient pour survivre et rester en sécurité.
Les réfugiés ont-ils reçu un soutien de la part du gouvernement malaisien ou du HCR pendant la pandémie ?
Les réfugiés n’ont reçu aucun soutien de la part du gouvernement malaisien ; nous avons plutôt subi davantage de raids et des restrictions croissantes. C’est le contraire de ce qui aurait dû se passer : ils auraient dû nous donner accès à des informations sur le traitement et le dépistage du COVID-19 et il aurait dû y avoir d’autres programmes de soutien aux réfugiés pendant la pandémie.
Au lieu de cela, en mai 2020, le département de l’immigration et les forces de police de Malaisie ont effectué des raids contre les immigrants à Kuala Lumpur. Alors que les personnes enregistrées auprès du HCR ont été largement épargnées par les arrestations, les demandeurs d’asile non enregistrés ont été emmenés avec les travailleurs migrants sans papiers. Certains ont également été bloqués dans des zones strictement fermées, entourées de fils barbelés, les habitants n’ayant pas le droit de sortir de chez eux, ce qui a rendu les choses très difficiles. Beaucoup d’entre nous ne s’en sont pas remis.
On a également assisté à une vague de discours haineux en ligne à l’égard des réfugiés, et en particulier des Rohingyas, pendant la pandémie, accompagnée d’annonces et de politiques gouvernementales hostiles aux migrants et aux réfugiés.
Le HCR a envoyé des messages directs aux réfugiés dont les documents avaient expiré pour les informer qu’ils resteraient valides jusqu’à ce que le HCR puisse reprendre ses activités normales, qui ont été perturbées par la pandémie. Cela n’a toutefois rien changé pour les forces de l’ordre, et de nombreuses personnes ont reçu des amendes et ont même été arrêtées.
Quel est le statut des réfugiés concernant l’accès au vaccin COVID-19 ?
Le gouvernement malaisien a encouragé les réfugiés à s’inscrire pour se faire vacciner mais n’a pas fourni d’informations claires, et les systèmes existants ne sont pas accessibles aux réfugiés.
Par exemple, il est nécessaire de disposer de documents spécifiques pour s’enregistrer pour les vaccins. Le système exige que les réfugiés et les demandeurs d’asile fournissent une carte d’identité ou un numéro de passeport, deux documents auxquels nous n’avons pas accès. Le système devrait être plus inclusif pour toutes les personnes vivant en Malaisie, y compris les réfugiés, les demandeurs d’asile et les sans-papiers, car les vaccinations devraient être la première barrière contre la création de clusters COVID-19. Nous arrêter ne fera qu’empirer les choses, car on sait que des clusters mortels se sont formés dans les centres de détention. La criminalisation de l’immigration est à l’origine de ce problème.
Quelles sont les demandes des communautés de réfugiés vis-à-vis du gouvernement malaisien et de la communauté internationale ?
Nous aimerions que le gouvernement malaisien sensibilise le public au statut des réfugiés en tant que réfugiés, et non en tant qu’immigrants illégaux, groupes à risque ou même criminels. Il y a eu une perception négative des réfugiés comme ne faisant que profiter de la société sans y contribuer, ce qui est faux.
En réalité, nous voulons contribuer à la société malaisienne de toutes les manières possibles. Nous demandons instamment au gouvernement malaisien de donner aux réfugiés un accès légal au travail et de reconnaître le statut légal des réfugiés. Nous sommes actuellement dans l’incapacité de trouver un travail officiel, et le manque de reconnaissance nous expose à l’exploitation. Nous espérons que le gouvernement fera prendre conscience des véritables raisons pour lesquelles les réfugiés sont ici.
J’espère que le gouvernement pourra travailler main dans la main avec le HCR et la société civile pour régler la question des réfugiés de manière plus appropriée et plus efficace, et ne pas expulser les réfugiés du Myanmar vers ce dernier, qui se trouve actuellement sous régime militaire. Nous devrions plutôt trouver des solutions telles qu’un programme de réinstallation. Des politiques claires et des informations sur les vaccins devraient également être accessibles à tous les réfugiés.
L’espace civique en Malaisie est classé « obstrué » par le CIVICUS Monitor.
-
MYANMAR : « Les militaires ont fait passer les travailleurs de la santé du statut de héros à celui de criminel du jour au lendemain »
CIVICUS s’entretient avec Nay Lin Tun, un médecin qui se porte régulièrement volontaire auprès des équipes de secours dans les zones d’urgence de la ville de Yangon au Myanmar. Depuis que l’armée a pris le pouvoir par un coup d’État le 1er février 2021, elle a lancé unerépression brutale contre le Mouvement de désobéissance civile (MDC), un mouvement de protestation qui s’est étendu à tout le pays et au sein duquel lesprofessionnels de la santé ont joué un rôle clé.
Depuis le coup d’État, Nay Lin Tun est en première ligne pour soigner les manifestants blessés par les forces de sécurité. Il a précédemment travaillé dans l’État de Rakhine, où il fournissait des soins de santé communautaires mobiles à la population Rohingya et à d’autres personnes déplacées à l’intérieur du pays dans les zones touchées par le conflit. Il a également participé à la campagneGoalkeepers Youth Action Accelerator, qui vise à accélérer les progrès vers les objectifs de développement durable des Nations unies.
-
MYANMAR : « Les partis d'opposition se plaignent que le corps électoral censure leur discours »
CIVICUS s'entretient avec le journaliste lauréat Cape Diamond (Pyae Sone Win) au sujet des prochaines élections au Myanmar. Cape est un journaliste multimédia basé au Myanmar qui s’intéresse au domaine des droits humains, des crises et des conflits. Il travaille actuellement de manière indépendante pour l'Associated Press (AP). Il a assuré une couverture critique de la crise des réfugiés rohingyas et a travaillé avec de nombreux médias internationaux, dont Al Jazeera, ABC News et CBS. Il a également contribué au documentaire lauréat du BAFTA,Myanmar’s Killing Fields, et au filmThe Rohingya Exodus, médaillé d'or au Festival du film de New York.
Prévues pour le 8 novembre 2020, ces élections seront les premières depuis 2015, date à laquelle elles ont abouti à une victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), et ne seront que les deuxièmes élections compétitives depuis 1990, date à laquelle la victoire écrasante de la LND a été annulée par l’armée.
Quel est l'état des libertés civiles et de la société civile à l'approche des élections ?
La situation de la liberté d'expression est très préoccupante. Au fil des années, des journalistes et des militants des droits de l'homme au Myanmar ont fait l'objet d'accusations pénales en raison de leur travail. Des lois restrictives, telles que la loi sur les télécommunications, la loi sur les associations illicites, la loi sur les secrets officiels et les dispositions du code pénal relatives à la diffamation, continuent d'être utilisées pour poursuivre les militants et les journalistes. La loi sur les défilés et rassemblements pacifiques a également été utilisée contre les manifestants.
De nombreux partis politiques se sont plaints du fait que la Commission électorale de l'Union (CEU), l'organe électoral, a censuré des messages devant être diffusés à la télévision nationale avant les élections. Par exemple, Ko Ko Gyi, président du parti populaire, a déclaré que les changements apportés par la CEU dans son discours de campagne l'empêchaient d'exprimer pleinement la position politique de son parti sur les élections. Deux partis, le Parti démocratique pour une nouvelle société et la Force démocratique nationale, ont annulé leurs émissions électorales pour protester contre la censure.
En même temps, les adversaires disent que le corps électoral est biaisé en faveur du parti au pouvoir, la LND, dirigé par Aung San Suu Kyi. C'est une question à laquelle nous devons être attentifs et dont nous devons parler afin de garantir des élections crédibles.
Le corps électoral s’est-il rapproché de la société civile ?
J'ai entendu dire que l'actuel CEU n'a pas cherché activement à établir un lien avec la société civile. Le CEU a d'abord interdit à l'Alliance du peuple pour des élections crédibles (APEC), l'un des plus grands groupes de surveillance des élections du pays, de surveiller les élections. La CEU a accusé l'APEC de ne pas être enregistrée en vertu de la loi régissant les organisations de la société civile et de recevoir des fonds de sources internationales. Bien que la CEU l'ait finalement autorisée à fonctionner, l'organisation éprouve des difficultés à le faire en raison des restrictions récemment imposées à cause de la COVID-19.
Quelles sont les principales questions autour desquelles la campagne s'articulera ?
La pandémie de la COVID-19 et la guerre civile en cours dans le pays sont nos principaux problèmes pour le moment. Il est très clair que le parti au pouvoir et le gouvernement ne prêtent pas suffisamment attention à la situation des minorités dans les régions qui souffrent de la guerre civile.
Il est inquiétant que le pays traverse une pandémie, dont je pense qu'il n'a pas la capacité suffisante pour y faire face. Au 29 septembre 2020, nous avons eu un total de 11 000 cas signalés et 284 décès dus à la COVID-19. L'augmentation des infections au cours des dernières semaines est inquiétante, puisque nous n'avions eu qu'environ 400 cas confirmés en août. Je crains que la situation ne permette aux gens d'aller voter aux élections en toute sécurité.
Plus de 20 partis politiques ont envoyé des demandes au corps électoral pour reporter les élections en raison de la pandémie, mais celles-ci ont été rejetées. Le parti au pouvoir n'est pas prêt à reporter les élections.
Est-il possible de développer une campagne « normale » dans ce contexte ?
Je ne pense pas qu'il soit possible d'avoir des rassemblements de campagne normaux comme ceux des dernières élections, celles de 2015, car nous sommes en pleine pandémie. Le gouvernement a pris plusieurs mesures pour lutter contre la propagation de la maladie, notamment l'interdiction de se réunir. Les partis politiques ne peuvent pas faire campagne dans des zones qui sont en situation de semi-confinement.
Les grandes villes, telles que Yangon et sa région métropolitaine, ainsi que certaines municipalités de Mandalay, sont en semi-confinement, dans le cadre d'un programme que le gouvernement a appelé « Restez à la maison ». Au même temps, l'ensemble de l'État de Rakhine, qui connaît une guerre civile, est également en semi-confinement. J'ai bien peur que les habitants de la zone de guerre civile ne puissent pas aller voter.
Pour s'adresser à leur public, les candidats utilisent à la fois les réseaux sociaux et les médias traditionnels. Toutefois, comme je l'ai déjà souligné, certains partis de l'opposition ont été censurés par la CSU. Certains membres de l'opposition ont dénoncé le traitement inéquitable de la CEU et du gouvernement, tandis que le parti au pouvoir utilise son pouvoir pour accroître sa popularité. Cela va clairement nuire aux chances électorales de l'opposition.
Quels sont les défis spécifiques auxquels sont confrontés les candidats dans l'État de Rakhine ?
Étant donné que tout l'État de Rakhine est soumis à des restrictions en raison de la COVID-19, les candidats ne peuvent pas faire campagne personnellement. C'est pourquoi ils font généralement campagne sur les réseaux sociaux. En même temps, dans de nombreuses municipalités de l'État de Rakhine, une coupure du service Internet a été imposée de façon prolongée en raison des combats continus entre l'armée arakanienne et les forces militaires. Je crains que les gens là-bas ne puissent pas obtenir suffisamment d'informations sur les élections.
Le gouvernement du Myanmar utilise également la loi discriminatoire de 1982 sur la citoyenneté et la loi électorale pour priver les Rohingyas de leurs droits et les empêcher de se présenter aux élections. Les autorités électorales ont empêché le leader du Parti de la démocratie et des droits humains (PDDH) dirigé par les Rohingyas, Kyaw Min, de se présenter aux élections. Kyaw Min a été disqualifié avec deux autres candidats du PDDH parce que ses parents n'auraient pas été citoyens, comme l'exige la loi électorale. C'est l'un des nombreux outils utilisés pour opprimer le peuple Rohingya.
En octobre, la CEU a lancé une application pour smartphone qui a été critiquée pour l'utilisation d'un label dérogatoire en référence aux musulmans rohingyas. L'application mVoter2020, qui vise à sensibiliser les électeurs, désigne au moins deux candidats de l'ethnie rohingya comme des « Bengalis », ce qui laisse entendre qu'ils sont des immigrants du Bangladesh, même si la plupart des Rohingyas vivent au Myanmar depuis des générations. Ce label est rejeté par de nombreux Rohingyas. De plus, aucun des plus d'un million de réfugiés Rohingyas au Bangladesh, ni des centaines de milliers de personnes dispersées dans d'autres pays, ne pourra voter.
L'espace civique au Myanmar est décrit comme « répressif » par leCIVICUS Monitor.
Suivez@cape_diamond sur Twitter. -
MYANMAR : « Presque toutes les personnes détenues nous disent qu’elles ont été battues »
CIVICUS s’entretient avec Manny Maung, chercheuse au Myanmar pour Human Rights Watch (HRW), sur la situation des droits humains au Myanmar. Manny était auparavant journaliste et a passé de nombreuses années à vivre et à travailler au Myanmar.
Le Myanmar reste sur la liste de surveillance du CIVICUS Monitor, qui comprend les pays ayant connu un déclin récent et rapide de leurs libertés civiques. Les militaires du Myanmar ont pris le pouvoir par un coup d’État le 1er février 2021, ont arrêté les dirigeants civils du gouvernement national et des États et ont lancé une répression brutale contre le mouvement de protestation dans tout le pays. Plus de six mois après, l’assaut contre l’espace civique persiste. Des milliers de personnes ont été arrêtées et détenues de manière arbitraire. Nombre d’entre eux font l’objet d’accusations infondées et des cas de torture et de mauvais traitements pendant les interrogatoires ont été signalés, ainsi que des décès en détention.
Quelle est la situation des libertés civiques au Myanmar plus de cinq mois après le coup d’État ?
Depuis le coup d’État militaire du 1er février, nous avons assisté à une détérioration rapide de la situation. Des milliers de personnes ont été détenues arbitrairement et des centaines ont été tuées, tandis que de nombreuses autres se cachent et tentent d’échapper à l’arrestation. HRW a déterminé que les militaires ont commis des abus qui équivalent à des crimes contre l’humanité à l’encontre de la population. Il est donc évident que la situation est extrêmement dangereuse pour la société civile, les libertés civiques étant devenues inexistantes.
Le mouvement de désobéissance civile (MDC) est-il toujours actif malgré la répression ?
Des manifestations ont encore lieu quotidiennement, bien qu’elles soient moins nombreuses et plus ponctuelles. Des grèves éclair éclatent dans tout le Myanmar, et pas seulement dans les grandes villes. Mais ces manifestations sont désormais légèrement atténuées, non seulement en raison des violentes répressions des forces de sécurité, mais aussi à cause de la troisième vague dévastatrice d’infections au COVID-19. Des centaines de mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre des meneurs des manifestations, y compris à l’encontre de près de 600 médecins qui ont participé à la MDC ou l’ont dirigée auparavant. Les journalistes, les avocats et les leaders de la société civile ont tous été pris pour cible, de même que toute personne considérée comme un leader de la manifestation ou de la grève. Dans certains cas, si les autorités ne trouvent pas la personne qu’elles veulent arrêter, elles arrêtent les membres de sa famille en guise de punition collective.
Quelle est la situation des manifestants qui ont été arrêtés et détenus ?
Presque toutes les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus et qui ont été détenues ou raflées lors des vastes opérations de répression des manifestations nous ont dit avoir été battues lors de leur arrestation ou de leur détention dans des centres d’interrogatoire militaires. Un adolescent m’a raconté qu’il avait été frappé si fort avec la crosse d’un fusil qu’il s’était évanoui entre les coups. Il a également raconté qu’on l’a forcé à entrer dans une fosse et qu’on l’a enterré jusqu’au cou alors qu’il avait les yeux bandés, tout cela parce que les autorités le soupçonnaient d’être un leader protestataire. D’autres personnes ont décrit des passages à tabac violents alors qu’elles étaient menottées à une chaise, qu’elles étaient privées de nourriture et d’eau, qu’elles ne dormaient pas et qu’elles subissaient des violences sexuelles ou des menaces de viol.
De nombreux manifestants qui sont toujours détenus n’ont pas eu de procès sérieux. Certains ont été inculpés et condamnés, mais il s’agit d’un petit nombre comparé aux milliers de personnes qui attendent que leur dossier avance. De nombreux détenus qui ont été libérés depuis nous disent qu’ils ont eu très peu de contacts, voire aucun, avec leurs avocats. Mais les avocats qui les représentent courent également des risques. Au moins six avocats défendant des prisonniers politiques ont été arrêtés, dont trois alors qu’ils représentaient un client dans le cadre d’un procès.
Comment l’interruption des services d’Internet et de télévision a-t-elle affecté le MDP ?
L’interdiction de la télévision par satellite est venue s’ajouter aux restrictions de l’accès à l’information. La junte a affirmé que des « organisations illégales et des organes de presse » diffusaient des programmes par satellite qui menaçaient la sécurité de l’État. Mais les interdictions semblent viser principalement les chaînes d’information étrangères qui diffusent par satellite au Myanmar, y compris deux diffuseurs indépendants en langue birmane, Democratic Voice of Burma et Mizzima, qui se sont vu retirer leur licence par la junte en mars. Les coupures d’accès à Internet ont également rendu difficile l’accès à l’information et la communication en temps réel entre les personnes.
Les coupures générales de l’accès à Internet sont une forme de punition collective. Elles entravent l’accès aux informations et aux communications nécessaires à la vie quotidienne, mais surtout en cas de crise et de pandémie de COVID-19. Ces restrictions servent également de couverture aux violations des droits humains et compliquent les efforts visant à documenter ces violations.
Pourquoi la violence dans les zones ethniques a-t-elle augmenté, et qui est visé ?
Le coup d’État a entraîné une reprise des combats dans certaines régions du pays entre les groupes armés ethniques et l’armée. L’État de Rakhine semble être l’exception, car l’armée d’Arakan y a négocié un cessez-le-feu et les manifestations contre l’armée n’ont pas été aussi bruyantes ou répandues. D’autres groupes armés ethniques, tels que l’Armée de l’indépendance kachin et l’Armée de libération nationale karen (ALNK), ont accueilli favorablement la résistance aux militaires et offrent un refuge aux personnes fuyant les militaires dans les territoires qu’ils contrôlent. De nouveaux affrontements entre l’armée et l’ALNK ont donné lieu à un certain nombre de violations des droits humains à l’encontre de civils et ont entraîné le déplacement de milliers de personnes à la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar.
Que pensez-vous de la réaction de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) à la situation au Myanmar jusqu’à présent ?
L’ANASE a tenté de suivre les voies diplomatiques, mais il ne s’agit pas d’une situation où les choses se passent comme d’habitude. Les militaires ont pris le pouvoir et ont commis des crimes contre leur propre peuple - une population civile qui a déjà voté pour le gouvernement qu’elle préfère. Après des mois de négociations futiles, l’ANASE devrait être prête à imposer des sanctions au Myanmar. En tant que nations indépendantes, les États membres de l’ANASE devraient agir ensemble et imposer des sanctions ciblées au Myanmar afin de s’assurer que les militaires n’agissent plus en toute impunité.
La réaction du général Min Aung Hlaing, qui s’est autoproclamé Premier ministre, au plan consensuel en cinq points proposé par l’ANASE témoigne de son mépris total pour la diplomatie régionale et montre clairement qu’il ne répondra qu’à des actes durs - tels que la coupure de son accès et de celui de l’armée aux revenus étrangers par des sanctions intelligentes.
Que peut faire la communauté internationale pour soutenir la société civile et favoriser le retour à un régime démocratique ?
HRW recommande au Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) de saisir la Cour pénale internationale concernant la situation au Myanmar. Le CSNU et les pays influents tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, le Japon, l’Inde, la Thaïlande et l’Union européenne devraient appliquer des sanctions coordonnées pour faire pression sur la junte. Le CSNU devrait également adopter une résolution visant à interdire la vente d’armes au Myanmar.
Quant aux organisations internationales de la société civile, elles doivent continuer à plaider en faveur des membres de la société civile qui se cachent actuellement ou qui sont détenus de manière arbitraire. Cela signifie qu’elles doivent continuer à faire pression pour que soit reconnue la gravité de la crise politique et humanitaire au Myanmar, et pour que les gouvernements agissent en faveur de la population du Myanmar.
L’espace civique au Myanmar est classé « réprimé » par le CIVICUS Monitor.
Suivez @mannymaung sur Twitter.
-
MYANMAR : « Si le coup d’État n’est pas renversé, il y aura beaucoup plus de prisonniers politiques »
CIVICUS parle du récent coup d’État militaire au Myanmar avec Bo Kyi, ancien prisonnier politique et co-fondateur de l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Fondée en 2000 par d’anciens prisonniers politiques vivant en exil à la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar, l’AAPP est basée à Mae Sot, en Thaïlande, et possède deux bureaux au Myanmar, ouverts depuis 2012. L’AAPP travaille pour la libération des prisonniers politiques et l’amélioration de leur vie après leur libération, avec des programmes visant à leur garantir l’accès à l’éducation, à la formation professionnelle, aux conseils en matière de santé mentale et aux soins de santé.
-
NATIONS UNIES : « L’adoption d’un Traité sur la haute mer solide serait véritablement historique »
CIVICUS échange avec Ellie Hooper de Greenpeace Aotearoa sur le rôle de la société civile dans les négociations en cours en vue de l’élaboration d’un Traité des Nations Unies sur la haute mer. Greenpeace est un réseau mondial d'activisme environnemental comprenant 26 organisations nationales et régionales indépendantes dans plus de 55 pays sur tous les continents, ainsi qu’un organe de coordination, Greenpeace International, basé à Amsterdam, aux Pays-Bas. A travers des manifestations pacifiques et des communiqués créatifs, le réseau dénonce les problèmes environnementaux autour du monde et promeut des solutions permettant de créer un avenir vert et pacifique.
-
NATIONS UNIES : « Les négociations du Traité sur la haute mer sont des discussions à huis clos excluant la société civile »
CIVICUS échange avec John Paul Jose sur le rôle de la société civile dans les négociations en cours en vue d’un Traité sur la haute mer de l’Organisation des Nations Unies (ONU). John est un militant de l’environnement et du climat provenant d’Inde. Il est actuellement l’un des jeunes ambassadeurs de la High Seas Alliance (HSA) et membre du Conseil Consultatif sur les Politiques de la Jeunesse de l'Alliance pour un Océan Durable. La HSA est un partenariat entre plus de 40 organisations de la société civile (OSC), ainsi que l’Union internationale pour la conservation de la nature. Elle vise à construire une voix commune forte et des groupes d’intérêt pour la conservation des océans.
Quelle est l’importance du traité proposé ?
Les océans recouvrent 71% de la surface de la Terre, dont 64 % en haute mer. L’océan régule le climat mondial et entretient la vie sur la planète. Il absorbe une grande partie des émissions historiques et cumulatives de carbone : le phytoplancton, les forêts marines et les baleines, en particulier, jouent un rôle important dans le piégeage du carbone dans l’océan. Pourtant, l’océan a été systématiquement ignoré dans les efforts déployés pour lutter contre la crise climatique et la perte de biodiversité, qui se sont concentrés presque exclusivement sur la terre.
La haute mer étant un bien commun mondial, elle est en grande partie régie par l’Organisation maritime internationale, une agence des Nations Unies créée en 1948 chargée de réglementer la navigation, ainsi que par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 et son organe intergouvernemental autonome créé en 1994, l’Autorité internationale des fonds marins.
Or la haute mer est confrontée à des menaces sans précédent, qui n’étaient pas prévues lorsque ces accords ont été conclus, tels que l’accumulation de plastiques, de déchets chimiques et industriels, l’acidification, l’exploitation minière en eaux profondes, le chalutage de fond et, enfin et surtout, les effets globaux du changement climatique. La hausse des températures et la surexploitation des habitats et des espèces marins augmentent le risque d’effondrement des écosystèmes océaniques.
C’est pour cette raison qu’il est urgent d’élaborer un traité mondial sur la biodiversité au-delà des juridictions nationales - un traité sur la haute mer. Ce traité constituerait la base juridique pour la conservation des écosystèmes marins et la protection contre l’extinction d’innombrables espèces encore inconnues. Seul 1% de la haute mer est actuellement protégé, et le traité vise à arriver au 30 % d’ici 2030.
Ce serait l’équivalent de l’accord de Paris pour les océans. Grâce à la conservation marine et à l’utilisation durable des ressources marines, il permettrait de préserver le cycle du carbone. Il contribuerait également, en créant des zones marines protégées, à la restauration des habitats marins et à la reconstitution des ressources marines dont dépendent de nombreuses communautés dans le monde pour leur subsistance. Il contribuerait en outre à la résilience climatique mondiale. Une fois qu’il sera entré en vigueur, de nombreuses pratiques nuisibles à l’océan cesseront d’exister dans les zones protégées.
Pourquoi le processus d’élaboration du traité est-il si long ?
Les négociations ont débuté il y a quinze ans, mais il n’y a pas eu assez de coopération dans de nombreux aspects du traité. Les divergences devraient être résolues entre les sessions afin d’en arriver à un traité qui inclut tous les aspects sur lesquels des accords ont été conclus, tout en laissant de la place pour de futurs amendements au fur et à mesure que les différences sur les éléments les plus contestés soient résolues. De plus, les conférences intergouvernementales devraient être plus fréquentes.
L’un des éléments en cours de discussion est la répartition équitable entre les États des ressources génétiques marines, qui sont essentielles pour les industries pharmaceutiques, cosmétiques, agricoles et autres. L’importance excessive accordée actuellement au partage des avantages est une illusion, car nous n’en savons pas assez sur ces avantages, une grande partie de l’océan étant encore inexplorée. Mais il est incontestable que dix pays représentent le 71 % de la pêche mondiale et ils sont à l’origine du 98 % des brevets déposés sur les ressources génétiques marines en haute mer. La réticence de ces quelques pays de partager les bénéfices, les technologies et les connaissances marines, ainsi que les inquiétudes évidentes que cela suscite chez les pays moins puissants, permettent d’expliquer l’impasse actuelle.
Il a aussi été difficile de s’accorder sur les critères pour évaluer l’incidence sur l’environnement, ainsi que l’implémentation des zones marines protégées. Les intérêts des industries minières en eaux profondes et de la pêche industrielle sont en jeu ici.
Toutefois le processus d’élaboration du traité a connu beaucoup de succès en ce qui concerne la convocation de discussions et de négociations. À l’heure actuelle, plus de 100 États se sont engagés à soutenir le traité dans sa forme actuelle et certains, comme le Costa Rica, montrent l’exemple en faisant avancer les choses au niveau régional, ouvrant ainsi de nouvelles voies pour la conservation des océans.
Il est probable que le traité soit finalisé lors de la prochaine session. Des efforts supplémentaires pour financer les délégations des pays du Sud afin qu’elles puissent faire entendre leur voix et apporter plus d’équilibre dans les négociations sont primordiaux dans ce cadre.
Comment la société civile en général, et la HSA en particulier, ont-elles plaidé pour l’élaboration et l’adoption d’un traité ?
Depuis sa création, le HSA a plaidé pour la protection d’au moins 50 % de l’océan, en impliquant les dirigeants, les experts et la société civile. Nous nous attachons désormais à maintenir la dynamique des conférences intergouvernementales, car il s’agit d’une occasion unique d’élaborer un traité juridiquement contraignant pour protéger la planète en modifiant la façon dont nous gouvernons la haute mer. Ce processus a favorisé la prise de conscience de l’importance de la haute mer, faisant en sorte que des gouvernements qui auparavant n’en étaient pas conscients soutiennent désormais un traité robuste.
Cela dit, il convient de noter que seuls les États sont considérés comme des parties au traité, de sorte que les voix non étatiques n’ont aucune place dans les négociations. Les négociations de traités sont en grande partie des discussions à huis clos qui excluent la société civile et les experts. Beaucoup d’entre nous ne peuvent même pas assister aux négociations en direct et les documents ne sont mis à disposition qu’une fois les discussions clôturées.
Il existe également de nettes inégalités entre les États participants. De nombreux États aux ressources limitées envoient de très petites délégations et n’ont pas l’expertise nécessaire pour participer de manière productive aux discussions. Si la société civile était en mesure d’apporter son expertise au processus, cela ferait une différence pour toutes les parties concernées.
Que peuvent faire les OSC et les militants de l’environnement pour garantir l’adoption du traité ?
Il y a des limites claires à ce que nous pouvons faire pour accélérer l’adoption du traité. Nous pensons qu’il est crucial d’avoir un traité le plus rapidement possible, et qu’il vaut mieux avoir un traité incomplet que de ne pas en avoir. Les États devraient donc avancer sur toutes les questions pour lesquelles des accords ont été conclus et concevoir un processus d’amendement pour intégrer d’autres questions et préoccupations des parties prenantes dans l’avenir.
Les OSC et les activistes peuvent contribuer au processus en apportant des perspectives diverses à la table. Les négociations actuelles étant des discussions fermées entre États dans lesquelles la société civile, les scientifiques et le secteur privé n’ont pas de siège, nous ne pouvons le faire qu’en plaidant auprès des États réceptifs qui ont un siège à la table.
Nous pouvons également faire campagne pour exercer de plus en plus de pression « bottom-up », en intégrant les préoccupations auxquelles le traité tente de répondre dans les discussions du mouvement mondial pour le climat et en faisant participer le grand public. Des ressources telles que le Treaty Tracker de la HSA donnent accès à des informations utiles concernant le traité et les négociations. Ces informations devraient être diffusées dans le monde entier afin de permettre aux gens d’exiger que le traité soit finalisé et que leurs demandes soient prises en compte par leurs propres gouvernements dans le processus d’élaboration de politiques environnementales.
Un traité fournirait une base juridique pour agir, mais même sans traité, les États, les communautés et les entreprises peuvent agir pour protéger la haute mer. De nombreux pays disposent déjà de zones marines protégées au sein de leurs juridictions nationales, et d’autres peuvent être créées avec la participation du public. La société civile doit s’engager dans ces processus, mais ne doit pas être limitée par les frontières nationales. Il est temps pour nous de transcender les frontières et de défendre également les biens communs mondiaux.
Prenez contact avec la High Seas Alliance sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@HighSeasAllianc et@johnpauljos sur Twitter.
-
NIGER : « La menace ne résout pas les problèmes ; la réponse internationale doit mettre en avant le dialogue et la négociation »
CIVICUS échange sur le récentcoup d’État militaire au Niger avec Clément Kocou Gbedey, Coordonnateur National au Niger du Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (West Africa Network for Peacebuilding, WANEP).
Le WANEPest une organisation régionale fondée en 1998 en réponse aux guerres civiles qui ont ravagé l’Afrique de l’Ouest dans les années 1990. Avec plus de 700 organisations membres, il comprend des réseaux nationaux dans chaque État membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Avec une approche collaborative de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix, il travaille avec la société civile, les gouvernements, les organismes intergouvernementaux et d’autres partenaires pour établir des plates-formes de dialogue, de partage d’expérience et d’apprentissage. En 2002, elle a conclu un partenariat avec la CEDEAO pour mettre en œuvre un système régional d’alerte précoce et de réaction rapide en cas de crise.
Quelles sont les causes du récent coup d’État militaire, et quel est la position de l’opinion publique ?
Les causes du coup d’État font suite à la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale, et ainsi que la corruption et la mal gouvernance. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale du Niger, Niamey, lors d’une manifestation pacifique soutenant le coup d’État et critiquant d’autres pays d’Afrique de l’Ouest pour avoir imposé des sanctions financières et commerciales au Niger.
Pourquoi ? Parce que les Nigériens aujourd’hui ont l’impression que les pays occidentaux, surtout la France, sont en train d’exploiter toutes les richesses du pays, telles que l’uranium, le pétrole et l’or. Et le Niger est encore mal classé en termes de développement humain. Les autorités déchues auraient contracté avec la France pour exploiter des ressources minières et énergétiques qui constituent un combustible vital pour l’énergie nucléaire. Et les bénéfices de ce contrat se partagent au niveau du plus haut sommet, sans que le peuple ait droit à quoi que ce soit.
Quelles restrictions ont été imposées à l’espace civique à la suite du coup d’État, et comment la société civile a-t-elle réagi ?
Le coup d’État a entraîné des nouvelles restrictions de l’espace civique, notamment la suspension des activités des partis politiques et la censure des médias internationaux RFI et France 24, ainsi que la fermeture de l’espace aérien. Ces mesures visent à empêcher toute contestation du pouvoir militaire et à se prémunir contre une éventuelle intervention extérieure.
Le coup d’État a eu un impact important sur la société civile nigérienne. Certains acteurs de la société civile ont exprimé leur soutien au général Abdourahamane Tchiani, qui a arrêté le président Mohamed Bazoum, et ses hommes, qu’ils considèrent comme des sauveurs face à la menace terroriste et à la mauvaise gouvernance du président Bazoum. Mais d’autres ont dénoncé le coup d’État comme une atteinte à la démocratie et à l’État de droit, et ont réclamé le retour du président élu.
Combien de temps la junte compte-t-elle rester au pouvoir ?
La junte s’est fixé plusieurs objectifs à long terme et, bien qu’elle n’ait pour l’instant donné aucune indication sur la durée de son maintien au pouvoir, elle ne semble pas envisager de le quitter à brève échéance. Leurs objectifs déclarés sont de corriger les incohérences et les inefficacités dans la gestion de la sécurité du gouvernement déchu, de revoir l’approche sécuritaire du pays et de le protéger contre le terrorisme, de renouer les relations avec les pays voisins, et plus particulièrement avec le Burkina Faso et le Mali, d’améliorer la situation de l’éducation et de la santé et de lutter contre les détournements de fonds publics. Dans tout cela, ils disent mettre les intérêts du Niger en avant.
Le plus grand défi auquel le régime militaire est confronté est celui des sanctions très sévères imposées par la CEDEAO, qui visent à isoler le Niger sur le plan économique, politique et diplomatique.
Quels ont été les résultats de la présence militaire étrangère au Niger jusqu’à présent ?
La présence française au Niger a eu pour but de lutter contre le terrorisme, de former et d’équiper les forces de sécurité nigériennes et de promouvoir la stabilité dans la région. La France intervient au Niger dans le cadre de l’opération Barkhane, qui vise à soutenir les pays du Sahel face aux groupes armés djihadistes.
Mais depuis un moment la présence française est controversée par certains acteurs de la société civile, qui la jugent inefficace, néocoloniale et contraire aux intérêts nationaux. Depuis lors, un sentiment anti politique française a évolué.
Pour l’instant il n’y a pas de présence russe au Niger, mais depuis le coup d’État un sentiment pro-russe est en train de gagner l’esprit de la population. Le public pense que la CEDEAO et les institutions internationales sont restées insensibles au cri des populations civiles, et préfèrent se diriger vers une autre puissance qui pourrait peut-être les aider.
Pensez-vous que la communauté internationale a réagi de manière adéquate au coup d’État ?
La communauté internationale a condamné le coup d’État, mais le président déchu veut plus : il a exhorté les États-Unis et « l’ensemble de la communauté internationale » à aider à « rétablir l’ordre constitutionnel ».
Mais comment ? Les sanctions n’ont fait qu’aggraver la situation. La CEDEAO, qui se dit être la CEDEAO des peuples, a été vite en besogne dans la prise des sanctions contre le Niger. Les sanctions devraient aller en crescendo, mais cela n’a pas été le cas et la situation est devenue insoutenable. Avec les frontières fermées, les sanctions entraînent des conséquences graves pour la population nigérienne, qui souffre déjà de la pauvreté, de l’insécurité alimentaire et de la crise sanitaire. Les coupures d’électricité, le manque de carburant, la hausse des prix des produits de première nécessité et la paralysie des activités commerciales sont autant de difficultés qui affectent le quotidien des Nigériens.
Une intervention de la CEDEAO compliquerait encore plus la situation au Niger et dans les autres pays voisins, voire un embrasement dans la sous-région. Nous pensons que ce qui est nécessaire dans la réponse internationale serait de continuer toujours à mettre en avant le dialogue et la négociation, car la menace ne résout pas les problèmes.
Quel soutien international la société civile nigérienne reçoit-elle et de quel soutien aurait-elle besoin ?
Actuellement on ne reçoit aucun soutien, puisque tout est verrouillé par les sanctions injustement imposées au Niger. En revanche, la société civile nigérienne aurait donc besoin d’un soutien supplémentaire pour assurer sa protection, sa pérennité et son indépendance face aux menaces et aux pressions qu’elle subit à la suite des sanctions de la CEDEAO et des institutions internationales. Elle aurait également besoin d’un soutien pour renforcer son dialogue avec les autorités publiques, les acteurs internationaux et les autres OSC, afin de construire une vision commune et concertée du développement du Niger.
L’espace civique au Niger est classé « réprimé » par leCIVICUS Monitor.
Contactez le WANEPsur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@WANEP_Regional sur Twitter.
Les opinions exprimées dans cette interview sont celles de la personne interviewée et ne reflètent pas nécessairement celles de CIVICUS.
-
ONLINE CIVIC SPACE: ‘We shouldn’t expect tech giants to solve the problems that they have created’
As part of our 2019 thematic report, we are interviewing civil society activists and leaders about their experiences of backlash from anti-rights groups and their strategies to strengthen progressive narratives and civil society responses. CIVICUS speaks to Marek Tuszynski, co-founder and creative director of Tactical Tech, aBerlin-based international civil society organisation that engages with citizens and civil society to explore the impacts of technologyon society and individual autonomy. Founded in 2003, in a context where optimism about technology prevailed but focus was lacking on what specifically it could do for civil society, Tactical Tech uses its research findings to create practical solutions for citizens and civil society.
Some time ago it seemed that the online sphere could offer civil society a new space for debate and action – until it became apparent that online civic space was being restricted too. What kinds of restrictions are you currently seeing online, and what's changed in recent years?
Fifteen years ago, the digital space in a way belonged to the people who were experimenting with it. People were building that space using the available tools, there was a movement towards open source software, and activists were trying build an online space that would empower people to exercise democratic freedoms, and even build democracy from the ground up. But those experimental spaces became gentrified, appropriated, taken over and assimilated into other existing spaces. In that sense, digital space underwent processes very similar to all other spaces that offer alternatives and in which people are able to experiment freely. That space shrank massively, and free spaces were replaced by centralised technology and started to be run as business models.
For most people, including civil society, using the internet means resorting to commercial platforms and systems such as Google and Facebook. The biggest change has been the centralisation of what used to be a distributed system where anybody was able to run their own services. Now we rely on centralised, proprietary and controlled services. And those who initially weren’t very prevalent, like state or corporate entities, are now dominating. The difference is also in the physical aspect, because technology is becoming more and more accessible and way cheaper than it used to be, and a lot of operations that used to require much higher loads of technology have become affordable by a variety of state and non-state entities.
The internet became not just a corporate space, but also a space for politics and confrontation on a much larger scale than it was five or ten years ago. Revelations coming from whistleblowers such as Edward Snowden and scandals such as those with Facebook and Cambridge Analytica are making people much more aware of what this space has become. It is now clear that it is not all about liberation movements and leftist politics, and that there are many groups on the other end of the political spectrum that have become quite savvy in using and abusing technology.
In sum, changes are being driven by both economic and, increasingly, political factors. What makes them inescapable is that technology is everywhere, and it has proliferated so fast that it has become very hard to imagine going back to doing anything without it. It is also very hard, if not impossible, to compartmentalise your life and separate your professional and personal activities, or your political and everyday or mundane activities. From the point of view of technology, you always inhabit the same, single space.
Do people who use the internet for activism rather than, say, to share cat pictures, face different or specific threats online?
Yes, but I would not underestimate the cat pictures, as insignificant as they may seem to people who are using these tools for political or social work. It is the everyday user who defines the space that others use for activism. The way technologies are used by people who use them for entertainment ends up defining them for all of us.
That said, there are indeed people who are much more vulnerable, whose exposure or monitoring can restrict their freedoms and be dangerous for them – not only physically but also psychologically. These people are exposed to potential interceptions and surveillance to find out what are they doing and how, and also face a different kind of threat, in the form of online harassment, which may impact on their lives well beyond their political activities, as people tend to be bullied not only for what they do, but also for what or who they are.
There seems to be a very narrow understanding of what is political. In fact, regardless of whether you consider yourself political, very mundane activities and behaviours can be seen by others as political. So it is not just about what you directly produce in the form of text, speech, or interaction, but also about what can be inferred from these activities. Association with organisations, events, or places may become equally problematic. The same happens with the kind of tools you are using and the times you are using them, whether you are using encryption and why. All these elements that you may not be thinking of may end up defining you as a person who is trying to do something dangerous or politically controversial. And of course, many of the tools that activists use and need, like encryption, are also used by malicious actors, because technology is not intrinsically good or bad, but is defined by its users. You can potentially be targeted as a criminal just for using – for activism, for instance – the same technologies that criminals use.
Who are the ‘vulnerable minorities’ you talk about in your recentreport on digital civic space, and why are they particularly vulnerable online?
Vulnerable minorities are precisely those groups that face greater risks online because of their gender, race or sexual orientation. Women generally are more vulnerable to online harassment, and politically active women even more so. Women journalists, for instance, are subject to more online abuse than male journalists when speaking about controversial issues or voicing opinions. They are targeted because of their gender. This is also the case for civil society organisations (CSOs) focused on women’s rights, which are being targeted both offline and online, including through distributed denial of service (DDoS) attacks, website hacks, leaks of personal information, fabricated news, direct threats and false reports against Facebook content leading to the suspension of their pages. Digital attacks sometimes translate into physical violence, when actors emboldened by the hate speech promoted on online platforms end up posing serious threats not only to people’s voices but also to their lives.
But online spaces can also be safe spaces for these groups. In many places the use of internet and online platforms creates spaces where people can exercise their freedoms of expression and protest. They can come out representing minorities, be it sexual or otherwise, in a way they would not be able to in the physical places where they live, because it would be too dangerous or practically impossible. They are able to exercise these freedoms in online spaces because these spaces are still separate from the places where they live. However, there is a limited understanding of the fact that this does not make these spaces neutral. Information can be leaked, shared, distorted and weaponised, and used to hurt you when you least expect it.
Still, for many minorities, and especially for sexual minorities, social media platforms are the sole place where they can exercise their freedoms, access information and actually be who they are, and say it aloud. At the same time, they technically may retain anonymity but their interests and associations will give away who they are, and this can be used against them. These outlets can create an avenue for people to become political, but that avenue can always be closed down in non-democratic contexts, where those in power can decide to shut down entire services or cut off the internet entirely.
Is this what you mean when you refer to social media as ‘a double-edged sword’? What does this mean for civil society, and how can we take advantage of the good side of social media?
Social media platforms are a very important tool for CSOs. Organisations depend on them to share information, communicate and engage with their supporters, organise events, measure impact and response based on platform analytics, and even raise funds. But the use of these platforms has also raised concerns regarding the harvesting of data, which is analysed and used by the corporations themselves, by third-party companies and by governments.
Over the years, government requests for data from and about social media users have increased, and so have arrests and criminalisation of organisations and activists based on their social media behaviour. So again, what happens online does not stay online – in fact, it sometimes has serious physical repercussions on the safety and well-being of activists and CSO staff. Digital attacks and restrictions affect individuals and their families, and may play a role in decisions on whether to continue to do their work, change tactics, or quit. Online restrictions can also cause a chilling effect on the civil society that is at the forefront of the promotion of human rights and liberties. For these organisations, digital space can be an important catalyst for wider civil political participation in physical spaces, so when it is attacked, restricted, or shrunk, it has repercussions for civic participation in general.
Is there some way that citizens and civil society can put pressure on giant tech companies to do the right thing?
When we talk about big social media actors we think of Facebook, Twitter, Instagram and WhatsApp – three of which are in fact part of Facebook – and we don’t think of Google because it is not seen as social media, even though it is more pervasive, it is everywhere, and it is not even visible as such.
We shouldn’t expect these companies to solve the problems they have created. They are clearly incapable of addressing the problems they cause. One of these problems is online harassment and abuse of the rules. They have no capacity to clean the space of certain activities and if they try to do so, then they will censor any content that resembles something dangerous, even if it isn’t, to not risk being accused of supporting radical views.
We expect tech giants to be accountable and responsible for the problems they create, but that’s not very realistic, and it won’t just happen by itself. When it comes to digital-based repression and the use of surveillance and data collection to impose restrictions, there is a striking lack of accountability. Tech platforms depend on government authorisation to operate, so online platforms and tech companies are slow to react, if they do at all, in the face of accusations of surveillance, hate speech, online harassment and attacks, especially when powerful governments or other political forces are involved.
These companies are not going to do the right thing if they are not encouraged to do so. There are small steps as well as large steps one can take, starting with deciding how and when to use each of these tools, and whether to use them at all. At every step of the way, there are alternatives that you can use to do different things – for one, you can decentralise the way you interact with people and not use one platform for everything.
Of course, that’s not the whole problem, and the solution cannot be based on individual choices alone. A more structural solution would have to take place at the level of policy frameworks, as can be seen in Europe where regulations have been put in place and it is possible to see a framework shaping up for large companies to take more responsibility, and to define who they are benefiting from their access to personal information.
What advice can you offer for activists to use the internet more safely?
We have a set of tools and very basic steps to enable people who don’t want to leave these platforms, who depend on them, to understand what it is that they are doing, what kind of information they leave behind that can be used to identify them and how to avoid putting into the system more information than is strictly necessary. It is important to learn how to browse the internet privately and safely, how to choose the right settings on Google and Facebook and take back control of your data and your activity in these spaces.
People don’t usually understand how much about themselves is online and can be easily found via search engines, and the ways in which by exposing themselves they also expose the people who they work with and the activities they do. When using the internet we reveal where we are, what we are working on, what device we are using, what events we are participating in, what we are interested in, who we are connecting with, the phone providers we use, the visas we apply for, our travel itineraries, the kinds of financial transactions we do and with whom, and so on. To do all kinds of things we are increasingly dependent on more and more interlinked and centralised platforms that share information with one another and with other entities, and we aren’t even aware that they are doing it because they use trackers and cookies, among other things. We are giving away data about ourselves and what we do all the time, not only when we are online, but also when others enter information about us, for instance when travelling.
But there are ways to reduce our data trail, become more secure online and build a healthier relationship with technology. Some basic steps are to delete your activity as it is stored by search engines such as Google and switch to other browsers. You can delete unnecessary apps, switch to alternative apps for messaging, voice and video calls and maps – ideally to some that offer the same services you are used to, but that do not profit from your data – change passwords, declutter your accounts and renovate your social media profiles, separate your accounts to make it more difficult for tech giants to follow your activities, tighten your social media privacy settings, opt for private browsing (but still, be aware that this does not make you anonymous on the web), disable location services on mobile devices and do many other things that will keep you safer online.
Another issue that activists face online is misinformation and disinformation strategies. In that regard, there is a need for new tactics and standards to enable civil society groups, activists, bloggers and journalists to react by verifying information and creating evidence based on solid information. Online space can enable this if we promote investigation as a form of engagement. If we know how to protect ourselves, we can make full use of this space, in which there is still room for many positive things.
Get in touch with Tactical Tech through itswebsite and Facebook page, or follow@Info_Activism on Twitter.
-
OUGANDA : « Personne ne peut gagner les élections sans le vote des jeunes »
CIVICUS s'entretient avec Mohammed Ndifuna, directeur exécutif de Justice Access Point-Uganda (JAP). Établi en 2018, le JAP cherche à faire avancer, encourager et renforcer la lutte pour la justice dans le contexte du processus de justice transitionnelle bloqué en Ouganda, des difficultés du pays à mettre en œuvre les recommandations de ses premier et deuxième examens périodiques universels au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, et face à la réaction de certains États africains contre la Cour pénale internationale.
Mohammed est un défenseur des droits humains et un travailleur de la paix expérimenté et passionné, avec plus de 15 ans d'activisme des droits humains et de prévention des atrocités aux niveaux local, national et international. En 2014, il a reçu le Prix des droits de l’Homme de l'Union européenne pour l'Ouganda ; Il a siégé au comité directeur de la Coalition for the Criminal Court (2007-2018) et au conseil consultatif du Human Rights House Network à Oslo (2007-2012). Il siège actuellement au comité de gestion du Comité national ougandais pour la prévention du génocide et des atrocités de masse.
Quel est l'état de l'espace civique en Ouganda à l'approche des élections tant attendues en 2021 ?
L'espace civique en Ouganda peut être caractérisé comme un espace harcelé, étouffé et pillé. La société civile semble être sur une sorte de pente glissante alors que les choses tournent de mal en pis. Par exemple, les organisations de la société civile (OSC) ont subi une vague d'attaques effrontées contre leur espace physique qui ont pris la forme d'effractions dans leurs bureaux en plein jour. Pendant ce temps, les attaques contre les OSC en général, et en particulier celles qui défendent les droits humains et encouragent la responsabilité, se sont poursuivies. Ces dernières années, un certain nombre de mesures législatives et administratives ont été adoptées à l'encontre des OSC et d'autres secteurs, comme la loi sur la gestion de l'ordre public (2012) et la loi sur les ONG (2016).
Face aux élections générales et présidentielles, qui se tiendront le 14 janvier 2021, le ministre de l'Intérieur a établi que toutes les OSC doivent passer par un processus obligatoire de validation et de vérification pour pouvoir fonctionner. De nombreuses OSC n'ont pas été en mesure d'achever le processus. De ce fait, au 19 octobre 2020, seulement 2 257 OSC avaient terminé avec succès le processus de vérification et de validation, et celles-ci ne comprenaient que quelques OSC qui plaident en faveur des questions de gouvernance.
Les OSC ougandaises sont fortement dépendantes des donateurs et étaient déjà aux prises avec des ressources financières réduites, ce qui a fortement affecté la portée de leur travail. Cette situation a été exacerbée par l'épidémie de COVID-19 et les mesures de verrouillage prises en réponse, qui ont sapé les efforts de mobilisation des ressources des OSC. Ainsi, la combinaison de ces trois forces - harcèlement, restrictions et accès limité au financement - a affaibli les OSC, obligeant la plupart à concentrer leurs efforts sur leur propre survie.
Il semblerait que les enjeux des élections de 2021 soient bien plus importants que les années précédentes. Qu'est ce qui a changé ?
La situation a commencé à changer en juillet 2019, lorsque Robert Kyagulanyi, mieux connu sous son nom de scène, Bobi Wine, a annoncé qu'il se présenterait à la présidence en tant que candidat à la plate-forme de l'opposition nationale pour l'unité. Bobi Wine est un chanteur, acteur, activiste et politicien. En tant que leader du mouvement du Pouvoir Populaire, Notre Pouvoir, il a été élu législateur en 2017.
L'attention que Bobi reçoit des jeunes est énorme et il faut tenir compte du fait que plus de 75% de la population ougandaise a moins de 30 ans. Cela fait des jeunes un groupe qu'il est essentiel d'attirer. Aucun candidat ne peut remporter les élections ougandaises s'il ne recueille pas la majorité des voix des jeunes. Lors de la prochaine course présidentielle, Bobi Wine semble être le candidat le plus capable d'attirer ces votes. Bien qu'il n'ait pas beaucoup d'expérience en tant que politicien, Bobi est une personnalité très charismatique et a réussi à attirer non seulement des jeunes mais aussi de nombreux politiciens des partis traditionnels dans son mouvement de masse.
Longtemps connu comme le « président du ghetto », Bobi Wine a utilisé son appel en tant que star de la musique populaire pour produire des chansons politiques et mobiliser les gens. Ses racines dans le ghetto l'ont également rendu plus attractif dans les zones urbaines. On pense que cela a motivé de nombreux jeunes à s'inscrire pour voter, il est donc possible que l'apathie des jeunes électeurs diminue par rapport aux élections précédentes.
Face à la lutte acharnée actuelle pour les votes des jeunes, il n'est pas étonnant que l'appareil de sécurité se soit violemment attaqué aux jeunes, dans une tentative évidente de contenir la pression qu'ils exercent. De nombreux activistes politiques liés au Pouvoir Populaire ont été harcelés et, dans certains cas, tués. Plusieurs dirigeants politiques du Pouvoir Populaire ont été détenus intermittemment et poursuivis devant les tribunaux, ou auraient été enlevés et torturés dans des lieux clandestins. Dans une tentative évidente d'attirer les jeunes du ghetto, le président Yoweri Museveni a nommé trois personnes du ghetto comme conseillers présidentiels. Cela ouvre la possibilité que les gangs du ghetto et la violence jouent un rôle dans les prochaines élections présidentielles.
Lors des élections précédentes, la liberté d'expression et l'utilisation d'Internet ont été restreintes. Peut-on s’attendre à voir des tendances similaires cette fois ?
Nous les voyons déjà. La préoccupation concernant la restriction de la liberté d'expression et d'information est valable non seulement rétrospectivement, mais aussi en raison de plusieurs événements récents. Par exemple, le 7 septembre 2020, la Commission ougandaise des communications (CCU) a publié un avis public indiquant que toute personne souhaitant publier des informations sur Internet doit demander et obtenir une licence de la CCU avant le 5 octobre 2020. Cela affectera principalement les internautes, tels que les blogueurs, qui sont payés pour le contenu qu'ils publient. De toute évidence, cela tente de supprimer les activités politiques des jeunes sur Internet. Et c'est aussi particulièrement inquiétant car, étant donné que les réunions et assemblées publiques sont limitées en raison des mesures de prévention de la COVID-19, les médias numériques seront la seule méthode autorisée de campagne pour les élections de 2021.
La surveillance électronique a également augmenté, et la possibilité d'un arrêt des plateformes de médias sociaux à la veille des élections n'est pas écartée.
Comment la pandémie de COVID-19 a-t-elle affecté la société civile et sa capacité à répondre aux restrictions d'espace civique ?
La pandémie de COVID-19 et les mesures prises en réponse ont exacerbé l'état déjà précaire des OSC. Par exemple, la capacité de la société civile d'organiser des rassemblements publics et des manifestations pacifiques en faveur des droits et libertés fondamentaux, ou de protester contre leur violation, a été limitée par la manière dont les procédures opérationnelles standard (POS) ont été appliquées pour faire face à la COVID-19. Cela a entraîné des violations et des attaques contre l'espace civique. Par exemple, le 17 octobre 2020, les forces de police ougandaises et les unités de défense locales ont effectué une effraction conjointe lors d'une réunion de prière de Thanksgiving qui se tenait dans le district de Mityana et ont gazé gratuitement la congrégation, qui comprenait des enfants, des femmes, des hommes, des personnes âgées et des chefs religieux ; la raison alléguée était que les personnes rassemblées avaient désobéi aux POS pour la COVID-19.
Dès que la mise en œuvre des POS pour la COVID-19 entre en contact avec la pression électorale, il est possible que la répression des libertés de réunion pacifique et d'association s'aggrave. Malheureusement, les OSC sont déjà fortement restreintes.
Comment la société civile internationale peut-elle aider la société civile ougandaise ?
La situation de la société civile ougandaise est telle qu’elle nécessite l’appui et la réponse urgents de la communauté internationale. Vous devez prêter attention à ce qui se passe en Ouganda et vous exprimer d'une manière qui amplifie les voix d'une société civile locale de plus en plus étouffée. Plus spécifiquement, les OSC ougandaises devraient être soutenues afin qu'elles puissent mieux répondre aux violations flagrantes des libertés, atténuer les risques impliqués dans leur travail et améliorer leur résilience dans le contexte actuel.
L'espace civique en Ouganda est classé comme « répressif » par leCIVICUS Monitor.
Contactez Justice Access Point via leursite Web ou leur pageFacebook, et suivez@JusticessP sur Twitter. -
PHILIPPINES : « Les accusations portées contre moi font partie des tentatives du gouvernement pour faire taire ses détracteurs »
CIVICUS s’entretient avec Elisa « Tita » Lubi, présidente du groupe de défense des droits humains Karapatan, qui fait actuellement l’objet defaussesaccusations de tentative de meurtre. Elle a été inculpée, ainsi que le Secrétaire général de Karapatan pour la région de Mindanao Sud, Jayvee Apia, pour avoir prétendument commis ces crimes lors d’un affrontement armé entre l’armée et des membres du groupe d’opposition armé New People’s Army en mai 2018. L’affaire n’a été ouverte qu’en juin 2020, deux ans après l’affrontement présumé.
-
POLOGNE : « La crise de la démocratie et des droits humains va s'aggraver »
CIVICUS parle à Małgorzata Szuleka à propos de la récente élection présidentielle en Pologne, qui s'est tenue pendant la pandémie COVID-19, et sur l'utilisation par le parti au pouvoir de la rhétorique anti-LGBTQI+ pour mobiliser son électorat. Małgorzata est avocate à la Fondation Helsinki pour les droits humains (HFHR) - Pologne, l'une des plus grandes et des plus anciennes organisations de défense des droits humains en Pologne et dans la région. La HFHR Pologne représente les victimes de violations des droits humains dans les procédures judiciaires, mène des enquêtes et surveille les violations des droits humains. Depuis 2015, elle surveille activement les violations croissantes de l'État de droit en Pologne. Elle travaille avec des organisations partenaires en Europe de l'Est, en Asie centrale, dans l'Union européenne (UE) et aux États-Unis.
Après avoir été reprogrammées, les élections polonaises ont eu lieu en juin et juillet 2020. Quelle était la position de la société civile sur la tenue d'élections pendant la pandémie de la COVID-19 ?
Les élections étaient initialement prévues pour mai 2020 et leur organisation posait un gros problème juridique car il n'y avait pas de mécanisme légal pour les reporter. La seule façon de les reporter était de déclarer l'état d'urgence, comme le prévoit la Constitution. Les élections ne peuvent pas être organisées pendant l'état d'urgence ou dans les 90 jours suivant sa fin. D'un point de vue constitutionnel, une déclaration officielle reconnaissant que le pays subissait une épidémie aurait donné au gouvernement la prérogative d'imposer l'état d'urgence. Cela aurait automatiquement prolongé le mandat du président jusqu'à ce que des élections régulières puissent être programmées, une fois l'épidémie terminée. Cependant, le gouvernement n'a pas suivi cette procédure. Les élections ont été reprogrammées et le second tour entre les deux principaux candidats a été reporté au 12 juillet 2020 sur la base d'arguments juridiques très douteux. Cependant, cela n'a été contesté ni par la majorité gouvernementale ni par l'opposition.
Les organisations de la société civile (OSC) ont d'abord fait pression sur le gouvernement pour que les élections se déroulent correctement, l'exhortant à déclarer l'état d'urgence. Lorsque cela ne s'est pas produit, les OSC ont essayé de soulever la question du contrôle international, principalement en termes d'équité et de financement des campagnes. Le problème était qu’on s’attendait à ce que les élections soient libres mais non justes. Les médias publics ont fait preuve de partialité à l'égard du président Andrzej Duda, le candidat soutenu par le parti au pouvoir Droit et Justice (PiS), et se sont montrés extrêmement critiques et plutôt peu professionnels à l'égard de tout candidat de l'opposition. Bien que l'état d'urgence n'ait pas été déclaré, de nombreux droits fondamentaux, tels que la liberté de réunion et l'accès à l'information, se sont vus limités. Telles étaient les principales préoccupations.
Il y avait aussi le problème de la Cour suprême qui confirmait la validité des élections. Le 12 juillet, le président Duda a été réélu pour un second mandat avec une faible marge. Il a obtenu 51 % des voix, tandis que son adversaire de l'opposition, la Coalition civique, en a obtenu 49 %. Le taux de participation a été légèrement supérieur à 68 % et plus de 5 800 plaintes pour irrégularités ont été déposées. La Cour suprême a jugé que 92 de ces plaintes étaient justifiées mais n'avaient aucune influence sur le résultat final, elle a donc déclaré les résultats valables. Malheureusement, cette décision a complètement négligé le problème des bases constitutionnelles et juridiques sur lesquelles ces élections avaient été convoquées.
Des mesures ont-elles été prises pour protéger les gens pendant la campagne et le processus de vote ? La pandémie a-t-elle eu un impact sur la participation électorale ?
L'organisation de la campagne a impliqué des mesures sanitaires en termes de distanciation sociale et d'utilisation de masques. Mais ces dispositions n'ont pas été pleinement respectées par les deux parties. Pour les besoins de la campagne, le gouvernement a assoupli certaines restrictions ; par exemple, bien que le port du masque facial soit obligatoire, des photographies ont été publiées dans lesquelles le premier ministre n'en portait pas en public. Le fait que de nombreux fonctionnaires aient participé à la campagne électorale aux côtés du président Duda est également préoccupant. Les institutions publiques ont été instrumentalisées par les hommes politiques du parti au pouvoir. Le centre de sécurité du gouvernement, responsable de la coordination et de l'information en cas d'urgence ou de catastrophe naturelle, a envoyé des SMS de masse le jour des élections. Chaque électeur a reçu un message disant que les personnes de plus de 60 ans, les femmes enceintes et les personnes handicapées pouvaient voter sans faire la queue. Cela aurait pu être utilisé pour mobiliser l'électorat du parti au pouvoir. Ce n'est qu'un exemple, mais il pourrait être révélateur du rôle joué par les institutions de l'État pour faire pencher la balance en faveur du parti PiS.
La couverture médiatique pendant les élections a-t-elle été équitable ?
La couverture médiatique publique était absolument injuste. Le reste de la couverture, principalement par les médias privés, a été assez bon ; il n'a certainement pas été aussi mauvais que les médias publics, qui ont été utilisés à des fins de propagande et ont renforcé la campagne du président Duda.
L'une des plaintes électorales déposées auprès de la Cour suprême portait spécifiquement sur la couverture médiatique. Elle a déclaré que la télévision publique soutenait le président tout en discréditant systématiquement son rival, et que les institutions et les fonctionnaires publics ont violé à plusieurs reprises le code de conduite en soutenant un seul des candidats. Mais le problème avec le mécanisme de plaintes électorales est qu'il exige la preuve non seulement que l'irrégularité alléguée a eu lieu, mais aussi qu'elle a eu un impact sur les résultats des élections. Lors d'élections présidentielles comme celle-ci, c'est une chose très difficile à prouver. De plus, le code électoral ne réglemente pas le travail des médias, il est donc difficile de soutenir juridiquement que les médias devraient fonctionner différemment. Et si on y parvient, il est également difficile de prouver que la couverture (ou l'absence de couverture) reçue d'un média par un candidat particulier a abouti à un résultat électoral particulier. C'est une chose que nous pouvons intuitivement supposer, en particulier face à des résultats aussi serrés, mais il est très difficile de créer un argument juridique solide.
Quelles sont les implications de la réélection du président Duda pour la démocratie et les droits humains en Pologne ?
Elle représente la poursuite d'une tendance très inquiétante. Parmi tous les objets de campagne possibles, le président Duda a choisi d'alimenter l'homophobie. La campagne s'est déroulée dans le contexte d'un processus de longue date de recul de l'État de droit, au milieu d'une crise dans les relations entre la Pologne et l'UE, au cours d'un énorme défi sanitaire et au bord d'une crise économique qui touchera tous les Polonais. Mais aucune de ces questions n'a été au centre de la campagne électorale et du débat public. Le président Duda a surtout parlé des personnes LGBTQI+ qui représentent une menace pour notre héritage chrétien traditionnel, assimilant l'homosexualité à la pédophilie. La question s'est distillée dans le récit diviseur, scandaleux et déshumanisant du parti PiS. C'était un geste très pragmatique des astucieux propagandistes du PiS car il a mobilisé le noyau même de l'électorat. Soudain, les groupes et communautés LGBTQI+ sont devenus le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas en Pologne. Il est scandaleux de constater à quel point cette question a été politisée et comment elle a été utilisée pour déshumaniser cette minorité. Ce fut un spectacle douloureux et déchirant.
Et cela ne s'est pas terminé avec la campagne. Le président Duda n'est qu'un représentant du parti PiS, il dira donc tout ce qu'il faut pour le maintenir aligné. Ce n'est rien d'autre qu'une question de calcul et de lutte de pouvoir interne. En juin, le parti PiS a ciblé la population LGBTQI+. En juillet, elle a ciblé les victimes de violence domestique en lançant un débat sur le retrait de la Convention d'Istanbul. En août, il a proposé un système de registre pour les OSC qui reçoivent des fonds de l'étranger. Maintenant, je ne sais pas qui sera son prochain ennemi. Ce n'est pas seulement que la majorité actuelle au pouvoir est homophobe, mais aussi qu'elle a tout le temps besoin d'avoir un ennemi à affronter ou à blâmer.
Nous venons d'entrer dans une phase où il n'y aura pas d'élections pendant trois ans, alors attendez-vous à une consolidation majeure du pouvoir qui permettra au gouvernement de faire ce qu'il veut : exercer plus de pression sur les OSC, polariser davantage les médias, attaquer les groupes minoritaires et intensifier le conflit avec l'UE, entre autres choses. On peut s'attendre à ce que tout cela se produise au cours des trois prochaines années. La seule chose qui pourrait les arrêter est l'évaluation pragmatique de la question de savoir si c'est quelque chose qui répond au besoin du moment ou s'il pourrait y avoir autre chose de plus important. Mais je crois que la crise de la démocratie et les droits humains en Pologne va s'aggraver.
L'espace civique en Pologne est classé« rétréci »par leCIVICUS Monitor.
Contactez la Fondation Helsinki pour les droits humains - Pologne via sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@hfhrpl et@m_szuleka sur Twitter. -
RÉPUBLIQUE DOMINICAINE : « Nous avons peut-être une période de changement positif devant nous »
CIVICUS discute des élections qui ont eu lieu récemment en République dominicaine, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, avec Hamilk Chahin, coordinateur du Manifeste citoyen pour la transparence électorale, et Addys Then Marte, directrice exécutive d’Alianza ONG. Le Manifeste citoyen, une initiative multipartite menée par la société civile, a été lancé en décembre 2019 pour suivre les élections municipales, législatives et présidentielles de 2020 et pousser à la consolidation des institutions démocratiques. Alianza ONG est un réseau comprenant 40 organisations de la société civile (OSC) de la République dominicaine. Fondé en 1995, il se consacre à la promotion du développement durable par des initiatives visant à renforcer la société civile, le dialogue intersectoriel, la formation et le partage d’informations, le plaidoyer politique et la promotion de la solidarité et du volontariat.
Avant même l’apparition de la pandémie de COVID-19, le paysage électoral était déjà compliqué. Quelle était la situation vers mars 2020 ?
Ces dernières années, le parti au pouvoir, le Parti de la libération dominicaine (PLD), a accumulé beaucoup de pouvoir dans toutes les institutions de l’État, affectant la qualité de la démocratie. Le même parti a été réélu pour plusieurs mandats et les élites politiques se sont bien établies dans leurs positions et ont pris l’habitude d’exercer le pouvoir pour leur propre bénéfice et au détriment des intérêts de la collectivité. Petit à petit et sans s’en rendre compte, la société a également commencé à accepter cette situation. La gestion exceptionnellement efficace des mécanismes de communication par les gouvernements successifs y a beaucoup contribué. Avec les bonnes alliances internationales et la bonne fortune dans la gestion économique, les structures de publicité et de propagande ont facilité la perpétuation du gouvernement.
Heureusement, il existe dans chaque société une graine pratiquement impossible à déraciner : la société civile. Elle peut parfois être en état de sommeil ou en hibernation, mais à un moment donné, quelque chose se produit qui la met en mouvement. Dans notre cas, c’est l’extrême confiance de nos gouvernants dans l’assurance de leur pouvoir qui les a conduits à des pratiques de plus en plus effrontées, au point que les citoyens, qui pour la plupart les avaient longtemps tolérés, ont un jour dit que ça suffisait et sont entrés en effervescence. La première grande manifestation de cette lassitude a été le mouvement de la Marche verte, lancé en janvier 2017.
Née de l’indignation populaire suscitée par le scandale Odebrecht, qui impliquait des hauts fonctionnaires de trois gouvernements dominicains successifs, la Marche Verte a rassemblé un large éventail d’OSC et s’est concentrée sur la mobilisation de rue. Tout a commencé par une modeste marche de protestation que nous avons organisée par l’intermédiaire d’une OSC appelée Foro Ciudadano, qui a déclenché un grand phénomène de mobilisation dont la principale réussite a été de briser l’indifférence des citoyens, de faire sortir la classe moyenne de cette zone de confort où elle critiquait sans agir. Les partis d’opposition ont commencé à profiter de cette dynamique, mais le gouvernement, certain de disposer de tous les leviers du pouvoir, lui a d’abord accordé peu d’importance. Cependant, le phénomène est allé bien au-delà des marches : des signatures ont été recueillies, des réunions communautaires ont été organisées et de nombreuses formes de mobilisation ont été encouragées. C’était un état d’éveil motivé par la dignité. Les citoyens ont perdu leur peur de s’exprimer et cela a déconcerté le gouvernement.
Comment le processus électoral 2020 a-t-il commencé, et comment le Manifeste citoyen a-t-il été formé ?
Le début du processus électoral a également marqué le début de la fin du gouvernement actuel. En octobre 2019, les primaires des partis politiques ont eu lieu ; il s’agissait des premières primaires à être organisées dans le cadre de la nouvelle législation sur les élections et les partis politiques, et elles ont été gérées par le Conseil électoral central (JCE). Alors que le PLD a opté pour des primaires ouvertes, permettant la participation de tous les électeurs éligibles, le principal parti d’opposition, le Partido Revolucionario Moderno (PRM), a organisé des primaires fermées, permettant la participation de ses seuls affiliés. Les primaires du PRM ont clairement fait ressortir la candidature de Luis Abinader, qui sera finalement élu président. En revanche, à l’issu des primaires du PLD, Gonzalo Castillo n'est devenu le candidat officiel que de justesse par rapport au président triomphant à trois reprises Leonel Fernández.
Les élections primaires du parti au pouvoir étaient bien plus qu’un processus de sélection de candidats : ce qui était réellement en jeu dans ces élections était le pouvoir du président, Danilo Medina. Au pouvoir depuis 2012, Medina avait été réélu en 2016, et avait tenté en vain de réformer la Constitution pour se faire réélire. En tant que président du parti, Leonel Fernandez s’était opposé à ces manœuvres, si bien que Medina ne l'a pas soutenu lorsqu'il a décidé de se présenter aux primaires. Il est devenu évident que le gouvernement recourait aux ressources de l'État pour soutenir l'héritier désigné de Medina ; en conséquence, le PLD s’est divisé et Fernandez a rejoint le bloc d’opposition. Ces élections ont été très contestées, et ont donné lieu à de nombreuses manipulations. Elles ont laissé un goût amer parmi les citoyens : étant donné la possibilité que la fraude ait été utilisée dans une élection primaire, beaucoup se sont demandés ce qu’il adviendrait de l’élection nationale.
À ce moment-là, de nombreuses OSC ont commencé à réfléchir à ce qu’il fallait faire : nous avons établi des liens entre nous et avec les acteurs politiques, nous avons partagé des informations et nos évaluations de la situation. Nous avons décidé d’exprimer notre préoccupation et d’exiger des mesures correctives de la part des institutions et entités responsables de l’organisation des élections, à commencer par la JCE et en nous tournant vers le Tribunal Supérieur Electoral et le Bureau du Procureur Général de la République, qui sont chargés de poursuivre les crimes et les irrégularités. C’est ainsi qu’est née l’initiative du Manifeste Citoyen (Manifiesto Ciudadano), qui regroupe des acteurs du monde de l’entreprise, de la religion, du travail, des syndicats et du monde paysan. Nous avons fait campagne pour attirer l’attention de la société sur la nécessité de défendre et de surveiller le processus d’institutionnalisation démocratique à l’approche des élections. Et surtout, nous avons fait du plaidoyer auprès des acteurs politiques. Nous avons organisé des réunions avec les représentants des partis, afin que le manifeste bénéficie du soutien de tous les secteurs. Cela a également fait de nous un interlocuteur direct de la JCE.
Quand les élections étaient-elles prévues ?
Le cycle électoral comprenait une série d’élections : les élections municipales, prévues en février, et les élections nationales, tant présidentielles que législatives, initialement prévues en mai. Les élections municipales ont inauguré un nouveau système de vote double, entièrement électronique pour les zones urbaines à forte densité de population et manuel pour les zones rurales. Suite aux demandes du Manifiesto Ciudadano d’apporter certaines garanties et certitudes au processus, le système de vote électronique comportait également une composante manuelle dans la phase de dépouillement des bulletins déposés ; nous avons également réussi à faire enregistrer les décomptes et avons ajouté un système de capture des empreintes digitales et des codes QR.
Bien que les mesures de sécurité aient été renforcées, la mise en œuvre du nouveau logiciel a posé de sérieux problèmes. Le 16 février, plusieurs heures après le début du vote, la JCE a découvert qu’il y avait un problème avec environ 60% des machines à voter électroniques, et a décidé de suspendre les élections municipales dans tout le pays.
Cela a provoqué une crise de confiance et des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester presque quotidiennement. Le 17 février, une manifestation devant le siège de la JCE a exigé la démission de tous ses membres. Le mécontentement a également touché le gouvernement, car de nombreux manifestants ont estimé qu’il avait tenté de tirer profit du mauvais fonctionnement des machines. Le 27 février, jour de l’indépendance, une manifestation massive a eu lieu pour demander une enquête sur ce qui s’était passé et une plus grande transparence dans le processus électoral. La diaspora dominicaine dans différents pays du monde a organisé des manifestations de solidarité pour soutenir la démocratie dans leur pays.
Les élections municipales ont été reprogrammées pour le 16 mars et se sont déroulées sans vote électronique. A cette époque, la pandémie de COVID-19 avait déjà commencé, mais suspendre les élections une seconde fois aurait été un coup dur. C’est pourquoi la République dominicaine a déclaré tardivement l’état d’urgence : le gouvernement a attendu que les élections aient lieu pour décréter trois jours plus tard l’état d’urgence et le couvre-feu.
En avril, face à cette situation prolongée, le corps électoral a décidé de reporter les élections nationales au 5 juillet, après consultation des partis et de la société civile. Il n’y avait pas beaucoup de marge car il fallait prévoir l’éventualité d’un second tour des élections qui devrait avoir lieu avant le 16 août, date à laquelle le changement de gouvernement devait avoir lieu. Bien sûr, il a même été question de la possibilité d’un amendement constitutionnel pour reporter le jour de l’investiture ; la société civile a dû jouer un rôle important pour désamorcer ces alternatives et organiser un calendrier électoral comprenant toutes les mesures sanitaires nécessaires. Heureusement, les médias ont fourni les espaces nécessaires aux OSC ; nous disposions d’une bonne tribune de communication.
Étant donné que les élections ont eu lieu pendant la pandémie, des mesures ont-elles été prises pour limiter le risque de contagion ?
Du côté de la société civile, nous avons essayé de faire en sorte que des mesures sanitaires adéquates soient imposées. Nous avons exhorté la JCE à suivre les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Organisation des États américains afin d’avoir la certitude que les mesures nécessaires seraient prises pour que les élections puissent avoir lieu. Ce fut un effort titanesque, car en République dominicaine, nous n’avions pas encore de politique efficace de prévention et de dépistage rapide, mais nous avons pu imposer des protocoles sanitaires comprenant la désinfection et l’assainissement, la distribution de matériel de protection et des mesures de distanciation physique.
La vérité est que l’importante épidémie de COVID-19 que nous connaissons aujourd’hui n’est pas exclusivement due au jour des élections, mais surtout aux deux mois et demi de campagne désorganisée et irresponsable menée principalement par le parti au pouvoir. Le gouvernement a tenté de tirer profit de la pandémie et des limites imposées par l’état d’urgence. Cependant, cela a pu jouer en sa défaveur. Il y a eu un tel gaspillage de ressources en faveur de la candidature du parti au pouvoir que les gens l’ont mal supporté. C’était grotesque : par exemple, tout comme en Chine, on a adopté la mesure consistant à asperger les rues de désinfectant ; mais alors qu’en Chine un robot ou un véhicule parcourait les rues la nuit et passait dans tous les quartiers, ici nous avons eu droit à un défilé d’une caravane de véhicules officiels à 20 heures, avec sirènes, drapeaux, musique, tout un spectacle de campagne. Les gens n’ont pas apprécié, car cela a été interprété comme un gaspillage de ressources à des fins de propagande qui auraient pu être utilisées pour contrôler efficacement la pandémie.
Quelles possibilités l’opposition avait-elle de faire campagne dans le contexte de l’urgence sanitaire ?
Les conditions de la campagne étaient très inégales, car les fonctionnaires jouissaient d’une liberté de mouvement au-delà des heures fixées de couvre-feu, et les partis d’opposition se sont plaints que le parti au pouvoir pouvait poursuivre sa campagne sans restriction alors qu’ils étaient limités aux heures autorisées. L’accès aux médias était également inégal : la propagande en faveur du candidat au pouvoir était omniprésente, car elle était confondue avec la propagande du gouvernement. Dans ce sens, il y a eu une publicité qui a généré beaucoup de malaise, qui disait quelque chose comme « restez chez vous, nous nous occupons de l’aide sociale », et comportait les images des candidats officiels à la présidence et à la vice-présidence.
La pandémie a été utilisée politiquement de nombreuses manières. À un moment donné, la peur de la contagion a été utilisée pour promouvoir l’abstention : il y a même eu une campagne qui présentait le dessin d’une tête de mort avec le slogan « sortir tue ». Alors que nous menions une campagne avec le message « protégez-vous et allez voter », le gouvernement pariait sur l’instillation de la peur dans la classe moyenne indépendante, tout en prévoyant de faire voter ses partisans en masse. La réaction négative a été si forte qu’ils ont été contraints de retirer cette publicité après quelques jours.
De plus, l'État a été absent de la plupart des politiques mises en œuvre contre la pandémie, et a laissé la fourniture de l’aide sociale et la prévention entre les mains du candidat du parti au pouvoir. Ainsi, ce n’était souvent pas le gouvernement qui se chargeait de la fumigation, mais les entreprises du candidat. Ce sont les jets de la compagnie d’aviation du candidat, et non les avions d’État ou militaires, qui ont ramené les Dominicains bloqués à l’étranger. Les premiers kits de test ont été apportés de Chine par le candidat lui-même, bien sûr avec de grandes opérations de propagande.
Avec tous les atouts en sa faveur, comment expliquer que le gouvernement ait perdu les élections ?
En effet, le candidat du PRM, Luis Abinader, l’a emporté dès le premier tour, avec plus de 52% des voix, tandis que le candidat du gouvernement arrivait en deuxième position avec 37% et l’ancien président Fernandez n’a atteint que 9%. La division du parti au pouvoir à la suite des allégations de fraude lors des primaires a eu un effet, car si le parti avait été uni et non affecté par ce scandale, les résultats auraient pu être différents.
Face au fait qu’un seul parti a gouverné pendant 20 des 25 dernières années, les citoyens en ont eu assez et ont cherché des alternatives. Les citoyens se sont exprimés non seulement par la mobilisation et la protestation, mais aussi par un processus de sensibilisation qui durait depuis plusieurs années. Des plateformes d’expression très intéressantes ont vu le jour, comme le média numérique Somos Pueblo (Nous sommes le peuple), qui a joué un rôle très important avec sa chaîne YouTube. Le gouvernement faisant campagne dans les rues et les citoyens étant isolés par la pandémie, des stratégies créatives ont également été mobilisées pour contourner les limitations et protester sans sortir de chez soi, comme les « cacerolazos ».
Le désir de participer afin d’obtenir un changement s’est reflété dans le taux de participation aux élections, qui a dépassé 55%. Si ce chiffre est bien inférieur à la moyenne de 70% enregistrée lors des élections de la dernière décennie, il est remarquable dans le contexte de la pandémie. Face à la mauvaise gestion de la pandémie par le gouvernement actuel, les espoirs placés dans le nouveau gouvernement sont très élevés. Si nous parvenons à surmonter ce défi, nous aurons peut-être devant nous une ère de changements positifs en termes de renforcement des institutions et de consolidation de la démocratie.
L’espace civique en République dominicaine est classé « rétréci » par leCIVICUS Monitor.
Contactez Manifiesto Ciudadano via sonsite web ou son profilFacebook, et suivez@ManifiestoCiuRD sur Twitter. Contactez Alianza ONG via sonsite web ou son profilFacebook, et suivez@AlianzaONG et@AddysThen sur Twitter.
-
RUSSIE : « L'activisme des droits humains devrait s'intensifier en réaction à la répression »
CIVICUS s'entretient avec Leonid Drabkin, l'un des coordinateurs d'OVD-Info, une organisation indépendante de défense des droits humains de la société civile (OSC) qui documente et assiste les victimes de persécutions politiques en Russie. Par le biais de sa hotline et d'autres sources, OVD-Info recueille des informations sur les arrestations de manifestants et autres cas de persécution politique, publie des informations et coordonne l'assistance juridique aux détenus.
Pouvez-vous nous parler du travail de OVD-Info ?
Nous travaillons principalement sur la question de la liberté de réunion pacifique en Russie, en surveillant les violations et en aidant les victimes, bien que nous couvrions également d'autres cas de persécution politique non liés aux manifestations. Nous définissons la persécution politique comme une persécution par le gouvernement ou une personne liée au gouvernement qui implique la violation des libertés civiques, c'est-à-dire de la liberté de réunion pacifique, de la liberté d'expression, de la liberté d'association et de certaines libertés électorales. Nous travaillons dans deux directions : nous aidons les personnes dont les libertés ont été bafouées, et nous recueillons et diffusons des informations, qui à leur tour alimentent notre plaidoyer et nos campagnes pour le changement.
Nous aidons les personnes détenues grâce à une ligne téléphonique qui fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. C'est à la fois un moyen facile de signaler une persécution et une occasion de consulter des professionnels qui savent à quoi s'attendre dans chaque situation, quoi faire et comment le faire. Notre ligne d'assistance reçoit des appels de partout dans le pays et nous recevons également des SMS via Telegram. Nous offrons une aide juridique par ces moyens et également en envoyant des avocats dans les commissariats de police où des personnes sont détenues. Nous soutenons également ceux qui sont poursuivis devant les tribunaux. Par exemple, en octobre 2020, nous avons fourni une aide juridique dans 135 affaires judiciaires - environ cinq ou six par jour ouvrable - dans différentes régions de Russie, étant donné que cette année a été assez particulière pour diverses raisons, y compris le fait que les grandes protestations à Khabarovsk, le district le plus à l'est de la Fédération, se poursuivent. Dans ce cas particulier, le décalage horaire a été un gros problème pour nous. Nous sommes basés à Moscou et nous recevions normalement des appels pendant nos heures de travail, mais durant cette période nous recevons des appels à 4 ou 5 heures du matin et nous avons dû adapter notre façon de travailler.
Nous travaillons également avec la Cour européenne des droits humains et aidons ceux qui ont besoin de notre aide là-bas. Ce qui nous distingue, c'est notre devise « l'information protège », ce qui signifie que nous aidons non seulement en offrant une assistance directe mais aussi en diffusant des informations, si bien que nous fonctionnons également comme un média et une agence de presse. Nous avons un site Web que nous tenons à jour, et nous avons des journalistes qui font un travail d'enquête et rédigent des articles et des rapports. C'est une autre des façons dont nous aidons les gens, étant donné que ces informations sont utilisées pour tenter de changer les choses à travers un travail de plaidoyer et de clarification de la citoyenneté. Nous publions des bases de données sur une grande variété de sujets. Nous conservons bien les dossiers, donc si quelqu'un veut savoir, par exemple, combien de personnes ont été arrêtées en Russie en 2019, il peut trouver ces informations sur notre site Web.
Je suis fier de dire que 70 à 80% de notre budget provient de sources privées. Cela reflète la force de notre communauté de donateurs, composée de quelque 6 000 personnes qui versent des contributions mensuelles. Notre organisation a vu le jour en décembre 2011, dans le contexte d'une vague de manifestations de masse qui a abouti à des arrestations massives. Cela a commencé avec une publication sur Facebook et a été fondé en tant que petit groupe de bénévoles, et neuf ans plus tard, nous sommes toujours là : nous sommes devenus une organisation plus durable avec un personnel professionnel et spécialisé, où le bénévolat et le soutien communautaire continuent de jouer un rôle important. Nous avons environ 600 bénévoles, dont certains nous aident au quotidien, tandis que d'autres le font sur une base mensuelle ou sporadique.
De votre point de vue, quels sont les principaux risques auxquels les activistes et les journalistes sont actuellement confrontés en Russie ?
Les activistes et les journalistes sont confrontés à de nombreuses menaces, mais peut-être en raison de l'orientation de notre travail, je dirais que les principales sont liées à la restriction de la liberté de réunion pacifique. Ces restrictions opèrent à chaque tournant. Si vous organisez une manifestation pacifique, il est fort probable que vous vous retrouviez en détention, même si cela dépend du problème, de la région où vous vous trouvez et de votre chance. Il y a beaucoup d'incertitude, donc vous ne savez jamais si vous allez être arrêté ou non.
Avant de protester, vous devez informer le gouvernement local que vous souhaitez organiser une réunion, et pour ce faire, vous avez besoin de leur approbation. Dans de nombreux cas, le processus d'approbation échoue. Le fait même que cette procédure existe est en soi une menace. Selon les normes internationales, ce n'est pas ainsi que cela devrait fonctionner. En Russie, il est nécessaire de demander une autorisation à l'avance. Le délai varie d'une région à l'autre, mais supposons que vous deviez soumettre la demande 7 jours à l'avance, puis attendre le permis et alors seulement, s'ils vous le donnent, pouvez-vous faire votre déclaration. Cela signifie que vous n'avez pas la capacité de réagir rapidement lorsque quelque chose de grave se produit, par exemple en cas de meurtre ou en cas de doute sur les résultats des élections. Il n'est pas possible de protester en réaction à ces événements car vous devez soumettre la demande d'autorisation et attendre plusieurs jours à ce qu'elle vous soit remise, et ce si elle vous est donnée. L'enthousiasme et l'énergie que ces événements provoquent ont tendance à diminuer avec le temps, et il est fort probable que dans une semaine ou deux ils se soient calmés, ce que la législation actuelle prévoit.
Si votre rallye est approuvé, ils ne vous arrêteront probablement pas. Mais les protestations sur des questions controversées ne sont généralement pas approuvées, et si vous n'avez pas d'autorisation et que vous vous exprimez de toute façon, il est très probable que vous soyez arrêté, puis envoyé dans un poste de police et ensuite jugé. Lorsque les manifestations sont réprimées, vous pouvez également être frappé par les forces de police. Ce n'est pas si courant, mais parfois la police a frappé les manifestants avec leurs matraques, ou leurs « démocratiseurs » comme nous les appelons.
Si vous êtes poursuivi et qu'il s'agit de votre première violation des règles qui s'appliquent à la manifestation, vous ne serez condamné qu'à une amende, mais si vous êtes un récidiviste, vous pourriez être emprisonné pendant 10 ou 15 jours. Si vous êtes un activiste, vous faire prendre une deuxième ou une troisième fois n'est qu'une question de temps. Or, le système est absurde, car il implique que la nature du crime change lorsqu'il est commis à plusieurs reprises : lorsque vous enfreignez la réglementation pour la première fois, c'est un crime mineur qui est poursuivi par le tribunal administratif, mais quand vous le faites pour la troisième fois, il est considéré comme un crime grave, qui est donc poursuivi par le système pénal, avec d'autres crimes graves tels que le meurtre ou l'enlèvement. Nous disons que c'est le seul article politique de notre Code pénal, car il a été créé pour être utilisé politiquement et constitue une grande menace pour l'activisme.
Les règles ou leur application ont-elles été renforcées pendant la pandémie de la COVID-19 ?
Oui, le gouvernement russe a utilisé la pandémie comme excuse pour violer les droits humains. La Russie a été l'un des pays les plus touchés par les infections et les décès causés par le COVID-19, mais elle a également été l'un des rares pays d'Europe à autoriser les gens à se rendre dans les stades de football, les cinémas et les théâtres ; même le métro, toujours plein, fonctionne comme d'habitude, alors que toutes les mobilisations et manifestations sont interdites, selon l'allégation de la pandémie.
La société civile comprend mieux que le gouvernement tous les impacts négatifs du COVID-19 et n'a pas l'intention de déclencher une grande manifestation. Tout ce que nous voulons, c'est que les gens puissent organiser de petites manifestations, même des manifestations à une personne ou des piquets de grève individuels, qui sont en principe les seuls types de manifestation que nous pourrions faire sans préavis ni demande d'autorisation des autorités. C'est l'une des raisons pour lesquelles les piquets individuels ont augmenté ces dernières années. Mais la répression à leur encontre s'est également intensifiée et les restrictions ont également continué de s'appliquer pendant la pandémie, même si ces manifestations ne présentent aucun risque pour la santé publique. Au cours du premier semestre 2020, quelque 200 manifestants ont été arrêtés, plus que lors de toute année précédente. En fait, j'étais l'une des personnes arrêtées, même si je n'ai pas été arrêtée en relation avec le travail que nous faisons à OVD-Info. En tant qu'OSC, nous essayons de rester politiquement neutres, tandis que moi, en tant qu'individu et activiste, j'ai fait un piquet de grève individuel et j'ai été arrêté pour cela. Je porte actuellement mon cas devant la Cour européenne des droits de l’Homme.
Y a-t-il eu des restrictions sur d'autres libertés civiques ?
Bien que je considère que notre plus gros problème soit la restriction de la liberté de réunion, il y a bien sûr aussi une censure en Russie. Certains sites Web sont parfois interdits, mais ce n'est pas très courant. En fait, là où la liberté d'expression devient souvent problématique, c'est en relation avec la liberté de réunion. Par exemple, il y a eu le cas d'une personne qui a été arrêtée pendant 30 jours pour avoir téléchargé un message sur Facebook invitant d'autres personnes à participer à une manifestation qui n'avait pas été approuvée par le gouvernement. Bien que cette personne ait été arrêtée pour avoir exercé son droit à la liberté d'expression, la violation était associée à la restriction de la liberté de réunion, qui rend illégale la convocation à une manifestation non autorisée.
Il existe un nombre croissant de lois qui interdisent certaines formes de discours, du « manque de respect » envers le gouvernement à la diffusion de la « propagande LGBT ». On peut être accusé d'avoir dit ou posté quelque chose de critique au point d'être perçu comme irrespectueux, ou même juste d’avoir évoqué des droits des personnes LGBTQI +, car en 2013 une loi connue comme « loi sur la propagande gay » ou « loi anti-gay » a été passée ayant supposément pour objectif de protéger les enfants en criminalisant la distribution de « propagande non traditionnelle sur les relations sexuelles » aux mineurs. Cette loi interdit fondamentalement de parler aux mineurs, et dans tout autre contexte, des sujets LGBTQI +.
Ces dernières années, les restrictions à la liberté d'association ont également augmenté. Des dizaines d'OSC ont été classées comme « agents étrangers » et de nombreux groupes d'activistes ont été traités comme des terroristes ou des extrémistes, même s'ils n'ont rien fait. Un exemple clair s'est produit il y a quelques mois, lorsque sept jeunes activistes ont été condamnés pour extrémisme et certains ont été condamnés à plusieurs années de prison. Ils n'avaient eu que des conversations dans un groupe de discussion infiltré par un agent du FSB (Service fédéral de sécurité), qui avait poussé à un agenda politique radical pour tendre un piège aux autres participants, qui ont ensuite été contraints de faire de faux aveux.
Compte tenu de l'accent mis par OVD-Info sur l'information, êtes-vous préoccupé par les tactiques de désinformation utilisées par les responsables du gouvernement russe ?
Je suis de nombreux politiciens sur Facebook et parfois je vois qu'à côté de leurs messages, il y a une légende qui dit quelque chose comme « s'il vous plaît vérifiez cette information car elle pourrait être fausse », comme avec les tweets de Trump. Je ne considère pas que ce soit un si gros problème en Russie, ou peut-être que nous ne sommes pas pleinement conscients parce que cela a toujours été le cas. En interne, je ne vois pas la désinformation comme une nouvelle tactique. En Russie, nous n'avons jamais fait confiance à notre gouvernement, sur aucune question - ni en relation avec les statistiques COVID-19, ni en relation avec l'inflation ou les taux de chômage. Cela a toujours été comme ça. Les chiffres sont inventés et personne ne les croit.
Concernant les sources d'information, je pense qu'en Russie, nous avons deux publics différents, qui se mélangent que très rarement : le public de la télévision et les internautes. Les personnes âgées et celles qui vivent dans des zones plus rurales ont tendance à regarder la télévision, tandis que les plus jeunes et ceux des zones urbaines utilisent Internet. La plupart de ce que l’on voit à la télévision est de la propagande, pas de l'information ; si vous voulez vous y référer en tant qu'information, alors ce serait une « fausse information ». Mais si vous surfez sur Internet, vous avez la possibilité de trouver des informations fiables. Il est nécessaire de bien chercher, car il y a beaucoup d'informations et souvent les informations fausses et vraies sont mélangées, mais au moins vous en avez accès.
Pouvez-vous nous parler du référendum constitutionnel de juin 2020 ?
Je pense que vous, qui le regardez de l'extérieur, y avez prêté plus d'attention que nous en Russie. En fait, référendum n'est même pas le mot juste. Le gouvernement n'a jamais qualifié le vote de référendum ; ils l'appelaient une « enquête nationale ». Il n'est même pas nécessaire de tenir un référendum pour amender la Constitution. En fait, il n'y a pas longtemps, lorsque la Russie a conquis la péninsule de Crimée, la Constitution a dû être amendée pour inclure une région supplémentaire de la Russie, mais aucun référendum n'a eu lieu ; d'autres mécanismes ont été utilisés à la place.
Le gouvernement aurait pu emprunter la voie législative, mais il voulait que les modifications soient légitimées par une grande majorité de la population. Cependant, ils n'ont pas pu organiser de référendum car ce mécanisme devait être appelé des mois à l'avance et les règles permettaient uniquement aux personnes ayant des problèmes de santé de voter de chez elles. Ils ont donc appelé cela une « enquête nationale », une figure qui n'est réglementée par aucune loi - contrairement au référendum, qui doit être organisé selon des directives spécifiques. Cela a donné au gouvernement une grande souplesse en termes de dates et de règlements. Dans de nombreuses régions, les gens pouvaient voter à distance par des moyens électroniques, ce qui ne serait pas en soi négatif, mais dans ce contexte, cela offrait des possibilités supplémentaires de violations. Une semaine complète a été ajoutée pour voter avant le jour du vote, ce qui était une bonne décision du point de vue de la santé publique, mais a ajouté encore plus de possibilités de fraude. Et il n'y a pas eu de contrôle indépendant, donc les résultats ne peuvent être fiables, selon lesquels une écrasante majorité de 70% s'est prononcée en faveur de la réforme.
J'ai été indigné par les modifications possibles de la Constitution, qui comprenaient de nouvelles dispositions faisant référence aux limites du mandat présidentiel et permettaient de ne pas compter les périodes précédemment détenues par ceux qui occupaient le poste, permettant à Poutine de concourir pour deux mandats présidentiels supplémentaires de six ans. Par ailleurs, l'accent était mis sur la « famille traditionnelle », l'introduction de l'éducation patriotique dans les écoles, une mention explicite de la foi en Dieu et une déclaration qui place la Constitution au-dessus du droit international.
J'étais également très préoccupé par le fait que personne autour de moi n'était assez en colère. Les partis politiques et les dirigeants de l'opposition n'ont pas appelé les gens à voter contre ; ils n'ont simplement rien dit. Ils n'étaient même pas opposés au vote pendant la pandémie. Pour moi, c'était une décision criminelle, mettant inutilement en danger des dizaines de millions de personnes en les faisant voter en pleine pandémie. Je fais partie d'un comité électoral et à toutes les élections je travaille aux tables de vote ; je me présente à l'école locale et je reste assis toute la journée à chercher les noms des électeurs dans les registres, à leur remettre leurs bulletins de vote et à signer à côté de leurs noms, mais cette fois-ci je ne l'ai pas fait parce que j'avais peur pour ma santé. Je ne voulais pas être dans une pièce avec autant de monde en pleine pandémie.
La société civile n'était pas non plus très active. L'une des OSC russes les plus connues, Golos, qui travaille sur les questions d'observation électorale, a fait la lumière sur la question, dénonçant que le vote a été manipulé et que les résultats ont été falsifiés. Mais la société civile dans son ensemble n'a pas vraiment été confrontée au problème, et je pense que la pandémie pourrait avoir quelque chose à voir avec cela, car en temps normal, elle serait sortie pour protester, mais à l'heure actuelle, la pandémie rend les choses extrêmement compliquées.
Les activistes des droits humains ont-ils trouvé des formes de résistance créatives et alternatives ?
Les activistes des droits humains sont comme des champignons après la pluie : nous nous multiplions en réaction aux violations des droits humains. Après chaque nouvelle vague de répression, l'activisme augmente et de nouvelles OSC émergent. OVD-Info est né en réaction à la répression des grandes manifestations qui ont eu lieu après les élections législatives, et neuf ans plus tard, nous continuons à grandir. 2019 a été une année de persécutions massives et de nombreux projets prometteurs ont été développés en conséquence. Par exemple, nous avons maintenant un excellent tchat Telegram appelé « paquets aux postes de police », qui est activé lorsqu'une personne est détenue et a besoin d'eau, de nourriture, d'un chargeur de téléphone portable ou de tout autre élément essentiel, et à travers laquelle nous nous coordonnons afin que quelqu'un aille tout simplement au poste de police et remette les éléments à la personne détenue. De cette manière, tout le monde peut exprimer sa solidarité. En participant à cette initiative, même ceux qui ont peur de protester peuvent être utiles sans risque. Nous avons une autre initiative, « taxi pour prisonniers », à travers laquelle les gens se portent volontaires pour vous chercher ou vous chercher un taxi si vous êtes détenu et ils vous libèrent au milieu de la nuit, quand il n'y a pas de transports publics. Lorsqu'ils m'ont arrêté plus tôt cette année, ils m'ont infligé une amende, et alors j'ai bénéficié d'une autre initiative qui soutient le piquetage individuel en utilisant « crowdfunding » afin de recueillir les fonds nécessaires au paiement de l'amende. De nouvelles initiatives continuent de voir le jour pour lutter contre chaque nouvelle violation des droits, et à mesure que de nouvelles restrictions sont imposées, on peut s'attendre à ce que l'activisme des droits humains s'intensifie.
L'espace civique en Russie est qualifié de « répressif » par leCIVICUS Monitor.
Entrez en contact avec OVD-Info via leursite Web ou pageFacebook, et suivez@Ovdinfo sur Twitter. -
SÉNÉGAL : « La restriction de l’espace civique demeure la plus grande préoccupation de la société civile »
CIVICUS échange avec Malick Ndome, conseiller sénior en politique et membre du conseil d’administration au Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (CONGAD), sur les récentes élections au Sénégal.
La CONGAD a été fondée en 1982 par des organisations de la société civile (OSC) travaillant au Sénégal pour coordonner les relations avec l’État et d’autres partenaires. La CONGAD offre des formations pour les OSC, les autorités locales et les médias. Il plaide également en faveur d’une société civile plus forte, capable d’influencer les politiques publiques.
Quelle est l’importance de la victoire du candidat de l’opposition Bassirou Diomaye Faye lors de la récente élection présidentielle ?
La victoire de M. Faye au premier tour était difficile à prévoir. Cependant, il est important de reconnaître l’impact de sa sortie de prison, ainsi que celle d’Ousmane Sonko, leader de son parti, les Patriotes du Sénégal (PASTEF), à peine dix jours avant l’élection.
M. Sonko avait été empêché de se présenter à la suite d’une condamnation controversée pour corruption de la jeunesse et diffamation en 2023. M. Faye a été désigné comme candidat à sa place, mais il a également été envoyé en prison pour avoir critiqué la décision du tribunal dans l’affaire Sonko. Leur libération a notablement galvanisé le soutien des sympathisants et des militants de PASTEF, et plus généralement des jeunes, qui ont apprécié leur message de changement et leur aura anti-corruption. En revanche, il semble que la coalition gouvernementale ait suscité un manque d’enthousiasme notable.
-
SÉNÉGAL : « La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de 2024 »
CIVICUS échange sur la dégradation de l’espace civique à l’approche des élections sénégalaises de l'année prochaine avec Sadikh Niass, Secrétaire Général de laRencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme(RADDHO), etIba Sarr, Directeur des Programmes de la RADDHO.
La RADDHO est une organisation de la société civile (OSC) nationale basée à Dakar, Sénégal. Elle travaille pour la protection et la promotion des droits humains au niveau national, régional et international par le biais de la recherche, de l’analyse et du plaidoyer afin de fournir des alertes d’urgence et de prévenir les conflits.
Quelles sont les conditions pour la société civile au Sénégal ?
La société civile sénégalaise reste très active mais est confrontée à plusieurs difficultés liées à la restriction de l’espace civique. Elle subit beaucoup d’attaques verbales de la part de certaines lobbies proches du pouvoir qui les considèrent comme des opposants ou faisant la promotion de « contre valeurs » comme l’homosexualité. Elle est aussi confrontée aux restrictions de libertés de manifestations. La société civile travaille dans des conditions difficiles avec peu de moyens financiers et matériels. En effet les organisations de défense des droits humains ne reçoivent aucun soutien financier de l’Etat.
La situation devient plus tendue au fur et mesure qu’on s’approche des élections de février 2024. Depuis mars 2021, l’opposition la plus radicale et le gouvernement ont tous opté pour la confrontation. Le gouvernement tente d’affaiblir l’opposition en la réduisant au minimum. Il s’attaque particulièrement à l’opposition la plus dynamique, la coalition Yewi Askan Wi (« Libérer le peuple »), dont le principal leader, Ousmane Sonko, est aujourd’hui en détention.
Toutes les manifestations de l’opposition sont systématiquement interdites. Les manifestations spontanées sont violemment réprimées et se soldent par des arrestations. Le judiciaire est instrumentalisé pour empêcher la candidature du principal opposant au régime, Sonko, et les principaux dirigeants de son parti sont arrêtés.
Nous avons également assisté ces dernières années à une recrudescence des menaces verbales, physiques et judiciaires envers les journalistes, ce qui constitue un vrai recul du droit à l’information.
Quels seront les enjeux de l’élection présidentielle de 2024 ?
Avec la découverte du pétrole et du gaz, le Sénégal devient une destination attrayante pour les investisseurs. La gestion transparente de ces ressources reste un défi dans un contexte marqué par la recrudescence des actes terroristes. Les populations confrontées à la pauvreté voient en cette découverte un moyen d’améliorer leur niveau de vie. Avec la percée de l’opposition lors des élections locales et législatives de 2022 on sent que l’électorat exprime de plus en plus fortement son désir de transparence, de justice et d’amélioration des conditions socio-économiques.
Le 3 juillet 2023 le président sortant a déclaré qu’il ne participera pas aux prochaines élections. Cette déclaration pourrait constituer une lueur d’espoir d’une élection libre et transparente. Mais le fait que l’État soit tenté d’empêcher certains ténors de l’opposition d’y prendre part constitue un grand risque de voir le pays sombrer dans des turbulences.
La société civile reste alerte et veille à ce que l’élection de 2024 soit une élection inclusive, libre et transparente. A cet effet elle a beaucoup multiplié des actions en faveur du dialogue entre les acteurs politiques. Également les OSC s’activent à travers plusieurs plateformes pour accompagner les autorités dans l’organisation des élections apaisées par la supervision du processus avant, pendant et après le scrutin.
Qu’est-ce qui a déclenché les récentes manifestations ? Quelles sont les revendications des manifestants et comment le gouvernement a-t-il réagi ?
Les récentes manifestations ont été déclenchées par la condamnation de Sonko à deux ans de prison le 1er juin 2023. Ce jour-là, un tribunal s’est prononcé sur l’affaire dite « Sweet Beauty », dans laquelle une jeune femme employée dans un salon de massage accusait Sonko de l’avoir violée et d’avoir proféré des menaces de mort à son encontre. Sonko a été acquitté des menaces de mort, mais les accusations de viol ont été requalifiées en accusations de « corruption de la jeunesse ».
Est venu se greffer à cette condamnation l’arrestation de Sonko le 31 juillet 2023 et la dissolution de son parti politique, le PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).
Les manifestations sont animées par le sentiment que leur leader fait l’objet de persécutions et que les affaires pour lesquelles il a été condamné ne servent qu’à l’empêcher de participer aux prochaines élections. La principale revendication des manifestant est la libération de leur leader et des personnes illégalement détenus.
Face aux manifestations le gouvernement a opté pour la répression. En effet les autorités considèrent qu’elles font face à des actes de défiance de l’Etat et ont appelé les forces de sécurité à faire usage de la force.
La répression s’est soldée par la mort de plus de 30 personnes et de plus 600 blessés depuis mars 2021, quand les premières repressions ont commencé. En plus de ces pertes en vies humaines et de blessés on dénombre aujourd’hui plus de 700 personnes arrêtées et croupissent dans les prisons du Sénégal. Nous avons aussi noté l’arrestation de journalistes mais aussi de coupure de signal de chaines de télévisions et de restriction de certaines d’internet.
Comment la société civile sénégalaise, y compris la RADDHO, travaille-t-elle à la défense des droits humains ?
La RADDHO travaille au niveau national en aidant les victimes de violations de droits humains, et mène des activités de sensibilisation, d’éducation aux droits humains et de renforcement de capacités.
La RADDHO collabore avec les mécanismes régionaux et internationaux, notamment la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le Comité Africain des Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. A cet effet elle mène plusieurs activités de vulgarisations des Instruments juridiques de protection et de promotion des droits humains. En tant que membre observateur de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, elle participe régulièrement aux forums de la société civile lors des sessions de celle-ci. Également la RADDHO coordonne la coalition des OSC pour le suivi et la mise en œuvre des recommandations de l’Examen Périodique Universel des Nations unies pour le Sénégal.
Quel soutien international la société civile sénégalaise reçoit-elle et de quel soutien supplémentaire aurait-elle besoin ?
Dans le cadre de leurs missions, les OSC sénégalaise reçoivent des appuis de la part d’institutions internationales telles que l’Union Européenne, les agences de coopération bilatérale des États-Unis et de la Suède, USAID et SIDA, et des organisations et fondations tels qu’Oxfam NOVIB des Pays Bays, le NED des États-Unis, la NID de l’Inde et la Fondation Ford, entre autres. Cependant, du fait que le Sénégal a longtemps été considéré comme un pays stable, l’appui reste insuffisant.
Compte tenu des restrictions de l’espace civique constatées depuis quelques années et de la crise politique, la société civile a besoin d’être soutenue pour mieux assister les victimes de violations de droits humains, pour contribuer à l’avènement d’une véritable culture des droits humains, et pour travailler à l’élargissement de l’espace civique et le renforcement de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance.
L’espace civique au Sénégal est classé « entravé » par leCIVICUS Monitor.
Contactez la RADDHOsur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@Raddho_Africa sur Twitter.
-
SERBIE : « La crise politique va s’approfondir parce qu’une grande partie des citoyens n’est pas représentée »
CIVICUS s’entretient avec Ivana Teofilović sur les causes des récentes manifestations et la réaction du gouvernement à celles-ci, ainsi que sur les élections tenues en Serbie pendant la pandémie de la COVID-19. Ivana est coordinatrice du programme de politique publique à Civic Initiatives, une association de citoyens serbes qui vise à renforcer la société civile par l’éducation civique, la promotion des valeurs et des pratiques démocratiques et la création d’opportunités de participation citoyenne.