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FRANCE : « L’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution est une véritable victoire féministe »
CIVICUS échange avec Floriane Volt, Directrice des Affaires Publiques et Juridiques de la Fondation des Femmes, sur les récentes modifications apportées à la Constitution française pour y inclure le droit à l'avortement.
La Fondation des Femmes est une organisation de référence en France pour la liberté et les droits des femmes et contre les violences sexistes.
D’où vient l’initiative d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française ?
Le droit des femmes à disposer de leur corps constitue la condition essentielle de la liberté des femmes et d’une égalité entre les femmes et les hommes. L’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution était donc à la fois une nécessité et une consécration des droits des femmes et de l’égalité.
Il est bien du rôle de la Constitution – texte fondateur de notre société, protégeant les droits fondamentaux des citoyennes et citoyens – de venir sécuriser le droit à disposer de son corps. C’est une garantie supplémentaire pour toutes les femmes. Sa remise en cause s’avèrera également plus complexe puisqu’elle relève d’une réforme constitutionnelle, un processus plus complexe qu’une simple suppression dans un texte de loi.
Cela faisait longtemps que les associations féministes demandaient d’inscrire l’IVG dans la Constitution. C’était notamment parmi les propositions programmatiques portées par la Fondation des Femmes et le secteur associatif féministe lors de l’élection présidentielle de 2022. Déjà en 2017, une sénatrice Laurence Cohen avait porté une proposition de loi pour constitutionnaliser ce droit.
La décision de la Cour suprême des Etats-Unis en juin 2022 de revenir sur la protection de l’IVG a agi comme une déflagration sur la scène politique française et de nombreuses voix se sont élevées pour demander cette constitutionnalisation.
Il a fallu deux ans de travail de mobilisation d’associations comme la Fondation des Femmes, le Planning Familial et le collectif Avortement Europe, appuyées par des parlementaires engagés, pour y parvenir. Cette véritable victoire féministe a été obtenue grâce à l’union solide des féministes.
C’est aussi la victoire de toutes les Françaises et Français qui étaient massivement en faveur de cette réforme et qui ont été quasiment 110.000 à se mobilier en trois semaines pour demander au Sénat de l’approuver, dans le cadre d’un appel de la Fondation des Femmes sur Change.org.
Comment l’opinion publique a-t-elle réagi à cette demande ?
Plus de 86% des Français.es étaient favorables à l’entrée du droit à l’avortement dans la Constitution.
Il n’y avait qu’à voir les milliers de personnes qui se sont réunies dans l’après-midi du 4 mars pour célébrer l’entrée de l’IVG dans la Constitution sur le parvis des Libertés et des Droits de l’homme au Trocadéro, un lieu hautement symbolique choisi par la Fondation des Femmes pour diffuser le vote, à la hauteur de la gravité historique du moment.
Ce fort soutien de l’opinion publique, associé au combat sans relâche des associations féministes, est venu à bout des résistances de la droite sénatoriale, qui plaidait l’absence de réelle menace sur l’avortement en France.
Au-delà de la France, c’est une victoire et un signal très fort pour toutes les femmes et féministes du monde entier qui se battent pour l’accès à ce droit. Il y a de grandes chances que cette initiative soit reprise par d’autres États membres de l’Union européenne (UE). C’est en tout cas un des objectifs de toute cette mobilisation, qu’elle serve d’exemple.
Une Initiative Citoyenne Européenne a été soumise à la Commission européenne pour que l’UE finance l’avortement pour toute personne en Europe qui n’y a pas accès.
Quelles stratégies recommanderiez-vous aux activistes des droits génésiques dans d’autres pays d’Europe et au-delà ?
Ce qui a fonctionné en France, c’est une union solide des associations qui luttent pour les droits des femmes et de la société civile soutenue par des relais politiques – notamment des sénatrices et députées qui ont su porter ce projet commun dans les institutions.
Cette union a été le fruit d’un long travail de coordination et de création de liens entre les associations féministes pour se mettre toutes d’accord sur un projet commun.
Par ailleurs, il nous a semblé indispensable de pouvoir nous appuyer sur des données et des études fiables et pertinentes au sujet du droit à l’avortement. Par exemple, pour construire le plaidoyer nous avons pu nous appuyer sur un sondage montrant que cette révision constitutionnelle était soutenue par la majorité des Français.es, que la Fondation des Femmes et le Planning Familial avaient fait réaliser dès février 2021.
Plusieurs rapports sur l’organisation et la menace que représentent les mouvements anti-choix ont également démontré l’utilité de la constitutionnalisation du droit à l’avortement. Parmi eux, un rapport du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs sur les financements massifs des mouvements anti-choix en Europe et un rapport de la Fondation et de l’Institut pour le dialogue stratégique (ISD) sur la menace que représente la présence des mouvements anti-avortement sur les réseaux sociaux.
Quels sont les prochains enjeux de l’agenda des droits des femmes en France ?
Dans le sillage de #MeToo,les organisations féministes qui alertent depuis des décennies sur l’ampleur et la gravité des violences sexistes et sexuelles, ont enfin trouvé un réel écho. La société prend graduellement conscience de ce phénomène massif.
Or, les chiffres de la justice disent toujours l’insupportable impunité des auteurs de violences sexuelles : alors que 94.000 femmes majeures sont victimes de viols ou tentatives de viols chaque année en France, moins d’un agresseur sur trois fait l’objet de poursuites. Nombre de #MeToo restent à faire pour résoudre le paradoxe d’une société convaincue d’avoir pris conscience de l’ampleur des violences sexuelles, mais qui n’en tire aucune conséquence pour ceux qui en sont les responsables.
Nous faisons face à un manque d’action politique. À la Fondation des Femmes, nous militons depuis toujours pour une réponse politique à la hauteur de l’enjeu, qui passerait notamment par une hausse du budget alloué. Face aux sollicitations de victimes toujours plus nombreuses, nous avons revu son chiffre à la hausse. Dans unrapport publié en septembre 2023, nous estimons désormais les besoins entre 2,3 et 3,2 milliards d’euros par an.
Or, la tendance est toujours à la rigueur budgétaire. Le Ministre d’Économie annonçait début mars 2024 faire l’économie de 7 millions d’euros dans le cadre de la mission égalité femmes-hommes du budget 2024. Cette coupe budgétaire représente une diminution de 10% du budget de 77 millions d’euros, voté en décembre, alors qu’il y a urgence à donner davantage de moyens aux associations qui assurent la prise en charge des femmes victimes de violences.
L’espace civique en France est classé « rétréci » par leCIVICUS Monitor.
Contactez la Fondation des femmes sur sonsite web, son compte d’Instagram ou sa pageFacebook, suivez@Fondationfemmes et@FVolt sur Twitter, et contactez Floriane Volt surLinkedIn.
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INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : « Il doit y avoir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des droits »
CIVICUS parle avec Nadia Benaissa, conseillère en politique juridique chez Bits of Freedom, sur les risques que l’intelligence artificielle (IA) fait peser sur les droits humains et sur le rôle que joue la société civile dans l’élaboration d’un cadre juridique pour la gouvernance de l’IA.
Fondée en 2000, Bits of Freedom est une organisation de la société civile (OSC) néerlandaise qui vise à protéger les droits à la vie privée et à la liberté de communication en influençant la législation et la politique en matière de technologies, en donnant des conseils politiques, en sensibilisant et en entreprenant des actions en justice. Bits of Freedom a également participé aux négociations de la loi de l’Union européenne sur l’IA.
Quels risques l’IA fait-elle peser sur les droits humains ?
L’IA présente des risques importants car elle peut exacerber des inégalités sociales préexistantes et profondément ancrées. Les droits à l’égalité, à la liberté religieuse, à la liberté d’expression et à la présomption d’innocence figurent parmi les droits touchés.
Aux Pays-Bas, nous avons recensé plusieurs cas de systèmes algorithmiques violant les droits humains. L’un de ces cas est le scandale des allocations familiales, dans lequel les parents recevant des allocations pour la garde de leurs enfants ont été injustement ciblés et profilés. Le profilage a surtout touché les personnes racisées, les personnes à faible revenu et les musulmans, que l’administration fiscale a faussement accusés de fraude. Cette situation a entraîné la suspension des allocations pour certains parents et prestataires de soins, ainsi que des enquêtes hostiles sur leurs cas, ce qui a eu de graves répercussions financières.
Un autre exemple est le programme de prévention de la criminalité ‘Top400' mis en œuvre dans la municipalité d’Amsterdam, qui profile des mineurs et des jeunes afin d’identifier les 400 personnes les plus susceptibles de commettre des délits. Cette pratique affecte de manière disproportionnée les enfants des classes populaires et les enfants non-blancs, car le système se concentre géographiquement sur les quartiers à faibles revenus et les quartiers de migrants.
Dans ces cas, le manque d’éthique dans l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle a entraîné une immense détresse pour les personnes concernées. Le manque de transparence dans la manière dont les décisions automatisées ont été prises n’a fait qu’accroître les difficultés dans la quête de justice et de redevabilité. De nombreuses victimes ont eu du mal à prouver les préjugés et les erreurs du système.
Existe-t-il des tentatives en cours pour réglementer l’IA ?
Un processus est en cours au niveau européen. En 2021, la Commission européenne (CE) a proposé un cadre législatif, la loi sur l’IA de l’Union européenne (UE), pour répondre aux défis éthiques et juridiques associés aux technologies de l’IA. L’objectif principal de la loi sur l’IA de l’UE est de créer un ensemble complet de règles régissant le développement, le déploiement et l’utilisation de l’IA dans les États membres de l’UE. Elle cherche à maintenir un équilibre entre la promotion de l’innovation et la protection des valeurs et des droits fondamentaux.
Il s’agit d’une occasion unique pour l’Europe de se distinguer en donnant la priorité à la protection des droits humains dans la gouvernance de l’IA. Cependant, la loi n’a pas encore été approuvée. Une version a été adoptée par le Parlement européen en juin, mais il reste encore un débat final - un « trilogue » - à mener entre la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen. La Commission européenne s’efforce d’achever le processus d’ici la fin de l’année afin qu’il puisse être soumis à un vote avant les élections européennes de 2024.
Ce trilogue a des défis considérables à relever pour parvenir à une loi sur l’IA complète et efficace. Les questions controversées abondent, y compris les définitions de l’IA et les catégories à haut risque, ainsi que les mécanismes de mise en œuvre et d’application.
Qu’est-ce que la société civile, y compris Bits of Freedom, apporte à la table des négociations ?
Alors que les négociations sur la loi se poursuivent, une coalition de 150 OSC, dont Bits of Freedom, demande instamment à la CE, au Conseil et au Parlement d’accorder la priorité aux personnes et à leurs droits fondamentaux.
Aux côtés d’autres groupes de la société civile, nous avons activement collaboré à la rédaction d’amendements et participé à de nombreuses discussions avec des membres des parlements européen et néerlandais, des décideurs politiques et diverses parties prenantes. Nous avons fermement insisté sur des interdictions concrètes et solides, telles que celles concernant l’identification biométrique et la police prédictive. En outre, nous avons souligné l’importance de la transparence, de la redevabilité et d’un mécanisme de réparation efficace dans le contexte de l’utilisation des systèmes d’IA.
Nous avons obtenu des résultats significatifs en matière de plaidoyer, notamment l’interdiction de l’identification biométrique en temps réel et a posteriori, une meilleure formulation des interdictions, des évaluations obligatoires de l’impact sur les droits fondamentaux, la reconnaissance de droits supplémentaires en matière de transparence, de redevabilité et de réparation, et la création d’une base de données obligatoire sur l’IA.
Mais nous reconnaissons qu’il y a encore du travail à faire. Nous continuerons à faire pression pour obtenir la meilleure protection possible des droits humains et à nous concentrer sur les demandes formulées dans notre déclaration au trilogue de l’UE. Celles-ci tendent vers l’établissement d’un cadre de redevabilité, de transparence, d’accessibilité et de réparation pour les personnes touchées par ces enjeux, et à la fixation des limites à la surveillance préjudiciable et discriminatoire exercée par les autorités nationales chargées de la sécurité, de l’application de la loi et de l’immigration. Elles s’opposent ainsi au lobbying des grandes entreprises technologiques en supprimant les lacunes qui sapent la réglementation.
Le chemin vers une réglementation complète et efficace de l’IA est en cours, et nous restons déterminés à poursuivre nos efforts pour faire en sorte que le cadre législatif final englobe nos demandes essentielles. Ensemble, nous visons à créer un environnement réglementaire en matière d’IA qui donne la priorité aux droits humains et protège les personnes.
Contactez Bits of Freedom sur sonsite web ou sa pageFacebook, et suivez@bitsoffreedom sur Twitter.